Évêque de Noyon et de Tournai (457–545).
Fête le 8 juin.
Vers le milieu du ve siècle, dans un petit village de Picardie, à Salency, naissaient deux frères qui devaient être la gloire de leur patrie : Médard ou Mard, et Gildard ou Godard — tels étaient leurs noms, — nés le même jour, consacrés évêques le même jour, devaient, nous dit le Martyrologe romain, s’envoler au ciel ensemble. Quoique leur vie ait été étroitement liée, saint Médard est beaucoup plus connu dans la France, où son nom est resté très populaire.
Famille de saint Médard.
Nectard, son père, était un noble leude franc [1] de la cour de Childéric, qui fut le père de Clovis ; il était né dans les ténèbres du paganisme, mais les exemples et les prières de sa femme, Protagie, lui firent demander le baptême.
Devenu chrétien, Nectard, bannissant tout respect humain, résolut de mener une vie conforme au caractère qu’il venait de recevoir. Aussi, toute superstition fut chassée de cette maison chrétienne, et les deux époux brillèrent autant par leur piété et leur miséricorde envers les pauvres que par la noblesse de leur rang et l’éclat de leur fortune. Sans doute, ils ne laissèrent pas une longue suite de descendants sur la terre, mais ils eurent l’incomparable honneur de donner aux Eglises de Noyon et de Rouen deux évêques et plus encore deux Saints.
Premières études.
Le jeune Médard, placé sous la direction des moines, montre autant d’ardeur à l’étude que d’inclination vers la piété. Visiblement, l’Esprit de Dieu est en lui, et dès sa jeunesse apparaît le don de prophétie. Il dit un jour à un de ses condisciples, nommé Éleuthère, qu’il aimait tout particulièrement à cause de sa vertu :
— Vous serez d’abord comte franc : puis, à trente ans, vous deviendrez évêque.
Nous verrons plus loin cette prophétie se réaliser.
Dieu récompense par des miracles la charité de saint Médard.
Les leçons de ses maîtres, les exemples de ses pieux parents inspiraient à l’enfant des traits de générosité qui faisaient prévoir ses grandeurs futures.
Un jour, son père le chargea de veiller à la garde des chevaux dans un pré. Pendant qu’il s’acquitte de cette fonction, Médard voit passer un soldat franc portant sur ses épaules une selle et une bride.
— Pourquoi voyagez-vous ainsi ? demande l’enfant.
— Hélas ! répond le guerrier, mon cheval vient de tomber mort, et j’ai dû me charger des harnais, ne sachant comment je pourrais me procurer une autre monture.
— Au nom du Seigneur, répond le jeune gardien, prenez un de ces chevaux.
Le soldat hésite, mais, sur les instances de Médard, il se décide à obéir.
Il s’était à peine éloigné qu’un serviteur vint pour remplacer l’enfant. Sur ces entrefaites un violent orage éclata et Médard dut rester au milieu de la prairie sans pouvoir s’abriter ; or, un aigle aux ailes étendues apparut au-dessus de sa tête, le protégeant contre la pluie. Le serviteur, étonné de la merveille dont il vient d’être témoin, retourne en faire part à son maître, et celui-ci accourt avec tous ses gens. Le prodige les comble d’admiration ; mais on ne tarde pas à s’apercevoir aussi que le nombre des chevaux n’est pas complet.
On interroge l’enfant qui raconte naïvement ce qui lui est arrivé, et aussitôt, après avoir compté de nouveau, on constate que pas un cheval ne manque. Alors Nectard, saisi tout à coup d’un profond respect pour Médard que le ciel protégeait si visiblement, lui dit :
— Mon fils, tout ce que j’ai est à toi. Dispose de tous mes biens selon ta volonté et prie Dieu pour que ta mère et moi nous ayons part à la grâce et à la bénédiction du ciel.
Un autre jour, Médard avait reçu de sa mère un manteau de grand prix, afin qu’il parût avec honneur parmi les jeunes gens de son rang. Mais l’enfant rencontre un pauvre presque nu ; aussitôt, le manteau quitte les épaules du jeune seigneur pour aller revêtir le membre souffrant de Jésus-Christ.
Rien n’affligeait tant son cœur que les disputes entre chrétiens. Pendant qu’il était encore chez ses parents, plusieurs habitants de son village se querellèrent au sujet des bornes d’un champ. Comme les esprits s’échauffaient, Médard vint trouver les laboureurs. Apercevant une pierre au milieu du champ : « C’est ici, dit-il, que se trouve la véritable borne ; cessez donc vos disputes », et, en même temps, il la touche légèrement du pied. Or, s’il faut en croire un récit, la trace du pied de l’enfant reste empreinte sur la pierre dure, et les laboureurs, émerveillés par ce prodige, sont forcés de se rendre à la vérité.
Assidu à l’oraison, aux veilles, aux jeûnes, Médard progressait tous les jours dans la sainteté. Il était, nous disent ses biographes, un pèlerin sur la terre ; mais sa vie pure et obéissante le faisait passer pour un habitant du ciel.
Saint Médard consacré au service de Dieu.
A mesure qu’il avançait en âge, le jeune homme ne se sentait plus d’attrait que pour la piété ; Gildard suivait la même voie : les parents comprirent alors que Dieu appelait leurs fils au service des autels.
Médard et son frère furent donc placés sous la conduite d’Alomer, évêque de Vermand. Ensemble, les deux fils de Nectard reçurent la tonsure cléricale, et ensemble ils furent consacrés prêtres pour l’éternité. Leur sœur elle-même voua sa virginité au Seigneur.
Bientôt une grande douleur vint affliger le cœur des trois enfants ; Nectard et Protagie allèrent recevoir la récompense destinée aux parents chrétiens.
Saint Médard institue la fête de la Rosière.
Médard vint exercer à Salency les premières années de son ministère, et ce fut vers cette époque qu’il institua cette fête si populaire, connue sous le nom de fête de la Rosière. A cet effet, il détacha de ses terres patrimoniales un petit domaine qui porta jusqu’à la Révolution le titre de fief de la Rose, et dont les revenus, évalués à vingt-cinq livres, servaient à doter chaque année la fille la plus vertueuse du pays.
La sœur de Médard fut, dit-on, la première qui, à l’élection des habitants, reçut des mains de son frère « le chapel de roses ».
Le souvenir de cet événement a été commémoré par un tableau placé au-dessus de l’autel dédié au Saint dans la chapelle du village de Salency. Médard est représenté en habits pontificaux, plaçant une couronne de roses sur la tête de sa sœur agenouillée. Cette récompense fut très disputée parmi les filles de Salency. L’élue était choisie par le seigneur de l’endroit entre trois filles natives du village. On les lui présentait un mois à l’avance, et quand il avait fixé son choix, il était obligé de le faire annoncer au prône de la paroisse, afin que les autres jeunes filles, rivales de l’élue, eussent le temps de donner leur avis et d’élever leur opposition si le choix ne leur paraissait pas conforme à la justice la plus rigoureuse. L’examen se faisait impartialement et ce n’était qu’après cette épreuve que le choix du seigneur était confirmé.
De Salency, cette pratique se répandit en d’autres lieux ; elle y donna naissance à une fête populaire, sanctifiée par les bénédictions de l’Eglise, et qui produisit pendant de longs siècles les plus heureux résultats ; les troubles qui ont bouleversé la France n’ont pu détruire entièrement une institution si salutaire. Il est vrai que le démon, ce singe de Dieu, comme l’appelle Tertullien, a essayé de tourner à son profit une si louable coutume, en supprimant assez fréquemment dans cette cérémonie la bénédiction du prêtre. En vérité, c’est tenir bien peu compte des intentions du pieux fondateur.
Saint Médard et les voleurs.
Le prêtre de Salency édifiait tout le Vermandois par l’exemple de ses héroïques vertus. Ses nombreux miracles lui donnèrent bientôt une grande réputation de sainteté. Tout entier aux affaires du Père céleste, il abandonna le soin des choses terrestres pour retirer les âmes des mains du démon.
Dieu, cependant, veillait sur les biens de son serviteur. Pendant une nuit d’automne, un voleur s’introduisit dans une des vignes appartenant à Médard. Il coupa autant de raisins qu’il put, et, dès qu’il fut assez chargé, il se disposait à partir avec le fruit de son vol, pressé de disparaître avant l’aube ; mais ses efforts furent inutiles. Toute la nuit, il erra dans la vigne, ne pouvant en trouver l’issue, ni se débarrasser de son fardeau accusateur.
Arrêté dès le matin par les habitants, il avoua sa faute, et il allait subir la peine due à son larcin lorsque Médard apparut. Rempli de l’esprit de mansuétude et de miséricorde, le bon prêtre réprimanda le larron, et lorsqu’il le vit repentant, il lui donna, avec l’absolution de son vol, une abondante provision de raisins.
Un autre voleur avait dérobé les ruches de Médard ; mais, par une permission de Dieu, il fut si cruellement tourmenté par les abeilles que, poussé autant par l’aiguillon du remords que par celui des mouches volées, il fut contraint de venir se jeter aux pieds de l’homme de Dieu afin d’en obtenir à la fois le pardon et la délivrance.
Si Dieu défendait par des prodiges les propriétés de son serviteur, Médard se montrait le vaillant défenseur des droits de l’Église. L’armée des Francs, sous la conduite de Clotaire, après avoir pillé la forteresse, les églises et les monastères de Noyon, s’avançait vers Salency avec des chariots remplis de butin. Tout à coup, les chevaux s’arrêtèrent et demeurèrent dans une immobilité complète. Les soldats et les chefs vinrent se jeter aux genoux de Médard ; celui-ci leur parla avec tant de force et d’éloquence, qu’ils promirent de restituer tous les biens qu’ils s’étaient illicitement appropriés. Alors, à sa parole, les chevaux purent reprendre leur course interrompue.
Épiscopat de saint Médard.
Le moment choisi par Dieu pour faire briller cette belle lumière était arrivé. Alomer, évêque de Vermand, venait de mourir, et, d’une voix commune, clergé et peuple élurent pour lui succéder le prêtre de Salency. Ce fut en l’an 530 ; Médard était âgé de soixante-treize ans.
Se jugeant incapable de porter un tel fardeau, le prélat refusa longtemps. La multitude consternée éclata en gémissements. Enfin, la volonté de Dieu lui semblant manifeste, Médard consentit à accepter l’honneur que son humilité voulait éloigner, et, quelques jours plus tard, il reçut la consécration épiscopale des mains de saint Rémi, évêque de Reims.
Les temps étaient difficiles et troublés, la Gaule avait été dévastée par les Vandales et les Huns ; la cité de Vermand, détruite par eux, ne s’était pas relevée de ses ruines. Les Francs, désormais les maîtres du pays, commencent à prêter l’oreille aux doux enseignements de l’Eglise ; mais il faudra longtemps aux évêques et aux moines pour faire l’éducation chrétienne de ce peuple, à peine sorti de la barbarie et appelé à de si grandes destinées. En attendant, Médard dut transférer le siège de son évêché à Noyon, dont la situation et les remparts offraient plus de sécurité dans cette période de guerres et de ravages continuels.
A peine l’huile sainte avait-elle coulé sur le front de Médard, que le siège de Tournai vint à vaquer par la mort d’Éleuthère, pasteur de cette cité et ami de l’évêque de Noyon. C’était à lui que Médard, encore jeune, avait prédit la dignité épiscopale. Celui-ci voulut assister aux funérailles de son ancien condisciple, et, aussitôt après, un jeûne de trois jours fut prescrit pour préparer l’élection nouvelle. Plusieurs noms avaient déjà été proposés, lorsque, par une inspiration subite de l’Esprit-Saint, toutes les voix se réunirent dans une acclamation unanime : « Médard, évêque de Noyon et de Tournai ! » Le prélat, alléguant que les canons s’opposaient à une telle nomination, se hâta de refuser. Mais le roi, les évêques, saint Rémi et finalement le Pontife suprême de Rome, saint Hormisdas, considérant les besoins des deux Eglises, ratifièrent l’élection, et Médard dut accepter ce double fardeau.
Saint Godard.
Pendant que Médard montait sur le siège de Noyon, Godard ou Gildard, son frère, était sacré évêque de Rouen. Avec saint Rémi, saint Médard et saint Waast, il coopéra à l’entière conversion et au baptême de Clovis, premier roi chrétien des Francs, comme il est rapporté dans les anciennes leçons de l’église qui porte son nom à Rouen. Il assista, l’an 511, au premier Concile d’Orléans, un des plus célèbres de France. Godard termina son pontificat à peu près vers le même temps que son bienheureux frère.
Travaux apostoliques. — Sainte Radegonde.
L’évêque de Noyon et de Tournai se dévoua tout entier au salut des âmes. On ne saurait raconter ce qu’il eut à supporter de la part des infidèles : souvent il se vit menacé de la mort, et condamné par des furieux au dernier supplice : mais, comme il était inébranlable au milieu de ces persécutions et qu’il souffrait tous ces mauvais traitements avec une constance qui ne se démentit jamais, il dompta enfin la dureté des infidèles et des libertins, et, en peu de temps, il fît tant de conversions et régénéra tant d’idolâtres dans les eaux du baptême, que la contrée changea de face et qu’on y vit luire avec un grand éclat la lumière du christianisme.
Pendant que Médard occupait le siège de Noyon, une jeune reine, la propre femme de Clotaire, fuyait les délices et les dangers de la cour. Radegonde, c’était le nom de la fugitive, était venue se jeter aux pieds du saint évêque et le suppliait, munie du consentement de son mari, de la consacrer au Seigneur et de lui donner le voile. Les seigneurs francs, qui avaient envahi la basilique, arrachèrent violemment l’évêque de l’autel et lui enjoignirent avec menace de ne pas accéder aux désirs de leur reine. Médard restait perplexe.
Cependant, sainte Radegonde s’était retirée dans le sacrarium (sacristie). Là, elle coupa elle-même ses cheveux, puis elle vint, revêtue d’un habit de religieuse, se prosterner devant le Pontife :
— Si vous tardez plus longtemps à me consacrer au Seigneur, dit-elle, si vous craignez plus un homme que Dieu, le bon Pasteur vous demandera compte de lame de sa brebis.
Ces paroles furent prononcées avec une telle majesté que toute l’assemblée demeura comme interdite. Médard, voyant ses craintes se dissiper, brava les menaces des seigneurs francs et consacra Radegonde à Dieu.
Avant d’aller dans un couvent de Poitiers faire pénitence pour cette France dont elle avait été reine, Radegonde déposa sur l’autel ses riches parures, son diadème, et distribua son trésor aux pauvres.
Mort de saint Médard.
Une grave maladie vint arrêter l’apôtre au milieu de ses travaux et l’avertir que le jour des récompenses approchait. Il était alors à Noyon. A cette nouvelle, des milliers de fidèles accoururent pour recevoir une dernière bénédiction de leur Père. Clotaire vint incliner sa tête couronnée sous la main bénissante de l’évêque ; puis, se penchant à son oreille, il demanda à Médard si celui-ci avait des ordres à donner :
— Roi des Francs et vous tous qui m’entourez, dit le mourant, je vous prends à témoin que je veux être enterré ici au milieu de mes enfants.
Le roi le supplia de permettre que son corps fût enseveli à Soissons. Médard se rendit à ce pieux désir, puis commença une prière. Il devait la terminer au ciel.
Sa mort arriva le 8 juin 545. Le P. Giry la recule au-delà de 560, parce que, d’après lui, saint Médard donna à Clotaire l’absolution du crime que celui-ci avait commis en faisant brûler son fils Chramne pour le châtier de s’être révolté ; or, le fait n’eut lieu qu’à la date que nous venons d’indiquer.
Sa sépulture.
Une foule nombreuse, tant du peuple que de la noblesse, voulut assister aux obsèques du saint évêque. Les habitants de Noyon auraient bien voulu garder au milieu d’eux les restes de leur Père, mais le roi tint ferme et voulut que le corps fût déposé à Crouy, près Soissons. Clotaire, aidé des plus nobles seigneurs, porta le précieux fardeau. Ce fut un vrai triomphe, rehaussé par de nombreux miracles.
Quand on fut arrivé à Crouy, où le roi avait résolu d’élever une église, le cercueil devint immobile et nulle force humaine ne put le remuer. Sur-le-champ, Clotaire fit don à la nouvelle église de la moitié du domaine et le précieux fardeau redevint plus léger. L’église, commencée par Clotaire, fut achevée avec magnificence par son fils Sigebert et leurs successeurs. On y ajouta aussi un monastère qui fut donné aux religieux de l’Ordre de Saint-Benoît ; il a été si illustre que le Pape saint Grégoire le soumit immédiatement au Saint-Siège et l’orna d’autres grands privilèges ; on y a vu jusqu’à 400 religieux qui y chantaient jour et nuit, l’un après L’autre, les louanges de Dieu. En dernier lieu, il dépendait de la Congrégation de Saint-Maur.
Le culte.
Dès le xiie siècle, il existait à Paris une église Saint-Médard, qui a été reconstruite plus tard : ce sanctuaire était desservi autrefois par un chanoine de l’abbaye de Sainte-Geneviève. Selon l’abbé Lebeuf, célèbre historien des monuments de la capitale, le nom lui venait de quelques reliques du Saint, rapportées du Soissonnais par les anciens chanoines de Sainte-Geneviève dans le temps où les ravages des Normands les avaient contraints de se réfugier vers Paris. Le cimetière de la paroisse, aujourd’hui disparu, fut au xviiie siècle le théâtre des tristes exploits des « convulsionnaires ».
Le nom de saint Médard se trouve rappelé dans un certain nombre de dictons populaires, rapproché le plus souvent, quoiqu’en sens contraire, de celui de Barnabé.
On représente ordinairement saint Médard avec un aigle qui étend ses ailes au-dessus de sa tête et le garantit de la pluie.
L. M. Sources consultées. — Les Petits Bollandistes, t. VI. — Année Littéraire, an 1766. — M. Lequeux, ancien vicaire général de Soissons, Antiquités religieuses du diocèse de Soissons et Laon. — (V. S. B. P., nos 119.)
Source de l’article : Un Saint pour chaque jour du mois, Juin, 1re série, 1932, La Bonne Presse
- Les leudes étaient des membres de la haute aristocratie. Ils étaient liés au roi par un serment (le leudesanium).[↩]