Jésuite, apôtre des noirs (1580–1654).
Fête le 8 septembre.
Vie résumée par l’abbé Jaud
Saint Pierre Claver était Espagnol ; sa naissance fut le fruit des prières de ses parents. À vingt ans, il entra au noviciat des Jésuites. Il se lia avec le saint vieillard Alphonse Rodriguez, Jésuite comme lui, et qui fut canonisé le même jour que lui, le 8 janvier 1888. Alphonse avait compris, d’après une vision, que Pierre Claver devait être un apôtre de l’Amérique ; il lui en souffla au cœur le désir, et le jeune religieux obtint, en effet, de ses supérieurs, de s’embarquer pour les missions du nouveau monde.
À son arrivée en Amérique, il baisa la terre qu’il allait arroser de ses sueurs. Il se dévoua corps et âme au salut des esclaves, pénétra dans les magasins où on les entassait, les accueillit avec tendresse, pansa leurs plaies, leur rendit les plus dégoûtants services et s’imposa tous les sacrifices pour alléger les chaînes de leur captivité. Il en convertit, par ces moyens héroïques, une multitude incalculable. Quand fut venu le moment de ses vœux, Pierre Claver obtint d’y ajouter celui de servir les esclaves jusqu’à sa mort ; il signa ainsi sa formule de profession : « Pierre, esclave des noirs pour toujours ».
Les milliers d’esclaves de Carthagène étaient tous ses enfants ; il passait ses jours à les édifier, à les confesser, à les soigner. Il ne vivait que pour eux. Aux hommes qui lui demandaient à se confesser, il disait : « Vous trouverez des confesseurs dans la ville ; moi, je suis le confesseur des esclaves. » Il disait aux dames : « Mon confessionnal est trop étroit pour vos grandes robes ; c’est le confessionnal des pauvres noires. »
Le soir, épuisé de fatigues, asphyxié par les odeurs fétides, il ne pouvait plus se soutenir ; cependant un morceau de pain et quelques pommes de terre grillées faisaient son souper ; la visite au Saint-Sacrement, la prière, les disciplines sanglantes, occupaient une grande partie de ses nuits. Que de pécheurs il a convertis en leur disant, par exemple : « Dieu compte tes péchés ; le premier que tu commettras sera peut-être le dernier ! »
Pierre Claver multipliait les miracles avec ses actes sublimes de charité. En quarante-quatre ans d’apostolat, il avait baptisé plus de trois cent mille noirs. – Le Pape Léon XIII l’a déclaré Patron des missions, en 1896.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue (La Bonne Presse)
Le texte du martyrologe semble particulièrement heureux dans sa rédaction concise, à propos du Saint dont nous allons raconter la vie : « A Carthagène, dans l’Amérique méridionale, saint Pierre Claver, prêtre de la Compagnie de Jésus. Par une admirable abnégation de soi-même et une exquise charité, il se mit pendant plus de quarante ans au service des esclaves noirs, dont il baptisa de sa propre main près de trois cent mille. Le Souverain Pontife Léon XIII l’a mis au nombre des Saints. Désormais il est constitué et proclamé le patron spécial des missions auprès des noirs. »
L’enfant donné à Dieu.
Vers la fin du xvie siècle vivaient à Verdu, en Catalogne, deux époux chrétiens, illustres par leur noblesse, plus encore par leurs vertus et leur piété, Pierre Claver et Anne, sa femme. Une seule chose manquait à leur joie : depuis plusieurs années ils demandaient à Dieu un fils, et n’en avait point encore obtenu. Un jour, Anne dit à son mari .
– Si vous l’approuviez, je promettrais à Dieu de lui consacrer le fils qu’il nous donnerait : peut-être alors nous exaucerait-il ?
Et Pierre de répondre :
– Si Dieu nous accorde un fils, il sera à Dieu avant d’être à nous, et s’il lui plaît de l’appeler à son service, loin de m’opposer à sa vocation, j’en bénirai le ciel.
Dieu agréa ces désirs ; en 1580, la naissance d’un fils vint réjouir leur cœur. L’enfant reçut au baptême le nom de son père, Pierre (en espagnol Pedro). Il fut offert à Dieu par ses parents et élevé dans une tendre piété, sous la garde de sa mère vigilante.
Etudiant et novice. – Une règle de vie.
Arriva l’âge des études, et le jeune homme fut envoyé à l’Université de Barcelone : séparation très dure pour la mère, mais la nécessité l’exigeait. Ses parents veillèrent d’ailleurs à ce que sa vertu fût aussi sauvegardée que possible dans la grande ville. Pierre, docile à toutes leurs recommandations, fut le modèle de ses condisciples. Les Jésuites étaient établis dans cette ville ; le jeune étudiant choisit parmi eux le directeur de sa conscience, et c’est dans leur maison qu’il allait passer ses heures de liberté.
Décidé à embrasser l’état ecclésiastique, il reçut la tonsure et les ordres mineurs des mains de l’évêque de Barcelone. Ses talents, l’estime de l’évêque, la protection d’un chanoine, son oncle, lui ouvraient le chemin des dignités de l’Eglise ; Pierre Claver préféra renoncer pleinement au monde pour appartenir tout entier à Jésus-Christ. Il fît connaître à ses parents sa résolution irrévocable de se faire Jésuite. La nouvelle les accabla de tristesse : ils voulaient bien le donner à Dieu, mais ils avaient pensé que leur fils entrerait dans le clergé séculier. Bientôt cependant leur foi reprit le dessus, ils firent généreusement leur sacrifice, et Pierre, alors âgé d’environ 20 ans, muni de leur bénédiction, partit pour Tarragone où se trouvait le noviciat de la Compagnie de Jésus. Il y entra le 7 août 1602.
Voici les quatre maximes dont il s’efforça dès lors de faire la règle et le cachet de toute sa conduite : 1° chercher Dieu en toutes choses et tâcher de le trouver en tout ; 2° faire tout pour la plus grande gloire de Dieu ; 3° s’exercer à une obéissance si parfaite que, pour l’amour de Jésus-Christ, on soumette son jugement et sa volonté au supérieur comme à Jésus-Christ lui-même dont il tient la place ; 4° ne rien chercher en ce monde que ce que Jésus-Christ lui-même y a cherché, c’est-à-dire le salut des âmes, et affronter pour cette œuvre sainte le travail, la souffrance et même la mort.
Rencontre de deux Saints.
Après ses premiers vœux et deux ans consacrés à terminer ses études littéraires, le jeune Jésuite fut envoyé au collège de l’île Majorque suivre le cours de philosophie. En arrivant à la résidence des religieux de son Ordre, il fut reçu par un vieux Frère coadjuteur, qui remplissait les fonctions de portier et que l’on appelait le Fr. Alphonse ; c’était un Saint : d’un regard il devina combien était belle l’âme du jeune religieux. Tous les deux se prosternèrent en même temps l’un devant l’autre avant même de s’être adressé aucune parole.
Le vieillard n’était autre que saint Alphonse Rodriguez ; par une touchante disposition de la Providence, Alphonse et Pierre devaient être canonisés le même jour.
Avec la permission du supérieur, le vieux Frère et le jeune étudiant se réunissaient chaque jour pour s’entretenir tous deux des choses célestes et s’enflammer mutuellement dans l’amour de Dieu.
Un jour, le Fr. Alphonse eut une vision : devant ses yeux une partie du ciel était ouverte, montrant de magnifiques trônes dressés, sur lesquels étaient assis des Saints environnés de gloire. Son ange gardien lui signala un trône plus beau que les autres, mais vide encore. Le religieux, se tournant vers son céleste guide, lui dit :
– Ce trône attend sûrement quelqu’un ! Pour qui donc est-il préparé ?
– Pour ton disciple Claver, répondit l’ange. Il le méritera par d’héroïques vertus et par le zèle prodigieux qui lui fera gagner à Jésus-Christ des multitudes d’âmes dans les Indes occidentales.
Alphonse ne parla de cette vision qu’à son directeur de conscience, mais à partir de ce moment, d fit tous ses efforts pour susciter dans l’âme de son disciple un ardent désir de se consacrer aux missions d’Amérique.
Ses apostoliques ardeurs embrasèrent l’âme de Pierre qui commença dès lors à demander à ses supérieurs la permission d’aller se consacrer aux missions d’Amérique. On lui répondit d’attendre la fin de ses études de théologie, et il fut, à cet effet, envoyé à Barcelone. Enfin, au bout de deux ans, le Provincial exauça ses désirs. On ne saurait exprimer la joie du jeune religieux en recevant la lettre qui lui apportait cette nouvelle : il voulut la lire et la relire ; il ne se lassait point de la baiser, et il allait la garder toute sa vie. Puis il partit pour Séville où il devait s’embarquer. En route, passant non loin de Verdu, à une lieue seulement de sa maison natale, il éprouva naturellement le désir d’aller voir une dernière fois les siens. Mais son sacrifice n’était-il pas déjà fait ? N’y avait-il pas plus de mérite pour ses parents et pour lui-même à ne pas chercher à le diminuer ? Bref, il continua sa route sans revoir son village.
Le missionnaire.
Le vaisseau qui l’emportait quitta les côtes d’Espagne au mois d’avril 1610. La traversée dura plusieurs mois. Le jeune missionnaire s’y fit l’apôtre et l’infirmier de ses compagnons de voyage. Il préparait les médicaments, soignait les malades, réunissait les matelots pour leur expliquer le catéchisme, et terminait par la récitation du chapelet. Le capitaine exigeait que le missionnaire prît place à sa table ; Pierre Claver se privait de ce qu’on lui servait de meilleur, afin de le porter ensuite à ses malades.
Enfin apparurent les côtes de l’Amérique du Sud ; on débarqua à Carthagène. En abordant le sol du Nouveau Monde, le religieux baisa avec des larmes cette terre qu’il allait désormais arroser de ses sueurs. Ses supérieurs l’envoyèrent au couvent de Santa-Fé pour achever sa théologie. Les Pères y étaient encore peu nombreux et les occupations abondaient. Pierre Claver se multiplia : il fut sacristain, portier, infirmier, cuisinier. Son humilité s’en accommodait si bien, qu’il eût voulu passer toute sa vie dans ces modestes emplois. Néanmoins, au bout de deux ans, il passa un brillant examen et fut ordonné prêtre à Carthagène. Sa carrière apostolique était ouverte.
Les horreurs de la traite.
Au temps où Pierre Claver se trouvait à Carthagène, il y rencontra parmi ses frères en religion l’admirable P. de Sandoval, qui avait consacré une grande partie de sa vie à l’évangélisation des noirs africains vendus comme esclaves en Amérique ; ce Père en avait baptisé plus de trente mille. Le nouveau prêtre se fit son disciple et son coadjuteur et l’élève finit par dépasser son maître.
L’affreux trafic connu sous le nom de « traite des nègres » sévissait alors dans toute son horreur.
Chaque année, des milliers de noirs étaient capturés de force sur les côtés africaines de Guinée, d’Angola ou du Congo. Les marchands d’esclaves les entassaient au fond de leurs navires, pêle-mêle, par centaines, sans lit, chargés de chaînes, au milieu des ordures ; on ne leur donnait que peu de nourriture et point de vêtements. Beaucoup tombaient malades en route, la plupart étaient couverts de plaies et d’ulcères. Arrivés dans un port d’Amérique, les négriers débarquaient leur triste marchandise et parquaient ce bétail humain dans de vastes magasins, sombres et humides ; vieillards et enfants, hommes et femmes, malades et infirmes, presque aussi entassés que sur le navire, sans autre lit que la terre nue, y attendaient dans un accablement hébété que les colons américains vinssent les acheter et les envoyer, les uns aux travaux des champs, les autres aux labeurs des mines, d’autres à des occupations diverses.
Ces agissements scandaleux ont du reste leur répercussion, au xxe siècle, dans les difficultés qui continuent à mettre aux prises, dans les Etats-Unis, les blancs et les noirs : ce n’est pas impunément que l’on viole les lois naturelles les plus élémentaires.
Le vaste port de Carthagène voyait arriver chaque année des multitudes de ces pauvres victimes. Le P. Claver avait des amis chargés de l’avertir dès qu’on signalait l’approche d’un navire négrier. Aussitôt, il s’empressait de quêter auprès des habitants une abondante provision de confitures, de biscuits, de tabac, de limonade et d’autres choses semblables, qu’il savait être la joie des infortunés arrivants. Il cherchait des interprètes capables de traduire ses paroles dans leur dialecte ; puis, il allait au port, les accueillait avec la tendresse d’un père, leur adressait de douces paroles pour les rassurer et les consoler, et s’efforçait de gagner leur affection par les douceurs et les rafraîchissements qu’il leur apportait. Il baptisait les petits enfants, nettoyait et pansait les malades, et les laissait charmés et étonnés d’une pareille charité.
Après de rigoureuses pénitences, de longues et ferventes prières devant le Saint Sacrement, pour obtenir de Dieu leur conversion, il allait, un Crucifix sur sa poitrine et portant divers tableaux dessinés tout exprès pour faire saisir à ces intelligences ignorantes les mystères de la foi chrétienne. Il se munissait, en outre, de tout ce qu’il fallait pour administrer les malades. Et dans son ardeur il marchait si vite, que le Frère chargé de l’accompagner, ou ses interprètes, avaient peine à le suivre. Pendant plus de quarante années de travaux semblables, il convertit et baptisa un nombre incroyable de ces malheureux esclaves.
« Esclave des noirs pour toujours. »
Ses travaux duraient depuis six ans, quand ses supérieurs l’appelèrent à prononcer ses vœux solennels. Il courut se jeter aux pieds du supérieur et obtint d’ajouter, aux vœux ordinaires, celui de servir les esclaves jusqu’à sa mort. Il signa donc ainsi sa formule de profession : « Pierre, esclave des noirs pour toujours. »
Désormais, il ne se croyait plus le droit d’avoir de forces que pour les servir, et un cœur que pour les aimer. Les milliers de noirs de Carthagène étaient tous ses enfants. Il fallait le voir, les dimanches et jours de fête, aller lui-même de côté et d’autre les réunir dans l’église des Jésuites pour leur faire entendre la messe, prier avec eux, leur prêcher et les instruire. Pendant le Carême, il restait au tribunal de la pénitence, depuis 4 heures du matin jusqu’à midi, pour entendre les confessions des hommes de couleur. A 2 heures, il y retournait jusqu’au soir pour recevoir les femmes.
A son confessionnal, les noirs avaient le droit de passer avant les autres. Parfois des personnes de distinction, désireuses de s’adresser à l’homme de Dieu que l’on commençait à vénérer comme un Saint, se présentaient à leur tour ; l’humble religieux les priait souvent de s’éloigner :
– Monsieur, disait-il, vous ne manquerez pas de confesseurs dans la ville ; moi je suis le confesseur des esclaves.
Ou encore :
– Madame, voyez mon confessionnal, il est trop étroit pour vos grandes robes, c’est le confessionnal des pauvres noires.
La fatigue de ce travail continué pendant de longues heures, l’odeur et la chaleur apportées par une telle agglomération humaine dans ces régions tropicales, les moustiques nombreux dont il se laissait piquer sans les chasser, accablaient son corps déjà brisé par les austérités volontaires ; souvent l’héroïque apôtre tombait sans connaissance.
Le soir, il ne pouvait plus se soutenir, il fallait l’emporter au réfectoire ; un morceau de pain et quelques pommes de terre grillées, tel était son souper ; une fois dans sa cellule, il se délassait des fatigues de la journée par des disciplines sanglantes, et passait en prière une grande partie de la nuit.
Conversions. – Clartés célestes. – Le don de soi.
Les biographes de Pierre Claver nous ont conservé de lui des traits admirables.
– Comment va votre esclave ? dit-il un jour à une dame.
– Mon Père, elle va très bien, répondit l’Espagnole.
– Dites-lui de se confesser, car elle mourra aujourd’hui.
La dame obéit. Elle fit bien : le jour même l’esclave mourut subitement.
La plus grande charité du missionnaire était pour les malades et les mourants :
– Appelez-moi à quelque heure que ce soit, disait-il au Frère portier de son couvent : ceux qui travaillent beaucoup ont besoin de repos, mais pour moi, qui fais si peu de chose ici, je n’en ai pas besoin.
Un jour, on l’appelle, en toute hâte, à la maison de don Francisco de Silva : une esclave noire vient de tomber frappée d’apoplexie. Le Père accourt. Elle était morte.
– Ah ! mon Père, dit don Francisco, elle n’était pas baptisée ! Quel malheur ! et qui l’aurait pu prévoir ?
– Eh quoi ! dit le religieux avec calme, le bras de Dieu est-il donc moins puissant qu’autrefois ? Un peu de foi et de confiance ! Où est l’esclave ?
On le conduit près du cadavre. Après une courte et fervente prière, Claver appelle la morte et lui demande si elle veut être baptisée. Celle-ci ouvre les yeux :
– Oh ! oui, mon Père, répond-elle, je le veux de tout mon cœur.
Le missionnaire la baptise et elle se relève en pleine santé. L’eau qui avait servi à ce baptême ayant été jetée par un domestique dans un vase où se trouvaient des plantes desséchées depuis longtemps, ces plantes reverdirent et produisirent des fleurs odoriférantes.
Lorsque des esclaves convertis par lui quittaient Carthagène pour être envoyés en quelque autre ville, son chagrin était celui d’un père ; il les accompagnait au port, leur renouvelait ses bons avis, les recommandait au capitaine. Ces pauvres gens se séparaient de lui avec des cris déchirants, restaient sur le pont du navire, et, d’aussi loin qu’ils pouvaient encore l’apercevoir, lui envoyaient leurs adieux. Ses chers noirs n’étaient pas oubliés après leur mort ; Pierre offrait le Saint Sacrifice, priait et souffrait pour le repos de leurs âmes.
Pierre Claver étendit également son dévouement aux lépreux, aux prisonniers, aux malades des hôpitaux. Il avait une grâce spéciale pour consoler, convertir et fortifier les condamnés à mort.
Chemin de croix solitaire. – Dévotion à Marie.
Le P. Sébastien de Morillo, recteur du collège, disait un jour :
– Je n’ai jamais pu savoir le moment où le P. Claver finit son oraison. A quelque heure que j’entre dans sa chambre, je l’y trouve en prière, et si perdu en Dieu, qu’il ne me voit ni ne m’entend.
Son sujet de méditation préféré était la Passion de Notre-Seigneur. Chaque vendredi, au milieu de la nuit, sortant de sa cellule dans un grand silence, il allait, une couronne d’épines sur la tête, une croix sur les épaules, dans les endroits les plus solitaires de la maison, faire autant de stations que le divin Maître dans le trajet de Gethsémani au Calvaire. Il se confessait chaque matin, en versant des larmes de repentir, consacrait une demi-heure à se préparer au saint sacrifice, et paraissait ensuite à l’autel avec une ferveur qui ravissait les assistants.
Un matin, la fatigue l’ayant fait tomber de faiblesse, un de ses amis voulut lui faire prendre quelque aliment :
– Non, pas maintenant, répondit-il, je n’ai encore rendu aucun service à Dieu.
La veille des fêtes de la Sainte Vierge, il augmentait ses pénitences, et dans l’après-midi, confessait les enfants des écoles afin de leur inspirer de bonne heure l’amour de Marie. Il a distribué, durant sa vie, des milliers de chapelets, spécialement à ses pauvres noirs, passant souvent sa récréation à en monter de ses propres mains afin d’en avoir toujours à donner. On l’entendit fréquemment répéter dans ses ravissements :
– Ô bonne Mère, apprenez-moi, je vous en conjure, apprenez moi à aimer votre divin Fils ! Obtenez-moi une étincelle de ce pur amour dont votre cœur brûle toujours pour lui, ou prêtez-moi votre cœur, afin que je puisse le recevoir dignement en moi !
Les dernières heures d’un Saint.
Le 6 septembre 1654, le vaillant apôtre fut saisi d’une fièvre violente ; le lendemain, il recevait avec ferveur les derniers sacrements ; la nouvelle en fit bientôt le tour de la ville. Remplie de douleur, la foule se pressait autour de la maison des Jésuites en criant :
– Nous voulons voir le Saint, nous voulons le voir avant qu’il soit mort. C’est notre Père, il est à nous, nous voulons le voir I
Les noirs qui purent pénétrer auprès du mourant baisaient ses pieds avec une tendresse inexprimable, et répétaient en pleurant qu’ils perdaient tout en perdant « leur bon Père, qui s’en allait avec le bon Dieu et ne les emmenait pas ».
Le matin du 8 septembre, fête de la Nativité de Marie, l’âme de Pierre Claver quitta ce monde pour aller occuper le trône jadis montré à saint Alphonse Rodriguez son ami qui, depuis plusieurs années, l’attendait au ciel.
Après sa mort, son corps répandit un parfum céleste qui pénétrait lame. Un de ses fils spirituels, le duc d’Estrada, voulut déposer une palme dans la main du défunt : la main s’ouvrit d’elle-même et serra la palme. Tous voulaient garder de ses reliques ; la force publique put à grand’peine empêcher la foule de mettre son corps en lambeaux, mais non d’arracher par morceaux les ornements sacerdotaux dont il était revêtu. Pierre Claver avait vécu soixante-treize ans, dont quarante-quatre en Amérique ; il avait baptisé près de trois cent mille noirs, ainsi qu’on a pu le lire au Martyrologe. En 1657, quand on ouvrit son tombeau, on trouva son corps entier, sans corruption, malgré la chaux vive dont il était entouré et l’humidité qui avait détruit le cercueil.
Pierre Claver fut béatifié par Pie IX, le 16 juillet 1850, et canonisé par Léon XIII, le 15 janvier 1888, en même temps, nous l’avons dit, que saint Alphonse Rodriguez et que Jean Berchmans, lui aussi profès de la Compagnie de Jésus.
Sous le nom de Sodalité de Saint-Pierre-Claver, la servante de Dieu Marie-Thérèse Ledóchowska († 1922) a institué, en 1894, une œuvre pie destinée à secourir les missions africaines et à contribuer au rachat des esclaves.
Maxime Viallet.
Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. III de septembre (Paris et Rome, 1868). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. X (Paris, 1897). – Jean Charruau, L’esclave des nègres, Saint Pierre Claver (Paris, 1914). – Gabriel Ledos, Saint Pierre Claver (Collection Les Saints, Paris, 1923). – (V. S. B. P., n° 425.)
Source de l’article : Un Saint pour chaque jour du mois, 2e série, La Bonne Presse, 1936.