Sainte Catherine de Gênes

La vision de sainte Catherine de Gênes, par Marco Benefial

Veuve, Hospitalière (1447–1510)

Fête le 15 septembre.

Catherine naquit à Gênes, en 1447. Son père, Jacques Fieschi, était vice-​roi de Naples. Sa famille fut féconde en grands hommes ; elle don­na à l’Eglise deux Papes, Innocent IV (1243–1254) et Adrien V (1276), et huit ou neuf car­di­naux ; deux arche­vêques à Gênes, et beau­coup de magis­trats et de capi­taines à sa patrie.

Son enfance.

Les parents de Catherine, en bons et fer­vents chré­tiens, l’éle­vèrent dans la crainte et l’amour de Dieu, et elle pro­fi­ta si bien de leurs leçons, que, dès l’âge de huit ans, elle se mit à pra­ti­quer des mor­ti­fi­ca­tions très rudes : elle dor­mait sur une simple paillasse et n’avait qu’un mor­ceau de bois pour oreiller, mais elle avait soin de cacher ses péni­tences à son entourage.

Elle eut aus­si de bonne heure le don d’oraison à un degré extraor­dinaire. Elle avait dans sa chambre une image repré­sen­tant Notre-​Seigneur mort, cou­ché sur le sein de la Sainte Vierge. Elle san­glotait toutes les fois qu’elle contem­plait ce tableau.

A l’âge de douze ans, son orai­son attei­gnit un degré encore plus sublime ; elle éprou­vait les déli­cieuses ardeurs de l’amour de Dieu, par­ti­cu­liè­re­ment quand elle médi­tait sur la Passion de son Sauveur ; sa dis­po­si­tion était celle de l’abandon le plus par­fait à la volon­té divine, elle n’avait de joie que dans la contem­pla­tion des choses du ciel, et tous les biens de la terre lui ins­pi­raient hor­reur et dégoût.

Voulant se don­ner entiè­re­ment à Dieu, qui se com­mu­ni­quait à elle avec tant de fami­lia­ri­té, l’enfant réso­lut d’entrer dans le cloître.

Parmi les nom­breux monas­tères de femmes qu’on comp­tait alors à Gênes, elle choi­sit le couvent de Notre-​Dame des Grâces, sou­mis à la règle de saint Augustin. Elle ouvrit son cœur à son direc­teur spi­ri­tuel, et le pria ins­tam­ment, s’il approu­vait ses pen­sées, de la faire admettre dans ce monas­tère. Le prêtre éprou­va quelque temps sa voca­tion ; la voyant inébran­lable, il fît la demande à la Supé­rieure du couvent ; mais Catherine n’avait que treize ans, et la Règle s’opposait à ce qu’on admît des pos­tu­lantes d’un âge aus­si tendre. Les reli­gieuses connais­saient les grâces extra­or­di­naires dont jouis­sait l’enfant ; pour­tant elles aimèrent mieux renon­cer au tré­sor qu’on leur pro­po­sait, que de trans­gres­ser leurs règlements.

Mariage de sainte Catherine.

Elle fut fort affli­gée de ce refus ; mais, après avoir ployé un ins­tant, elle se redres­sa avec éner­gie et dit : « C’est Dieu qui me fait subir cette épreuve ; je lui remets le soin de ma per­sonne, afin qu’il me fasse arri­ver à mon but par les voies que sa sagesse juge­ra les meilleures, » Ces voies devaient être dou­lou­reuses ; dès l’âge de seize ans, elle com­men­ça à y entrer. Elle per­dit son père en 1460, et se trou­va ain­si sous la tutelle de son frère aîné, Jacques.

A cette époque, la ville de Gênes était le théâtre de guerres san­glantes, en rai­son de la riva­li­té des Guelfes et des Gibelins. Mais le duc de Milan, pro­fi­tant de ces troubles civils, vint à s’emparer de Gênes et fît ces­ser l’anarchie. Les familles enne­mies se rap­pro­chèrent et c’est ain­si que les Fieschi firent la paix avec les Adorno ; pour cimen­ter cette récon­ci­lia­tion, Jacques Fieschi don­na à Julien Adorno la main de sa sœur Catherine.

Habituée à voir l’ordre divin dans tout ce qui lui adve­nait de la part des créa­tures, celle-​ci se lais­sa mener à l’autel et contrac­ta avec un époux mor­tel cette union qu’elle eût tant dési­ré de ne con­clure qu’avec Jésus-​Christ (13 jan­vier 1463).

Cet esprit d’obéissance aveugle peut sem­bler étrange. Il est pour la ser­vante de Dieu un prin­cipe de per­fec­tion. Dans ses Dialogues (ch. xviii), l’Esprit dit à l’Humanité : « Jamais tu ne consi­dé­re­ras ni quel est celui qui t’appelle, ni quelle est la chose que tu vas faire. Jamais tu n’agiras par choix ; il faut, au contraire, que la volon­té d’autrui devienne la tienne et qu’en aucun cas tu ne fasses la tienne propre. » Le mariage de Catherine semble n’avoir été qu’une appli­cation de cette règle mystique.

Julien Adorno était d’un exté­rieur ave­nant, riche et d’illustre nais­sance ; mais c’était un homme dur, violent et empor­té, joueur et volup­tueux. On com­prend tout ce que Catherine eut à souf­frir d’un tel époux. Méprisée par lui, elle se séques­tra chez elle et se mit à prier nuit et jour ; mais il sem­blait que le Seigneur aus­si l’eût aban­don­née. Cela dura cinq ans. Consumée par l’affliction, elle mai­grit au point de deve­nir entiè­re­ment méconnaissable.

Sa paren­té, effrayée de ce chan­ge­ment, eut recours à toutes sortes de moyens et d’artifices pour la rendre au monde.

Elle céda et com­men­ça à se don­ner quelque liber­té, entre­te­nant un com­merce de visites avec les femmes de son rang, et usant avec modé­ra­tion de cer­tains plai­sirs per­mis, dont jusqu’alors elle s’était tou­jours tenue éloi­gnée. Mais la soif de son cœur s’en accrut au lieu de s’apaiser. Elle res­sen­tit un vide affreux, plus amer encore que sa séche­resse intérieure.

Telle était sa situa­tion, lorsque, le jour de la fête de saint Benoît, en 1474, elle entra dans l’église consa­crée à ce Saint, et, s’étant pros­ter­née à terre, elle s’écria, presque désespérée :

– Saint Benoît, deman­dez à Dieu qu’il m’envoie une mala­die de trois mois.

Cette prière ne fut pas exau­cée, mais ce fut pour Catherine dès le len­de­main le point de départ d’une vie nouvelle.

Jésus-​Christ apparaît à sainte Catherine.

Toujours en proie aux mêmes tour­ments, la pieuse femme confia sa peine à sa sœur Limbania, reli­gieuse à Notre-​Dame des Grâces, et sur son conseil, alla ouvrir son cœur au confes­seur du monas­tère, prêtre éclai­ré et de très sainte vie.

« Dieu, qui la regar­dait du haut du ciel, dit Ribadeneira, ne put tenir à tant de droi­ture unie à une dou­leur si vraie ; son cœur de père s’émut, et un rayon de la divine bon­té des­cen­dit dans l’âme de Catherine. » A la flamme de ce rayon, le cœur de la jeune femme s’embrasa ; elle com­prit d’un seul coup l’amour infi­ni de Dieu. Une dou­leur immense ser­ra son âme et la bri­sa ; les joies du monde s’éteignirent pour elle : un seul regard de Dieu lui avait révé­lé les joies inef­fables de l’amour divin. Absorbée dans l’extase de ce nou­vel amour, elle ne savait que répé­ter ces mots : « Plus de monde, plus de péché ! »

Elle retourne à sa demeure, s’enferme dans sa chambre, et jette loin d’elle, pour ne plus les reprendre, ses vains orne­ments de femme. Elle ne cesse de répé­ter d’une voix entre­cou­pée de sanglots :

– Ô amour, se peut-​il que vous m’ayez pro­ve­nue avec une telle bon­té, et qu’en un moment vous m’ayez fait connaître tant de choses que ma langue ne sau­rait exprimer !

A ce moment, Notre-​Seigneur lui appa­raît char­gé de sa croix ; il est cou­vert de sang, de la tête aux pieds, et en répand en si grande abon­dance que toute la mai­son en paraît inondée.

– Vois, ma fille, lui dit-​il : tout ce sang répan­du au Calvaire pour l’amour de toi, en expia­tion de tes fautes.

La vue de cet excès d’amour allume en Catherine une haine inex­tin­guible contre elle-même :

– Ô Amour ! s’écrie-​t-​elle, je ne péche­rai jamais plus, et, s’il en est besoin, je suis prête à confes­ser mes péchés en public !

Trois jours après cet évé­ne­ment, elle fit avec larmes sa confes­sion géné­rale, et aus­si­tôt elle fut tou­chée d’un ardent désir de la sainte Communion. Elle obtint la per­mis­sion, rare alors, de com­munier tous les jours. Le céleste ali­ment était sa vie, non seule­ment quant à l’âme, mais même quant au corps.

En effet, pen­dant vingt-​trois ans, il lui fat impos­sible de prendre autre chose que la sainte Communion. Elle buvait seule­ment chaque jour un verre d’eau, mêlée de vinaigre et de sel, pour modé­rer le grand feu qui la dévo­rait inté­rieu­re­ment ; pen­dant cette prodi­gieuse abs­ti­nence, elle fut mieux por­tante et plus vigou­reuse qu’auparavant.

Ses austérités.

Elle avait constam­ment devant les yeux ses fautes pas­sées, et quoique, d’après le témoi­gnage de son confes­seur, elle n’eût pas com­mis de péché mor­tel, ce sou­ve­nir entre­te­nait cepen­dant son repen­tir et sa haine d’elle-même.

Elle inter­dit à sa langue toute parole inutile ; et, pour se punir de l’abus qu’elle esti­mait en avoir fait autre­fois, il lui arri­vait sou­vent de la frot­ter contre le sol de manière à la mettre en sang.

Elle s’astreignit aus­si à dor­mir fort peu, sou­vent elle met­tait dans son lit des ronces et des char­dons pour se pri­ver de la dou­ceur du repos. Mais, ain­si qu’elle le dit elle-​même, Dieu, qui vou­lait la lais­ser jouir du som­meil néces­saire, déjouait son cal­cul, et elle dor­mait aus­si bien sur les épines que sur le duvet. Tous les jours elle pas­sait six à sept heures en prière, age­nouillée sur la terre.

Elle s’attacha avec plus de soin encore à la mor­ti­fi­ca­tion inté­rieure qu’à la mor­ti­fi­ca­tion exté­rieure. « Les macé­ra­tions infli­gées au corps, disait-​elle, sont par­fai­te­ment inutiles, quand elles ne sont pas accom­pa­gnées de l’abnégation du moi. »

Pour mettre cette maxime en pra­tique, Catherine s’efforcait de décou­vrir toutes ses affec­tions et les ten­dances de sa volon­té propre, afin de les vaincre et de les détruire. Elle en vint ain­si à n’avoir plus aucun désir, aucune pré­fé­rence, à se trou­ver vis-​à-​vis de tout ce qui n’était pas Dieu dans un état par­fait de sainte indifférence.

Extraits de ses « Dialogues ».

Une pié­té ordi­naire s’alarme de telles macé­ra­tions et d’un idéal de per­fec­tion si oppo­sé à la nature. Après avoir noté qu’il serait d’une suprême impru­dence de s’engager sans une « voca­tion », sans l’avis de son direc­teur, dans une voie si extra­or­di­naire, don­nons quelques expli­ca­tions nécessaires.

Comme tous les saints, et comme tous les chré­tiens qui ont une vie inté­rieure ardente, Catherine s’est posé le redou­table pro­blème des rela­tions des biens natu­rels avec les biens spi­ri­tuels. Les biens natu­rels élèvent-​ils l’âme vers Dieu ou l’éloignent-ils de lui ? Chacun donne au pro­blème une solu­tion conforme à sa grâce, à son tem­pé­ra­ment et, disons le mot, à son égoïsme ; et beau­coup se réfu­gient dans une ver­tu moyenne en se répé­tant qu’il n’y a rien de mieux à faire.

Ce n’était pas l’avis de Catherine. Pour elle, l’amour de Dieu ne connaît pas ces cal­culs mes­quins ; il tend à l’oubli com­plet de tout ce qui n’est pas Dieu lui-​même, et au sacri­fice total de l’égoïsme même spirituel.

Les Dialogues qu’elle écri­vit et qui, ani­més d’une véri­té pal­pi­tante, ne sont que sa propre his­toire, nous montrent une âme gra­vis­sant les degrés de la voie pur­ga­tive, puis s’élevant à la plus haute per­fec­tion, après avoir glis­sé un ins­tant sur la pente de l’humaine fai­blesse. Et rien n’est plus émou­vant que les com­bats entre la nature et la grâce qui se livrent dans la plaine avant l’ascension mys­tique. L’auteur met en scène l’Ame, le Corps et l’Amour-propre :

– Pour pou­voir te ser­vir de ton corps, ô Ame, il est néces­saire que tu lui accordes ce dont il a besoin ; autre­ment il mour­ra ; si tu as soin de lui don­ner ce qu’il faut, il te lais­se­ra tranquille…

Et l’Ame de ripos­ter d’abord à ses deux compagnons :

– Je suis fort mécon­tente et affli­gée de devoir condes­cendre au corps en tant de choses, et je crains qu’en m’obligeant à le repaître sous pré­texte de néces­si­té, vous ne me pous­siez à prendre part moi-​même à ses plai­sirs, car en goû­tant les choses ter­restres, je per­drai le goût des choses spirituelles…

Mais, pour renou­ve­ler l’attaque, le Corps fait appel à toute la sagesse charnelle.

– … Tu dois com­prendre que Dieu n’aurait pas créé les choses qu’il a faites, si elles devaient por­ter dom­mage aux âmes… J’ai néces­si­té de me vêtir, de man­ger, de boire et dor­mir, d’être soi­gné et de me récréer en quelque chose, afin de pou­voir te ser­vir lorsque tu auras besoin de moi!…

Ce sont bien les argu­ments de la nature lorsqu’elle cherche à abu­ser des dons de Dieu. Et nous assis­tons à la déchéance pro­gres­sive de l’âme défaillante. Elle est décrite par la Sainte en termes si vrais que cela fait sou­rire comme une scène de fine comé­die ; et fina­lement, « il ne res­tait à l’âme qu’un petit remords dont elle tenait d’ailleurs très peu compte ! »

Après avoir jugé, en termes pro­fon­dé­ment exacts, les exi­gences du corps, elle réplique :

Maintenant, j’ai l’intention de vous faire à vous-​mêmes ce que vous vou­liez me faire à moi, et je n’aurai pour vous d’autres égards que ceux que l’on a pour des enne­mis mor­tels… Je ne vous accor­de­rai que le strict nécessaire…

Mais elle ajoute :

Plus tard vous aurez tout ce que vous vou­drez ! Je vous mène­rai à une satis­fac­tion si grande et si cer­taine que vous-​mêmes, et dès la vie pré­sente, ne pour­rez plus dési­rer autre chose… Laisse-​moi agir, ô corps, je ferai en sorte que toi-​même tu chan­ge­ras d’avis, et tu vivras en un si grand conten­te­ment, que si tu n’en fai­sais l’expérience tu ne le croi­rais toi-même !

Si la déci­sion est ter­rible, on voit que les effets en sont délec­tables. C’est en ce monde un avant-​goût de la béa­ti­tude céleste.

Elle s’adonne au soin des malades.

Il exis­tait à Gênes une Société dite de la Miséricorde, com­po­sée de quatre des prin­ci­paux per­son­nages de la ville et de huit dames de cha­ri­té choi­sies par­mi les plus nobles et les plus riches. Cette Société avait pour but le secours des pauvres et l’administration des aumônes.

Catherine y fut admise et com­men­ça sans délai l’exercice de son nou­vel emploi. Tous les jours, elle par­cou­rait les rues de la ville, pour décou­vrir les pauvres et les malades qui cachaient leur détresse.

Rencontrait-​elle quelque lépreux, quelques infor­tu­nés cou­verts d’ulcères ou de plaies engen­drant la gan­grène, elle leur pro­cu­rait des demeures saines, des lits, du linge, la nour­ri­ture et les remèdes dont ils avaient besoin ; elle rem­plis­sait auprès d’eux les offices de garde et de ser­vante, jusque dans les détails les plus rebutants.

Sainte Catherine de Gênes assis­tant les pauvres

Elle avait dû livrer de rudes com­bats avant d’arriver à ce degré héroïque de cha­ri­té. Elle avait une hor­reur ins­tinc­tive pour les mala­dies, pour les mau­vaises odeurs sur­tout. Lorsqu’elle sen­tait son esto­mac en pleine révolte, à la vue de cer­tains ulcères puru­lents, elle por­tait réso­lu­ment à la bouche ce qui cau­sait son dégoût et l’avalait. Elle répé­ta ces actes héroïques jusqu’à ce qu’elle eût rem­por­té le triomphe le plus complet.

Elle s’était impo­sé trois règles prin­ci­pales de perfection :

La pre­mière, de ne jamais dire : Je veux ou Je ne veux pas ; ni mon ou mien ; mais seule­ment : Faites ceci, ne faites pas cela ; notre livre, notre habit…

La seconde, de ne point s’excuser, mais d’être tou­jours prête à s’accuser.

La troi­sième, de prendre pour fon­de­ment de toute sa vie cette parole du Pater : « Que votre volon­té soit faite. »

Conversion de son époux.

Julien Adorno avait conti­nué à mener une vie dis­si­pée ; et comme il n’avait pas mis de bornes à ses folles pro­di­ga­li­tés, au bout de quelques années il se trou­va com­plè­te­ment rui­né. Vaincu par la dou­ceur et la patience de Catherine, il ren­tra en lui-​même, la pria hum­ble­ment de lui par­don­ner sa conduite pas­sée, s’associa à ses bonnes œuvres, se fit rece­voir Tertiaire dans l’Ordre de Saint-François.

Cependant, un mau­vais carac­tère et des habi­tudes invé­té­rées ne se réforment pas en un jour. Vers la fin de l’année 1497, il fut atteint d’une dou­lou­reuse infir­mi­té. L’emploi des remèdes pres­crits par les méde­cins aggra­va le mal. L’irascibilité du malade se réveilla avec une vio­lence inouïe.

Catherine, au che­vet de son époux, cher­chait en vain à le calmer.

Craignant enfin que ces impa­tiences ne missent le salut de Julien en dan­ger, elle se reti­ra dans une chambre voi­sine, se jeta à genoux en pleu­rant, et répé­ta plu­sieurs fois :

– Ô mon Seigneur, je vous demande cette âme ; je vous sup­plie de me la don­ner ! Vous pou­vez le faire !

Rentrant dans la chambre du malade, elle le trou­va chan­gé et par­fai­te­ment rési­gné, et elle conti­nua à l’exhorter jusqu’au moment où il ren­dit son âme dou­ce­ment au Créateur.

Sainte Catherine à la tête du grand hôpital de Gênes.

Avant la mort de son mari, elle avait été deman­dée au grand hôpi­tal de Gênes, pour diri­ger le ser­vice des malades.

Elle s’acquitta de ses fonc­tions avec un zèle sans bornes.

Entre autres faits héroïques qu’elle accom­plit, les contem­po­rains rap­portent qu’il y avait là une Tertiaire fran­cis­caine, atteinte d’une fièvre pes­ti­len­tielle. Elle la visi­tait fré­quem­ment et l’engageait à invo­quer le nom de Jésus. La mori­bonde ne pou­vait pro­fé­rer un son ; mais le mou­ve­ment de ses lèvres et l’expression de son regard prou­vaient qu’elle avait la volon­té de le faire et que son cœur était brû­lant d’amour. « Alors, dit un bio­graphe, Catherine, lui voyant la bouche pleine de Jésus, ne se contint plus ; elle bai­sa avec trans­ports les lèvres de la mou­rante, pour y recueillir le nom sacré de son Bien-​Aimé. » Mais elle y prit aus­si le germe de la peste, qui la rédui­sit à toute extré­mi­té. Elle gué­rit contre toute espé­rance, et reprit ses fonctions.

Extases de sainte Catherine. – Sa mort. – Son culte.

Semblable au Roi-​Prophète ou à saint François d’Assise, Catherine exhor­tait la créa­tion entière à louer le Seigneur : « Petites fleurs, mes amies, disait-​elle en entrant dans son jar­din, vous êtes les créa­tures de mon Dieu, aimez-​le donc et bénissez-​le à votre manière. »

Elle était tel­le­ment dévo­rée de l’amour divin qu’elle per­dait l’usage de la parole : à peine pouvait-​elle encore pro­non­cer tout bas ces mots : « Mon cœur s’en va, je le sens consumé. »

Quand elle com­men­çait à par­ler de Dieu et du Purgatoire, son visage deve­nait radieux et sem­blable à la face d’un ché­ru­bin. En enten­dant la doc­trine admi­rable qui cou­lait de ses lèvres, on croyait assis­ter aux leçons d’un ange ini­tié aux mys­tères du ciel.

Son direc­teur l’obligea à écrire plu­sieurs de ses ensei­gne­ments ; en par­ti­cu­lier son Traité du Purgatoire et ses Dialogues.

Les dix der­nières années de sa vie ne furent qu’un long et con­tinuel mar­tyre. Elle prit par obéis­sance les remèdes ordon­nés par les méde­cins, bien qu’ils aug­men­tassent ses souf­frances physiques.

Elle assu­rait elle-​même « qu’il lui sem­blait être dans un mou­lin qui lui tri­tu­rait l’âme et le corps ». Tandis qu’elle souf­frait ain­si, des anges venaient de temps en temps l’encourager.

Le 25 août 1510, après un long éva­nouis­se­ment, elle fit ouvrir ses fenêtres, pour contem­pler le ciel, et chan­ta le Veni Creator Spiritus. Puis elle eut une extase d’une heure et demie :

– Allons-​nous-​en ! Plus de terre ! disait-elle.

Le 14 sep­tembre, elle parut se rani­mer. Un peu après minuit, on lui deman­da si elle com­mu­nie­rait. Connaissant sa fin pro­chaine, elle mon­tra du doigt le ciel, afin de faire com­prendre qu’elle y était atten­due. Puis son visage prit une incom­pa­rable expres­sion de séré­ni­té. D’une voix pleine de dou­ceur, elle pro­non­ça les der­nières paroles de Jésus-​Christ : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains », et elle ren­dit le der­nier soupir.

Dix huit mois après sa mort, elle fut mise au nombre des Bienheu­reux par le Pape Jules II. La cano­ni­sa­tion fut décré­tée le 30 avril 1737 par Clément XII, et la céré­mo­nie eut lieu le 16 juin sui­vant. Sa fête, d’abord fixée au 22 mars pour com­mé­mo­rer sa conver­sion en 1474, est au 15 sep­tembre depuis 1922.

Son corps est conser­vé dans une magni­fique châsse en verre, à la cha­pelle supé­rieure du grand hôpi­tal de Gênes.

A. B.

Sources consul­tées. – Vte de Bussière, Vie et œuvres de sainte Catherine de Gênes, revue par le P. Millet, S. J. (Paris). – (V. S. B. P., n° 187.)