La nouvelle messe de Paul VI : sanctifiante ?
Point n’est besoin de revenir sur les documents émanant du Saint-Siège depuis un an environ à propos de l’usage de la liturgie traditionnelle. Deux pas en avant, avec le récent Motu Proprio Traditionis Custodes, suivi des réponses au Dubia de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements à propos dudit Motu Proprio, puis un pas en arrière avec le décret accordant aux prêtres de la Fraternité Saint Pierre la faculté d’user des livres liturgiques traditionnels dans leurs églises et oratoires propres. [1] Le sujet n’est pas ici de chercher à comprendre les intentions du pape dans ces revirements, même si cela est tentant…
Il est une conséquence que nous relevons, c’est le zèle qu’ont à présent les prêtres des instituts ex-Ecclesia Dei à affirmer (peut-être pour se dédouaner des griefs pontificaux) que la nouvelle messe est fructueuse, malgré ses faiblesses. A titre d’exemple, relevons un extrait d’article publié sur le site Claves à propos de la concélébration :
« Certains diront que ce refus de concélébration équivaut à un refus de la réforme liturgique et donc à un refus de communion hiérarchique ; mais l’argument ne tient pas, d’abord parce qu’il y a de nombreux motifs pour lesquels certains prêtres, même célébrant habituellement dans la forme ordinaire, ne souhaitent pas concélébrer ; ensuite, parce que – comme nous essayerons de l’expliquer dans un autre travail – les réserves qui sont les nôtres par rapport à la liturgie réformée, et qui nous poussent en prudence à ne pas la célébrer tout en la reconnaissant valide et sanctifiante, et tout en reconnaissant l’autorité du Concile Vatican II, ne constituent pas un refus de communion avec l’Église. » [2]
Cette vision soulève une difficulté intéressante qu’un catholique traditionnel ne peut passer sous silence. Si, comme nous le pensons le nouveau rite de la messe est mauvais, comment se fait-il qu’un nombre non négligeable de personnes se sanctifient en y assistant ? On ne peut en effet balayer d’un revers de main la vie chrétienne authentique que mènent des catholiques conciliaires. Il existe certainement bien des fidèles et bien des prêtres plus saints que nous – en tous cas que l’auteur de ces lignes !
Répondre à cette difficulté demande de rappeler brièvement les raisons de notre appréciation sur la Nouvelle Messe, la qualification morale de ce rite, puis d’indiquer quelques règles de théologie morale.
Les déficiences de la Nouvelle Messe
Nous ne nous attarderons pas outre mesure sur les déficiences du Nouveau Rite. Cela a déjà été fait dans de nombreuses études et articles. Les trois principales déficiences qu’on lui trouve sont de diminuer gravement l’affirmation de la Présence Réelle (par exemple : suppression de la génuflexion avant l’élévation, de l’exigence pour le prêtre de garder le pouce et l’index joints après la Consécration pour éviter de perdre des parcelles d’hosties, etc…), de masquer l’aspect sacrificiel de la messe, et particulièrement l’aspect expiatoire (transformation de l’Offertoire et suppression de la prière si expressive du Suscipe Sancte Pater) ; enfin, d’affaiblir le sens de la hiérarchie et de la distinction entre le prêtre et les fidèles (ainsi, la récitation du Canon à voix haute).
On pourrait multiplier les exemples de ces déficiences ; certaines sont graves en elles-mêmes (falsification de l’Offertoire), d’autres le sont en raison du tout que forme ce rite (lecture de l’Épître par un laïc, par exemple).
La qualification morale
Venons-en au jugement et la qualification morale que l’on peut porter sur ce rite. Il fait courir un grand risque de perdre la foi (même si ce n’est peut-être pas en une fois). L’immense majorité des paroisses actuelles est de cela une illustration patente. Mais plus encore qu’un risque possible par rapport à la foi, il rend un culte à Dieu de manière défectueuse. La liturgie doit professer correctement la foi. Si ce n’est pas le cas, et si le rite est ambigu, il y a un mal, c’est-à-dire l’absence d’un bien dû. Dans son traité de la vertu de religion de la Somme Théologique, en traitant des différents péchés de superstition, Saint Thomas nous donne des principes que nous pouvons appliquer et adapter à la situation actuelle. A la question « Peut-il y avoir dans le culte du vrai Dieu des éléments capables de nous perdre ? », il répond ainsi :
« Saint Augustin dit que le mensonge le plus pernicieux est celui qu’on fait en ce qui touche à la religion chrétienne. Qu’est-ce donc que le mensonge ? Mentir, c’est signifier extérieurement le contraire de la vérité. Or, on ne se sert pas seulement de la parole pour s’exprimer : nos faits et gestes peuvent avoir également valeur de signe ; et c’est de cette sorte de signe qu’est fait, comme nous l’avons dit, le culte extérieur de la religion. Si donc ce culte vient à exprimer quelque chose de faux, il sera pernicieux.
Or cela peut arriver de deux façons. C’est d’abord un désaccord entre la réalité signifiée et les symboles qui l’expriment. Voilà comment, en l’âge de la nouvelle loi, l’accomplissement parfait des mystères du Christ ne permet plus l’usage des rites de l’Ancien Testament : Leur symbole regarde le mystère du Christ comme chose à venir. Vouloir s’y tenir, c’est tout comme si l’on professait en paroles que la Passion du Christ est encore à venir. Faire cela, c’est perdre son âme.
Le culte extérieur peut encore être mensonger d’une seconde manière : du fait, cette fois, de celui qui s’en acquitte. La chose peut arriver surtout dans le culte public où des ministres officient au nom de toute l’Église. C’est être un faussaire que de présenter, de la part de quelqu’un, ce dont on ne vous a aucunement chargé. Ce serait le cas de celui qui offrirait à Dieu, de la part de l’Église, un culte en opposition avec les formes par elle établies en vertu de l’autorité divine, et contraire à l’usage de cette même Église. « Est indigne, dit Saint Ambroise, quiconque célèbre les divins mystères sans se conformer à la tradition reçue du Christ ». Ce qu’exprime également la Glose, lorsqu’elle dit que la superstition, c’est « de donner le nom de religion à une chose humaine. » [3]
Nous sommes bien conscients, en citant ce texte, que les exemples donnés ne s’appliquent pas tels quels à la situation actuelle qui est inédite. Dans le cas de la nouvelle messe, il s’agit moins d’un rite mensonger que d’un rite gravement ambigu. D’autre part, Saint Thomas n’envisage pas à cet endroit le cas où un rite en rupture avec la Tradition viendrait de l’autorité. Cependant, les principes qu’il donne peuvent être utilisés. C’est pourquoi, en les suivant, nous pouvons qualifier le Novus Ordo Missae de superstitieux.
Nous avons donc une double qualification morale : la première est un risque de perdre la foi. Dans la mesure où ce n’est qu’un risque, on peut ne voir là qu’une faute contre la prudence, comme le dit l’article de Claves cité plus haut. L’autre grief – celui du culte défectueux, ambigu et donc superstitieux – ne relève pas d’une faute contre la seule prudence, mais contre les vertus de foi et de religion. C’est le plus grave, et l’article de Claves ne le relève pas.
Un principe moral pour mieux comprendre
Pour progresser dans notre réflexion, rappelons à présent quelques principes de théologie morale, concernant l’objet d’un acte, et ses circonstances.
L’objet d’un acte, c’est ce sur quoi il porte de manière abstraite. Donner de l’argent à un indigent est un acte d’aumône. Les circonstances morales sont tout ce qui entoure l’acte et qui peut changer sa moralité. Pour reprendre l’exemple de l’aumône, celle-ci peut être accomplie en Carême (circonstance de temps), ostensiblement (manière), et pour suborner le pauvre en question (but), etc… Les circonstances, comme le montrent les exemples donnés, peuvent rendre l’acte meilleur, mauvais, ou pire.
C’est ici qu’intervient un principe fondamental de morale, c’est que, pour qu’un acte soit bon, il faut non seulement que l’objet soit bon, mais que toutes les circonstances soient bonnes : « Bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu. » [4] Faire l’aumône pour acheter le silence d’un témoin est un acte mauvais, malgré un objet bon, en raison de la circonstance du but, de même que jouer dans une église, en raison de la circonstance de lieu.
Pour appliquer ce principe à la nouvelle messe, (en supposant, ce que l’on fait ici, qu’elle est valide – nous n’excluons pas qu’elle puisse ne pas l’être dans certains cas, mais ce n’est pas le sujet), il faut dire que l’objet est bon : c’est un acte de culte rendu au vrai Dieu ; c’est le renouvellement du sacrifice de la croix (car toute messe valide est le renouvellement du sacrifice de la croix). Mais si l’objet est bon, les circonstances qui l’accompagnent nécessairement, c’est-à-dire le rite, ne le sont pas. Par conséquent, l’acte est mauvais, malgré son objet bon.
Des fruits… par accident
Munis de ces distinctions, il est possible de rendre compte des « fruits » de la nouvelle messe. Il peut en effet arriver que des catholiques de bonne volonté ignorent de bonne foi la malice du nouveau rite (des circonstances) et recherchent avant tout l’objet bon de l’acte qu’est la messe. Cette question de l’ignorance est laissée au jugement de Dieu.
La malice globale de la nouvelle messe ne leur est alors pas imputable (en raison de l’ignorance), et elles peuvent retirer des fruits de ce qu’il reste de bon dans la nouvelle messe célébrée validement, ou plutôt de ce qui n’a pas été infecté par le nouveau rite. De fait, il n’est pas rare de rencontrer des « Nicodème » de l’Église conciliaire qui découvrent avec une grande joie la messe traditionnelle, personnes réellement pieuses, ayant certainement tiré profit des communions reçues jusqu’alors, et qui ne réalisent qu’après coup la nocivité de la liturgie nouvelle.
Ces effets possibles ne viennent pas de ce qu’il y a de nouveau, mais de ce qu’il reste de messe. En tant que nouvelle (c’est-à-dire en tant que s’accommodant avec des hérésies), elle n’est pas sanctifiante, mais mortifère. D’ailleurs, selon le principe aristotélicien, les effets « par accident » n’arrivent pas dans la plupart des cas : les fruits de sainteté que l’on peut trouver chez des personnes assistant à la nouvelle messe ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt ravagée par 50 ans d’une liturgie protestantisée…
Est-il donc légitime de parler de fruits de la nouvelle messe ? De tels effets bons ne peuvent être qu’accidentels au nouveau rite, puisqu’ « un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un arbre mauvais porter de bons fruits ». Il est donc équivoque et gravement ambigu de dire que la nouvelle messe est « sanctifiante » ou fructueuse… même pour avoir la vie sauve. Cela trompe les âmes et leur fait minimiser la nocivité du nouveau rite.
En pratique…
Deux considérations pratiques s’imposent à l’issue de ces réflexions. La première est que l’ignorance de bonne foi ne concerne pas tout le monde : un catholique conscient de la nocivité du nouveau rite sera beaucoup moins excusé d’y participer et ne profiterait pas des quelques éléments bons qui peuvent y subsister. Accomplir en le sachant un acte mauvais dans son ensemble (en raison de circonstances qui l’accompagnent nécessairement), n’est pas sans péché.
La deuxième nous encourage à profiter au mieux de nos messes. Le fait que des fidèles conciliaires arrivent à se sanctifier, et certains mieux que nous, au milieu d’une liturgie mauvaise ne peut que nous stimuler à tirer tous les fruits – vrais et authentiques, ceux-là – de notre sainte liturgie traditionnelle.
- L’article a été écrit avant la Lettre Apostolique Desiderio Desideravi¸ du 29 juin 2022, mais cela ne change rien à la question de fond.[↩]
- https://claves.org/7–8‑faut-il-vraiment-concelebrer-pour-etre-en-communion/[↩]
- Somme Théologique, II-II, q. 93, art. 1, corpus[↩]
- Le bien découle d’une cause intègre, et le mal d’un seul défaut.[↩]