Bienheureux Jean-​Gabriel Perboyre

Le Bienheureux Jean-Gabriel Perboyre, par Francois Constant Petit

Lazariste, mar­tyr en Chine (1802–1840).

Fête le 11 septembre.

Pierre Perboyre et Marie Rigal, son épouse, étaient des labou­reurs aisés du Puech, sur la paroisse de Mongesty au dio­cèse de Cahors. Chrétiens modèles, dans un pays pro­fon­dé­ment chré­tien, ils devaient être bénis dans leur huit enfants. Cinq d’entre eux, en effet – trois gar­çons et deux filles, – se consa­crèrent à Dieu, tous dans la famille spi­ri­tuelle de saint Vincent de Paul, et deux d’entre eux allaient don­ner leur vie comme mis­sion­naires de la foi.

Enfance pieuse. – Au Petit Séminaire de Montauban.

Jean-​Gabriel Perboyre naquit au Puech, le 6 jan­vier 1802, et fut bap­ti­sé le len­de­main. Dès l’âge le plus tendre, il mon­tra un grand amour pour Dieu : on admi­rait la dévo­tion avec laquelle il pro­non­çait les noms de Jésus et de Marie et réci­tait ses petites prières, ain­si que sa modes­tie et sa tenue recueillie à l’église parois­siale. Jamais il ne fît ce que ses parents lui avaient dit n’être pas bien, tant il était sou­mis et docile. Il aimait les pauvres, inter­cé­dant en leur faveur auprès de ses parents et leur dis­tri­buant volon­tiers ses pro­vi­sions de ber­ger (car à 6 ans on lui don­na la garde d’un petit trou­peau), et plus tard d’écolier.

A par­tir de sa hui­tième année, on le mit, pen­dant l’hiver sur­tout, à l’école du vil­lage. L’instituteur n’eut qu’à se louer de son tra­vail assi­du, de sa bonne conduite, de ses rapides pro­grès intel­lec­tuels. Au caté­chisme, il fit preuve de tant d’intelligence, de pié­té et de matu­ri­té, qu’il était comme le petit doc­teur du curé, qui le char­geait d’instruire et d’interroger ses cama­rades pen­dant son absence.

Jean-​Gabriel por­tait le zèle de l’instruction reli­gieuse jusque dans le sein de sa famille, fai­sant le caté­chisme à ses frères et sœurs, répé­tant avec tant d’ardeur les ser­mons qu’il avait enten­dus, que son père lui dit un jour :

– Puisque tu prêches si bien, il faut te faire prêtre.

L’enfant ne répon­dit rien et ver­sa des larmes. A cause de sa pié­té, de sa bonne conduite, de son ins­truc­tion et sur­tout de sa dévo­tion envers le Saint Sacrement, le curé lui fît faire sa pre­mière Communion à 11 ans, avant l’âge régle­men­taire alors fixé dans le pays. Personne n’y trou­va rien à redire. L’enfant prit l’habitude de com­mu­nier tous les mois et aux fêtes solen­nelles ; il s’agrégea à la Confrérie du Saint-​Sacrement, et rem­plit scru­pu­leu­se­ment toutes les obli­ga­tions d’un fervent confrère.

En réa­li­té, ses parents des­ti­naient le jeune homme aux tra­vaux des champs et ils admi­raient son acti­vi­té, son savoir-​faire, son dévouement.

– La mort peut venir me prendre quand il plai­ra à Dieu, disait le chef de famille ; mes enfants ne seront pas orphe­lins, Jean-​Gabriel leur ser­vi­ra de père.

Le frère de Jean-​Gabriel, Louis, plus jeune que lui, mon­trait aus­si les meilleures dis­po­si­tions pour l’étude et la pié­té et avait le désir de deve­nir prêtre. Il fut déci­dé qu’on le confie­rait à M. Perboyre, un de ses oncles, mis­sion­naire Lazariste, supé­rieur du Petit Séminaire de Montauban. Le petit Louis était très timide et d’une san­té fort déli­cate ; Jean-​Gabriel l’accompagnerait au Petit Séminaire et il y res­te­rait quelques mois, tant pour habi­tuer son cher Louis que pour com­plé­ter ses études pri­maires. Il avait 15 ans.

A la demande des pro­fes­seurs, frap­pés des grandes qua­li­tés que mon­trait ce modèle des jeunes gens, le supé­rieur lui fit com­men­cer l’étude du latin. Jean-​Gabriel, après avoir beau­coup prié et réflé­chi, recon­nut que Dieu l’appelait comme son frère à l’état ecclé­sias­tique. Il en aver­tit son oncle et son père. Ce der­nier, qui pour­tant avait eu d’autres des­seins, ne fit pas la moindre oppo­si­tion à sa voca­tion. Jean-​Gabriel don­na, au Petit Séminaire de Montauban, au témoi­gnage de tous ses maîtres et condis­ciples, toute satis­fac­tion, tant il se mon­tra appli­qué au tra­vail et au règlement.

Pendant ses études phi­lo­so­phiques, son esprit solide, péné­trant, réflé­chi eut natu­rel­le­ment l’occasion de se mani­fes­ter encore davan­tage. Il put rem­pla­cer, sur la chaire pro­fes­so­rale, un maître qui avait dû se reti­rer avant la fin du cours, et le pro­fes­seur impro­vi­sé conquit tout de suite l’estime de ses condis­ciples deve­nus ses élèves.

Ces qua­li­tés et ces suc­cès intel­lec­tuels ne fai­saient pas oublier à Jean-​Gabriel les aspi­ra­tions de son cœur d’apôtre. Lors d’une mis­sion don­née à Montauban, en 1817, il avait dit à son oncle : « Je veux être missionnaire. »

Pour lui, la croix était le plus beau des monu­ments, comme il l’avait mon­tré dans un mor­ceau lit­té­raire com­po­sé à la fin de sa rhé­to­rique et ce monu­ment il vou­lait l’établir au milieu des terres infi­dèles. Afin de connaître la volon­té divine, il fit une neu­vaine à saint François Xavier. A peine était-​elle finie qu’il se sen­tit exaucé.

En décembre 1818, il ren­tra comme novice chez les Prêtres de la Mission, ou Lazaristes, fon­dés par saint Vincent de Paul.

Prêtre de la Mission.

Jean-​Gabriel fît son novi­ciat à Montauban, et il fut un par­fait novice comme il avait été un par­fait éco­lier. Il pro­non­ça ses vœux le 28 décembre 1820. Ses supé­rieurs l’appelèrent ensuite à Paris pour conti­nuer ses études ecclé­sias­tiques, puis l’envoyèrent bien­tôt pro­fes­ser la phi­lo­so­phie au col­lège de Montdidier, dans la Somme. Enfin, il fut ordon­né prêtre le 23 sep­tembre 1825, à Paris, dans la cha­pelle des Filles de la Charité.

La pen­sée qu’un prêtre doit être un autre Jésus-​Christ lui devint plus habi­tuelle que jamais et il s’appliqua doré­na­vant avec un soin encore plus atten­tif qu’auparavant à repro­duire en lui les ver­tus et les traits du Sauveur. Peu à près son ordi­na­tion, le jeune prêtre fut dési­gné pour ensei­gner la théo­lo­gie dog­ma­tique au Grand Séminaire de Saint-​Flour. Il fut pour ses dis­ciples un modèle du saint prêtre par son esprit de prière, sa pié­té sur­tout à l’autel, sa modes­tie, son affa­bi­li­té, sa sagesse sur­na­tu­relle. Inutile de dire que son ensei­gne­ment, pré­pa­ré à la fois par l’étude et par l’o­rai­son, et basé sur un savoir aus­si solide qu’étendu, obtint les plus heu­reux résul­tats pour la for­ma­tion théo­lo­gique de ses élèves. L’année sco­laire ter­mi­née, on lui confia, mal­gré sa jeu­nesse (il avait 25 ans), la direc­tion du pen­sion­nat ecclé­sias­tique de Saint-​Flour, dont la situa­tion, tant au point de vue du recru­te­ment que des res­sources, était fort pré­caire. Il fal­lait un supé­rieur pru­dent et actif pour sau­ver l’établissement. Jean-​Gabriel le sau­va. A son arri­vée, il avait trente élèves ; l’année sui­vante on en comp­tait plus de cent.

En 1832, le direc­teur reçut la triste nou­velle de la mort de son frère, Louis Perboyre, qui, embar­qué à la fin de 1830 pour les mis­sions de Chine, avait ren­du sa belle âme à Dieu, le 2 mai 1831, non loin des côtes de la Nouvelle-​Hollande. II annon­ça immé­dia­te­ment à sa famille qu’il irait rem­pla­cer le cher dis­pa­ru. On cher­cha à ébran­ler sa déci­sion en allé­guant sa mau­vaise san­té et la pers­pec­tive du martyre.

– C’est tout ce que je sou­haite, répondait-​il ; Dieu est mort pour nous, nous ne devons pas craindre de mou­rir pour lui.

Toutefois ses supé­rieurs ne lui per­mirent pas encore de réa­li­ser son désir. Ils l’ap­pe­lèrent à Paris pour diri­ger, en qua­li­té de sous-​directeur, le novi­ciat de la Congrégation. Là, Jean-​Gabriel se per­fec­tion­na dans la science de la conduite des âmes. Ce fut une béné­dic­tion pour les novices, qui eurent sous les yeux un si par­fait modèle de la vie reli­gieuse, un direc­teur sage, un vrai père dans leurs peines et leurs dif­fi­cul­tés de conscience.

En route pour la Chine. – Le missionnaire.

Depuis plus de six ans, chaque matin à la messe, M. Perboyre deman­dait à Jésus la faveur de ver­ser son sang pour lui. Etre mis­sion­naire en Chine était le moyen d’atteindre ce but, tout en tra­vaillant à la gloire de Dieu et au salut des âmes. Mais hélas ! il avait une san­té fort déli­cate : c’était le grand obs­tacle à son départ pour les mis­sions. Poussé par la grâce, il sup­plia, au début de l’année 1835, son Supérieur géné­ral de le lais­ser par­tir. La Sainte Vierge inter­vient d’une façon extra­or­di­naire pour que le méde­cin auto­rise le départ pour la Chine, et le sous-​directeur du novi­ciat, tout joyeux, annonce la grande grâce à son oncle, à ses parents. Tous admi­raient le géné­reux dévoue­ment de l’apôtre. Après des adieux fort émou­vants à ses novices, Jean-​Gabriel Perboyre s’embarquait le 21 mars 1835, au Havre, avec d’autres mis­sion­naires, pour la Chine.

Le 29 août de la même année, après une tra­ver­sée fati­gante et longue, les voya­geurs arri­vaient à Macao. M. Perboyre res­ta quatre mois chez ses confrères, les Lazaristes fran­çais et por­tu­gais qui avaient dans cette ville un Séminaire indi­gène et un col­lège. Dans l’étude de la langue chi­noise, à laquelle il s’appliqua dès son arri­vée, il ren­con­tra de grosses dif­fi­cul­tés à cause de son âge déjà avan­cé et de ses maux de tête conti­nuels. Néanmoins, par un tra­vail achar­né qu’il va conti­nuer durant les années sui­vantes, il par­vint à par­ler comme il faut le chi­nois Désigné pour la mis­sion du Ho-​Nan (à l’intérieur de la Chine), il s’embarqua le 22 décembre 1835 pour sa nou­velle des­ti­na­tion. Arrivé à Fo-​Kien, deux mois après, il fit le reste du voyage à pied, en pleine cha­leur, dans une région fort dif­fi­cile. Depuis Macao, il avait dû, sauf en quelques centres chré­tiens, cacher sa double iden­ti­té d’Européen et de mis­sion­naire. La Providence le pro­té­gea visi­ble­ment en plu­sieurs occa­sions fort périlleuses qu’il décrit dans les lettres envoyées à divers cor­res­pon­dants. Enfin, en juillet 1836, il arri­vait à la rési­dence de Nan-​Yan-​Fou dans le Ho-​Nan. Il y avait seize mois qu’il avait quit­té la France et il avait par­cou­ru 8 000 lieues pour joindre son poste d’évangélisation.

A peine au but, il tom­ba dan­ge­reu­se­ment malade, mais il échap­pa à la mort, et après quelques mois de repos, il put se don­ner tout entier et avec joie aux tra­vaux de l’apostolat. Ses lettres les exposent dans le détail et sont fort inté­res­santes pour l’histoire des mis­sions en cette province.

Les peines ne lui man­quèrent pas durant les deux années où il res­ta dans le Ho-​Nan : un de ses confrères, le bien­heu­reux François-​Régis Clet, avait été mar­ty­ri­sé le 18 février 1820 ; M. Perboyre sou­pi­rait après la même grâce. Une ago­nie inté­rieure et une vision de Jésus Crucifié vinrent le prévenir.

Il fut appe­lé, au mois de jan­vier 1838, à évan­gé­li­ser le Hou-​Pé, dis­trict situé au milieu des mon­tagnes. Le peu de temps qu’il y pas­sa fut signa­lé par de grands suc­cès apos­to­liques. Sans égard pour sa san­té, il ajou­tait aux fatigues et aux tra­vaux du mis­sion­naire le port d’une chaîne de fer autour des reins. L’éclat de ses ver­tus secon­dait ses efforts ; tous les chré­tiens le vénéraient.

Arrestation du confesseur de la foi. – Les supplices chinois.

Depuis quelques années, les chré­tiens du Hou-​Pé jouis­saient d’une assez grande tran­quilli­té, quand, en 1839, la per­sé­cu­tion écla­ta. Un jeune chré­tien de Nan-​Kiang, qui avait été arrê­té, tra­hit ses frères et indi­qua aux auto­ri­tés la rési­dence des missionnaires.

Le 15 sep­tembre 1839, Jean-​Gabriel Perboyre et M. Baldus, son confrère, se trou­vaient à leur mai­son de Thu-​Yuen-​Keou. Tout à coup, on accourt leur annon­cer qu’un grand nombre de satel­lites, conduits par plu­sieurs man­da­rins, viennent les arrê­ter. Ils n’ont que le temps de fuir. Les man­da­rins incen­dient la rési­dence, mal­traitent les chré­tiens et en arrêtent un cer­tain nombre. Jean-​Gabriel, par­ti le der­nier de la mai­son avec les vases sacrés, erre pen­dant tout le jour pour échap­per aux satel­lites qui le pour­suivent. Il est accom­pa­gné d’un caté­chiste. Le 16 sep­tembre, au matin, il se cache avec d’autres chré­tiens dans une forêt voi­sine. Cette fois encore, un néo­phyte tra­hit la retraite du mis­sion­naire, rece­vant pour sa tra­hi­son trente onces d’argent. Les sol­dats par­courent la forêt en tous sens : deux d’entre eux découvrent enfin le prêtre et ses trois com­pa­gnons. Ces der­niers vou­laient se défendre. M. Perboyre leur défen­dit d’user de vio­lence : un seul put s’enfuir.

Aussitôt arrê­té et gar­rot­té, M. Perboyre est mis en demeure de décla­rer la retraite de ses confrères ; sur son refus, on le meur­trit de coups, on le revêt de haillons mal­propres et on le conduit avec ses com­pa­gnons de cap­ti­vi­té devant le man­da­rin. Le confes­seur de la foi, inter­ro­gé, répond qu’il est prêtre et pré­di­ca­teur de la reli­gion chré­tienne et qu’il ne veut pas renon­cer à la foi du Christ. Le man­da­rin le fait sus­pendre par les mains à une potence, mais crai­gnant que le mis­sion­naire, vu son extrême fai­blesse, ne suc­combe bien­tôt, il le fait asseoir et lier sur une banquette.

Le len­de­main, on le condui­sit char­gé de chaînes à la ville de Kou-​Tching. Il tom­bait d’épuisement. Dieu lui envoya un Simon le Cyrénéen ; un païen nom­mé Liou-​Kioun-​Lin, tou­ché de com­pas­sion, paya une litière pour le por­ter jusqu’à Kou-Tching.

Le bien­heu­reux Perboyre, épui­sé de fatigue après avoir erré pen­dant deux jours dans la forêt, est livré par un chi­nois aux satel­lites lan­cés à sa recherche

Jean-​Gabriel devait récom­pen­ser géné­reu­se­ment ce bien­fait après son mar­tyre : il appa­rut à ce cha­ri­table païen tom­bé gra­ve­ment malade, lui obtint la grâce de la foi et d’une mort chrétienne.

A Kou-​Tching, il res­ta trente-​trois jours en pri­son. Interrogé par le man­da­rin mili­taire, puis par le man­da­rin civil, le mis­sion­naire confes­sa qu’il était prêtre de Jésus-​Christ et décla­ra qu’il ne renon­ce­rait jamais à sa foi. Aux ques­tions qui lui furent posées tou­chant les autres mis­sion­naires et les chré­tiens, il répon­dit simplement :

– Ici je ne connais que moi.

A plu­sieurs reprises, il fut souf­fle­té, frap­pé à coup de bam­bou. On lui ordon­na de fou­ler aux pieds le Crucifix, sinon il serait mis à mort. Il répon­dit qu’il serait heu­reux de mou­rir pour la foi. On lui don­na alors sur le visage qua­rante coups de lanière de cuir qui le défigurèrent.

On le conduit ensuite à Siang-​Yang-​Fou ; il lui faut effec­tuer ce voyage de qua­torze lieues, pri­vé de toute nour­ri­ture et même de bois­son. En pri­son, on l’accable de mau­vais trai­te­ments. Devant le tri­bu­nal, le mar­tyr déclare avec fer­me­té qu’il est venu en Chine prê­cher la foi chré­tienne. Le juge l’accable de menaces et d’insultes, fait tor­tu­rer ce prêtre, à l’âme très pure, de la manière la plus humi­liante pour sa chasteté.

Il com­pa­rut enfin devant le tri­bu­nal fis­cal et le juge suprême de la ville. Cet homme cruel le fit souf­fle­ter avec une lanière de cuir, sus­pendre à une poutre par les deux pouces liés ensemble, res­ter pen­dant près de quatre heures à genoux, les jambes nues sur des chaînes de fer. Il essaya ensuite de le faire abju­rer et de lui faire décla­rer que les vierges chré­tiennes se méconduisaient.

Un mois s’était écou­lé au milieu de ces inter­ro­ga­toires, de ces sup­plices de tout genre. Le pri­son­nier fut alors envoyé, à la ville de Ou-​Tchang-​Fou, la capi­tale du Hou-​Pé, pour y être défi­ni­ti­ve­ment jugé. Il fit ce voyage de cent-​cinquante lieues avec dix chré­tiens confes­seurs de la foi, les fers au cou, aux mains et aux pieds. On devine ce qu’il eut à souf­frir. A son arri­vée, il fut jeté en prison.

Décrire tout ce qu’il y endu­ra pen­dant neuf mois est impos­sible : socié­té des pires scé­lé­rats, mau­vais trai­te­ments des gar­diens, odeur écœu­rante, ver­mine conti­nuelle, nour­ri­ture mal­saine et insuf­fi­sante, mal­pro­pre­té, etc. Chaque soir, on enfer­mait un pied du cap­tif dans une espèce d’étau en bois, fixé à la muraille : ce sup­plice fort dou­lou­reux fit tom­ber en pour­ri­ture une par­tie du pied, dont un doigt se des­sé­cha. Plusieurs fois le pri­son­nier com­pa­rut devant des tri­bu­naux dif­fé­rents : il confes­sa cou­ra­geu­se­ment sa foi. Pour le faire apos­ta­sier, on le sou­mit à de cruelles tortures.

Un jour, le man­da­rin ordon­na aux chré­tiens cap­tifs de lui cra­cher à la figure, de le mau­dire, de le frap­per ; cinq eurent la lâche­té d’apostasier et d’obéir, mais l’un d’eux s’approcha res­pec­tueu­se­ment du mar­tyr et lui prit un che­veu qu’il gar­da comme une relique.

On pré­sen­ta enfin Jean-​Gabriel au vice-​roi, enne­mi achar­né des chré­tiens. Le ser­vi­teur de Dieu déclare qu’il est prêtre catho­lique. On l’accusa d’arracher les yeux aux malades pour en extraire des cou­leurs pour les tableaux des Saints. Le vice-​roi ordonne de le sus­pendre par la tête pen­dant plu­sieurs heures. Une autre fois il le fait atta­cher à une sorte de croix pen­dant la plus grande par­tie de la jour­née. Avec une pointe de fer on grave sur le front du mar­tyr les mots : pro­pa­ga­teur d’une secte abominable.

De nou­veau, l’on jette un Crucifix devant le martyr :

– Foule aux pieds le Dieu que tu adores et je te rends la liber­té, lui crie le mandarin.

– Oh ! s’écrie le mar­tyr tout en larmes, com­ment pourrais-​je faire cette injure à mon Dieu, mon Créateur et mon Sauveur !

Et se bais­sant péni­ble­ment il sai­sit la sainte image, la presse sur son cœur, la colle sur ses lèvres. Un satel­lite la lui arrache et la pro­fane d’une manière hor­rible. Le mar­tyr pousse un cri pro­fond, écho d’une dou­leur immense. Les bour­reaux lui admi­nistrent aus­si­tôt cent dix coups de bâton. Le juge le fait revê­tir des habits sacer­do­taux et les satel­lites de s’écrier :

– Il est le Dieu vivant.

Le vice-​roi, stu­pé­fait du calme invin­cible que sa vic­time montre au milieu des tour­ments les plus épou­van­tables, pré­tend que le prêtre chré­tien a un charme ; sous le pré­texte de détruire ce charme, on égorge un chien, et le confes­seur doit boire du sang de l’animal.

Le len­de­main, séance plus atroce ; tous les sup­plices y passent. Le corps du mar­tyr ne for­mait qu’une immense plaie ; les gar­diens en avaient com­pas­sion. Enfin M. Perboyre fut condam­né à être étran­glé, mais l’empereur devait rati­fier cette sen­tence. Il lui fal­lut attendre neuf mois dans cette hor­rible pri­son ! Le mar­tyr, par sa dou­ceur et sa patience, gagna les cœurs de ses geô­liers et même des scé­lé­rats enfer­més avec lui. Il put donc jouir d’un calme rela­tif et rece­voir la visite d’un cer­tain nombre de chré­tiens ; il se confes­sa même à un prêtre laza­riste chi­nois, mais il n’eut pas le bon­heur de pou­voir communier.

Le dernier supplice du martyr. – Le triomphe.

Enfin, un cour­rier apporte la rati­fi­ca­tion de la sen­tence de mort. Immédiatement le mar­tyr est er levé de sa pri­son et, comme son divin Maître, conduit au sup­plice avec des voleurs, nu-​pieds, les mains atta­chées der­rière le dos, por­tant sur la tête sa sen­tence de mort. Deux satel­lites l’en­traînent au galop vers le lieu du sup­plice, au bruit des cym­bales et sous les regards d’une mul­ti­tude ter­ri­fiée par cet appa­reil sinistre. Le mis­sion­naire, par un miracle écla­tant, qui se véri­fie chez d’autres mar­tyrs, avait recou­vré ses forces.

On exé­cute d’abord sept cri­mi­nels, tan­dis que le mar­tyr se tient à genoux. Puis on l’attache lui-​même à un gibet dis­po­sé en forme de croix. Ses deux mains rame­nées sur le dos et liées à la pièce trans­ver­sale, les deux pieds liés par der­rière, il est pen­du à genoux à quelques pouces au-​dessus de la terre. Première et vigou­reuse tor­sion et le bour­reau lâche la corde, comme pour don­ner au mou­rant le temps de se recon­naître et de bien sen­tir la mort. Nouvelle tor­sion, nou­vel arrêt. Enfin, au troi­sième coup, la pres­sion devait être déci­sive ; mais le corps parais­sait conser­ver un reste de vie ; un satel­lite lui por­ta un violent coup de pied dans le ventre et le mar­tyr ces­sa de souf­frir. C’était le ven­dre­di 11 sep­tembre 1840.

A prix d’argent, un caté­chiste et d’autres chré­tiens obtinrent des sol­dats, les vête­ments, le cer­cueil conte­nant le corps du mar­tyr et les ins­tru­ments de son sup­plice. Les restes de Jean-​Gabriel Perboyre furent dépo­sés sur le ver­sant de la mon­tagne Rouge, à côté de ceux du bien­heu­reux François-​Régis Clet, mar­ty­ri­sé vingt ans auparavant.

A la maison-​mère de la Congrégation des Prêtres de la Mission, à Paris, on vénère plu­sieurs vête­ments du mar­tyr, les chaînes qu’il por­tait en pri­son, la corde qui ser­vit à la stran­gu­la­tion, etc. Le 6 jan­vier 1860, les restes du confes­seur de la foi arri­vaient de Chine à Paris ; après la recon­nais­sance cano­nique, ils furent dépo­sés dans un caveau pré­pa­ré pour les rece­voir. Le 10 novembre 1880, Jean-​Gabriel fut béa­ti­fié par le Pape Léon XIII ; plu­sieurs mil­liers de tra­vailleurs fran­çais, ain­si qu’un frère, M. Jacques Perboyre, Lazariste, prêtre, et une sœur du nou­veau Bienheureux assis­taient à la solen­nelle glo­ri­fi­ca­tion du mar­tyr français.

Adéodat Debauge.

Sources consul­tées. – Mgr Demimuid, Vie du bien­heu­reux Jean-​Gabriel Perboyre (Paris, 1890). – G. de Montgesty, Le bien­heu­reux Jean-​Gabriel Perboyre (1802–1840) (Paris, 1905). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. XIII (Paris, 1897). – Mgr Eyssautier, Panégyrique (La Rochelle, 1888). – (V. S. B. P., n° 526.)