Savoir se taire

Une rumeur court… d’a­bord un bruit léger, rasant le sol comme hiron­delle avant l’o­rage, pia­nis­si­mo, elle mur­mure et file, et sème en cou­rant le trait empoi­son­né. Telle bouche le recueille, et pia­no, pia­no vous le glisse en l’o­reille adroi­te­ment. Le mal est fait, il germe, il rampe, il che­mine… Qui peut l’arrêter ?

Le pro­blème n’est pas tel­le­ment que des bruits courent. Le pro­blème est que l’on doit apprendre à ne pas les col­por­ter, donc à ne pas les rechercher.

Si l’on ne veut pas jouer un rôle de dupe, il faut donc réser­ver son juge­ment… et se dire cela ne m’in­té­resse pas. Vous ver­rez, d’un seul coup, le bruit s’ar­rê­te­ra, pri­vé de ce qui le fait vivre. Les inté­res­sés vous en seront recon­nais­sants, car, der­rière chaque bruit vrai ou faux, il y a une per­sonne bles­sée. Et pour celui qui col­porte, ce seront les tra­cas en moins de l’o­bli­ga­toire réparation.

Il faut aus­si se gar­der de tout dire, si l’on ne veut pas être vic­time de l’in­dis­cré­tion et de la mal­veillance. Ainsi Notre Seigneur, qui dit de lui-​même, je suis la Vérité, qui est tel au dehors qu’au dedans de lui-​même et qui ne cal­cule pas son atti­tude, ne dédaigne pas la pru­dence. Soyez pru­dents comme des ser­pents… Lui-​même nous donne l’exemple de l’in­con­tour­nable dis­cré­tion. Il pèse ses paroles et sait se taire ou se réser­ver à une cer­taine caté­go­rie de per­sonnes : à vous, il est don­né de connaître le royaume de Dieu.

Pourquoi Notre Seigneur s’est-​il ain­si réser­vé à cer­taines per­sonnes ? Sans doute II veillait à ins­truire avec un plus grand soin les Apôtres. Mais II savait sur­tout à qui II se confiait : ces apôtres, ils étaient ceux qui étaient avec lui depuis le com­men­ce­ment. Ces hommes avaient appris auprès de la fran­chise et de la sim­pli­ci­té du Maître, la ver­tu d’hu­mi­li­té, par laquelle on se connaît soi-​même et on s’es­time à sa juste valeur.

Lorsque le Seigneur parle, les apôtres se taisent. Et ce silence est l’exacte atti­tude reli­gieuse de l’âme face à Dieu, à l’exemple du par­lez Seigneur, votre ser­vi­teur écoute du jeune Samuel. Ce silence est tel qu’il déborde sur tout notre être. C’est un fait, le Seigneur ne parle qu’à ceux qui savent se taire pour écou­ter, Il ne parle qu’aux humbles, comme nous le dit d’elle-​même Notre Dame, il a regar­dé l’hu­mi­li­té de sa servante.

Pourquoi l’humble sait-​il se taire ? parce que l’hu­mi­li­té est essen­tiel­le­ment dans la volon­té de l’homme : elle refrène le mou­ve­ment de son âme pour l’empêcher de tendre à la gran­deur de façon désor­don­née. Le prin­cipe de cette conduite, c’est la révé­rence de l’homme envers Dieu. De cette humble dis­po­si­tion inté­rieure pro­cèdent cer­tains signes exté­rieurs dans les paroles, dans le com­por­te­ment et dans l’at­ti­tude, qui mani­festent ce qui se cache à l’intérieur.

Une âme qui parle de trop, qui trop s’é­coute ou qui trop écoute les autres, n’est pas en bonne san­té : il lui manque la vie inté­rieure. A cette âme, le Christ dit, entre dans ta cel­lule, ferme ta porte et prie ton Père qui est dans le secret.

Source : La part des anges n° 2