Saint Jean Gualbert

Saint Jean Gualbert prie devant le crucifix, par le Maître de l'autel de Saint Nicolas (ca 1380-1399)

Fondateur des Bénédictins de Vallombreuse (995?-1073).

Fête le 12 Juillet.

La règle de saint Benoît, écrite en 529 dans la soli­tude du Mont-​Cassin et, au dire du Pape saint Grégoire, sous l’inspiration du Saint-​Esprit, a peu­plé le monde d’un nombre incal­cu­lable de moines adon­nés aux tra­vaux de la terre ou à l’étude des lettres et des sciences, en même temps qu’au chant des louanges divines. Elle a illu­mi­né tout le moyen âge, alors que flo­ris­saient en Europe des mil­liers de monas­tères, dans cha­cun des­quels vivaient sou­vent plu­sieurs cen­taines de céno­bites, et aujourd’hui encore, dans le monde entier, plus de quinze mille reli­gieux en suivent les prescrip­tions. C’est donc avec un orgueil bien légi­time qu’en l’année 1929, l’Ordre béné­dic­tin en a célé­bré solen­nel­le­ment le qua­tor­zième cen­tenaire. Elle est si sage, si pleine de dis­cré­tion, si conforme aux aspi­ra­tions de l’homme spi­ri­tuel, que tous les fon­da­teurs d’Ordres monas­tiques pro­pre­ment dits l’ont pla­cée à la base de leurs consti­tutions par­ti­cu­lières. Le fon­da­teur de l’Ordre de Vallombreuse, saint Jean Gualbert ou Walbert, ne crut donc pas pou­voir mieux faire que d’y sou­mettre ses dis­ciples, comme l’avait fait, quelques années plus tôt, saint Romuald pour les Camaldules ; comme le firent plus tard saint Robert de Molesmes pour les Cisterciens, saint Sylvestre d’Osimo pour les Sylvestrins, le bien­heu­reux Bernard Tolomei pour les Olivétains.

Saint Jean Gualbert dans le monde.

Vers la fin du xe siècle vivait à Florence une noble famille, com­posée du père, de la mère et de deux enfants. Le père s’appelait Gualbert ; la mère, dont le nom nous est incon­nu, des­cen­dait peut-​être des Carolingiens ; les enfants se nom­maient Hugues et Jean.

Ce der­nier était né vers 995, selon l’opinion la plus com­mune ; cer­tains chro­ni­queurs, cepen­dant, le font naître dix ans plus tôt, et d’autres, trois ans plus tard.

Soit que son édu­ca­tion reli­gieuse eût été négli­gée, soit qu’il en eût peu à peu oublié les prin­cipes, sa pre­mière jeu­nesse fut assez dis­si­pée, et le métier des armes qu’il avait embras­sé n’était certai­nement pas fait pour lui ins­pi­rer de meilleurs sen­ti­ments. Il menait donc la vie insou­ciante d’un grand sei­gneur, sans son­ger au salut de son âme, lorsque sur­vint un évé­ne­ment tra­gique, qui devait avoir pour lui des consé­quences impré­vues : un jour, son frère Hugues fut assas­si­né par un autre gen­til­homme flo­ren­tin. Jean pou­vait avoir alors une tren­taine d’années. Il voua au meur­trier une haine impla­cable et, sui­vant les mœurs de l’époque, dont il reste encore des traces en Corse et en Calabre, il jura de ven­ger la mal­heu­reuse vic­time. Mais Dieu se ser­vit de cet évé­ne­ment même pour rame­ner à lui le jeune homme qu’il appe­lait à une vie toute dif­fé­rente de celle du monde.

En effet, quelque temps après, Jean ren­trait à Florence, accom­pagné d’une nom­breuse escorte. Il che­vau­chait à tra­vers la cam­pagne, dans un étroit sen­tier, bor­dé de haies fleu­ries, car on était alors au prin­temps. Soudain, il se trouve face à face avec le meur­trier d’Hugues. Les deux gen­tils­hommes ne pou­vaient, en pareil cas, se croi­ser, sans que l’un cédât le pas à l’autre. A cette vue, le cœur de Jean bon­dit de joie et de colère en même temps. Enfin, il tient donc l’occasion tant dési­rée de ven­ger la mort de son frère ! Il sai­sit son épée et s’apprête à en frap­per le meur­trier. Mais, spec­tacle inat­ten­du, celui-​ci des­cend de che­val, se jette à genoux, étend les bras en croix et implore son par­don au nom de Jésus cru­ci­fié. Or, c’était le Vendredi-​Saint. Les sen­ti­ments reli­gieux de Jean se réveillent tout à coup ; il se rap­pelle les paroles du Pater : « Pardonnez-​nous, comme nous par­don­nons » ; il lui semble voir Jésus cru­ci­fié en la per­sonne de cet homme, qui le sup­plie les bras en croix, et il se sou­vient que le divin Maître a prié pour ses bour­reaux. Il jette son épée, tend la main au cou­pable en disant : « Je ne puis vous refu­ser ce que vous me deman­dez au nom de Jésus-​Christ. » Puis, après s’être recom­man­dé à ses prières, il l’embrasse et le laisse conti­nuer sa route.

Lui-​même, pour­sui­vant son che­min, arrive bien­tôt sur les hau­teurs qui bordent la rive gauche de l’Arno au sud de Florence, et d’où l’on embrasse d’un coup d’œil toute la ville des fleurs. Il passe devant l’église de San Miniato et, bri­sé par l’effort qu’il vient de faire, y entre pour se repo­ser quelques ins­tants. Il s’agenouille devant un tableau repré­sen­tant le Christ en croix et se met à prier. Alors, les divines paroles deviennent pour lui une réa­li­té. Il voit le divin Cru­cifié incli­ner vers lui sa tête cou­ron­née d’épines, comme pour l’approuver, et il sent que Dieu lui a par­don­né ses fautes, comme il vient de par­don­ner à son ennemi.

Saint Jean Gualbert ren­contre l’as­sas­sin de son frère.

Saint Jean Gualbert embrasse la vie religieuse.

Jean avait une âme ardente. Jusqu’alors, il s’était lais­sé entraî­ner par sa pas­sion pour le plai­sir ; désor­mais, avec la même ardeur, il va se livrer aux aus­té­ri­tés de la péni­tence. Il n’hésite pas un ins­tant. Sous un pré­texte quel­conque, il prie ses com­pa­gnons de ren­trer à Florence et reste à San Miniato. A côté de l’église s’élevait un couvent de Bénédictins, de l’Ordre de Cluny, occu­pé aujourd’hui par les Bénédictins Olivétains. Le nou­veau conver­ti s’y rend aus­si­tôt et demande à par­ler à l’abbé. Il lui raconte le pro­dige dont il vient d’être favo­ri­sé, se jette à ses pieds et le sup­plie de l’admettre par­mi ses Frères. L’abbé, en homme pru­dent, lui repré­sente d’abord toutes les dif­fi­cul­tés de la vie monas­tique, les sacri­fices néces­saires pour renon­cer à une vie com­mode et se sou­mettre à une règle aus­tère. Enfin, cédant aux ins­tances de Jean, il lui per­met de res­ter dans le monas­tère, mais sans en prendre encore l’habit.

Cependant, les com­pa­gnons de Jean Gualbert étaient ren­trés à Florence et avaient racon­té à son père ce qui s’était pas­sé. Celui-​ci, ne voyant pas reve­nir le jeune homme, prit avec lui une petite troupe de gens armés, le cher­cha par­tout dans la ville et fina­le­ment le trou­va à San Miniato. Plein de colère, il mena­ça l’abbé de dévas­ter le monas­tère si Jean ne lui était pas ren­du. L’abbé l’écouta avec calme et se bor­na à lui répondre :

— Votre fils va venir ; parlez-​lui, et s’il veut vous suivre, nous ne le retien­drons cer­tai­ne­ment pas.

Apprenant que son père était là et l’attendait, Jean com­prit qu’il devait recou­rir à des moyens extra­or­di­naires. Il sai­sit une tunique de moine, va à l’église, et, devant l’autel, se coupe lui-​même les che­veux. Après quoi, il se dépouille des habits sécu­liers, revêt la bure monas­tique et, ain­si vêtu, se pré­sente à son père. Il lui raconte sa ren­contre avec le meur­trier de son frère, le par­don accor­dé à cet homme, au nom de Jésus-​Christ, le pro­dige dont il a été témoin dans l’église de San Miniato ; après quoi il le sup­plie de lui lais­ser suivre l’appel du Seigneur. Emu par ce récit et impres­sion­né par l’habit monas­tique que por­tait son fils, Gualbert, qui était arri­vé la menace sur les lèvres, se lais­sa flé­chir. Il embras­sa Jean, le bénit et lui per­mit de per­sé­vé­rer dans sa vocation.

Désormais, rien n’arrêtera plus le jeune moine dans la car­rière qu’il a embras­sée. Modèle des novices par son obéis­sance, sa patience et son humi­li­té, il devien­dra, après sa pro­fes­sion, celui de tous les reli­gieux de San Miniato par sa fidé­li­té à la prière, aux veilles, au jeûne et à l’abstinence.

Saint Jean Gualbert se retire chez les Camaldules.

Il n’est donc pas éton­nant que l’abbé étant mort, les reli­gieux aient son­gé à Jean Gualbert pour lui suc­cé­der et les conduire dans les voies de la per­fec­tion. Notre humble moine, esti­mant qu’il n’était pas entré en reli­gion pour com­man­der, mais pour obéir, refu­sa éner­gi­que­ment la charge que ses Frères vou­laient lui confier, et, pour cou­per court à toute insis­tance nou­velle, il prit une déter­mi­na­tion radi­cale : il quit­ta San Miniato. Les plus anciennes chro­niques de l’Ordre de Vallombreuse attri­buent cette démarche à un motif bien dif­fé­rent : Jean aurait esti­mé ne pou­voir res­ter sous l’autorité d’un nou­vel abbé, dont l’élection était enta­chée de simo­nie, abus trop fré­quent au xie siècle et que Grégoire VII, seul, réus­si­ra à extir­per. Mais, depuis, le savant Dom Mabillon a démon­tré que le récit de ces anciennes chro­niques était inad­mis­sible ; il ne faut donc voir dans la réso­lu­tion de Jean qu’une preuve de son humilité.

Il emme­nait avec lui un com­pa­gnon, qui par­ta­geait les mêmes dési­rs de perfection.

Les deux reli­gieux remon­tèrent le cours de l’Arno et gagnèrent, à l’est de Florence, les mon­tagnes des Appenins. Ils sui­virent proba­blement la route qui passe aujourd’hui par Pontassieve, Diaccetto, Borselli, Consuma, Casaccia, Pratovecchio et Stia. C’est dans le voi­sinage sans doute de l’un de ces vil­lages, on ne sait lequel, que se pro­dui­sit un inci­dent mer­veilleux, sem­blant démon­trer que le ciel approu­vait leur détermination.

Un jour, ils trouvent sur leur che­min un pauvre qui leur demande l’aumône.

— Frère, dit aus­si­tôt Jean à son com­pa­gnon, don­nez à ce pauvre homme la moi­tié du pain qui nous reste.

— Mais nous n’avons plus, à nous deux, qu’un seul pain pour le repas de ce soir. Cet homme trou­ve­ra faci­le­ment de quoi se nour­rir dans le vil­lage voisin.

— Allons, mon frère, n’hésitez pas et faites comme je vous dis.

Le reli­gieux obéit, un peu à contre-​cœur, il faut l’avouer. Or, vers le soir, ils arri­vèrent près d’un bourg, où Jean ne vou­lut point entrer ; il envoya seule­ment son com­pa­gnon quê­ter auprès des habi­tants. Celui-​ci ne tar­da pas à reve­nir les mains presque vides, car, dit la chro­nique, il n’avait pu recueillir que trois œufs, et il ne man­qua pas de faire remar­quer à Jean son impru­dence. Le saint moine ne répon­dit rien. Mais, quelques ins­tants plus tard arri­vèrent suc­ces­si­ve­ment trois habi­tants du vil­lage, qui appor­taient cha­cun un pain. Des ber­gers, qui rame­naient leurs trou­peaux à l’étable, avaient enten­du les reproches adres­sés à Jean par son com­pa­gnon ; ils avaient racon­té la chose à leurs conci­toyens, et ceux-​ci, tou­chés de tant de cha­ri­té, avaient vou­lu venir en aide aux deux religieux.

Nos voya­geurs fran­chirent en deux ou trois jours les quelque cin­quante kilo­mètres qui séparent Florence de Stia. De ce vil­lage, tra­versant le val d’Arno, non loin de la source de ce fleuve, ils attei­gnirent une autre val­lée, à 900 mètres d’altitude. Le pays était soli­taire et tout à la fois sau­vage et pit­to­resque ; il était bien fait pour atti­rer une âme contem­pla­tive. Aussi, quelques années aupa­ra­vant, saint Romuald y avait fon­dé, en l’an 1012, son pre­mier ermi­tage, et, deux siècles plus tard, François d’Assise devait subir le même charme et éta­blir, vingt kilo­mètres plus au Sud, sa rési­dence de l’Alverne. Le site por­tait le nom de Campus Maldoli, dont on a fait Camaldolf, en fran­çais, Camaldules.

Jean Gualbert s’y arrê­ta et deman­da à l’abbé ou prieur, de l’admettre, lui et son com­pa­gnon, par­mi les ermites, qui étaient encore sou­mis aux supé­rieurs de l’Ordre béné­dic­tin. D’aucuns pré­tendent que le monas­tère était encore gou­ver­né par saint Romuald lui-​même, lequel mou­rut en 1027 ; d’autres nomment le prieur Pierre Daguin. Quoi qu’il en soit, l’ancien moine de San Miniato fut reçu à l’ermitage et y don­na l’exemple de toutes les ver­tus. Après plu­sieurs années, l’ab­bé vou­lut le faire ordon­ner prêtre. Mais Jean, se jugeant indigne du sacer­doce, ne vou­lut jamais y consen­tir et il deman­da l’autorisation de se reti­rer dans une soli­tude plus pro­fonde. Le supé­rieur l’y auto­ri­sa et ajou­ta même, comme ins­pi­ré par le ciel :

— Allez donc jeter les fon­de­ments du nou­vel Institut dont vous serez le Père.

Il est très dif­fi­cile de pré­ci­ser la date du départ de Jean ; tout au plus peut-​on indi­quer qu’il eut lieu entre 1015 et 1039.

Fondation de Vallombreuse. — Ferveur des premiers habitants.

Cette fois, Jean Gualbert se diri­gea vers l’Ouest et, se rap­pro­chant de Florence, repas­sa le Val Casentino. A moi­tié che­min, entre Camaldoli et Florence, il trou­va une magni­fique forêt de sapins et de hêtres, située à plus de 900 mètres d’altitude. C’était la soli­tude la plus com­plète ; l’humble moine s’y bâtit une hutte de bran­chages et s’y ins­tal­la. Il comp­tait bien y vivre connu de Dieu seul. Mais la renom­mée de ses ver­tus le tra­hit bien­tôt et les dis­ciples affluèrent. Dans le prin­cipe, ils habi­taient des cel­lules sépa­rées, bâties autour de celle de Jean ; au bout de quelque temps, il fal­lut construire une cha­pelle com­mune, puis un monas­tère. Enfin, le nombre des reli­gieux aug­men­tant sans cesse, Jean son­gea à les divi­ser en deux classes : les reli­gieux clercs, qui s’occupaient sur­tout du chant de l’office divin, et les convers, qui s’adonnaient aux soins maté­riels de la mai­son. Par la suite, les Ordres men­diants eurent de même les Frères lais ou laïcs. D’autres Instituts plus récents ont adop­té le nom de coad­ju­teurs ; en fait, sous un nom ou sous un autre, la même dis­tinc­tion se retrouve entre reli­gieux vaquant à l’office divin ou aux tra­vaux de l’esprit, et reli­gieux occu­pés aux tra­vaux matériels.

Voilà donc Jean Gualbert deve­nu, bien mal­gré lui, père de nom­breux fils spi­ri­tuels. Pour règle, il leur don­na natu­rel­le­ment celle de saint Benoît, qu’il avait déjà pra­ti­quée à San Miniato, puis à Camaldoli. Mais il vou­lut qu’on l’observât à la lettre, sans tenir compte des adou­cis­se­ments que le temps y avait intro­duits. Quant au vête­ment, il fut de cou­leur tirant sur le gris. Voici com­ment Jean fut ame­né à l’adopter. Les moines tis­saient eux-​mêmes leurs habits. Or, la pre­mière fois qu’ils eurent à le faire, la laine four­nie par les trou­peaux du monas­tère se trou­va d’être presque par moi­tié blanche et noire. Le fon­da­teur ordon­na qu’on l’employât telle qu’elle se pré­sentait, et le tis­su qui en résul­ta fut de cou­leur grise.

Les moines de Vallombreuse chan­taient donc les louanges de Dieu avec une grande fer­veur et se livraient vaillam­ment eux obser­vances de la vie reli­gieuse. Celle de l’abstinence leur était par­ti­cu­liè­re­ment chère ; elle allait jusqu’au scru­pule. Un jour, le pain vint à man­quer et Jean ordon­na de tuer un mou­ton pour le ser­vir au réfec­toire. Aucun des moines ne vou­lut y tou­cher et tous demeu­rèrent à jeun. La même chose se pro­dui­sit une seconde fois. Mais Dieu se conten­ta du pre­mier sacri­fice des pieux reli­gieux. Comme ils sor­taient du réfec­toire, on son­na à la porte du monas­tère, et le Frère por­tier trou­va une grande quan­ti­té de pain et de farine appor­tée par une main inconnue.

Vertus et miracles de saint Jean Gualbert.

Une fer­veur si peu com­mune ne nous éton­ne­ra pas, si nous pen­sons que Jean, élu abbé par ses frères, don­nait à tous l’exemple des plus hautes ver­tus et que Dieu opé­rait par lui des pro­diges sans nombre.

Il avait une hor­reur sou­ve­raine de la simo­nie. Sur le conseil d’un reclus de Florence, nom­mé Teuzon, il dénon­ça en pleine place publique un évêque qui s’en était ren­du cou­pable et qui avait nom Pierre de Pavic. L’affaire fit un bruit énorme. Et Jean dut céder à la pres­sion de l’opinion et lais­ser un de ses reli­gieux, Pierre Aldobrandini, affron­ter l’épreuve du feu pour convaincre le simo­niaque, lequel revint à rési­pis­cence ; quant au moine, sor­ti vic­to­rieux des flammes, il en gar­da le nom de Pierre « Igné », sous lequel il est hono­ré aujourd’hui dans l’Eglise.

D’autre part, s’il avait la haine la plus pro­fonde pour le péché, Jean Gualbert était plein de misé­ri­corde pour le pécheur, et il reçut dans son monas­tère plu­sieurs prêtres simo­niaques qui vou­laient se convertir.

Son esprit de pau­vre­té était extrême, et il enten­dait que cette ver­tu fût exac­te­ment obser­vée dans les mai­sons qu’il avait fon­dées. Visitant le couvent de Muscerano, qui venait d’être construit, il trou­va une grande et belle construc­tion, dont l’abbé se mon­trait très fier. Il lui repro­cha son man­que­ment à l’esprit de pau­vre­té et pria le Seigneur d’y appor­ter remède lui-​même. Aussitôt, le ruis­seau qui pas­sait près de là, dit la chro­nique, s’enfla déme­su­ré­ment ; il inon­da le monas­tère et le ren­ver­sa de fond en comble.

Sa confiance en la Providence était sans bornes et résul­tait de son amour pour la pau­vre­té. Une année de grande disette, les monas­tères de l’Ordre man­quaient de blé. Jean pen­sa qu’il en trou­verait au couvent de Passignano, petite bour­gade située sur la rive orien­tale du lac de Trasimène, célèbre par la défaite qu’Annibal infli­gea aux Romains en 217 avant Jésus-​Christ. Il s’y ren­dit donc et pria le cel­lé­rier ou éco­nome de lui don­ner la moi­tié de ce qu’il pos­sé­dait. Le pauvre moine mon­tra à Jean son gre­nier, à peu près vide à ce qu’il croyait. Mais à peine en eut-​il ouvert la porte, qu’il s’arrêta épou­van­té ; le gre­nier était plein d’excellent fro­ment. Le véné­rable abbé en fit rem­plir les sacs qu’il avait appor­tés, et cepen­dant, lorsque le cel­lé­rier alla revoir son gre­nier, il le trou­va éga­le­ment bien appro­vi­sion­né. Une autre fois, rece­vant la visite du Pape saint Léon IX, il n’avait rien à lui offrir pour son repas. L’abbé com­man­da à deux novices d’aller pêcher quelques pois­sons dans l’étang voi­sin, où il n’y en avait habi­tuel­le­ment que très peu. Les deux novices obéirent et revinrent bien­tôt appor­tant deux magni­fiques brochets.

Nous n’en fini­rions pas si nous vou­lions racon­ter tous les miracles que les bio­graphes attri­buent au fon­da­teur de Vallombreuse. Bornons-​nous à citer encore le sui­vant. Un jour, l’écuyer d’un che­va­lier du voi­si­nage accourt à la cel­lule de Jean Gualbert et lui annonce que son maître est à l’agonie. Jean se met en prières et bien­tôt dit au messager :

— Retournez vers le sei­gneur Ubaldo ; il se porte très bien et vous attend.

L’écuyer repar­tit en toute hâte et retrou­va le che­va­lier plein de santé.

Mort de saint Jean Gualbert. — Son culte. — Ses reliques.

Cependant, Jean Gualbert, âgé de soixante-​dix-​huit ans, tom­ba gra­ve­ment malade. Il se trou­vait alors au couvent de Passignano. La mala­die fut assez longue, et on raconte qu’un ange venait ser­vir le véné­rable mou­rant et l’aider à sup­por­ter ses souf­frances. Jean fît appe­ler les abbés des monas­tères qu’il avait fon­dés, leur recom­man­da une fidé­li­té constante à la règle et une par­faite cha­ri­té fra­ter­nelle. Il mou­rut le 12 juillet 1073 et son corps fut ense­ve­li dans la cha­pelle du couvent.

Le Pape Célestin III le cano­ni­sa le 6 octobre 1193 ; Clément VIII (mort en 1605) don­na à sa fête le rite simple ; Clément X, le 21 mars 1671, le rite semi-​double ; Innocent XI, le 18 jan­vier 1680, le rite double.

La majeure par­tie des reliques du Saint est encore à Passignano. Un de ses bras est à Vallombreuse ; sa mâchoire, à l’église de la Sainte-​Trinité, à Florence ; dans cette même église, on conserve le Crucifix mira­cu­leux de San Miniato : il se trouve dans l’une des cha­pelles du tran­sept de droite, mais il est habi­tuel­le­ment voilé.

Une fête de la trans­la­tion des reliques est fixée au 10 octobre.

Quant à l’abbaye de Vallombreuse, les bâti­ments actuels n’en datent que du xviie siècle ; elle fut fer­mée en 1810 par les Français et ne fut rou­verte aux reli­gieux qu’en 1819. Le monas­tère a été trans­for­mé en école fores­tière en 1869, et seuls quelques reli­gieux y furent main­te­nus en qua­li­té de gar­diens en atten­dant le retour du couvent à sa des­ti­na­tion première.

Du vivant du fon­da­teur, l’Ordre val­lom­bro­sien avait été approu­vé par le Pape Victor II en 1055 ; il le fut de nou­veau par le bien­heu­reux Urbain II, le 6 avril 1090 ; les Constitutions furent confir­mées par Clément XI, le 15 mai 1704, puis par Benoît XV, le 28 mai 1921. Au début du xxe siècle, les reli­gieux de Vallombreuse étaient peu nom­breux ; en 1929, on n’en comp­tait guère plus d’une soixan­taine, répar­tis en six monas­tères, dont celui de Sainte-​Praxède, à Rome, le célèbre sanc­tuaire marial du Montenero, près de Livourne, et l’abbaye de Saint-​Eusèbe, sur le Lac Majeur, qui leur avait été ren­due pen­dant la Grande Guerre. 

Th. Vettard.

Sources consul­tées. — Grands Bollandistes (t. III de juillet). — Migne, Diction­naire des Ordres reli­gieux (t. III, Paris, 1850). — Annuaire pon­ti­fi­cal catho­lique. — (V. S. B. P., n° 23.)