Revue « Iesus Christus » : Le 7 juillet dernier est enfin paru le Motu Proprio, tant annoncé donnant aux prêtres la liberté de célébrer la Messe traditionnelle. Quel est votre sentiment en face à la parution de ce document ?
M. l’abbé Bouchacourt : On ne peut que se réjouir de voir qu’enfin la Messe Tridentine retrouve ses droits dans l’Eglise d’aujourd’hui. Cependant, en soi, ce document n’était pas nécessaire. Comme le dit le Motu Proprio avec clarté « cette liturgie n’a jamais été abrogée » (article 1). Ainsi la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a‑elle eu raison de continuer contre vents et marées à célébrer ce rite en employant le missel de 1962. Mais comme de fait, depuis 1969 jusqu’à aujourd’hui, les autorités ecclésiastiques ont agi comme si ce rite de la messe traditionnelle avait été abrogé en sanctionnant très souvent les prêtres qui voulaient le célébrer, il est très heureux que cette liberté soit reconnue de façon officielle.
Je voudrais souligner que cette avancée, constitue une victoire posthume de Mgr Lefebvre et de Mgr de Castro Mayer qui furent mis au ban de l’Eglise en raison de leur fidélité à ce rite multiséculaire. Sans ces deux évêques, la Messe de Saint Pie V aurait disparu de la face de la terre.
On doit cependant regretter la restriction de n’autoriser la célébration que d’une seule Messe Tridentine les dimanches et jours de fêtes dans chaque paroisse. (Art 5, §2)
Revue « Iesus Christus » : N’y a‑t-il pas une autre restriction imposée pour la célébration de la messe pendant les 3 jours saints dans l’article 2 ?
M. l’abbé Bouchacourt : Non, dans le rite traditionnel, les Jeudi Vendredi et Samedi Saints, aucun prêtre ne peut célébrer la messe en privé. Les prêtres qui assistent aux offices chantés communient des mains du célébrant. Dans ce sens, le Motu Proprio s’inscrit dans la Tradition liturgique. Ce document n’interdit pas d’user le missel de 62 pour les offices publics de ces trois jours saints.
Revue « Iesus Christus » : Des prêtres dans votre district se sont-ils approchés de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X pour apprendre à dire cette messe ces derniers mois ?
M. l’abbé Bouchacourt : Oui, un peu partout en Amérique du Sud, des prêtres nous demandent de les aider à apprendre à dire la messe traditionnelle. Il faut noter que tous ces prêtres font cette démarche en cachette par crainte de leur évêque. J’espère que grâce à ce Motu Proprio ils pourront célébrer sans crainte et en toute liberté comme le document le demande. Ce sera alors une grande grâce pour eux et pour l’Eglise.
Revue « Iesus Christus » : Ces prêtres seront-ils obligés de venir dans vos prieurés pour apprendre à célébrer cette Messe de Saint Pie V ou avez-vous d’autres aides à leur proposer ?
M. l’abbé Bouchacourt : Il est évident que le contact direct avec ces prêtres serait le plus facile pour les aider à apprendre à célébrer la messe de Saint Pie V. Mais il est tout aussi évident que cela est impossible pour un grand nombre du fait des distances et des impératifs de l’apostolat. C’est pourquoi, le District de France de la Fraternité Saint-Pie X a eu l’excellente idée de réaliser un DVD pour aider ces prêtres. Il a été édité en plusieurs langues dont l’Espagnol et le Portugais. Nous le proposons aux prêtres et aux séminaristes d’Amérique du Sud pour un prix très modéré. Nous y avons joint un second CD de photos fixes avec un commentaire sur chacun des gestes que le prêtre doit accomplir pour bien célébrer. Je pense que ce sera un outil très utile pour tous nos confrères qui sont intéressés par la messe traditionnelle.
Revue « Iesus Christus » : Dans sa lettre aux prêtres et aux fidèles, Mgr Fellay a manifesté la satisfaction de la Fraternité Saint-Pie X de voir le droit de la Messe de Saint Pie V reconnue. Peut-on dire pour autant que la crise qui secoue l’Eglise depuis des décennies est en passe d’être résolue ?
M. l’abbé Bouchacourt : Je vous le disais, cette décision est un pas très positif. Il faut souligner avec bonheur que c’est non seulement l’usage du missel traditionnel qui est autorisé mais aussi celui du bréviaire et du Rituel des sacrements de 1962 , ce qui produira un bien immense aux âmes. Cependant le chemin reste encore long pour que se termine cette crise qui a causé tant de dégâts dans l’Eglise depuis 50 ans. En effet, comme le souligne le Pape dans sa lettre aux évêques, notre combat à des racines plus profondes que le seul rétablissement de la Messe de Saint Pie V. Il a aussi des racines doctrinales. Si la messe a retrouvé un droit de cité dans l’Eglise il faudra que la Tradition intégrale retrouve elle aussi ce même droit de cité. La doctrine alimente et soutient la prière et la liturgie. En 1969, c’est parce que la Messe Tridentine était considérée comme incompatible avec la nouvelle théologie conciliaire qu’elle a été changée. Cet écart qui s’est creusé avec les années demeure après son rétablissement. Il faudra maintenant qu’avec la réhabilitation du rite Tridentin on revienne à la doctrine conforme à ce rite. Lex orandi, lex credendi.
Revue « Iesus Christus » : Pouvez-vous préciser votre pensée ?
M. l’abbé Bouchacourt : Oui, il faut avoir présent à l’esprit que lors du Concile Vatican II (1962–1965), tous les évêques de rite latin présents célébraient encore la Messe dite de Saint Pie V. La réforme que nous connaissons est arrivée en novembre 1969. Et pourtant, ce sont ces mêmes évêques qui dans leur immense majorité ont voté les textes qui empoisonnent l’Eglise de l’intérieur comme ceux sur la liberté religieuse, la collégialité et l’œcuménisme. Il faudra bien que dans un futur proche, ces textes soient étudiés à la lumière de l’enseignement multiséculaire de l’Eglise. Il faut reconnaître en effet que ces textes et les réformes qui les ont accompagnés ont constitués une véritable rupture avec ce que l’Eglise enseignait depuis près de 2000 ans.
Revue « Iesus Christus » : On lit souvent dans les média que la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X veut le rétablissement de la Messe en latin. Avec ce motu proprio, la voilà donc comblée !
M. l’abbé Bouchacourt : Le Cardinal Castrillon Hoyos, en mai dernier lors de la réunion du C.E.L.A.M. devant tous les évêques d’Amérique latine rassemblés disait que l’utilisation du missel de 1962 était « une richesse qui s’ajoute à celle non moins précieuse de la liturgie actuelle ». Il voudrait que ce Motu Proprio soit l’occasion réconcilier l’Eglise conciliaire avec la Tradition. Pour lui, Les temps que nous sommes en train de vivre ne seraient qu’une continuité de la Tradition vivante. C’est une erreur ! Depuis 50 ans l’Eglise a voulu se réconcilier avec l’esprit du monde. C’est « une liaison adultère » qui a donné des fruits bâtards. Mgr Lefebvre a dénoncée cela en son temps. L’Eglise n’est pas du monde. Le Christ l’a dit à ses apôtres juste avant son agonie au jardin des oliviers. Le monde n’a cessé de combattre le Christ et son Eglise durant toute l’histoire. Vouloir les réconcilier est non seulement un leurre mais une faute. Le monde doit se convertir au Christ et non l’Eglise se convertir au monde. Avec la nouvelle messe, les nouveaux sacrements, le nouveau catéchisme, le nouveau code de Droit canonique on a vu les églises et les séminaires se vider, les sectes proliférer. Chaque jour en Amérique latine 6 à 8000 catholiques quittent l’Eglise. C’est un drame. Ce sont les fruits amers que le concile avec ses principes faux, sa doctrine révolutionnaire et ses réformes a fait germer. Le véritable renouveau de l’Eglise passe non seulement par une restauration liturgique mais aussi par une réhabilitation de la doctrine traditionnelle dans l’Eglise. La Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, à sa place, est prête à apporter son concours pour aider à une telle restauration. Notre attachement à la Messe traditionnelle n’est pas sentimental, il est doctrinal. C’est-à-dire fondé sur l’enseignement des Pères et des docteurs de l’Eglise. Sur celui des Papes et des saints. L’Eglise n’a pas commencé il y a presque 50 ans avec le Concile Vatican II. Elle a 2000 ans de Tradition. Ses racines sont profondes et on ne peut pas les occulter.
Revue « Iesus Christus » : Vouloir tout cela, n’est-ce pas un peu utopique ?
M. l’abbé Bouchacourt : Le monde est toujours pressé et veut des résultats immédiats. Dieu a l’éternité devant Lui. Il a préparé pendant des milliers d’années le peuple élu pour qu’il accueille le Verbe Incarné. De même, après sa sortie d’Egypte, le peuple juif a erré pendant quarante ans, en faisant des ronds dans le désert avant d’atteindre la Terre Promise. Seuls les fils de ceux qui avaient fui pharaon y sont entrés. Tous les autres sont morts avant y compris Moïse ! Dieu a peut-être le même plan pour mettre un terme à cette crise qui semble s’éterniser. Peut-être veut-il que tous ceux qui ont été les acteurs du dernier concile et de ses réformes aient quitté ce monde. Les passions alors vont pouvoir s’estomper et la réflexion nécessaire avoir lieu. Il faut prier pour hâter ces jours de renouveau et faire pénitence.
Revue « Iesus Christus » : Donc il faudra être patient ! Espérez-vous enfin ces jours prochains, la levée de l’excommunication qui frappe les quatre évêques que Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer ont consacré ?
M. l’abbé Bouchacourt : Nous n’avons jamais reconnu la validité de ces « excommunications ». En sacrant des évêques en 1988, Mgr Lefebvre n’a pas voulu constituer une église parallèle comme le firent les évêques de l’Eglise patriotique de Chine en 1949 par exemple. Notre fondateur a attendu jusqu’à l’âge de 83 ans pour poser cet acte car il n’a trouvé aucun évêque pour ordonner ses séminaristes, donner les sacrements et enseigner la doctrine pérenne de l’Eglise. Comme il l’a dit lui-même c’était un « acte de survie de la Tradition ». La suite lui a donné raison. Aussi, demander la levée du décret d’excommunication est une question d’honneur filial. Nous voulons que notre fondateur et les quatre évêques qu’il a consacrés pour sauver le sacerdoce catholique la Messe et la Tradition soient lavés de cette condamnation infâmante qui, bien que nulle, est brandie par beaucoup d’évêques pour dissuader les fidèles de fréquenter nos chapelle et prieurés. Sans une telle mesure, il nous sera difficile d’avoir confiance dans les bonnes intentions de Rome à notre égard. Espérons donc que cette mesure va suivre le présent Motu Proprio. Alors, comme le dit notre Supérieur Général, des « discussions théologiques » pourraient s’amorcer.
Revue « Iesus Christus » : Vous avez donc l’espoir qu’un jour la situation se normalisera entre la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et Rome ?
M. l’abbé Bouchacourt : L’espérance catholique qui se fonde sur Dieu et sur son aide, est ce qui demeure dans l’âme du baptisé quand l’espoir humain n’a plus sa place. Nous devons être animés par une très grande espérance car l’Eglise Catholique est divine par son origine et par l’assistance que le Christ son fondateur lui a promise jusqu’à la fin des temps. Cette normalisation comme vous l’appelez, demandera du temps. Peut-être beaucoup. Qu’importe, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X ne travaille pas pour elle mais pour l’Eglise catholique. Le jour où la Tradition retrouvera tous ses droits, le problème de la Fraternité n’existera plus. Ce temps arrivera c’est certain. Dieu seul sait quand.
Revue « Iesus Christus » : Et pour conclure ?
M. l’abbé Bouchacourt : J’invite tous ceux qui liront ces lignes à profiter de cette lueur d’espérance que nous donne ce Motu Proprio, pour lire les encycliques des Papes qui ont précédé le Concile Vatican II comme l’encyclique Pascendi Domini Gregis écrite par le Pape saint Pie X il y a exactement 100 ans. Dans ce document comme dans les autres vous trouverez des réponses aux erreurs qui fourmillent dans l’Eglise et les motifs pour un retour à la Tradition que demande la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X depuis plus de 35 ans.
Que Notre Dame de Fatima, dont nous célébrons le 90e anniversaire des apparitions, soutienne les efforts du Pape et qu’elle l’aide à prendre les décisions qui s’imposent pour hâter le triomphe de son Cœur Immaculé. Comme le dit Monseigneur Fellay dans sa lettre aux fidèles et aux prêtres, la Croisade du Rosaire lancée par la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X après son Chapitre Général pour la libéralisation de la messe traditionnelle a manifestement touché le Cœur de la Vierge Marie en nous accordant ce Motu Proprio.
Que notre ardeur à réciter notre chapelet quotidien en soit revigorée pour obtenir maintenant la complète restauration de la Tradition dans l’Eglise. Il me revient à l’esprit cette demande de la Vierge Marie lors de son apparition à Pontmain en 1870 en France : « Mais priez mes enfants, en peu de temps mon Fils se laisse toucher ».
Abbé Christian Bouchacourt, Supérieur du District d’Amérique du Sud
Source : Revue Iesus Christus n° 1123 de Juillet-août 2007