Roi de Hongrie (1031–1095).
Fête le 27 juin.
Saint Ladislas vécut à une époque où la sainteté sur le trône, rare dans tous les temps, était encore, ce semble, particulièrement difficile à pratiquer. Le xie siècle fut, en effet, l’un des plus agités de l’histoire, et la société, chrétienne en apparence, avait conservé beaucoup de la rudesse native et de la corruption des temps barbares d’où elle émergeait à peine.
La famille de saint Ladislas.
Après la mort de saint Etienne, premier roi chrétien et apôtre de la nation hongroise (1038), le royaume, où les droits de succession au trône n’avaient pas été réglés par des lois précises et définies, connut deux années mouvementées, sous le règne successif de deux princes ; le calme revint avec André Ier (1047–1061), dont les descendants allaient régner pendant deux siècles et demi, jusqu’à 1302.
André avait un frère nommé Béla, que les événements politiques avaient obligé précédemment à s’exiler en Pologne, pays limitrophe dont les relations avec la Hongrie furent, durant le moyen âge, si nombreuses et si intimes que parfois les deux pays eurent les mêmes souverains. La nationalité, la langue et les mœurs étaient d’ailleurs très différentes chez ces deux peuples ; il n’y avait guère, pour les rapprocher, que la communauté de religion et parfois celle des intérêts politiques.
Pendant son exil, le prince Béla épousa la fille de Mesco, duc de Pologne, et en eut deux fils. Geiza fut l’aîné, et le second, né vers l’an 1031, reçut au baptême le nom de Wladislas ou Ladislas, qui signifie dompteur ou maître en langue paléo-slave ; en langue hongroise, le nom de Ladislas fut transformé en celui de Lalo et, en passant dans la langue française, il est devenu Lancelot.
En attendant le moment encore éloigné où il pourrait rentrer dans sa patrie, Béla fit donner à ses enfants, avec une éducation foncièrement chrétienne, l’instruction que leur rang dans la société et leur naissance exigeaient et qu’ils étaient susceptibles de trouver dans un pays et à une époque où seuls, à peu près, les membres du clergé régulier et séculier étaient capables de la dispenser. Mais dans cet âge encore si tendre, nous disent les chroniqueurs, la piété, la modestie et la charité envers les pauvres signalaient Ladislas à l’admiration de tous ceux qui l’approchaient.
Une guerre civile, sur laquelle nous n’avons que des renseignements très confus, fut l’occasion du retour de Béla et de sa famille. Ce ne fut, en effet, qu’après une série de péripéties sanglantes que ce prince succéda à son frère André Ier. Celui-ci laissait un fils nommé Salomon, âgé à peine de douze ans. Il paraît que la loi d’hérédité n’était nullement reconnue dans le royaume hongrois, puisque Béla régna à la place de son neveu ; il se peut que ce peuple belliqueux ait préféré voir sur le trône un prince vaillant et dans la force de l’âge, plutôt qu’un enfant ; ou encore que Béla, peu scrupuleux, se soit emparé par la force du pouvoir souverain.
Saint Ladislas devient roi.
Après la mort de Béla Ier, Salomon réussit à monter sur le trône, qu’il occupa en 1063 ou 1064, mais il se rendit odieux par ses exactions et sa tyrannie et succomba sous la réprobation de ses sujets, qui firent appel au prince Geiza (1074). Celui-ci accepta la couronne ; à son frère cadet, Ladislas, il donna le titre de duc en lui accordant de grands domaines, conformément aux usages féodaux qui commençaient à s’introduire parmi les nations barbares converties au christianisme. Geiza mourut après un règne fort court, en 1077. Alors, les prélats, les seigneurs et les magistrats des principales villes de la Hongrie se réunirent pour procéder à une nouvelle élection, et leur choix unanime tomba sur le prince Ladislas, dont on connaissait les hautes qualités et les rares vertus. Trois ans avaient suffi pour le faire universellement apprécier de tous ses compatriotes, et on espérait qu’après tant d’agitations, de troubles intérieurs et de guerres étrangères, son gouvernement, à la fois juste, ferme et inspiré surtout par les principes d’une religion éclairée, rendrait à la Hongrie la prospérité qu’elle n’avait plus connue depuis la mort de saint Etienne.
Toutefois, avant d’accepter définitivement les offres si brillantes des Hongrois, Ladislas, dont le caractère était doux et pacifique, et dont la conscience s’alarmait de l’ombre même de l’injustice, voulut avoir le consentement de ce même Salomon, son cousin germain, qui, chassé du trône, vivait encore dans l’exil. D’une part, il considérait les nombreuses et lourdes obligations auxquelles un roi chrétien est soumis en vertu de ses hautes fonctions, et les dangers qui l’assaillent du point de vue de son salut éternel ; d’autre part, il estimait ne pouvoir légitimement porter une couronne dont le titulaire vivait encore, bien que celui-ci en eût été privé par ses sujets indignés et l’eût perdue par ses crimes. Il savait, en outre, que Geiza avant de mourir, avait tenté une réconciliation avec Salomon, mais sans y réussir. Toutefois, les Hongrois, assemblés dans une grande plaine où se faisaient les élections, persistèrent dans leur volonté. Ils représentèrent à Ladislas que la couronne était plutôt élective qu’héréditaire, et protestèrent qu’ils ne voulaient point d’autre roi que lui. Enfin, ils invoquèrent l’intérêt suprême de la religion et de la patrie hongroise.
Vaincu par tant d’instances, Ladislas céda à contre-cœur et accepta le pouvoir suprême qu’on lui imposait ; mais il ne voulut jamais être couronné dans l’église de Saint-Etienne, ni même porter le diadème, symbole et insigne de sa haute dignité, afin de bien montrer que s’il acceptait l’administration de l’Etat, il ne le faisait ni par ambition ni pour obtenir les avantages de la puissance souveraine, mais pour servir les intérêts de sa patrie et promouvoir la religion.
Modèle des monarques chrétiens.
Aussitôt que Ladislas eut donné son consentement, il prit en mains d’une manière à la fois prudente et ferme les rênes du gouvernement, et s’efforça de faire disparaître les derniers vestiges des guerres civiles. Il poussa la condescendance jusqu’à envoyer à Salomon des prélats et des personnages prudents et conciliants, afin de gagner son esprit farouche et de l’engager à vivre désormais en paix avec ses voisins et ses vassaux. Il lui donna des ressources suffisantes et lui assura une pension royale pour lui permettre de tenir un train de maison en rapport avec son rang, et il offrit même de lui céder la couronne, si le prince détrôné voulait promettre de changer ses mœurs et renoncer à toute vengeance contre ses anciens sujets. Ces tentatives du roi furent inutiles, et bien loin de répondre aux avances pleines de bonté et de miséricorde qui lui étaient adressées, Salomon abusa de la liberté qu’on lui laissait, forma des conspirations contre son bienfaiteur et prépara même un guet-apens dans lequel, sous prétexte de s’entretenir avec son cousin, il profiterait de l’occasion pour le mettre à mort et ressaisir cette couronne si convoitée. Ladislas fut heureusement averti à temps de cette perfidie, et jugeant avec raison qu’il ne pouvait, sans compromettre de nouveau la paix et les intérêts les plus précieux de la Hongrie, tolérer un pareil fauteur de désordres, il résolut de s’assurer de sa personne. En conséquence, Salomon fut saisi dans ses domaines, interné dans la forteresse de Vizzegrad et privé de sa liberté.
Cependant, celle captivité ne dura pas longtemps, et Salomon recouvra son indépendance d’une façon inespérée, à la suite d’un événement qui mérite d’être signalé.
Ladislas, voulant faire transférer dans un lieu plus honorable le corps de saint Etienne, donna l’ordre d’exhumer le cercueil qui contenait la précieuse dépouille, mais il fut impossible aux ouvriers de desceller l’énorme pierre fermant l’ouverture du sépulcre. Le fait remplit d’étonnement le roi lui-même et tous les assistants. Sur ces entrefaites, une religieuse déclara au roi que Dieu avait révélé les causes de ce merveilleux événement. Elle fît connaître que la sévérité, peut-être excessive, dont on avait usé envers Salomon, déplaisait au Seigneur, et que la pierre fermant le sépulcre de saint Etienne ne pourrait être enlevée que si on rendait le prince à la liberté.
Les chroniqueurs rapportent que Ladislas obéit avec empressement à l’avis de cette humble religieuse, à qui sans doute Dieu avait révélé son dessein de transformer par la pénitence lame cruelle et hautaine du captif. Ladislas remit donc Salomon en liberté et lui rendit ses biens. Plus tard, en effet, la grâce divine toucha le cœur de ce prince ; il passa dans les exercices de la plus dure pénitence les derniers jours d’une vie pleine d’agitation, trop longtemps souillée par des excès, et il mourut saintement à Pola, ville du littoral de l’Adriatique, où longtemps on a montré son tombeau.
Vertus héroïques de saint Ladislas.
Les nombreuses occupations du souverain et les soins absorbants qu’il donnait aux affaires publiques n’empêchèrent jamais Ladislas de pratiquer sur le trône et au milieu de la cour de Pozsony, aujourd’hui Bratislava, en Tchécoslovaquie, les vertus les plus héroïques. On admira surtout sa charité envers les pauvres et les malheureux, sa chasteté au sein d’une société à demi païenne, et sa parfaite sobriété, ou, pour mieux dire, son esprit de mortification et de pénitence, plus conforme aux habitudes des cloîtres qu’aux usages des résidences royales.
Sa grande piété envers Dieu et la Très Sainte Vierge parut avec éclat dans le soin qu’il prit de faire relever les églises détruites pendant le règne de Salomon, et par les dotations royales qu’il leur attribua. Il fut réellement le second apôtre de la Hongrie, et, pendant son règne, il fit prêcher la foi chrétienne dans les campagnes encore imprégnées de paganisme, et cela avec un tel succès qu’à la mort de Ladislas le culte des idoles avait complètement disparu de la terre hongroise.
Un règne paisible.
La tranquillité du royaume étant désormais assurée en ce qui concernait le prince Salomon, Ladislas put consacrer tous ses soins à établir, dans ses Etats, les lois et règlements qu’il méditait de mettre en vigueur pour le bien de son peuple. Il fit donc convoquer une assemblée des grands barons et des prélats pour soumettre à leur délibération des ordonnances dans lesquelles les lois humaines, en tout conformes à la loi divine de l’Evangile, devaient assurer la prospérité des peuples, le règne de la justice et, par là même, le bonheur de la nation hongroise. Ces règlements ont été conservés par le principal historien de la Hongrie, l’Italien Antoine Bonfini, qui vivait au xve siècle, à la fin de l’histoire très consciencieuse qu’il a composée.
D’ailleurs, l’exemple donné par Ladislas fut encore plus efficace que les décrets approuvés par les grands de la nation pour maintenir les Hongrois dans l’observation des commandements de Dieu et des devoirs envers le prochain. Le palais du roi était si bien réglé que jamais, durant son règne de près de vingt années, on n’y vit ni scandale, ni querelles intestines, ni mauvais exemples. Ladislas fonda des monastères et fit construire ou réparer des églises, où il voulait que le culte divin fût célébré avec toute la décence et la pompe convenables. On cite, en particulier, la superbe basilique dédiée à la Sainte Vierge qu’il fit construire à Varadin, aujourd’hui Oradea Mare, en Roumanie, et pour laquelle il obtint du Pape saint Grégoire VII, en 1077, un titre épiscopal qui existe encore.
Défenseur de la justice.
Malgré son caractère éminemment pacifique et ennemi de toute contestation, Ladislas fut cependant obligé de prendre les armes pour défendre ses sujets contre les oppressions injustes, celles des peuples voisins ou celles des races encore païennes environnant la Hongrie ou campés sur son territoire. Les Polonais, les Bohémiens chrétiens, les Russes, les Va laques, les Huns, encore adonnés aux superstitions païennes, furent, à la suite de différentes guerres échelonnées de 1080 à 1091, obligés de reconnaître leurs torts et de conclure une paix qui fut toujours généreuse de la part du monarque victorieux.
Bien que Ladislas ne fût pas l’agresseur et qu’il comptât sur la bravoure et le dévouement de ses sujets, célèbres par leur habileté guerrière, il se préparait à ses expéditions par des prières publiques qu’il ordonnait dans tout le royaume ; personnellement, il s’y disposait par le jeûne et la réception du sacrement de l’Eucharistie. Il avait appris, dans les Livres Saints, que souvent Dieu, pour punir les péchés secrets ou publics des individus, permet que, même dans les guerres justes, la défaite et la déroute complète soient le châtiment des prévarications d’une armée. Deux fois, il repoussa les Huns, et dans une guerre contre les Polonais, il s’empara de leur capitale, Cracovie.
Les derniers jours de saint Ladislas.
L’année 1095 venait de commencer, et déjà, dans toute l’Europe chrétienne, il n’était bruit que d’une grande expédition préparée par les peuples européens contre les infidèles musulmans détenteurs des lieux sanctifiés par la vie, les miracles et la mort du Christ. Des pèlerins hongrois, qui revenaient de Jérusalem mêlés à ceux des autres nations, racontaient les vexations sans nombre auxquelles étaient soumis les chrétiens de la Palestine.
Ladislas compta parmi les princes les plus empressés à réunir les ressources nécessaires pour équiper et armer leurs peuples, afin de les entraîner à la conquête du Saint-Sépulcre. Il y était poussé autant par l’ardent désir de faire participer la Hongrie chrétienne à la gloire de la croisade que par la secrète espérance de verser son sang pour une cause sacrée. Les brûlantes prédications de Pierre l’Ermite avaient eu un grand retentissement hors de France et d’Italie, et, dans la Hongrie, la nouvelle était parvenue que le Pape Urbain II convoquait un Concile à Clermont-Ferrand auquel seraient invités tous les seigneurs, princes et rois de la chrétienté, afin d’y concerter une expédition formidable contre les infidèles. Ladislas reçut cette nouvelle avec une joie incroyable, et déjà il faisait des préparatifs, en même temps que son neveu, le roi de Bohême. Mais par une disposition particulière de la divine Providence, il ne devait pas voir se réaliser le plus ardent de ses vœux.
En effet, le roi de Hongrie tomba gravement malade, et les progrès alarmants du mal lui firent comprendre que sa fin approchait. Après avoir mis ordre aux affaires importantes de son royaume, malgré les tourments de la maladie, il ne songea plus qu’à se préparer à une sainte mort. Il reçut les sacrements de l’Eglise avec une piété et une résignation qu’admirèrent tous ceux qui en furent les heureux témoins, et il expira le 29 juillet 1095.
Culte rendu à saint Ladislas.
Lorsque le peuple hongrois apprit la mort du saint roi dont il avait pu voir les vertus depuis dix-huit ans, et dont il avait reçu tant de bienfaits, sa douleur se manifesta de la façon la moins équivoque. Toutes les classes de la société le pleurèrent : les pauvres et les malheureux comme leur soutien et leur défenseur ; les prélats et les ecclésiastiques de tout rang comme le protecteur et le plus ferme appui de l’Eglise ; les barons et les seigneurs comme le restaurateur de la paix publique et l’intrépide défenseur des causes justes et loyales. On peut citer comme une preuve éclatante de cette douleur universelle et profonde ce fait, peut-être unique dans l’histoire, que le peuple hongrois porta le deuil de son roi pendant trois ans, et que, durant ce long intervalle, il n’y eut dans tout le royaume aucune réjouissance, soit publique, soit privée.
Le corps du défunt fut solennellement porté de Bratislava jusqu’à Oradea Mare, pour être enseveli dans la basilique de Notre-Dame. De nombreux miracles, parmi lesquels on cite des guérisons subites, témoignèrent de la sainteté du serviteur de Dieu, et des grâces temporelles ou spirituelles étonnantes prouvèrent aux fidèles qui invoquèrent son intercession combien Dieu avait pour agréable le culte rendu au saint roi. Les actes de la canonisation ont été malheureusement perdus à la suite des bouleversements qui suivirent la mort de Ladislas. On n’a guère conservé que la date précise de sa canonisation en 1192 par Célestin III et la fixation de sa fête au 27 juin, jour de la translation de son corps. Cette année-là même, un grand miracle contribua à répandre son culte dans toute la Hongrie et dans les pays voisins.
Les chroniqueurs nous racontent qu’une mère chrétienne, accablée sous le poids de l’immense douleur que lui avait causée la naissance de son enfant venu au monde dans un état de difformité horrible, accourut au tombeau du Saint pour le supplier d’obtenir de Dieu la guérison du petit innocent qu’elle portait dans ses bras. Sa prière fut exaucée : après qu’elle eut approché de la châsse les membres rudimentaires de l’enfant dont les pieds et les mains n’étaient pas même formés, la mère ramena son fils complètement guéri.
Iconographie de saint Ladislas.
Le culte de saint Ladislas Ier est resté très populaire dans la Hongrie, sans être toutefois aussi répandu que celui de saint Etienne, dont la vie et les actes, beaucoup plus connus, ont échappé aux ravages du temps. Beaucoup d’églises lui sont consacrées. Son nom est très courant non seulement en Hongrie mais eh Pologne, où il est donné au baptême plus souvent encore que dans le pays sur lequel il régna. Les artistes ont représenté le Saint de diverses manières : tenant d’une main l’étendard hongrois et de l’autre une épée, afin de rappeler sa vaillance et la protection dont il couvrit sa patrie ; debout, l’épée à la main, entre deux hommes renversés à terre ; protégé par des anges dans un combat ; enfin, portant une église dans ses deux mains, allusion naïve aux nombreuses églises qu’il fît construire.
A. A. P.
Sources consultées- — Les Bollandistes (Acta Sanctorum). — Godescard-Bonfinius, Les Chroniques hongroises et impériales. — E. Léger, Histoire de la Hongrie. — (V. S. B. P., n° 918.)
Source de l’article : Un saint pour chaque jour du mois, Juin, La Bonne Presse, 1932