La poule caquette et l’homme parle ; mais s’il parle, il ne parle pas comme la poule caquette.
Dans son sens le plus général, le langage est l’instrument d’une conscience pour se manifester à soi-même ou à d’autres. Partout, en effet, où se trouve une vie psychologique qui cherche à se faire connaître, on trouve le langage : langage des animaux, langage des hommes entre eux, langage intérieur à nous-mêmes.
Chez les animaux, le langage est limité aux besoins immédiats de l’espèce ; il ne possède pas d’histoire, il est immuable et héréditaire. Il ne comporte pas de véritable dialogue : les animaux répondent à un message par une conduite plutôt que par un autre message. S’ils ne se parlent pas, ce n’est pas parce qu’ils ne le peuvent pas, mais c’est parce qu’ils n’ont rien à dire.
Le langage humain est sans comparaison : il est si intimement lié à l’intelligence que le même mot logos ou verbum désigne en grec et en latin à la fois l’opération spirituelle de la pensée et l’expression externe par la parole.
Apprendre à parler pour un homme, c’est apprendre à bien s’exprimer pour mieux communiquer ou mieux penser ; c’est s’approprier le patrimoine culturel d’une civilisation. C’est aussi comprendre que la parole est l’expression et le moyen de son intelligence. Lorsque Aristote explique pourquoi l’homme est un animal naturellement social, il donne comme raison son langage seul capable de manifester l’utile et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste.
Dégrader une langue, en y imposant des idiomes barbaresques, est le meilleur cheval de Troie pour corrompre une civilisation.
Cela devrait nous mettre en garde sur l’usage de notre langage. Il a pour but de transmettre à l’autre des idées, une réflexion. Il ne peut servir la futilité, la ruse ou la séduction. La parole est raison lorsqu’elle signifie quelque chose, c’est-à-dire lorsqu’elle transpose par les mots une vérité connue. Le langage n’a pas pour but de manifester aux autres nos états d’âme, à moins que cela ne leur soit utile.
Ce déferlement bruyant de bla-bla, cette manie de se répandre en public sur internet ou sur son portable et d’imposer sans pudeur aux autres ses ressentis, font non seulement disparaître la sphère privée, mais aussi régresser l’humanité bien en dessous des poules.