Muettes sur la critique de la nouvelle messe qu’elle ont acceptée comme légitime même si elles ne la célèbrent pas, les communautés anciennement Ecclesia Dei paraissent continuer à se développer. Pourquoi la Fraternité Saint-Pie X revient-elle donc si souvent sur la nouvelle messe ? Pourquoi cette suite d’articles, initialement parus dans Le Chardonnet, que vous pourrez lire sur La Porte Latine ?
La messe est ce qu’il y a de plus beau et de meilleur dans l’Eglise […] Aussi le démon a‑t-il toujours cherché au moyen des hérétiques à priver le monde de la messe.
Saint Alphonse de Liguori
A l’opposé d’une telle pensée, Luther ne masquait pas son rejet vigoureux de la messe : « Quand la messe sera renversée, je pense que nous aurons renversé la papauté ! Car c’est sur la messe comme sur un rocher que s’appuie la papauté tout entière, avec ses monastères, ses évêchés, ses collèges, ses autels, ses ministres et sa doctrine… Tout s’écroulera quand s’écroulera la messe sacrilège et abominable » [1].
Au-delà de la virulence du propos, ce dernier manifeste l’abîme séparant la conception luthérienne de la doctrine catholique au sujet de la messe.
Cette opposition semble avoir été considérablement diminuée par la la réforme du missel romain opérée par Paul VI en avril 1969. Dès le mois de mai 1969, le protestant Max Thurian de la communauté de Taizé affirmait placidement : « Avec la nouvelle liturgie, des communautés non-catholiques pourront célébrer la Sainte Cène avec les mêmes prières que l’Eglise catholique. Théologiquement c’est possible » [2].
Comment expliquer un tel changement ? Le nouveau rite se serait-il rapproché de la position protestante ? Ou serait-ce les protestants qui auraient changé ?
Deux avis, l’un émanant d’un catholique, l’autre d’un protestant, favorisent la première interprétation.
Mgr Bugnini, principal artisan de la réforme liturgique, eut l’étonnante simplicité de l’avouer : « [dans la réforme liturgique] l’Eglise a été guidée par l’amour des âmes et le souci de tout faire pour faciliter à nos frères séparés le chemin de l’union, en écartant toute pierre qui pourrait constituer ne serait-ce que l’ombre d’un risque d’achoppement ou de déplaisir » [3].
Les termes employés sont révélateurs : « tout faire », « l’ombre », « d’un risque », « d’achoppement ou de déplaisir ». Pour éviter ce genre d’ombre de risque, Mgr Bugnini n’a rien négligé. Six pasteurs protestants ont ainsi été appelés pour l’aider à concevoir cette nouvelle messe.
Le second avis procède d’un protestant. En 1984, à la suite de l’indult du pape Jean-Paul II autorisant la célébration de la messe de saint Pie V à certaines conditions, le journal Le Monde inséra dans le courrier des lecteurs le texte suivant, signé du Pasteur Viot [4] :
La réintroduction de la messe de saint Pie V (…) est beaucoup plus qu’une affaire de langue : c’est une question doctrinale de la plus haute importance, au cœur des débats entre catholiques et protestants, débats que pour ma part, je croyais heureusement clos. (…) Beaucoup de nos ancêtres dans la foi réformée selon la Parole de Dieu ont préféré monter sur le bûcher plutôt que d’entendre ce type de messe que le pape Pie V officialisa contre la Réforme. Aussi nous étions-nous réjouis des décisions de Vatican II sur le sujet et de la fermeté de Rome à l’égard de ceux qui ne voulaient pas se soumettre au Concile et continuaient à utiliser une messe à nos yeux contraire à l’Evangile.
La pensée est claire, le langage franc : l’irréductibilité de la doctrine protestante et de la messe traditionnelle demeure.
Le changement de position ne provient donc pas des protestants, mais du rite catholique. Telle est la conclusion qu’il reste à étayer sur des bases plus solides.
L’étude de la messe de Paul VI n’est donc pas d’un mince intérêt. Ajoutons d’emblée, pour éviter toute équivoque auprès de nos lecteurs du Chardonnet, que l’examen de ce rite ne portera que sur le texte officiel de 1962, et non sur d’incroyables adaptations malheureusement récurrentes.
Abbé François-Marie Chautard
- Cité par Cristiani, Du luthéranisme au protestantisme, 1910[↩]
- La Croix, 30 mai 1969, p. 10[↩]
- Toutes ces citations sont tirées de La messe a‑t-elle une histoire ? , éd du MJCF, 2002, p. 134, que nous ne saurions trop recommander. [↩]
- Revenu depuis à l’Eglise catholique et ordonné prêtre[↩]