Saint Jean de Brébeuf

Jésuite, mar­tyr au Canada (1593–1649)

Fête le 26 septembre.

De tous les mis­sion­naires du Canada, saint Jean de Brébeuf est cer­tai­ne­ment le plus célèbre. On le regarde avec rai­son comme le fon­da­teur de la mis­sion des Hurons, mais les remar­quables tra­vaux de son court apos­to­lat sont lar­ge­ment dépas­sés par l’héroïsme de son épou­van­table martyre.

Jean de Brébeuf naquit, en la belle fête de l’Annonciation, le 25 mars 1593, en Basse-​Normandie, à Condé-​sur-​Vire, aujourd’hui au dio­cèse de Coutances, autre­fois au dio­cèse de Bayeux. Sa famille était noble, ancienne et pos­sé­dait un fief sur cette paroisse. On dis­tingue par­mi ses membres : René-​Joseph de Brébeuf, sei­gneur de Mauperthuis et de La Lande, qui fit par­tie de l’assemblée du Bailliage de Coutances en 1789, et sur­tout le poète Guillaume de Brébeuf, auteur de la Pharsale et neveu du missionnaire.

Vocation religieuse.

On ne sait rien sur les pre­mières années de Jean de Brébeuf. Il est à croire qu’elles s’écoulèrent dans sa ville natale, au milieu des siens. Mais on ignore le lieu de ses études et l’on ne sait pas davan­tage le genre d’occupations aux­quelles il se livra jusqu’à vingt-​quatre ans. Alors seule­ment nous retrou­vons ses traces, au moment où, le 8 novembre 1617, il frappe à la porte du novi­ciat des Jésuites, à Rouen.

Son humi­li­té, qui se fût conten­tée du der­nier rang, l’avait pous­sé à se croire indigne du sacer­doce ; en consé­quence, il deman­da à res­ter par­mi les Frères coad­ju­teurs : mais ses supé­rieurs en jugèrent autre­ment et réus­sirent à le faire chan­ger d’avis. En sor­tant du novi­ciat, en 1619, le Fr. de Brébeuf fut nom­mé au col­lège de Rouen pour y faire une classe de gram­maire à quelques pauvres écoliers.

Il y ren­con­tra le P. Binet, supé­rieur, qui eut sur lui une heu­reuse influence. Le futur apôtre se dévoua sans réserve à ces âmes d’enfants et son dévoue­ment l’emporta vite sur ses forces. Au bout de deux ans, sa san­té s’étant affai­blie, il dut aban­don­ner l’enseignement. Jean de Brébeuf pro­fi­ta de ce repos for­cé pour se livrer aux études théo­lo­giques ; il reçut le sous-​diaconat le 25 décembre 1622, et, le 25 mars 1623, jour anni­ver­saire de sa nais­sance, il eut le bon­heur d’être ordon­né prêtre à Rouen même.

Comme sa forte san­té avait repris sa vigueur pre­mière, on lui confia la Procure du col­lège où, pen­dant trois ans, il se fit remar­quer par ses solides qua­li­tés. Il était judi­cieux, droit, éner­gique, patient et d’une endu­rance peu com­mune. « Je suis un vrai bœuf », disait-​il en jouant sur son nom. La confiance qu’il ins­pi­rait par sa sagesse et sa pru­dence lui valut d’être envoyé à Paris, au mois de jan­vier 1625, pour y rem­plir une mis­sion fort déli­cate : il s’agissait de dis­cul­per les Jésuites de Rouen d’une accu­sa­tion abo­mi­nable ima­gi­née par de hai­neux cri­mi­nels. Sa fidé­li­té à suivre la règle fai­sait l’édification de toute la com­mu­nau­té. Seulement, il avait soif de souf­frir pour le Christ et il son­geait aux mis­sions étran­gères. Comme la Compagnie de Jésus s’apprêtait à fon­der la mis­sion de la Nouvelle-​France, il deman­da à par­tir. Ses supé­rieurs accé­dèrent à son désir.

Premier voyage au Canada.

A cette époque, le Canada était défi­ni­ti­ve­ment fran­çais, mais les cou­leurs de France ne flot­taient que le long du Saint-​Laurent et n’y abri­taient que des éta­blis­se­ments nais­sants. Québec se rédui­sait à quelques cabanes défen­dues par un retran­che­ment palis­sa­dé. Champlain, lieu­te­nant géné­ral au Canada, com­prit que le catho­li­cisme serait le rem­part le plus ferme de cette colo­nie au ber­ceau, et, en 1615, il appe­la les Franciscains Récollets.

Ces reli­gieux se mirent aus­si­tôt à l’œuvre, mais, au bout de quelques années, ils récla­mèrent des aides. La Compagnie de Jésus répon­dit à leur appel, et, le 24 avril 1625, sous la conduite du P. Joseph de La Roche d’Aillon, Récollet, six Jésuites s’embarquèrent à Dieppe pour la Nouvelle-​France : c’é­taient le P. Charles Lalemant, supé­rieur, ancien rec­teur du célèbre col­lège de Clermont, à Paris, et qui comp­ta un frère et un neveu par­mi les apôtres de l’Amérique du Nord ; le P. Ennemond Massé, ancien ministre au col­lège de La Flèche ; le P. Jean de Brébeuf et trois Frères coad­ju­teurs. Ils arri­vèrent à Québec le 19 juin. Un ter­rain fut concé­dé aux nou­veaux venus dans le fort Jacques-​Cartier ; ils en prirent pos­ses­sion le 23 sep­tembre 1625 en y éle­vant une grande croix ; ce lieu devint plus tard la rési­dence de Notre-​Dame des Anges.

Entre temps, le P. de Brébeuf, employé d’abord auprès des colons fran­çais, était dési­gné pour la mis­sion des Hurons ; cette peu­plade devait être par la suite amie du peuple colo­ni­sa­teur et la plus acces­sible au catho­li­cisme. Mais il n’en fut pas tou­jours ain­si. En com­pa­gnie du P. Joseph de La Roche d’Aillon, le P. de Brébeuf remon­ta le Saint-​Laurent pour se rendre à des­ti­na­tion ; mais le meurtre du P. Vial, assas­si­né par des Hurons après deux ans de séjour chez eux, arrê­ta les mis­sion­naires en route et les for­ça à rebrous­ser che­min. Le 28 juillet, l’ar­ri­vée à Québec de repré­sen­tants de ces mêmes tri­bus réveilla le désir du P. de Brébeuf d’aller les évan­gé­li­ser. Leur flot­tille de cent qua­rante canots por­tait sept cents hommes. Ils venaient pour faire leur tra­fic de four­rure et de pel­le­te­ries. Les pres­santes démarches de Champlain pour leur pro­cu­rer des mis­sion­naires ne purent abou­tir sur l’heure.

Le ser­vi­teur de Dieu reçut alors l’ordre de s’adjoindre à quelques sau­vages d’une autre tri­bu, celle des Algonquins, et de les suivre en chasse pen­dant tout l’hiver, ce qui serait une excel­lente école pour le fami­lia­ri­ser avec leurs cou­tumes et leur langue. Sept mois durant, il par­ta­gea leur vie, sup­por­tant leurs fatigues et leurs inces­santes pri­va­tions, dans la neige et dans les forêts. Quand le mis­sion­naire revint à Notre-​Dame des Anges, le 27 mai 1646, il brû­lait plus que jamais du désir de se consa­crer à l’apostolat mis­sion­naire ; le pays huron l’at­ti­rait tout particulièrement.

Premier séjour chez les Hurons. – Retour en France.

Lorsque revint la sai­son des échanges, Champlain envoya trois mis­sion­naires au Comptoir des Trois-​Rivières pour par­tir avec les Hurons. La pro­po­si­tion fut bien reçue, cette fois, mais un petit inci­dent faillit retar­der le départ du P. de Brébeuf. Ce der­nier, avec sa haute taille et sa forte cor­pu­lence, don­nait des inquié­tudes au patron du canot : « Tu es trop lourd, lui disait-​il, tu vas nous faire cha­vi­rer. » On cal­ma ses craintes par de beaux présents.

Le P. de Brébeuf débar­qua avec ses com­pa­gnons près d’Ihonatiria. Aussitôt les Hurons le recon­nurent et lui prou­vèrent, avec de grands cris, la joie qu’ils éprou­vaient à le revoir. Ils se mirent immé­dia­te­ment en devoir de lui construire une case. Le P. de Brébeuf nous en donne la des­crip­tion dans une lettre :

Je ne sau­rais mieux expli­quer la façon des demeures huronnes qu’en les com­pa­rant à des ber­ceaux ou ton­nelles de jar­din et de ver­dure. Quelques-​unes sont cou­vertes d’écorces de cèdre, quelques autres de grosses écorces de frêne, d’orme, de sapin ou de prusse. Il y en a de dif­fé­rentes gran­deurs, les unes de deux brasses en lon­gueur, d’autres de dix, d’autres de vingt, de qua­rante. La lar­geur ordi­naire est d’environ quatre brasses, la hau­teur est presque pareille. Il n’y a point d’étage. Il ne s’y voit ni cave, ni chambre, ni gre­nier. Pour fenêtre et che­mi­née, on laisse un méchant trou par où s’échappe la fumée.

Sans aucun com­pa­gnon, car les deux autres mis­sion­naires avaient dû ren­trer à Québec au bout de peu de temps, Jean de Brébeuf s’empressa d’organiser sa vie, il visi­tait les sau­vages, s’entretenait avec eux, leur ren­dant des ser­vices, bap­ti­sait les enfants en dan­ger de mort, soi­gnait les malades et, à leurs der­niers moments, les met­tait dans la dis­po­si­tion de rece­voir le bap­tême. Auprès des adultes, il avait beau se dépen­ser de mille manières, il n’arrivait pas à secouer leur insou­ciance. Il com­po­sa « en lan­gage cana­dais » un petit caté­chisme qui fut plus tard très utile pour les conversions.

La conquête du Canada par les Anglais le rame­na en France. Il y demeu­ra trois ans, par­tie au col­lège de Rouen, par­tie au col­lège d’Eu, en qua­li­té de pro­cu­reur. Il pro­non­ça ses der­niers vœux à Rouen le 30 jan­vier 1630. Son jour­nal spi­ri­tuel nous fait connaître la fer­veur de son âme qui tient à s’immoler davan­tage par amour pour Jésus-Christ.

Deuxième mission chez les Hurons.

Le trai­té de Saint-​Germain-​en-​Laye, en 1631, réta­blit la mis­sion des Jésuites au Canada. De retour à Québec le 23 mai 1633, le P. de Brébeuf avait eu le bon­heur de bap­ti­ser un enfant algon­quin qui mou­rut à une lieue de Québec. Mais c’était sur­tout chez les Hurons qu’il dési­rait retour­ner. Un groupe arri­vait à Québec au mois de juillet 1633, puis s’en retour­nait sans mis­sion­naire. Une autre fois, il vint au-​devant de plu­sieurs d’entre eux jusqu’à Trois-​Rivières, accom­pa­gné des PP. Antoine Daniel, né à Dieppe, et Davost. Les sau­vages lais­sèrent les mis­sion­naires vers le vil­lage de Toanché. De là ils se diri­gèrent vers Ihonatiria. L’arrivée du P. de Brébeuf avait été accueillie par des cris de joie : « Te voi­là, Echou ! (C’est ain­si qu’ils appe­laient le mis­sion­naire.) Nous t’at­ten­dons depuis si long­temps, nous voi­là contents. » Chacun vou­lait l’abriter sous son toit. Les trois Jésuites pré­fé­rèrent une cabane pour eux seuls. Cette cabane fut dédiée à saint Joseph. Les sau­vages venaient leur rendre visite ; ils sem­blaient curieux de voir fonc­tion­ner le mou­lin et d’entendre son­ner l’horloge, qu’ils appe­laient « le capi­taine du jour ». Les mis­sion­naires réunis­saient les enfants du vil­lage : la séance s’ouvrait par le Pater, mis en vers hurons ; venait ensuite le signe de la croix, puis l’explication des prières et des commandements.

Parfois aus­si les Pères grou­paient les anciens du vil­lage chez eux. Dans la conver­sa­tion, on arri­vait vite aux véri­tés chré­tiennes. Ces indi­gènes écou­taient et répon­daient de temps à autre un « très bien » ou « cela doit être vrai », mais ils avaient soin d’ajouter : « Cela doit être bon pour les Français, nous sommes un autre peuple et nous avons d’autres cou­tumes. » Cette année-​là, le P. de Brébeuf put bap­ti­ser cinq ou six adultes et beau­coup d’enfants en dan­ger de mort.

La jeu­nesse, la por­tion choi­sie du trou­peau chré­tien en tout temps et en tout lieu, récla­mait par­ti­cu­liè­re­ment l’attention des Pères qui espé­raient for­mer plus tard une bonne chré­tien­té. Pour les pré­ser­ver de l’exemple per­ni­cieux de la famille, le P. de Brébeuf conçut l’idée de fon­der une sorte de Séminaire huron à Québec ; cette entre­prise, mal­heu­reu­se­ment, ne réus­sit pas. A cette peine vint s’ajouter une nou­velle épreuve. Une épi­dé­mie faillit com­pro­mettre leur minis­tère. En sep­tembre, la mala­die s’abattit sur les membres de la petite com­mu­nau­té. Lorsqu’ils se réta­blirent, la mala­die se pro­pa­gea dans la tri­bu. Les Indiens accu­sèrent aus­si­tôt « les robes noires » d’être venues chez eux pour les perdre ; mais les mis­sion­naires sur­ent vite prou­ver leur inno­cence. Chacun se dévoua dans le vil­lage à soi­gner les malades. Le P. de Brébeuf gagna la confiance et ouvrit le ciel aux mori­bonds. Il réus­sit à confé­rer le bap­tême solen­nel à un adulte qui jouis­sait d’une grande consi­dé­ra­tion dans le pays.

Comme l’épidémie avait en par­tie déci­mé le vil­lage d’Ihonatiria, le P. de Brébeuf alla fon­der un nou­veau poste à Ossossané où les habi­tants dési­raient sa venue ; seule­ment, les sor­ciers ameu­tèrent la popu­la­tion contre lui. Elle était déci­dée à lui faire un mau­vais sort : « Si quelque jeune guer­rier vou­lait bien vous cas­ser la tête, mur­mu­ra un vieux chef à l’oreille du mis­sion­naire, au sor­tir d’une assem­blée, nous n’aurions rien à dire. » Comme il ren­trait à la rési­dence, un sau­vage frap­pé d’un coup de hache, tom­ba mort à ses pieds. Le Père crut qu’on s’était trom­pé de vic­time. Chaque jour il s’attendait à être mas­sa­cré. Dans la lettre qu’il écri­vit à son supé­rieur, le P. Le Jeune, tout en lui fai­sant ses adieux, il s’a­ban­don­nait entiè­re­ment entre les mains de la Providence.

La tem­pête se cal­ma peu à peu ; le ser­vi­teur de Dieu pro­fi­ta de cette accal­mie pour trans­fé­rer à Teanaustasié le poste d’Ihonatiria. Ce nou­veau poste fut aus­si dédié à saint Joseph. C’est à cette même mis­sion de Saint-​Joseph qu’appartenait le P. Antoine Daniel. Le 4 juillet 1648, ce reli­gieux fut tué par les Iroquois sur le seuil d’une cha­pelle, au moment où il venait de célé­brer le Saint Sacrifice.

Le martyre.

Cette mort était pour le P. de Brébeuf un aver­tis­se­ment. Mais Dieu ména­gea des conso­la­tions nom­breuses à son mes­sa­ger. La grâce fécon­dait le sol qu’il avait arro­sé de ses sueurs et de ses larmes. Jamais le nombre des bap­têmes n’avait été aus­si consi­dé­rable ; jamais les néo­phytes ne s’étaient mon­trés plus fer­vents. La foi por­tait ses fruits. Quand le P. de Brébeuf était arri­vé au pays des Hurons, il n’y avait pas trou­vé un seul chré­tien. A sa mort, on en comp­tait envi­ron 8 000. Les mis­sion­naires furent obli­gés de se dis­per­ser pour répondre aux besoins des âmes. Jean de Brébeuf vint au poste de Saint-​Ignace qui se dis­tin­guait par sa fer­veur. C’est là qu’il allait cueillir la palme du martyre.

Les Iroquois, tri­bu voi­sine, avaient en haine la tri­bu des Hurons et les Français ses alliés. Aussi méprisaient-​ils les hommes blancs et se flattaient-​ils d’anéantir les uns et les autres et tout par­ti­cu­liè­re­ment « les robes noires » dont l’enseignement condam­nait leurs superstitions.

Le 16 mars 1649, les Iroquois arri­vèrent de nuit à la fron­tière de la mis­sion. La pre­mière sta­tion était celle de Saint-​Ignace ; ils y péné­trèrent au point du jour. Tous les Hurons furent pris et mas­sa­crés. Le P. Jean de Brébeuf et avec lui le P. Gabriel Lalemant, neveu de son pre­mier supé­rieur, s’étaient réfu­giés à Saint-​Louis. Ce vil­lage fut éga­le­ment assié­gé et, après une héroïque résis­tance, tom­ba aux mains de l’ennemi. Un éclair de joie féroce brilla sur le visage des Iroquois lorsqu’ils virent deux mis­sion­naires par­mi les pri­son­niers. Ils les rame­nèrent à Saint-​Ignace, après leur avoir ôté leurs vête­ments et arra­ché les ongles.

Le P. de Brébeuf allait être sup­pli­cié le pre­mier. Quand il vit le lieu de son mar­tyre, il se mit à genoux et bai­sa le poteau qui allait être l’autel de son sacri­fice. La cruau­té des bour­reaux ne fut sur­pas­sée que par l’héroïque intré­pi­di­té de leur vic­time. Les uns enfon­çaient dans sa chair des pointes de fer rou­gies au feu ; d’autres lui appli­quaient des char­bons embra­sés sur les dif­fé­rentes par­ties du corps. Ceux-​ci le frap­paient avec des bâtons ; ceux-​là lui enle­vaient des lam­beaux de chair qu’ils dévoraient.

Comme la vic­time du Calvaire, l’homme de Dieu ne fit entendre aucune plainte. S’il parais­sait insen­sible à ses souf­frances, il ne l’était pas devant celles de ses frères. Il rom­pait le silence pour louer Dieu et don­ner quelque parole d’encouragement à ses com­pa­gnons. Cette liber­té de lan­gage irri­ta ses bour­reaux. Pour l’arrêter ils lui enfon­cèrent dans la bouche des char­bons enflam­més, lui cou­pèrent les lèvres et les narines, lais­sant à décou­vert toutes les dents. Les cruels Iroquois lui disaient : « Tu as répé­té aux autres que plus on souf­frait dans cette vie, plus la récom­pense serait grande dans l’autre. Nous vou­lons embel­lir ta cou­ronne. » Et alors, fai­sant rou­gir leurs haches au feu, ils les lui appli­quèrent sur les épaules comme un col­lier et ajou­tèrent avec déri­sion : « Tu dois nous remer­cier main­te­nant. » Parmi les bour­reaux il y avait quelques Hurons apos­tats qui vou­lurent faire une imi­ta­tion sacri­lège du bap­tême. Plusieurs fois ils lui ver­sèrent sur la tête et les épaules de l’eau bouillante en disant : « Nous te bap­ti­sons pour que tu sois bien­heu­reux dans le ciel ; car sans un bon bap­tême on ne peut pas être sau­vé. » Ensuite on lui entou­ra les reins d’une cein­ture d’écorce de bou­leau enduite de résine et on y mit le feu. La vue du sang, loin de cal­mer les bour­reaux, les avait ren­dus plus furieux. Ils lui arra­chèrent la che­ve­lure avec la peau de la tête et jetèrent des cendres brû­lantes sur les plaies. Enfin, après trois heures de tour­ments, un coup de hache ache­va la vic­time qui eut la tête tran­chée. C’était le 16 mars 1649. La féro­ci­té des sau­vages n’était pas encore satis­faite : un chef arra­cha le cœur du mar­tyr et le dévo­ra, puis les restes du corps muti­lé furent cou­pés par mor­ceaux et par­ta­gés à la foule.

La nuit sui­vante, ce fut le tour du P. Gabriel Lalemant. Avant la fin de la même année 1649, le 7 décembre, étaient encore mas­sa­crés les PP. Charles Garnier, de Paris, et Noël Chabanel, de Siaugues (Haute-​Loire).

Martyre de saint Jean de Brébeuf

Un groupe de huit martyrs. – Reliques et culte.

Trois jours après la mort des PP. Jean de Brébeuf et Gabriel Lallemant, une inex­pli­cable panique met­tait en fuite les Iroquois qui ren­trèrent dans leurs forêts. Les Pères, accou­rus de Sainte-​Marie, purent recon­naître les restes des deux témoins du Christ. Ils les recueillirent comme un tré­sor ines­ti­mable et les trans­por­tèrent eu 1650 à Québec où on les gar­da pieu­se­ment. La famille de Brébeuf offrit un reli­quaire pour y enfer­mer le crâne de son glo­rieux parent. Ce reli­quaire est sur­mon­té d’un buste en argent de l’illustre mar­tyr ; il est conser­vé par les reli­gieuses Augustines hos­pi­ta­lières de Québec. En 1652, l’archevêque de Rouen, qui avait juri­dic­tion sur la Nouvelle-​France, ouvrit le pro­cès de béa­ti­fi­ca­tion ; plu­sieurs gué­ri­sons à la suite d’application des reliques furent signa­lées dès le xviie siècle ; une autre devait être recon­nue en 1905 par un méde­cin protestant.

Pendant plus de deux cents ans, on se conten­ta d’admirer les ver­tus et le cou­rage de ces mar­tyrs et de leurs com­pa­gnons mis à mort vers le même temps en des mis­sions voi­sines, dont plu­sieurs sur le sol actuel des Etats-​Unis. On conser­va pieu­se­ment leurs restes, mais l’enquête si bien com­men­cée et pour­sui­vie n’arrivait pas à faire abou­tir la cause de béa­ti­fi­ca­tion. Les évé­ne­ments qui bou­le­ver­sèrent la France et le Canada expliquent suf­fi­sam­ment cette appa­rente négligence.

L’église Saint-​Gerbold, à Venoix, près de Caen, abri­tait avant la Révolution le tom­beau de trois Brébeuf : le poète de la Pharsale, le frère de celui-​ci, mort curé de Venoix, et leur mère. Sur ce tom­beau fut pla­cée en 1691 une ins­crip­tion latine gra­vée sur le marbre, et dont les der­nières lignes rap­pe­laient le sou­ve­nir du mar­tyr. Le texte de cette ins­crip­tion a été réta­bli en 1875 dans l’é­glise parois­siale recons­truite au XIXe siècle.

En 1884, le troi­sième concile plé­nier de Baltimore, puis, deux ans plus tard, le sep­tième concile pro­vin­cial de Québec firent des démarches en Cour de Rome pour obte­nir la béa­ti­fi­ca­tion des héroïques mis­sion­naires. La même année, on entre­prit l’érection d’une église com­mé­mo­ra­tive à Waubaushene, dans l’Ontario. En 1904, l’archevêque de Québec com­men­ça le pro­cès pré­li­mi­naire ; en 1909, le concile cana­dien de Québec adres­sa au Pape Pie X une sup­plique qui abou­tit à un décret favo­rable de la S. Congrégation des Rites en mars 1912, et, le 9 août 1916, Benoît XV signait l’introduction de la cause. Enfin le 2 juin 1925 Pie XI publiait à la fois le décret affir­mant le mar­tyre et le décret de tuto, et le 21 juin sui­vant, avait lieu à Saint-​Pierre de Rome la béa­ti­fi­ca­tion de huit mis­sion­naires du nou­veau conti­nent : Jean de Brébeuf et quatre autres mis­sion­naires en pays cana­dien : Gabriel Lalemant, Antoine Daniel, Charles Garnier, Noël Chabanel, plus trois mar­tyrs mis à mort aux Etats-​Unis : Isaac Jogues, d’Orléans, tué d’un coup de hache le 18 octobre 1646 ; René Goupil, d’Angers, « don­né » aux mis­sions puis pro­fès coad­ju­teur Jésuite, tué d’un coup de hachette le 29 sep­tembre 1642 ; Jean de La Lande, de Dieppe, simple « don­né », suc­ces­seur du pré­cé­dent au ser­vice du P. Isaac Jogues, avec qui il mourut.

La cause de ces huit bien­heu­reux fut reprise dès le 24 novembre 1925, et, le 29 juin 1930, Pie XI pla­çait solen­nel­le­ment au rang des Saints ces mar­tyrs fran­çais et fixait leur fête au 26 septembre.

La joie du Canada pour la cano­ni­sa­tion de ces mis­sion­naires venus de France a été très vive : le Saint-​Père a reçu des télé­grammes du pre­mier ministre de la pro­vince de Québec, du maire de Québec, ain­si que des Hurons de Lorette.

A.-Ch. D.

Sources consul­tées. – P. Martin, S. J., Hurons et Iroquois, Le P. Jean de Brébeuf, sa vie, ses tra­vaux, son mar­tyre (Paris, 1898). – P. Henri Fouqueray, S. J., Martyrs du Canada, ouvrage publié par le P. Alain de Becdelièvre (Paris, 1930). – P. Frédéric Rouvier, Le P. Jean de Brébeuf, de la Compagnie de Jésus, pre­mier apôtre des Hurons, (Lille, 1890). – E. Chardavoine, Annuaire pon­ti­fi­cal catho­lique de 1926 et de 1931 (Paris, Bonne Presse).