Nous sommes surpris que les Apôtres, aussi bien pendant le discours après la Cène, qu’au moment de l’agonie, malgré plusieurs années de vie commune avec Notre-Seigneur, restent des novices dans la prière. Et cependant qui peut prétendre savoir prier ? En face des mystères de Dieu, nous serons toujours des novices. Les principaux écueils sont le manque de pauvreté, le manque de préparation et le manque de désintéressement.
Le manque de pauvreté
L’illusion du cérébral. Nous croyons que pour prier, il faut avoir des idées. L’oraison n’est ni un cours de théologie, ni une dissertation. Le but de la prière est de conformer notre volonté, nos projets, à sa volonté, à son dessein d’amour. La prière est un langage de la foi, un regard… « je l’avise, et il m’avise ». Nous ne prions pas pour augmenter notre culture, fut-elle religieuse, mais pour redire à Dieu que nous l’aimons et que nous savons qu’il nous aime… pour nous conformer au plan de miséricorde qui est le sien.
L’illusion du sensible. Le monde est friand d’expériences, d’états d’âme… et nous sommes heureux de nous identifier par une projection sensible de nous-mêmes. La prière est une expérience privilégiée pour donner corps à ce type projection. Croire que notre prière n’a de valeur que si nous avons « senti » quelque chose est en fait une recherche de soi. Le chrétien ne prie pas pour se retrouver mais pour se donner et correspondre mieux aux desseins de Dieu ; c’est la grande différence entre la prière chrétienne et la prière des non-chrétiens.
Le manque de préparation
C’est une autre menace qui pèse sur notre prière nous avons l’illusion que nous sommes toujours prêts à prier. Cette illusion est double : d’une part, notre cœur est occupé, nous ne sommes pas en silence ; d’autre part, nous sommes étrangers aux choses de Dieu. Le manque de silence et de pureté intérieure, le manque de familiarité avec la doctrine sont les deux écueils que rencontre notre préparation à la prière.
Le manque de silence. C’est du dedans que viennent les principaux obstacles. Nous sommes agités : pour prier il faut être vigilant pour réserver une part de soi-même à Dieu. Les embarras intérieurs sont multiples : notre mémoire est saturée, les idées que nous nous faisons de nous-mêmes et le regard de l’autre nous obnubilent, nos activités et nos passions nous agitent perpétuellement. Toute cette agitation est un trop grand amour de soi qu’il faut remplacer par l’amour de Dieu, simple, gratuit et spontané. Le silence, ce recueillement habituel, même au plus fort de nos préoccupations, unifie notre vie et nous prépare pour l’instant de la rencontre avec Dieu.
Le manque de familiarité avec la doctrine. Prétendre aimer quelqu’un que l’on ne connaît pas est un leurre. Pour maîtriser notre imagination débordante, il faut se fixer sur la stabilité de la Vérité. Il faut beaucoup de modestie et d’humilité pour nous approcher de Dieu : seule la familiarité de sa grandeur et de son mystère arrivent à vaincre l’inertie de notre âme.
Le manque de désintéressement
Heureux les inutiles ! La gratuité est ce qui distingue le véritable amour. Nous n’aimons pas Dieu parce qu’il nous est utile, ou parce qu’il satis-fait nos désirs ; nous aimons Dieu, parce qu’ayant découvert sa grandeur, nous savons qu’il est digne de notre louange et que nous ne sommes pas grand chose sans Lui. Ceci doit éliminer de notre prière toute attitude où intervient le calcul. C’est un des signes les plus nets qui séparent une âme de pauvre de celle d’un riche : le riche reçoit et donne par calcul et vit de ce calcul. Le vrai pauvre ne fait pas de calcul. Nous pouvons faire semblant de prier, nous pouvons prendre une posture… la fausse prière ne résiste pas à l’inutilité de nos capacités, au vide vertigineux du face à face avec Dieu et de la disparition en Lui.
La méditation est à la mode… la prière n’est pas un moyen d’épanouissement personnel sinon accidentellement. Elle n’est pas non plus l’ultime recours lorsque tous les autres ont été épuisés : Dieu n’est pas à notre service, il n’est pas à notre mesure. Il est la fin de tout. Sainte Marie-Madeleine avec son vase de parfum, David dansant devant l’arche, étrangers tous les deux des regards extérieurs, ont suscité l’admiration du Christ. Nous devons aller à la rencontre de Dieu, en nous abandonnant jusqu’à nous y perdre. Il est essentiel à la prière de durer et de déborder dans nos vies, de tendre à ce dépassement de notre besoin pour atteindre ce loisir désintéressé en Dieu aimé.
Abbé Vincent Bétin
Source : L’Aigle de Lyon n°367