Saint Jacques le Majeur

Saint Jacques le Majeur, par Guido Reni

Apôtre, patron de l’Espagne (1er siècle). 

Fête le 25 juillet.

Saint Jacques le Majeur est pour l’Espagne ce que saint Michel est pour la France et saint Georges pour l’Angleterre : un puis­sant pro­tec­teur qui prend sou­vent la forme d’un guer­rier tou­jours prêt à défendre son peuple de sa vaillante épée.

L’apôtre saint Jacques, dont l’Eglise célèbre la fête au 25 juillet, était le frère aîné de saint Jean l’Evangéliste. Zébédée, leur père, habi­tait les bords du lac de Génésareth ; l’Evangile nous le montre occu­pé avec ses fils au métier de la pêche.

Marie-​Salomé, leur mère, était proche parente de la Sainte Vierge. Quelques auteurs ont même cru qu’elle était sa sœur. C’est une erreur ; la Sainte Vierge était fille unique. Mais il est cer­tain que la famille de saint Jacques était liée à celle de Notre-​Seigneur par les liens du sang, et que saint Jacques était même assez proche parent du Fils de Dieu selon la chair. A cause de cette paren­té, les fils de Zébédée sont plu­sieurs fois appe­lés dans l’Evangile les « frères du Seigneur », expres­sion qui se disait alors des simples cousins.

L’Eglise a don­né à saint Jacques, fils de Zébédée, le sur­nom de Majeur pour le dis­tin­guer de saint Jacques le Mineur, fils d’Alphée, et pour mar­quer peut-​être aus­si une cer­taine supé­rio­ri­té, conforme d’ailleurs à celle dont Notre-​Seigneur lui-​même dai­gna hono­rer saint Jacques en le met­tant dans un rang à part.

La vocation.

Notre-​Seigneur, mar­chant sur les bords du lac de Génésareth, vit deux frères dans une barque avec leur père, occu­pés à rac­com­mo­der des filets. C’était Zébédée avec ses enfants. Jésus, qui pré­vient sou­vent sans attendre qu’on le cherche, appe­la les deux frères pour en faire des dis­ciples. Aussitôt, Jacques et Jean laissent là leur père, leurs filets, leur barque et leur métier, pour se mettre à la suite du Fils de Dieu. Pourrait-​on man­quer de promp­ti­tude quand Jésus appelle ? Cependant, les filets sont tou­jours à craindre, ain­si que les anciens métiers, et les parents par­fois plus que tout le reste. Zébédée lais­sa par­tir ses enfants et res­ta seul dans sa barque. Dur sacri­fice. Mais les liens des ten­dresses humaines doivent céder à l’ap­pel de Jésus qui dis­pose des âmes en Maître souverain.

Les enfants du tonnerre.

Notre-​Seigneur chan­gea les noms des deux nou­veaux apôtres et les appe­la Boanergès, c’est-à-dire enfants du ton­nerre. Jésus-​Christ ne don­na un sur­nom qu’à trois apôtres seule­ment : à Simon, qu’il appe­la Céphas ou Pierre, parce qu’il devait être la pierre fon­da­men­tale de son Eglise, et aux deux frères Jacques et Jean, dont la voix devait être un ton­nerre gron­dant et fou­droyant. Ce sur­nom ne sup­plan­ta pas pour les deux frères, comme pour Simon, le nom d’origine ; il dési­gnait plu­tôt l’impétuosité de carac­tère de Jacques et de Jean, dont Notre-​Seigneur s’appliquait à cor­ri­ger les saillies.

Un jour, le divin Maître mon­tait à Jérusalem pour les fêtes de Pâques. Arrivé près de Samarie, il envoya en avant quelques-​uns de ses dis­ciples pour pré­pa­rer le repas. Mais les Samaritains ne vou­lurent pas les rece­voir. Cette injure faite à Notre-​Seigneur fut très sen­sible à saint Jacques et à saint Jean. Dans l’ardeur de leur zèle, ces enfants du ton­nerre vou­laient tout fou­droyer : « Vous plaît-​il, Seigneur, que nous fas­sions des­cendre le feu du ciel pour consu­mer toute cette nation ? » Jésus-​Christ se conten­ta de leur répondre : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes. »

Le pro­phète Elie avait fait des­cendre jadis le feu du ciel sur des sol­dats inso­lents, mais cette impé­tueuse sévé­ri­té n’était plus de sai­son, sous une loi de grâce, d’indulgence et de miséricorde.

L’ardeur natu­relle de Jacques et de Jean sera réglée par les inspi­rations d’en haut, mais jus­ti­fie­ra tou­jours le sur­nom de Boanergès. L’Apocalypse de saint Jean, écrite au milieu des éclairs et des ton­nerres, en est une preuve : les san­glantes exé­cu­tions des saints anges, les coupes d’or rem­plies d’une impla­cable colère sont autant de coups de foudre qui rem­plissent de ter­reur. Quant à saint Jacques, l’Espagne vénère en lui un cava­lier indomp­table, ter­reur des infi­dèles, qui menait la bataille contre les Maures et défen­dait son peuple en lui don­nant l’exemple de la vaillance.

Les deux premières places.

La fami­lia­ri­té de Notre-​Seigneur et sa bon­té pour les deux frères leur avait pro­ba­ble­ment don­né le désir et l’espoir d’une plus grande dis­tinc­tion encore. Ils firent pré­sen­ter leur requête au divin Sauveur par leur mère, Marie-​Salomé. Celle-​ci s’approcha en toute con­fiance, comme une parente qui n’était pas habi­tuée aux refus, et elle deman­da à Notre-​Seigneur les deux pre­mières places de son royaume : « Dites que mes deux fils soient assis l’un à votre droite, l’autre à votre gauche. » Vous ne pou­vez le refu­ser. Vous le devez en quelque sorte à notre paren­té et à notre ami­tié pour eux.

Jésus vit bien que les enfants par­laient par la bouche de leur mère, et il leur adres­sa à tous cette réponse : « Vous ne savez ce que vous deman­dez. Pouvez-​vous boire mon calice ? » Vous par­lez de gloire et vous ne son­gez pas à ce qui la pré­cède. La gloire est le prix des amer­tumes et des souf­frances. Les apôtres ambi­tieux s’offrent à tout. « Nous pou­vons le boire, ce calice », disent-ils.

Ils s’offraient à souf­frir par ambi­tion. Jésus ne vou­lut pas les satis­faire. Il accep­ta leur parole pour la croix : « A la véri­té, vous boi­rez le calice que je boi­rai » ; mais pour la gloire, il les ren­voya aux décrets éter­nels de son Père : « Pour ce qui est d’être assis à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous le don­ner : c’est pour ceux à qui mon Père l’a destiné. »

Leçon d’humilité.

Cette demande d’honneurs par­ti­cu­liers indi­gna les autres apôtres, qui étaient pour­tant dans les mêmes sen­ti­ments. Eclairés pour reprendre, ils étaient aveugles pour se connaître et pour se cor­riger. Notre-​Seigneur, en effet, les sur­prit bien­tôt se dis­pu­tant « qui d’entre eux serait le pre­mier ». Jésus leur dit : « Que celui qui vou­dra deve­nir le plus grand par­mi vous soit votre ser­vi­teur ; que celui qui vou­dra deve­nir le pre­mier par­mi vous soit votre esclave : comme le Fils de l’homme, qui n’est pas venu pour être ser­vi, mais pour ser­vir et don­ner sa vie pour la rédemp­tion de plu­sieurs. » Ces ambi­tions et les défauts des apôtres font res­sor­tir les mer­veilleux chan­ge­ments que les ins­truc­tions de Notre-​Seigneur et l’effusion du Saint-​Esprit opé­rèrent en eux. Après avoir sou­vent dis­pu­té entre eux de la pri­mau­té, ils la céde­ront sans peine à Pierre. Dieu n’exige pas qu’on soit par­fait du pre­mier coup ; mais il demande qu’on fasse des progrès.

Chez le prince de la synagogue, au Thabor et à Gethsémani.

Dans plu­sieurs cir­cons­tances, Jésus-​Christ mar­qua que saint Jacques et saint Jean étaient, après saint Pierre, ses plus intimes amis. Quand il res­sus­ci­ta la fille de Jaïre, le chef de la syna­gogue, il vou­lut que ces trois apôtres fussent les seuls témoins de sa puissance.

Quand il se trans­fi­gu­ra sur le Thabor, ces trois apôtres eurent seuls le pri­vi­lège de contem­pler la gloire de son huma­ni­té sacrée.

Quand il se reti­ra au jar­din de Gethsémani, la veille de sa mort, pour prier et souf­frir les affres de l’agonie, il ne prit encore avec lui que ces mêmes apôtres, pour être les seuls confi­dents de ses dégoûts, les seuls témoins de ses mys­té­rieuses défaillances.

Saint Jacques en Espagne.

Nous ne savons rien de posi­tif sur l’apostolat de saint Jacques le Majeur ; il fut d’ailleurs de courte durée. Treize ans à peine après la mort du divin Maître, saint Jacques, le pre­mier des apôtres mar­tyrs, était déca­pi­té à Jérusalem, en l’an 42 [1]. C’est la seule chose cer­taine que nous connaissions.

Mais la légende s’est plu à bro­der de glo­rieuses ara­besques autour du fils aîné de Zébédée. Elle le fait évan­gé­li­ser l’Espagne, qui se mon­tra d’abord une terre fort ingrate à la semence divine. Quelle que fût l’ardeur de son zèle, l’enfant du ton­nerre ne par­vint à s’y atta­cher que neuf dis­ciples. Sujet de conso­la­tion pour les prédi­cateurs qui n’ont pas de suc­cès. Dieu se plaît ain­si à éprou­ver la foi et le cou­rage de ses envoyés. Qu’ils jettent la semence et ne perdent pas espoir. D’autres recueille­ront les fruits. D’ailleurs, la plus douce de toutes les conso­la­tions était réser­vée à saint Jacques.

Notre-​Dame del Pilar.

La Sainte Vierge était encore de ce monde et vivait à Jéru­salem dans la mai­son de son fils adop­tif, saint Jean, frère de saint Jacques. Jésus vou­lut lais­ser long­temps sa sainte Mère ici- bas, pour qu’elle veillât sur son Eglise naissante.

Un soir que saint Jacques, alors à Saragosse, était en orai­son sur les bords de l’Ebre, il enten­dit tout à coup dans les airs un concert déli­cieux d’où sor­taient ces paroles : Ave, Maria, gra­tia ple­na. C’était une troupe d’esprits angé­liques qui chan­taient leur glo­rieuse Reine. Ils por­taient une colonne de jaspe, et sur cette colonne se tenait debout la très pure Vierge Marie. Le saint apôtre salua la Mère du Sauveur, et celle-​ci lui dit :

« Jacques, mon cher fils, le Tout-​Puissant veut que vous lui consa­criez ici un temple en mon nom. Je sais que cette par­tie de l’Espagne me sera fort dévote et affec­tion­née. Dès à pré­sent, je la prends en ma sau­ve­garde et protection. »

La Vierge dis­pa­rut, et les anges lais­sèrent à saint Jacques la colonne de jaspe qu’ils avaient appor­tée. Quand le petit édi­fice fut ache­vé, l’apôtre y pla­ça une sta­tue de la Vierge debout sur cette même colonne. Elle occupe encore aujourd’hui l’endroit même où la tra­di­tion affirme que saint Jacques l’a dépo­sée. La modeste cha­pelle fut le pre­mier sanc­tuaire dédié à la Sainte Vierge ; il fut rem­pla­cé, dans la suite des temps, par la magni­fique église qu’on voit aujourd’hui à Saragosse.

La Sainte Vierge a prou­vé depuis que les Espagnols étaient bien sous sa sau­ve­garde. Ce peuple indomp­table et fier a trou­vé dans sa foi, que Marie a ren­due inébran­lable comme une colonne, cette fer­meté qui vient à bout de tout et qui fait les héros. Saragosse, la siempre heroï­ca, la tou­jours héroïque [2], doit à sa divine Protec­trice ses plus beaux titres de gloire.

Martyre de saint Jacques.

Quoi qu’il en soit du séjour de saint Jacques le Majeur en Espagne, cet apôtre se trou­vait à Jérusalem, en l’an 42, peu après que le roi Hérode Agrippa eut réus­si à recons­ti­tuer le royaume de son grand-​père, Hérode le Grand. Les cour­ti­sa­ne­ries d’Agrippa à l’égard des empe­reurs Caligula et Claude avaient obte­nu ce résultat.

Il se trou­vait à Rome le 24 jan­vier 41, lorsque Caligula, son bien­faiteur, fut assas­si­né. Ce fut lui qui ense­ve­lit la vic­time du tri­bun Chéréas. Ce fut encore lui qui fit agréer comme empe­reur, par le Sénat, Claude, oncle du défunt. En recon­nais­sance, le nou­vel empe­reur agran­dit les pos­ses­sions d’Agrippa en ajou­tant aux trois tétrar­chies qu’il gou­ver­nait déjà, la Samarie et la Judée. Le royaume du pre­mier Hérode — toute la Palestine — fut ain­si recons­ti­tué sous la main de son petit-​fils, avec Jérusalem pour capitale.

Tout en éta­blis­sant dans les prin­ci­pales villes du pays des théâtres, des cirques, des com­bats de gla­dia­teurs à la mode romaine, Hérode Agrippa affec­tait un grand zèle pour la reli­gion mosaïque, pour faire oublier ses ori­gines idu­méennes. Il obser­vait ponctuel­lement la loi juive, immo­lait de nom­breuses vic­times, se mon­trait assi­du aux solen­ni­tés. Il offrit au Temple une chaîne d’or, cadeau de Caligula, et dont le poids équi­va­lait à celui de la chaîne de fer qu’il avait por­tée à Rome dans les pri­sons de Tibère.

Cette résur­rec­tion appa­rente de leur ancien royaume, cet éclat don­né aux céré­mo­nies rituelles, flat­taient l’orgueil natio­nal des Juifs. Pour se les conci­lier plus com­plè­te­ment, Hérode pen­sa que le meilleur moyen serait de per­sé­cu­ter le nom chrétien.

En ces jours-​là (c’était en l’an 42), le roi Hérode mit la main sur quel­ques-​uns de l’Eglise pour les tour­men­ter, et il fit périr par le glaive Jacques, frère de Jean. Voyant que cette conduite agréait aux Juifs, il fit aus­si arrê­ter Pierre… avec l’intention de le faire com­pa­raître devant le peuple après la Pâque. (Actes des Apôtres, xii, 1–4.)

Pierre fut mira­cu­leu­se­ment déli­vré par l’ange du Seigneur, mais Jacques fut déca­pi­té. Il eut l’honneur de devan­cer tous les apôtres dans la mort. Le zèle ardent de ce « fils du ton­nerre » l’avait, sans doute, par­ti­cu­liè­re­ment dési­gné à la haine des Juifs et d’Hérode.

D’ailleurs, dans les listes des apôtres que nous donnent les Evan­giles, Jacques est tou­jours par­mi les quatre qui figurent en tête, for­mant groupe : Pierre, André, Jacques et Jean, indice d’une situa­tion pri­vi­lé­giée qui devait atti­rer l’attention et pro­vo­quer les dénon­cia­tions des zélateurs.

Hérode visait à la popu­la­ri­té. Le moment était oppor­tun pour faire plai­sir aux Juifs. Il le mit à pro­fit et com­man­da aus­si­tôt de tran­cher la tête à saint Jacques.

Comme on le menait au sup­plice, un para­ly­tique lui deman­da la san­té, et l’apôtre la lui don­na entière, au nom de Jésus-​Christ. A la vue de ce pro­dige, Josias, le scribe qui avait fait preuve du plus grand achar­ne­ment contre saint Jacques, lui deman­da par­don et confes­sa que Jésus-​Christ est vrai­ment le Fils de Dieu. Saint Jacques lui don­na le bai­ser de paix, et les Juifs asso­cièrent le maître et le dis­ciple dans le mar­tyre. Josias eut aus­si la tête tranchée.

On vénère à Jérusalem, dans l’église cathé­drale des Arméniens schis­ma­tiques, la place même où saint Jacques fut décapité.

Le corps de saint Jacques à Compostelle.
Le troisième grand pèlerinage.

Il ne nous reste aucun docu­ment ancien pour nous ren­sei­gner sur le sort du corps de saint Jacques. Il fut ense­ve­li à Jérusalem, mais n’y res­ta pas. La tra­di­tion espa­gnole est très affir­ma­tive dans la reven­di­ca­tion de ce pieux tré­sor pour le célèbre sanc­tuaire de Compostelle, en Galice. Toute la chré­tien­té, pen­dant le moyen âge, y accou­rut des quatre points de l’horizon pour véné­rer les restes de l’apôtre. Bien qu’elle soit enve­lop­pée d’obscurités, cette tra­di­tion ne mérite pas le dédain dont cer­tains ont vou­lu la flétrir.

On ne sau­rait pré­ci­ser l’époque à laquelle la dépouille mor­telle de saint Jacques fut enle­vée de Jérusalem et trans­por­tée en Espagne. Les pré­cieuses reliques furent d’abord dépo­sées à Iria-​Flavia, aujour­d’hui El-​Padron, sur les fron­tières de la Galice. Demeurées long­temps cachées et incon­nues, elles furent décou­vertes par une révé­lation de Notre-​Seigneur au com­men­ce­ment du ixe siècle, sous le règne d’Alphonse-le-Chaste, roi de Léon, et trans­por­tées à Compos­telle, par l’ordre de ce prince. Là, saint Jacques est hono­ré, non seule­ment de la Galice et de l’Espagne, mais encore de toutes les nations de la chrétienté.

Les Papes accor­dèrent de grandes faveurs à ce pèle­ri­nage, qui fut mis au nombre des grands pèle­ri­nages de la chré­tien­té. Jusqu’à ces der­niers temps, qui­conque avait fait vœu d’aller à Compostelle ne pou­vait être rele­vé de son vœu que par le Saint-Siège.

La cou­tume des grandes péré­gri­na­tions, aux siècles de foi, était de com­men­cer d’abord par une visite au sanc­tuaire du Mont-​Saint- Michel. C’est là que le pèle­rin pre­nait ses coquilles. De là il se ren­dait à Saint-​Jacques, après quoi il allait à Rome et enfin à Jéru­salem. Saint-​Gilles, qui se trou­vait à moi­tié route de Compostelle à Rome, était une sta­tion où le pèle­rin ne man­quait jamais de séjour­ner quelque temps ; c’est ce qui a don­né une si grande célé­brité à ce sanc­tuaire du Languedoc.

Ces inter­mi­nables pro­ces­sions de pèle­rins res­sem­blaient à ce long ruban d’étoiles qui divise le ciel et qui paraît une large route encom­brée de brillants voya­geurs. C’est pour cela que l’imagination pieuse des peuples de foi don­na à la Voie lac­tée le nom de Chemin de Saint-Jacques.

« Santiago matamoros » [3], saint Jacques tueur de Maures.

Saint Jacques a tou­jours défen­du la foi chré­tienne et l’indépen­dance natio­nale des Espagnols. On l’a vu plu­sieurs fois com­battre contre les Maures et faire un cruel car­nage des ennemis.

Ce fait fut par­ti­cu­liè­re­ment consta­té en 834, sous le roi Don Ramire, à la bataille du Clavigo. L’Espagne était sou­mise alors à un infâme tri­but de cent jeunes filles qu’il fal­lait livrer aux Maures toutes les années. Don Ramire refu­sa de jeter plus long­temps de pauvres bre­bis inno­centes dans la gueule des loups. On en vint aux mains, et Don Ramire per­dit la bataille. La nuit sui­vante, pen­dant qu’il priait dans la tris­tesse, saint Jacques lui appa­rut : « Que tes sol­dats se confessent et com­mu­nient, et demain attaque les Maures en invo­quant le nom de Notre-​Seigneur et le mien. Je mar­che­rai à la tête de l’armée, mon­té sur un cour­sier blanc, un éten­dard blanc à la main, et les mécréants seront vaincus. »

Ainsi fut fait. Le len­de­main, 60 000 Maures jon­chaient le champ de bataille. Leur camp fut pillé, et la ville de Calahorra fut prise.

Depuis lors, en Espagne, on a don­né le signal des batailles par cet appel au vaillant défen­seur : « Santiago, Espana com­bate, saint Jacques, l’Espagne com­bat. » Le cri de guerre de l’Espagne est l’équivalent de l’ancien cri de guerre de France : « Montjoie ! Saint-Denys ! »

« Santiago Matamoros »

Saint Jacques, à l’entrée du paradis, examine Dante sur l’espérance.

Pierre est le sym­bole de la foi, Jacques de l’espérance et Jean de la cha­ri­té. Dante, le poète théo­lo­gien, n’a pas oublié ce rôle dans sa Divine Comédie.

Au moment d’arriver à la vision de l’éternelle lumière, ce point tel­le­ment brillant « que le regard se ferme à son tran­chant aigu », Béatrice rap­pelle au poète que les ver­tus théo­lo­gales peuvent seules l’introduire auprès de Dieu, et alors inter­viennent les trois apôtres qui l’interrogent suc­ces­si­ve­ment : saint Pierre sur la foi, saint Jacques sur l’espérance, et saint Jean sur la charité.

L’espérance est la marque des grands carac­tères, si rares en nos jours de décou­ra­ge­ment. Demandons à saint Jacques de for­ti­fier en nos cœurs la belle ver­tu dont il est le sym­bole. Que l’attente cer­taine des biens futurs console des mal­heurs pré­sents et donne force et cou­rage pour le combat.

E. Lacoste.

Sources consul­tées. — Les quatre Evangiles. — Les Actes des Apôtres. — Les Petits Bollandistes. — Dictionnaire d’Archéologie et de Liturgie (article Espagne, t. V, 411–417 ; et Saint Jacques le Majeur, t. VII, 2089 et sui­vantes). — (V. S. B. P., n° 511.)

Notes de bas de page
  1. Il est recon­nu que l’ère chré­tienne a été retar­dée, par erreur, de quatre années. D’après la chro­no­lo­gie la mieux fon­dée, la mort de Notre-​Seigneur se place en l’an 29 et non en 33, ce qui laisse un espace de treize ans entre la mort du divin Maître et celle de saint Jacques, sur­ve­nue en l’an 42.[]
  2. Ce titre fut confé­ré à la vaillante ville par un vote des Cortès en récom­pense de la vigou­reuse défense de 1809.[]
  3. C’est le sur­nom de saint Jacques guer­rier, tel que notre gra­vure le repré­sente. L’expression mata­mo­ros est pas­sée dans la langue fran­çaise, mais en chan­geant de signi­fi­ca­tion. Le mata­more qui est, pour les Espagnols, un grand pour­fen­deur de mécréants, n’est, pour les Français, qu’un sol­dat van­tard et pol­tron.[]