Confesseur, Père et Docteur de l’Église (331–420)
Fête le 30 septembre.
Vie résumée par l’abbé Jaud.
Saint Jérôme naquit en Dalmatie, de parents riches et illustres, qui ne négligèrent rien pour son éducation. Le jeune homme profita si bien de ses années d’études, qu’on put bientôt, à la profondeur de son jugement, à la vigueur de son intelligence, à l’éclat de son imagination, deviner l’homme de génie qui devait un jour remplir le monde de son nom. Les séductions de Rome entraînèrent un instant Jérôme hors des voies de l’Évangile ; mais bientôt, revenant à des idées plus sérieuses, il ne songea plus qu’à pleurer ses péchés et se retira dans une solitude profonde, près d’Antioche, n’ayant pour tout bagage qu’une collection de livres précieux qu’il avait faite dans ses voyages.
L’ennemi des âmes poursuivit Jérôme jusque dans son désert, et là, lui rappelant les plaisirs de Rome, réveilla dans son imagination de dangereux fantômes. Mais l’athlète du Christ, loin de se laisser abattre par ces assauts continuels, redoubla d’austérités ; il se couchait sur la terre nue, passait les nuits et les jours à verser des larmes, refusait toute nourriture pendant des semaines entières. Ces prières et ces larmes furent enfin victorieuses, et les attaques de Satan ne servirent qu’à faire mieux éclater la sainteté du jeune moine.
Avec des auteurs sacrés, Jérôme avait emporté au désert quelques auteurs profanes ; il se plaisait à converser avec Cicéron et Quintillien. Mais Dieu, qui réservait pour Lui seul les trésors de cet esprit, ne permit plus au solitaire de goûter à ces sources humaines, et, dans une vision célèbre, Il lui fit comprendre qu’il devait se donner tout entier aux études saintes : « Non, lui disait une voix pendant son sommeil, tu n’es pas chrétien, tu es cicéronien ! » Et Jérôme s’écriait en pleurant : « Seigneur, si désormais je prends un livre profane, si je le lis, je consens à être traité comme un apostat. »
Son unique occupation fut la Sainte Écriture. À Antioche, puis en Palestine, puis à Rome, puis enfin à Bethléem, où il passa les années de sa vieillesse, il s’occupa du grand travail de la traduction des Saints Livres sur le texte original, et il a la gloire unique d’avoir laissé à l’Église cette version célèbre appelée la Vulgate, version officielle et authentique, qu’on peut et doit suivre en toute sécurité.
Une autre gloire de saint Jérôme, c’est d’avoir été le secrétaire du concile de Constantinople, puis le secrétaire du Pape saint Damase. Après la mort de ce Pape, l’envie et la calomnie chassèrent de Rome ce grand défenseur de la foi, et il alla terminer ses jours dans la solitude, à Bethléem, près du berceau du Christ.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue (La Bonne Presse)
Avec saint Hilaire, son aîné d’environ quarante ans, saint Ambroise et saint Augustin, ses contemporains, saint Jérôme forme le groupe illustre des quatre Pères de l’Eglise latine aux ive et ve siècles. Dès les premières lignes de l’Encyclique Spiritus Paraclitus du 15 septembre 1920, publiée à l’occasion du quinzième centenaire de sa mort, Benoît XV déclare solennellement que l’Eglise catholique reconnaît et vénère en saint Jérôme « le plus grand Docteur que lui ait donné le ciel pour l’interprétation des Saintes Ecritures ».
Un ancêtre des humanistes.
Jérôme naquit vers l’an 331 à Stridon, petite ville aujourd’hui disparue, située aux confins de la Dalmatie et de la Pannonie, d’une famille riche et chrétienne. Quand il atteignit l’âge de dix-huit ans, ses parents l’envoyèrent poursuivre à Rome l’étude des belles-lettres, où il devait exceller par la profondeur de son jugement, la vigueur de son intelligence, l’éclat de son imagination. Epris de livres, dont il avoue qu’il ne pouvait se passer, il se forme, au prix du plus opiniâtre travail, c’est-à-dire en les copiant de sa main, une riche bibliothèque, se préparant ainsi à son insu aux œuvres qui devaient remplir sa vie.
Les séductions de la grande ville entraînèrent un instant le jeune étudiant, qui n’était encore que catéchumène, hors de la voie droite, mais bientôt, revenant à des idées plus saines, il demanda et reçut le baptême des mains du Pape Libère vers 366. C’est au cours d’un voyage en Gaule, entrepris vers cette époque, afin d’étendre ses connaissances et où il poussa jusqu’à Trèves, qu’il forma le projet de renoncer au monde pour se consacrer tout entier à Jésus-Christ.
Au désert de Chalcis.
Un séjour assez bref à Aquilée, métropole de sa province natale, Payant exposé à des inimitiés et à des persécutions, il résolut de passer en Orient, vraisemblablement en 372, n’emportant avec lui que sa bibliothèque. Il fit route par la Thrace, le Pont, la Bithynie, traversa la Galatie, la Cappadoce, la Cilicie et une partie de la province syrienne. Obligé par sa mauvaise santé de s’arrêter à Antioche, il en profita pour entendre les hommes les plus versés dans les Saintes Lettres, notamment Apollinaire, évêque de Laodicée, le même qu’il combattra, dix ans plus tard, au Concile de Rome.
Aussitôt guéri, il s’enfonça dans le désert de Chalcis, où il devait séjourner environ cinq ans. En vue de pénétrer plus à fond le sens de la Parole divine en même temps que pour refréner par un travail acharné les ardeurs de la jeunesse, il se mit à l’école d’un Juif converti qui lui apprit l’hébreu et le chaldéen. « Quelle peine il m’en coûta, que de difficultés à vaincre, que de découragement, combien de fois j’ai abandonné cette étude pour la reprendre ensuite, stimulé par ma passion de la science, moi seul pourrais le dire, qui l’éprouvai, et ceux avec qui je vivais. Je bénis Dieu pour les doux fruits qu’a portés pour moi la graine amère de l’étude des langues. » Ainsi s’exprime-t-il dans une de ses lettres. Et pour mater sa chair, il couchait sur la terre nue, passait les nuits et les jours à verser des larmes, refusait toute nourriture pendant des semaines entières. Ces prières et ces larmes furent enfin victorieuses, et les attaques mêmes du démon firent éclater sa sainteté.
Les querelles disciplinaires et dogmatiques qui divisaient alors l’Eglise d’Antioche l’obligèrent vers l’an 377 à venir dans cette ville. Cédant aux instances de l’évêque Paulin, il consentit à recevoir de ses mains la prêtrise vers 378 ; tout en se réservant la faculté de retourner au désert et de rester moine, afin d’être libre de toute attache avec une Eglise particulière quelconque. C’est ainsi qu’en 380 nous le trouvons à Constantinople, à l’école de saint Grégoire de Nazianze. En 382, ce dernier ayant résigné ses fonctions pour se retirer à Arianze, Jérôme quitta Constantinople et se rendit à Rome, où le Pape saint Damase venait de convoquer un Concile contre l’hérésie des apollinaristes.
Deuxième séjour à Rome
L’évêque de Milan, saint Ambroise, désigné par le suffrage public pour être le secrétaire du Concile, tomba malade au dernier moment. Les Pères cherchaient en vain un suppléant, quand saint Damase se leva, fît approcher le moine Jérôme, retiré humblement au dernier rang et le présenta à l’assemblée qui, d’un accord unanime, le proclama secrétaire. La tâche de saint Jérôme était difficile ; il lui fallait non seulement soutenir la lutte contre les fauteurs de l’apollinarisme, mais encore les ramener à résipiscence. Les hérétiques se défendirent avec opiniâtreté durant plusieurs séances ; mais le Saint les pressa si bien qu’ils finirent par signer le formulaire présenté par le Concile.
Ce succès attira sur Jérôme l’attention du Pontife qui se l’attacha en qualité de secrétaire et d’archidiacre. Sur l’ordre du Pape, le grand docteur entreprit l’œuvre capitale de sa vie, la traduction des Livres Saints, que l’Eglise devait un jour adopter sous le nom de « Vulgate ». En même temps, il écrivait la correspondance officielle du Pontife ; malheureusement, cette partie de son œuvre est perdue.
Dans son nouvel état, l’ancien solitaire n’avait rien changé à sa vie ; il portait son habit de moine et jeûnait comme au désert. Sous son impulsion, des réunions monastiques composées de vierges et de veuves se formèrent autour de plusieurs femmes illustres par la noblesse de leur origine et la sainteté de leur vie, Paula, Marcella, Eustochium. Devant cet auditoire d’élite, il commentait les passages les plus difficiles de l’Ecriture, et ses leçons étaient si bien comprises que les prêtres eux-mêmes venaient consulter ces saintes vierges, pour résoudre les questions d’exégèse les plus embarrassantes. Grâce à la salutaire influence du Saint, l’on vit des dames de la plus haute société quitter le siècle pour mener une vie cachée en Jésus-Christ.
De sa correspondance avec ces personnes, il nous est resté toute une série de lettres riches de spiritualité et d’enseignement scripturaire. Jérôme savait leur inspirer pour les Livres Saints cet amour et ce culte que lui-même leur avait voués. La lettre à Eustochium apparaît, pour l’ampleur et pour la solidité du fond, comme un véritable traité sur l’excellence de la virginité et un code de morale et d’ascétisme à l’usage des vierges consacrées à Dieu.
Jérôme était établi à Rome depuis moins de trois ans lorsque, le 11 décembre 384, saint Damase mourut. Les gens de plaisir, les captateurs de testaments dont sa verve satirique avait dénoncé l’infamie, levèrent hautement la tête, et lancèrent contre le secrétaire du Pape d’indignes insinuations. Comme l’honneur de Paula et de sa fille Eustochium était en jeu, le grand Docteur porta l’affaire devant le préfet de Rome et les calomniateurs furent condamnés à une rétractation publique.
Jérôme ne voulut point profiter de son retentissant triomphe. Plus dégoûté du monde que jamais, il dit un adieu définitif à Rome et s’embarqua, en août 385, à Ostie pour la Palestine, vers laquelle l’attiraient toutes ses pensées et tous ses goûts. Avant de quitter l’Italie, il écrivit une lettre d’adieux aux communautés de vierges, dont il était le père, et qui, toutes, pleuraient son départ :
Je vous écris ces lignes à la hâte, disait-il à l’illustre Asella, tandis que le vaisseau déploie ses voiles. J’écris entre les sanglots et les larmes, rendant grâces à Dieu de m’avoir trouvé digne de l’aversion du monde. On peut m’appeler malfaiteur, je n’ai jamais servi que la foi du Christ, et je m’en fais gloire ; magicien, c’est ainsi que les Juifs appelèrent notre divin Maître ; séducteur, c’est le nom que reçut l’Apôtre. Puissé-je ne jamais être exposé qu’aux tentations qui viennent des hommes ! L’infamie d’un faux crime m’a été imputée, mais ce ne sont point les jugements des hommes qui ouvrent ou ferment la porte des cieux. Saluez Paula et Eustochium, miennes en Jésus-Christ, malgré tout l’univers. Dites-leur que nous nous trouverons un jour réunis devant le tribunal de Dieu. Enfin, souvenez-vous de moi, ô vous, modèle illustre de sainteté ; que vos prières calment les flots sous l’éperon de mon navire.
Le solitaire de Bethléem.
A Antioche, où il demeura quelques mois auprès de l’évêque Paulin, Jérôme fut rejoint par Paula, Eustochium et d’autres patriciennes, poussées, elles aussi, par la nostalgie de la Terre Sainte. Ensemble ils parcoururent la Galilée, la Samarie, la Judée, visitant les lieux consacrés par les récits évangéliques ou bibliques. Les pèlerins passèrent de là en Egypte, où ils désiraient s’édifier au spectacle des légions des ascètes. Puis ils revinrent, vers l’automne de 386, à Bethléem avec l’intention de s’y fixer pour toujours. Jérôme, après avoir visité les établissements monastiques de Nitrie et de Scété, s’établit auprès de la grotte de la Nativité, à Bethléem. De nombreux disciples accoururent autour de l’illustre cénobite, et bientôt, grâce surtout aux largesses de Paula, deux monastères, l’un d’hommes, l’autre de femmes, furent fondés. Jérôme prit la direction du premier et confia le second à Paula. Au lieu d’occuper son temps à tresser les corbeilles, comme les solitaires de Thébaïde, le Docteur continuait à étudier l’hébreu, le chaldéen, le syriaque et achevait sur les textes originaux la traduction de la Bible.
Afin de donner à son œuvre tous les perfectionnements nécessaires, saint Jérôme eut recours à la science des rabbins de Tibériade et de Lydda au grand scandale de ses ennemis : « Le secrétaire du Pape Damase, disait-on, est devenu un digne membre de la synagogue de Satan ; à l’exemple des Juifs, ses amis et ses maîtres, il préfère Barabbas à Jésus-Christ. » Il y avait, en effet, parmi ces rabbins, un docteur que Jérôme appelle tantôt Baranina et tantôt Barabbas et dont il dit que, par crainte de ses coreligionnaires, il avait coutume, « nouveau Nicodème », de ne se rendre auprès de son élève qu’à la faveur des ténèbres.
Ces insinuations malveillantes n’arrêtèrent pas le concours des fidèles auprès des solitaires de Bethléem. L’immense hospitium était insuffisant, et le fondateur pouvait dire dans une de ses lettres : « La multitude romaine semble s’être donné rendez-vous à Bethléem ; si Joseph et Marie revenaient, ils auraient autant de peine à se loger que la première fois. »
Les solitaires travaillaient et mangeaient séparément, mais faisaient leur oraison en commun, et se réunissaient dans les grottes de la Nativité pour chanter l’office.
Saint Jérôme et l’origénisme.
Le monastère fameux du Mont des Oliviers, près de Jérusalem, était alors dirigé par le prêtre Rufin d’Aquilée. Cet homme avait d’abord témoigné pour Jérôme une grande admiration, mais la question de l’origénisme, qui agitait alors tout l’Orient, allait être entre les deux amis l’occasion d’une querelle orageuse et d’une irrémédiable rupture.
Les disciples d’Origène, exagérant ses doctrines, soutenaient que l’Ecriture Sainte ne devrait jamais être prise dans un sens littéral, qu’elle n’était qu’un symbole perpétuel dont l’esprit de Dieu révélait à chacun, selon ses mérites et sa science, le secret véritable. De violents contradicteurs s’étaient levés contre cette fausse doctrine, mais, dépassant la mesure, ils étaient tombés dans l’exagération opposée, et ils prétendaient que tout, dans l’Ecriture Sainte, devait être pris au pied de la lettre. Ils étaient même arrivés à soutenir que l’homme, dans son corps et dans son âme, reproduisait de telle façon la ressemblance et l’image de Dieu, que Dieu était réellement le type substantiel de l’homme. On avait donné le nom d’anthropomorphites à ces adversaires acharnés de l’origénisme.
Au moment où l’agitation était à son comble, c’est-à-dire vers 393 ou 394, un des anthropomorphites les plus exaltés, le moine Aterbius, passa par Jérusalem, et il taxa publiquement d’origénisme l’évêque Jean et les prêtres Rufin et Jérôme. L’émotion fut grande dans toute la province, et Jérôme, accusé à la fois par les deux partis, se trouva placé dans une situation des plus pénibles. Ce fut au point que Jean, évêque de Jérusalem, lança l’interdit contre le monastère de la Nativité. Rufin, plus habile, avait su faire intervenir en sa faveur l’autorité épiscopale et il ne fut pas autrement inquiété.
Le Saint, injustement frappé, obéit aux censures portées contre lui. Pendant de longs mois, les solitaires de Bethléem furent privés de la communion, comme des infidèles ; on les chassait de l’église, et on refusait à leurs cendres les cimetières des chrétiens.
Cependant, l’univers catholique, s’était ému à la nouvelle de ces rigueurs. L’évêque de Salamine, saint Epiphane, avait fait entendre une vigoureuse protestation, et le Pape allait prononcer lui-même son jugement, quand l’évêque de Jérusalem, effrayé des proportions que prenaient les événements, porta la cause devant le patriarche d’Alexandrie, Théophile, dont on connaissait les sympathies pour l’origénisme. On attendait avec anxiété la décision du patriarche, quand, par un revirement soudain, Théophile condamna les erreurs d’Origène et se déclara en faveur de Jérôme.
Jean de Jérusalem n’osa pas résister à l’autorité du métropolitain ; il leva l’interdit qu’il avait porté, et, pour prévenir de nouveaux conflits, il exigea que saint Jérôme acceptât le titre de parochus de Bethléem. Leur réconciliation eut lieu vers 397.
Rufin, lui aussi, tendit la main au solitaire de Bethléem, mais ce fut un geste sans lendemain. Entre les deux moines la guerre devait reprendre, ardente, à la suite de la publication, faite par le premier, alors à Rome, d’une traduction du Periarchôn d’Origène et de ses Invectives contre Jérôme. A son tour Jérôme répondit par une Apologie. Lutte que saint Augustin déplore en termes touchants :
Quels cœurs oseront désormais s’ouvrir l’un à l’autre ? Est-il un ami dans le sein duquel on pourra sans crainte répandre son âme ? Où est l’ami qu’on ne redoutera point d’avoir un jour pour ennemi, si, entre Jérôme et Rufin, la rupture que nous pleurons a pu éclater ? Ô misérable condition des hommes, et bien digne de pitié ! Quel fond ferons-nous sur ce qu’on voit dans l’âme de ses amis, quand on ne voit pas ce qu’elle sera dans la suite ?
Saint Jérôme et saint Augustin.
Les relations entre saint Jérôme et saint Augustin méritent d’être notées. Elles furent purement épistolaires, au vif déplaisir du second, qui se plaint une fois du long espace séparant Hippone de Bethléem, et des lenteurs sans fin que subissait leur correspondance.
Je découvre tant de choses dans celles de tes lettres qui ont pu me parvenir, que mon désir le plus vif serait d’être attaché à ton côté. Et comme cela ne m’est point possible, je songe à envoyer à ton école l’un de mes fils, si toutefois tu daignes me répondre. Car je n’ai pas, je n’aurai jamais cette science des Ecritures que tu possèdes. Et le peu que j’en ai, je le distribue au peuple de Dieu. Me livrer à une telle étude plus assidûment que ne l’exige l’instruction de mon peuple, m’est rendît impossible par mes occupations d’évêque.
La constante déférence témoignée par l’évêque d’Hippone à celui qui l’appelait « son fils par l’âge, son père par la dignité », les ménagements dont il usait quand il ne croyait pas devoir se rendre aux raisons de l’illustre exégète, assurèrent la solidité de leur amitié :
Qu’il n’y ait entre nous que pure fraternité, répond Jérôme à Augustin, en matière de conclusion de la controverse ouverte entre eux au sujet de l’attitude de saint Paul à Antioche à l’égard de Céphas ; échangeons seulement des messages de charité. Exerçons-nous dans le champ des Ecritures, sans nous blesser l’un l’autre.
Et de fait les deux amis devaient jusqu’à la fin combattre dans la plus parfaite union pour la défense de la foi catholique.
Les dernières épreuves.
Du fond de sa retraite, Jérôme ne se désintéressait pas de la grande cause pour laquelle il avait tant souffert. Il continua, malgré toutes les difficultés, sa traduction et ses commentaires de la Bible, et sa version fut bientôt adoptée par toutes les Eglises d’Occident, Mais, au milieu de tant de travaux, le Docteur avait d’autres luttes à soutenir. De nouveaux hérétiques s’étaient élevés contre le dogme catholique, principalement le trop célèbre Pélage.
C’était à saint Augustin qu’était réservé l’honneur de porter le dernier coup à cet adversaire ; mais le solitaire de Bethléem n’était pas d’humeur à demeurer indifférent et inactif dans la lutte, et il s’éleva avec toute la vigueur de son génie contre les pélagiens qui s’étaient répandus en grand nombre en Palestine.
Impuissants à répondre par des arguments solides à la dialectique de Jérôme, les hérétiques employèrent la violence pour se débarrasser de leur contradicteur. Une nuit de l’an 416, ils se jetèrent, à la tête d’une troupe de paysans, sur le monastère de Bethléem, Les serviteurs de Dieu furent l’objet des plus sanglants outrages ; un diacre fut tué ; on mit le feu aux édifices du couvent, et la foule des moines et des religieuses fut obligée de chercher un refuge dans une grande tour qui s’élevait près du couvent. Jean de Jérusalem ne prit aucune mesure pour réparer le désastre, et il fallut que le Pape lui-même, saint Innocent Ier, intervînt énergiquement auprès des évêques de Palestine en faveur des persécutés.
Jérôme ne survécut à cet attentat que pour subir une des plus grandes épreuves de sa vie. A la fin de 418 ou au commencement de 419 mourut Eustochium, qui avait remplacé sa mère Paula à la tête du monastère des religieuses de Bethléem. Après ce coup, ajouté à tant d’autres, et à l’épuisement résultant d’une vie toute de mortifications et de fatigues, le vieillard ne fit plus que languir. A peine pouvait-il parler, et c’est à l’aide d’une corde qu’il se levait sur son indigente couche, pour donner des instructions à ses moines. Il s’endormit dans la paix du Seigneur le 30 septembre 420, à l’heure des Complies. Il avait environ quatre-vingt-dix ans.
Le même jour, a‑t-on écrit, saint Augustin, dans sa cellule, à Hippone, méditait sur la gloire qui environne les âmes des bienheureux. En présence des difficultés que soulevait cette question, il avait conçu le dessein de s’adresser au vénérable Jérôme pour lui demander ses conseils, et déjà il avait pris la plume pour écrire, quand une lumière inconnue, une odeur ineffable pénétrèrent dans sa cellule : c’était l’heure des Complies.
A cette vue, frappé de stupeur et d’admiration, le saint évêque attendait, sans savoir ce que signifiait ce prodige, quand une voix céleste retentit.
« Augustin, Augustin, disait-elle, à quoi vous occupez-vous ?… Attendez encore quelque temps, mais n’essayez pas de faire l’impossible, tant que vous n’aurez pas achevé le cours de votre vie. »
Hors de lui-même, saint Augustin répondit d’une voix tremblante : « O vous, qui êtes si heureux et si grand, qui courez avec tant d’ardeur à ces joies divines, et dont les paroles sont si douces pour mon cœur, faites qu’il ne me soit pas permis de douter de ce que j’entends ! – Je suis l’âme du prêtre Jérôme, répondit la voix. A cette heure même, à Bethléem de Juda, j’ai déposé le fardeau de la chair ; je marche maintenant en compagnie de Jésus-Christ et de toute la cohorte céleste. »
Et, continuant cet entretien céleste, l’âme prédestinée dévoila à l’évêque d’Hippone quelle était la condition des âmes bienheureuses.
D’abord enseveli dans une grotte de Bethléem, non loin du lieu de la Nativité, le corps de saint Jérôme fut rapporté plus tard à Rome pour être enseveli à Sainte-Marie Majeure, sous l’autel du Saint-Sacrement. La fête de la translation est célébrée le 9 mai. Une de ses reliques est conservée à Digne dans l’église Notre-Dame du Bourg et la cathédrale est placée sous son patronage.
Nul Saint n’a moins prêté à la légende que le Docteur dalmate, car toute sa vie nous est connue. Il convient néanmoins de signaler l’aventure merveilleuse du lion blessé qui, guéri par lui, devint le gardien des moines de Bethléem et l’auxiliaire de leurs travaux rustiques. Ce lion apparaît, couché près du lit de mort du Saint, dans le célèbre tableau du Dominiquin qu’on voit à la Pinacothèque du Vatican.
Ce n’est pas en vain, écrit, à ce propos, le R. P. Largent, que la peinture a donné à Jérôme le lion comme symbole. Lequel des Pères a reproduit mieux que le solitaire de Bethléem ce type du lion, tel qu’il nous est décrit par l’histoire naturelle, par la fable ou par la poésie ? Jérôme a été intrépide et généreux ; il a affronté ses adversaires sans compter leur nombre et sans mesurer leurs forces ; et s’il a poussé parfois des rugissements terribles, s’il a eu des colères éclatantes, ses rugissements étaient les cris d’une âme éprise et inquiète de la vérité seule, et ses colères furent souvent les colères de l’amour.
A. L.
Sources consultées. – R. P. Largent, Saint Jérôme (Collection Les Saints). – J. Forget, Saint Jérôme (dans le Dictionnaire de Théologie catholique). – Benoît XV, Encyclique Spiritus Paraclitus (traduite dans les Actes de Benoît XV, tome II, Paris, Bonne Presse). – (V. S. B. P., n° 25.)