Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus

Sainte Thérèse, patronne des missions représentée en vitrail à l'église Nghe à Hô Chi Minh-Ville, Vietnam. © Godong

Vierge, Carmélite, Patronne des Missions (1873–1897).

Fête le 3 octobre.

Vie résumée par l’abbé Jaud.

Peu de Saints ont exci­té autant d’ad­mi­ra­tion et d’en­thou­siasme aus­si­tôt après leur mort ; peu ont acquis une plus éton­nante popu­la­ri­té dans le monde entier ; peu ont été aus­si rapi­de­ment éle­vés sur les autels, que cette jeune sainte Carmélite.

Thérèse Martin naquit à Alençon, en Normandie, de parents très chré­tiens, qui regar­daient leurs neuf enfants comme des pré­sents du Ciel et les offraient au Seigneur avant leur nais­sance. Elle fut la der­nière fleur de cette tige bénie qui don­na quatre reli­gieuses au Carmel de Lisieux, et elle mon­tra, dès sa plus petite enfance, des dis­po­si­tions à la pié­té qui fai­saient pré­sa­ger les grandes vues de la Providence sur elle.

Atteinte, à l’âge de neuf ans, d’une très grave mala­die, elle fut gué­rie par la Vierge Marie, dont elle vit la sta­tue s’a­ni­mer et lui sou­rire auprès de son lit de dou­leur, avec une ten­dresse ineffable.

Thérèse eût vou­lu, dès l’âge de quinze ans, rejoindre ses trois soeurs au Carmel, mais il lui fal­lut attendre une année encore (1888). Sa vie devint alors une ascen­sion conti­nuelle vers Dieu, mais ce fut au prix des plus dou­lou­reux sacri­fices tou­jours accep­tés avec joie et amour ; car c’est à ce prix que Jésus forme les âmes qu’Il appelle à une haute sainteté.

Elle s’est révé­lée ingé­nu­ment tout entière elle-​même dans les Mémoires qu’elle a lais­sés par ordre de sa supé­rieure : « Jésus, comme elle l’a écrit, dor­mait tou­jours dans Sa petite nacelle. » Elle pou­vait dire : « Je n’ai plus aucun désir, si ce n’est d’ai­mer Jésus à la folie. » C’est, en effet, sous l’as­pect de l’a­mour infi­ni que Dieu Se révé­lait en elle.

La voie de l’Amour, telle fut, en résu­mé, la voie de la « petite Thérèse de l’Enfant-​Jésus » ; mais c’é­tait en même temps la voie de l’hu­mi­li­té par­faite, et par là, de toutes les ver­tus. C’est en pra­ti­quant les « petites ver­tus », en sui­vant ce qu’elle appelle sa « petite Voie », Voie d’en­fance, de sim­pli­ci­té dans l’a­mour, qu’elle est par­ve­nue en peu de temps à cette haute per­fec­tion qui a fait d’elle une digne émule de sa Mère, la grande Thérèse d’Avila.

Sa vie au Carmel pen­dant neuf ans seule­ment fut une vie cachée, toute d’a­mour et de sacri­fice. Elle quit­ta la terre le 30 sep­tembre 1897, et, brû­lant les étapes, fut béa­ti­fiée en 1923 et cano­ni­sée en 1925. Comme elle l’a pré­dit, « elle passe son Ciel à faire du bien sur la terre. »

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

La vie de la « petite fleur » du Carmel de Lisieux est connue. Thérèse Ta écrite elle-​même, sur l’ordre de sa supé­rieure, Mère Agnès de Jésus, en 1895 et 1896. Cette auto­bio­gra­phie, inti­tulée Histoire d’une âme, parut en 1898 ; com­plé­tée par les docu­ments et ren­sei­gne­ments de la famille et des pro­cès cano­niques, elle est le docu­ment capi­tal pour l’histoire de la Sainte de Lisieux.

La famille de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Ses deux aïeuls étaient l’un et l’autre ori­gi­naires de l’Orne ; le pre­mier, le capi­taine Pierre Martin, épou­sa une Lyonnaise, et le second, Isidore Guérin, une Mayennaise. Son père, Louis Martin, né à Bordeaux en 1823, avait deman­dé dans sa ving­tième année, en 1843, à entrer chez les Chanoines régu­liers de Saint-​Augustin, au Mont Saint-​Bernard. Le prieur ne put le rece­voir, car le pos­tu­lant n’avait pas fait d’études latines. Revenu à Alençon, le jeune homme conti­nua son appren­tis­sage d’horloger. La mère, Zélie Guérin, « fabri­cante de point d’Alençon », avait essayé, de son côté, de deve­nir Fille de la Charité, mais la supé­rieure de l’Hôtel-Dieu d’Alençon lui décla­ra que sa voca­tion était de res­ter dans le monde. Le mariage fut célé­bré, le 13 juillet 1858, dans l’église Notre-​Dame, à Alençon.

Les jeunes époux pra­ti­quaient tous leurs devoirs de chré­tiens sans osten­ta­tion, mais avec force et pié­té. Le repos domi­ni­cal était stric­te­ment obser­vé par la fer­me­ture de leur magasin.

Mme Martin n’avait pas été appe­lée, comme sa sœur aînée qui était entrée chez les Visitandines du Mans, à deve­nir dans l’état reli­gieux l’épouse de Jésus. Puisque sa voca­tion était dif­fé­rente, elle avait un jour deman­dé à Dieu beau­coup d’enfants et sou­hai­té que tous lui fussent consa­crés. Elle fut exau­cée. Les enfants arri­vèrent nom­breux, neuf en peu d’années ; quatre d’entre eux ne tar­dèrent pas long­temps à rejoindre les chœurs angé­liques, les cinq sur­vi­vants se don­nèrent à Dieu dans la vie religieuse.

Dès sa nais­sance, chaque enfant était consa­cré à Marie et rece­vait au bap­tême le nom de la Reine du ciel. Après la venue de leur qua­trième fille, Marie-​Hélène, qui mou­rut en bas âge, les parents deman­dèrent à Dieu un petit mis­sion­naire. Deux petits gar­çons vinrent réjouir le foyer, mais, comme la fillette qui les sui­vit, ils ne firent guère qu’apparaître. C’était le neu­vième et der­nier enfant de la famille Martin qui allait être « le mis­sion­naire » tant désiré.

La première enfance de sainte Thérèse. – Mort de sa mère.

Ce neu­vième enfant était une fille, qui naquit le 2 jan­vier 1873 à Alençon et fut bap­ti­sée deux jours après, sous les noms de Marie-​Françoise-​Thérèse, dans l’église Notre-​Dame, avec sa sœur aînée, Marie-​Louise ou Marie, pour marraine.

Thérèse était d’une san­té très frêle : pour la sau­ver, sa mère, épui­sée, dut la confier pen­dant plus d’un an à une nour­rice campa­gnarde, robuste et expé­ri­men­tée, à Semallé. De retour au foyer fami­lial, l’enfant, que le père nom­mait sa « petite reine », que la mère qua­li­fiait de « petit lutin » ou de petit « furet », rayon­nait la joie par son sou­rire très doux, son cœur affec­tueux, sa pié­té pré­coce. A vingt-​deux mois, elle sait prier « le bon Jésus ».

Son carac­tère est vif, expan­sif, franc, joyeux. Quand elle a bat­tu ou pous­sé sa sœur Marie-​Céline, son aînée de trois ans et sa com­pagne insé­pa­rable, ou déchi­ré un coin de la tapis­se­rie, fût-​ce par mégarde, elle a le sen­ti­ment qu’elle doit s’accuser afin d’être par­don­née. Elle n’est pas sans défauts ; on la met­trait une jour­née dans la cave sans obte­nir un « oui » de sa part. Parfois, elle se con­duit en enfant gâtée, mais elle a bien vite regret­té sa bou­de­rie ou des paroles irres­pec­tueuses, et elle court s’en excuser.

L’enfant avait tout juste quatre ans et demi lorsque, le 23 août 1877, Mme Martin mou­rut, lais­sant cinq orphe­lines. Tout ce que Thérèse vit depuis le jour de la céré­mo­nie du Viatique, pen­dant ces jours de dou­leurs et de larmes, l’impressionna vive­ment : elle regar­dait et écou­tait en silence, sans trop com­prendre l’im­mense mal­heur qui venait atteindre la famille. Au retour du cime­tière, tan­dis que sa sœur Céline choi­sis­sait Marie, la sœur aînée, pour seconde mère, Thérèse crai­gnit que, plus encore que l’autre sœur, Marie-​Léonie, Pauline n’éprouvât de la peine parce qu’elle n’aurait pas de « petite fille » ; s’approchant de celle-​ci, elle l’embrassa, et cachant sa tête sur le cœur de sa sœur, elle lui dit : « Pour moi, c’est Pauline qui sera maman. » Cette pre­mière et dou­lou­reuse appa­rition de la mort chan­gea com­plè­te­ment l’heureux carac­tère de Thérèse. Elle si vive, si expan­sive, devint timide et douce, sen­sible à l’excès. Les années qui vont de 1877 à Noël 1886 furent pour l’enfant une époque d’épreuves inter­rom­pues par les effu­sions de la famille et les joies de la pre­mière Communion.

Aux Buissonnets. – Pensionnaire chez les Bénédictines.

Pour don­ner aux orphe­lines une seconde mère dans la per­sonne de leur tante et les rap­pro­cher de leurs cou­sines, M. Martin liqui­da son com­merce, ven­dit sa mai­son, fît le sacri­fice de ne plus vivre dans le voi­si­nage de ses chers défunts. Il ins­tal­la sa famille à Lisieux, aux Buissonnets. Ainsi il se trou­vait près de son beau-​frère, M. Guérin, qui tenait une phar­ma­cie. Dans la riante habi­ta­tion, au milieu des fleurs qu’elle aimait tant, Thérèse, entou­rée d’affection, se reprit à la joie et à la vie. Pauline sup­pléait réel­le­ment la mère auprès d’elle. Elle lui apprit à lire, lui expli­qua le caté­chisme et les mys­tères des fêtes reli­gieuses, conti­nua à la for­mer à la pié­té et à l’accomplissement du devoir et du sacri­fice. L’enfant s’efforçait de plaire à Jésus en toutes ses actions, vou­lant savoir, le soir, afin de dor­mir tran­quille, si le bon Dieu était content d’elle. Elle fit sa pre­mière confes­sion à six ans.

Dans l’après-​midi, presque chaque jour, le père emme­nait sa « petite reine » visi­ter le Saint Sacrement dans l’une ou l’autre église de la ville, par­fois dans la cha­pelle des Carmélites. Aux pro­cessions de la Fête-​Dieu, Thérèse se réjouis­sait de semer les fleurs sous les pas de Jésus : elle les lan­çait bien haut, et n’était jamais aus­si heu­reuse qu’en voyant ses roses effeuillées tou­cher l’ostensoir.

En octobre 1881, M. Martin envoya sa der­nière enfant comme demi-​pensionnaire à l’abbaye des Bénédictines de Lisieux. Thérèse, qui y rem­pla­çait Léonie, se retrou­va là avec Céline et leur cou­sine Marie Guérin : c’est avec cette der­nière, future Carmélite comme elle, qu’elle s’essayait à imi­ter la vie péni­tente, silen­cieuse, des ana­chorètes. La vie du pen­sion­nat fut une grosse épreuve pour cette âme timide, sen­sible, douce et tou­jours fidèle à son devoir.

Un an après, en octobre 1882, Pauline, la chère « petite mère », entrait au Carmel de Lisieux, sous le nom d’Agnès de Jésus. Ce départ fut pour sa sœur cadette la cause d’un nou­veau cha­grin. La vie appa­rut alors à Thérèse dans toute sa réa­li­té, rem­plie de souf­frances et de sépa­ra­tions conti­nuelles. Pour conso­ler son âme, la grande sœur lui avait expli­qué en quoi consis­tait le tra­vail d’une Carmélite : prier, s’immoler, vivre dans l’intimité avec Jésus. Ravie de ce qu’elle enten­dait, la fillette de neuf ans gar­da l’impression que le Carmel était le désert où elle devait se réfu­gier avec Dieu ; elle confia son désir à Pauline, puis à la Mère prieure du Carmel, qui la décla­ra trop jeune.

Le sourire de l’Immaculée. – La première Communion.

L’entrée dans le cloître de la deuxième fille de M. Martin fut pour sa « petite reine » l’occasion d’une mala­die grave, mysté­rieuse, à laquelle le démon, par une per­mis­sion de Dieu, n’était peut-​être pas étran­ger. Eprouvée d’abord par des maux de tête con­tinuels et une sen­si­bi­li­té extrême, Thérèse put cepen­dant conti­nuer ses études. Mais l’an­née sui­vante, vers Pâques, des crises vio­lentes agi­tèrent l’en­fant et firent craindre pour sa vie. Elle disait des choses qu’elle ne pen­sait pas, en fai­sait d’autres comme for­cée mal­gré elle, res­tait éva­nouie pen­dant des heures, parais­sait être tou­jours en délire. Des visions ter­ri­fiantes lui arra­chaient des cris de détresse et par­fois elle ne recon­nais­sait même plus sa sœur Marie qui la soi­gnait ou ses autres parents. Le père, vaillant dans sa foi, fit célé­brer une neu­vaine de messes à Notre-​Dame des Victoires à Paris. Au cours de la neu­vaine, au moment d’une crise particuliè­rement vio­lente et pénible, les trois sœurs de la malade se jetèrent au pied d’une sta­tue de la Vierge – repro­duc­tion de la « Vierge d’argent » de Saint-​Sulpice, par Bouchardon – qui était dans la chambre. Pendant leur prière, Thérèse aper­çut la sta­tue ou mieux la Sainte Vierge qui lui sou­riait, s’avançait vers elle radieuse, la regar­dant avec un indi­cible amour. Bientôt des larmes jaillirent de ses pau­pières, elle recon­nut ses sœurs. La Reine du ciel venait de gué­rir son enfant et de faire dis­pa­raître toutes ses peines.

La Sainte Vierge appa­raît à sainte Thérèse malade et lui apporte la guérison.

Après un contact super­fi­ciel et rapide avec les joies et les distrac­tions jugées utiles à son par­fait réta­blis­se­ment, Thérèse, plus déci­dée que jamais à conti­nuer sa vie d’intimité avec Jésus, reprit ses études et mit tous ses soins, sous la direc­tion atten­tive et déli­cate de sa sœur Marie, à pré­pa­rer son âme à la com­mu­nion. Elle s’ingénie à fleu­rir son cœur par des actes d’amour et de sacri­fices ; sou­vent abri­tée der­rière les rideaux de son lit, elle pense à Dieu, à la rapi­di­té de la vie, à l’éternité. On devine avec quelle fer­veur et quel soin elle fit chez les Bénédictines la retraite pré­pa­ra­toire à la pre­mière Communion. Le 8 mai 1884, elle par­ti­ci­pait enfin au ban­quet sacré. Elle a racon­té ce que fut ce grand jour, le pre­mier bai­ser de Jésus don­né à son âme : cette ren­contre fut une fusion, où Thérèse dis­pa­rut comme la goutte d’eau dans l’o­céan ; Jésus res­tait seul, il était le Maître, le Roi : il ne récla­ma aucun sacri­fice ; Thérèse se redon­na à lui pour tou­jours. Au soir de la pre­mière Communion, le père condui­sit sa fille au Carmel : Pauline était deve­nue l’épouse du Christ le matin même. Thérèse la vit avec son voile blanc comme le sien et sa cou­ronne de roses ; elle espé­rait bien­tôt la rejoindre et attendre à ses côtés le ciel.

Au mois de juin sui­vant, elle reçut la confir­ma­tion et la force de souf­frir, grâce néces­saire, car pour elle l’épreuve devait se conti­nuer par suite de scru­pules qui pen­dant plu­sieurs années la tour­men­tèrent ; par suite aus­si de la ren­trée au Carmel, en octobre 1886, de Marie, la sœur aînée (Marie du Sacré-​Cœur). Après ce départ, Dieu la for­ti­fia en lui mon­trant qu’il faut s’attacher à lui seul. Après sa confir­ma­tion, elle avait sol­li­ci­té son admis­sion par­mi les Enfants de Marie. La fête de Noël 1886 amène un grand change­ment chez Thérèse : sa force d’âme, per­due depuis la mort de sa mère, lui est ren­due ; elle triomphe d’une manière déci­sive de sa sen­si­bi­li­té trop vive ; la cha­ri­té entre dans son cœur avec le besoin de s’oublier tou­jours ; elle com­mence une course de géant dans la voie de la perfection.

Entrée de sainte Thérèse au Carmel de Lisieux.

Dans les pre­miers mois de sa qua­tor­zième année, Thérèse annon­ça à sa sœur Céline sa volon­té d’entrer au Carmel pour la fête de Noël 1887, jour du pre­mier anni­ver­saire de sa « conver­sion ». Avec une abné­ga­tion admi­rable, Céline, qui dési­rait elle aus­si se consa­crer à Dieu, accep­ta de res­ter la der­nière auprès du père bien-​aimé. Le jour de la Pentecôte, la « petite reine » s’ouvrit de sa voca­tion à son père. Celui-​ci pleu­ra de joie et de dou­leur ; mais convain­cu par les expli­ca­tions de sa fille, il don­na son consen­tement. L’oncle mater­nel et tuteur, M. Guérin, d’abord oppo­sé, consen­tit à son tour, sous l’influence de la grâce, à lais­ser au Seigneur la petite fleur pri­vi­lé­giée. La prieure du Carmel, Mère Marie de Gonzague, accep­tait la pos­tu­lante, mais le supé­rieur ecclé­sias­tique de la com­mu­nau­té n’autorisait pas l’entrée avant l’âge de vingt et un ans. Le 31 octobre 1887, M. Martin, accom­pa­gné de Thérèse, fut reçu par Mgr Hugonin, évêque de Bayeux et Lisieux. Appuyée par son père, Thérèse deman­da d’entrer au Carmel à quinze ans. Le pré­lat ne vou­lut pas se pro­non­cer tout de suite et pro­mit une réponse pour plus tard. Accompagné de ses deux der­nières filles, Céline et Thérèse, M. Martin – à ce moment Léonie ten­tait un essai de vie reli­gieuse dans l’Ordre des Clarisses, trop rigou­reux pour son état de san­té – par­tit au début de novembre, avec le pèle­ri­nage dio­cé­sain de Bayeux, pour la Suisse, l’Italie et Rome. A l’audience pon­ti­fi­cale du 20 novembre, Thérèse, age­nouillée devant le Pape Léon XIII, lui dit : « Très Saint Père, en l’honneur de votre jubi­lé, permettez-​moi d’entrer au Carmel à quinze ans. – Mon enfant, faites ce que les supé­rieurs décide­ront… Vous entre­rez si le bon Dieu le veut. »

Devant ces réponses éva­sives, Thérèse était attris­tée, mais elle res­tait dans la paix, sou­mise et confiante. Au retour du pèle­ri­nage, elle écri­vit à Mgr Hugonin. L’évêque, à la date du 28 décembre 1887, auto­ri­sa l’entrée immé­diate par une lettre écrite à la prieure. Mais celle-​ci jugea à pro­pos de la dif­fé­rer jusqu’après le Carême. Thérèse en fut assez contra­riée. Enfin, le 9 avril 1888, jour où se célé­brait la fête trans­fé­rée de l’Annonciation, le père condui­sit sa « petite reine », la nou­velle ser­vante de Dieu, à la cha­pelle du Carmel. Toute la famille y com­mu­nia, y com­pris Léonie, reve­nue momen­ta­né­ment ; puis la pos­tu­lante alla frap­per à la porte de clô­ture, quit­tant défi­ni­ti­ve­ment le monde pour vivre dans l’intimité de Jésus.

Dans le parterre du Carmel. – « Tout mon exercice est d’aimer. »

Elle se sen­tait main­te­nant dans sa demeure défi­ni­tive. Trouvant la vie reli­gieuse telle qu’elle se l’était figu­rée, elle devait y ren­contrer plus d’épines que de roses. Dans son âme, ce fut pen­dant long­temps le pain quo­ti­dien des séche­resses inté­rieures ; l’assurance qu’on lui don­na que jamais elle n’avait com­mis un péché mor­tel la mit dans une grande paix. La Mère prieure for­mait la pos­tu­lante à l’humilité, au déta­che­ment, en se mon­trant par­fois indif­fé­rente, sévère, pro­digue de reproches. Thérèse était venue au Carmel pour sau­ver les âmes et sur­tout afin de prier pour les prêtres ; elle com­prit que Jésus ne lui don­ne­rait des âmes que par la croix. Elle cherche à pui­ser dans l’Ecriture et dans l’Evangile ce qui est néces­saire à son âme : c’est là qu’elle trouve sa « petite voie » d’abandon.

Sa prise d’habit, à laquelle son père assis­ta, fut dif­fé­rée jusqu’au 10 jan­vier 1889. L’évêque de Bayeux la pré­si­da. Jésus don­na à sa fian­cée le beau tapis de neige qu’elle avait dési­ré pour ce jour. Elle reçut aus­si le nom que dans le secret de son cœur elle avait choi­si : Thérèse de l’Enfant-Jésus, obte­nant d’y ajou­ter aus­si ces mots : « et de la Sainte-Face ».

Le novi­ciat com­men­çait ; sans par­ler des mor­ti­fi­ca­tions volon­taires des sens, macé­ra­tions et dis­ci­plines, des mor­ti­fi­ca­tions du cœur qu’elle pra­ti­quait en évi­tant, jusqu’à ses der­niers jours, autant qu’elle le pou­vait, le contact pro­lon­gé avec ses propres sœurs, elle devait connaître les ari­di­tés inté­rieures ; les tri­bu­la­tions conti­nuaient nom­breuses, sans aucune conso­la­tion. Jésus sem­blait dor­mir. Thérèse était heu­reuse mal­gré tout, pré­pa­rant son âme, avec le plus grand soin, pour le jour de ses noces avec l’Epoux divin.

Une fois de plus, son âge retar­da ses légi­times dési­rs. Elle ne put faire sa pro­fes­sion reli­gieuse que le 8 sep­tembre 1890, fête de la Nativité de Marie. La veille, le démon sus­ci­ta une ten­ta­tion de décou­ra­ge­ment. Il fut vain­cu par un acte d’humilité. Jésus inon­da l’âme de son épouse d’un fleuve de paix : elle lui deman­da beau­coup et réso­lut de gra­vir le som­met de la mon­tagne d’a­mour. A la céré­mo­nie sym­bo­lique de la prise de voile, le 24 sep­tembre sui­vant, l’absence du père bien-​aimé cau­sa des larmes de tris­tesse chez sa fille. M. Martin devait mou­rir le 29 juillet 1894 : sa mala­die lui ser­vit, selon le sou­hait de Thérèse, de pur­ga­toire. Céline put entrer le 14 sep­tembre sui­vant au Carmel de Lisieux, sous le nom de Sœur Geneviève de la Sainte-​Face ; de son côté, Léonie devait entrer à la Visitation, où elle prit les noms de Françoise-Thérèse.

Après avoir rem­pli d’autres charges, Thérèse avait été choi­sie, à son grand éton­ne­ment, en février 1893, pour aider la maî­tresse des novices ; en fait, toute la res­pon­sa­bi­li­té était pour elle. A ses novices, elle ensei­gnait l’oubli de soi, mais sur­tout la charité.

Dernière maladie et mort de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Dans la nuit du Jeudi au Vendredi-​Saint (2–3 avril 1896), Thé­rèse eut deux cra­che­ments de sang. Par là Jésus lui signi­fiait l’entrée pro­chaine dans l’éternelle vie. De fait, les forces phy­siques déclinent peu à peu, sur­tout que l’héroïque reli­gieuse veut suivre jusqu’à épui­se­ment les exer­cices de la com­mu­nau­té, où l’on ne soup­çonne pas encore la gra­vite de son état. Aux souf­frances du corps s’ajoutent celles que causent les assauts du démon et particu­lièrement les ten­ta­tions de crainte. La malade s’abandonne ; elle est heu­reuse de souf­frir, de s’immoler pour les âmes, par­ti­cu­liè­re­ment pour les prêtres, et sur­tout pour les mis­sion­naires, elle qui a deman­dé un jour à par­tir pour le loin­tain Carmel d’Hanoï.

Au prin­temps de 1897, les symp­tômes du mal sont de plus en plus sen­sibles ; le 8 juillet, Thérèse quitte sa cel­lule pour l’infir­merie. Dans les der­niers mois de son sacri­fice, elle parle de sa « petite voie », de la « voie d’enfance ». Elle annonce qu’après la mort qui va la réunir à Dieu et lui faire com­men­cer sa vraie vie, elle fera tom­ber « une pluie de roses », et que son ciel se pas­se­ra à « faire du bien sur la terre » (17 juillet).

Le 30 juillet 1897, elle reçut l’extrême-onction. A par­tir du 17 août, des vomis­se­ments répé­tés la privent du bon­heur de com­munier. Thérèse avait sou­hai­té la mort d’amour de Jésus sur la croix. Elle fut exau­cée ; le 30 sep­tembre, elle souf­frit l’agonie toute pure, sans aucun mélange de conso­la­tion : c’était l’effet de son désir extrême de sau­ver les âmes. Après l’Angelus du soir, ce même jour, elle jeta un long regard sur la sta­tue de Marie, puis sur le Crucifix, en disant : « Oh ! je l’aime ! Mon Dieu, je… vous aime ! » Ce furent ses der­nières paroles. Quelques ins­tants après, vers 7 heures, elle se rele­vait, ouvrait les yeux, les fixait, brillants d’une paix céleste et d’un bon­heur indi­cible un peu au-​dessus de l’image de Marie. Son âme vir­gi­nale entrait dou­ce­ment dans l’éternité.

Le rayonnement dans la gloire. – La « pluie de roses ».

Les funé­railles de la « petite fleur » du Carmel eurent lieu le 4 octobre : beau­coup de prêtres y assis­tèrent. Le corps fut ense­ve­li dans le cime­tière de Lisieux. On lisait sur la croix de bois : « Je veux pas­ser mon ciel à faire du bien sur la terre. » La pro­messe fut aus­si­tôt rem­plie : la pluie de roses com­men­ça. L’humble tertre fleu­ri de lis et de roses devint un rendez-​vous de sup­pli­ca­tion et d’ac­tion de grâces.

La marche de la cause fut extrê­me­ment rapide. Qu’on en juge : en 1909, sous le pon­ti­fi­cat de Pie X, pre­mières for­ma­li­tés et, en 1910, recherche des écrits ; le 14 août 1921, vers la fin du pon­ti­fi­cat de Benoît XV, décret d’héroïcité des ver­tus ; enfin Pie XI, pour qui Thérèse est, dit-​il, une étoile et un guide, la béa­ti­fie le 29 avril 1923, la cano­nise le 17 mai 1925, étend à l’Eglise uni­ver­selle, le 13 juillet 1927, sa fête, fixée au 3 octobre ; le 14 décembre sui­vant, le même Pape pro­cla­ma sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus patronne prin­ci­pale des mis­sions, à l’égal de saint François Xavier.

Les restes de la « Petite Fleur », exhu­més le 6 sep­tembre 1910, puis le 9 août 1917, avaient été trans­fé­rés le 26 mars 1923 au Carmel. Une basi­lique, bâtie en son hon­neur, exal­te­ra pen­dant des siècles cette grande Sainte qui, selon sa pro­messe, passe « son ciel à faire du bien sur la terre ».

F. C.

Sources consul­tées. – Histoire d’une âme (Paris et Bar-​le-​Duc). – Mgr Laveille, Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (Lisieux, 1926). – Baron J. Angot des Rotours, La Bienheureuse Thérèse de l’Enfant-Jésus (Collection Les Saints, Paris, 1924).