Vierge et Abbesse Bénédictine (1098–1179)
Fête le 17 septembre.
Le Saint-Esprit souffle où il lui plaît, et bien souvent c’est aux humbles et aux ignorants qu’il révèle les secrets de sa sagesse infinie. Sainte Hildegarde va nous en fournir un précieux exemple.
Enfance privilégiée. – Une recluse de huit ans.
Hildegarde naquit en 1098, dans la région d’Allemagne située sur la rive gauche de la Nahe, au-dessus de Kreuznach, au château ou au village de Bœckelheim, sur le territoire et au diocèse de Mayence. Ses parents, Hildebert et Mathilde, étaient renommés par leur noblesse et par l’étendue de leurs biens. Hildegarde était la dixième enfant de cette famille bénie, circonstance qui inspira à ses parents l’idée d’offrir leur fille spontanément et d’un commun accord à Dieu, qui, sous la loi ancienne, exigeait la « dîme ».
L’enfant était d’une constitution chétive, et toute sa vie, qui fut longue, elle n’eut qu’une médiocre santé. Si le corps était faible, par contre lame fut de bonne heure favorisée de grâces et de visions extraordinaires. Nul autre Saint n’a joui d’une telle précocité.
A ma troisième année, nous dit-elle, je vis une si grande lumière que mon âme en fut tout effrayée ; mais à cause de l’impuissance de l’âge, je n’en pus rien manifester… La Sagesse qui enseigne à la lumière de la vérité m’a fait un ordre de dire comment j’ai été constituée en cet état… « Tu diras : dans ma première formation, lorsque Dieu m’a insufflé la vie dans le sein de ma mère, il a fixé à mon âme ce don de vision… » Plus tard, je demandai un jour à ma nourrice si elle voyait quelque chose de semblable, elle ne me répondit pas, parce qu’elle ne voyait point. Alors, saisie d’une grande appréhension, je n’osai plus rien manifester à personne.
Lorsqu’elle eut huit ans, ses parents, se rendant à ses instances, la confièrent à une pieuse vierge, Judith de Spanheim, qui avait abandonné les vanités du monde pour vivre cloîtrée dans un couvent accolé à l’église de Disenberg. Ce monastère avait été sanctifié par la longue présence de saint Disibode, évêque irlandais qui le fonda au viiie siècle. Dans un âge si tendre, Hildegarde eut donc à partager cette existence alimentée de pain et d’eau. Bien qu’elle ne fût là qu’à titre d’oblate, presque de pensionnaire, la fillette suivait déjà, avec bon nombre de compagnes, la règle de saint Benoît, s’appliquant, en dehors des exercices religieux, à l’étude de l’allemand, sa langue maternelle, du latin qu’elle sut fort bien, de la musique et du chant liturgique.
Supérieure du monastère.
Après sept années de noviciat, donc à quinze ans, en 1113, Hildegarde reçut le voile des mains de l’évêque de Bamberg, saint Othon, frère d’une religieuse du couvent. Avant comme après sa profession, les visions ne cessèrent pas.
Il m’était habituel, raconte-t-elle, de dévoiler l’avenir dans les conversations. Et quand j’étais pleinement absorbée par une vision, je disais beaucoup de choses qui paraissaient étranges à ceux qui les écoutaient. Cela me faisait rougir et pleurer et, bien souvent, je me serais tue, si cela eût été en mon pouvoir. Dans ma crainte, je n’osais avouer à personne ce que je voyais, si ce n’est à la noble femme à qui j’avais été confiée et qui en fit part à un moine qu’elle connaissait.
Mais voici qu’en décembre 1136, sa pieuse maîtresse mourait en odeur de sainteté, et, après bientôt trente ans de vie commune, Hildegarde était privée de celle qui avait constitué jusque-là son principal appui. Néanmoins, sa sainteté et ses mérites la faisaient si bien distinguer de ses compagnes, qu’elle fut à l’unanimité désignée pour succéder à la fondatrice.
Godefroy de Gembloux, qui fut plus tard son directeur et son biographe, nous a tracé d’elle ce portrait flatteur :
Une immense bienveillance faisait le fond de son caractère, une charité admirable qui ne savait exclure personne. Les murailles d’enceinte de l’humilité défendaient le donjon de sa virginité. Elle n’accordait à son tendre corps que très peu de nourriture et de boisson, et elle gardait la paix de son cœur par la chasteté de ses propos.
Dieu, qui voulait faire d’Hildegarde un vase précieux, la mit au creuset des souffrances et l’y laissa longtemps. Elle fut toute sa vie en proie à de cruelles et incessantes maladies. Son corps devint si faible que, plusieurs fois, on crut sa dernière heure arrivée. Mais elle, au milieu de ses tourments, était joyeuse, car ses révélations étaient en proportion de ses souffrances.
D’autres fois, l’intimité de Dieu avec elle disparaissait au moment même où la douleur se faisait sentir plus cruellement, afin de fléchir la volonté de la religieuse, qui, par excès de timidité ou par crainte d’attirer des désagréments à sa maison, s’obstinait à garder un silence condamné du ciel. Ainsi vers 1147, elle devint momentanément aveugle, et ses visions cessèrent pour un temps. Elle souffrit tous ces maux, dit-elle elle-même, parce qu’elle avait essayé de se réfugier dans ce silence qui lui réussissait si peu, voulant taire la vision dans laquelle Dieu lui avait montré le lieu où elle devait se rendre avec ses filles.
Une autre fois, très souffrante, elle écrivait :
Mon corps était toujours exposé au feu de la tribulation, ainsi que Dieu a coutume d’éprouver ceux qu’il charge de parler en son nom. Il m’a accordé un grand soulagement dans la compassion infatigable de deux de mes filles et de plusieurs autres personnes. Je l’ai remercié de ce que les hommes ne me rebutaient pas. Car ma chair n’eût pu résister à une semblable torture qui ne serait pas venue de sa main ; tandis qu’au milieu de ce martyre j’ai pu dicter, écrire et chanter dans une vision céleste ce que le Saint-Esprit m’inspirait.
Cet état de langueur fiévreuse dura trois ans et finit, comme les autres, par l’intervention divine.
Elle vit, dit son historien, un chérubin poursuivant d’un glaive enflammé les esprits aériens qui la tourmentaient. Et ceux-ci s’enfuirent en criant : « Ah ! malheur ! malheur ! Elle nous échappera sans que nous en ayons pu triompher. » Aux consolations comme aux épreuves la Sainte se soumettait avec une résignation touchante et une admirable simplicité…
Ordre d’écrire ses visions.
Un jour, pendant une vision, Notre-Seigneur lui commanda de mettre par écrit tout ce qu’elle avait vu jusque-là. Elle s’en attrista et négligea d’obéir. Notre-Seigneur redoubla alors l’intensité de ses souffrances, sans cependant cesser de lui continuer ses bienfaits, car il punit en père ses enfants. C’est même pendant le cours de cette maladie qu’il lui accorda une précieuse faveur. Pendant que, clouée sur son lit de douleur, elle ne donnait presque plus signe de vie, elle vit le ciel s’ouvrir et un feu très lumineux lui pénétra la tête, le cœur et toute la poitrine, sans la brûler, mais avec une chaleur douce, et aussitôt elle reçut l’intelligence des Psaumes, des Evangiles et des autres livres de la Sainte Ecriture.
Hildegarde voyait bien que ses souffrances étaient une punition de sa désobéissance, et cependant elle hésitait. Comment, en effet, accorder cet ordre du ciel avec son excès d’humilité ? Enfin, ses souffrances augmentant, elle résolut de découvrir au religieux son confesseur le trouble où elle était. Le religieux ne voulut pas décider par ses propres lumières dans une affaire si difficile ; il demanda conseil à son supérieur. Celui-ci fut d’avis que la pieuse recluse devait obéir à l’ordre quelle avait reçu. C’était en l’année 1141.
Hildegarde se mit donc à l’œuvre et écrivit les révélations qu’elle avait eues jusqu’alors. Elle remit ensuite aux mains de son confesseur les parties rédigées de son ouvrage, afin que celles-ci fussent soumises au jugement de l’Eglise. Le religieux les présenta d’abord à son supérieur, qui, lui-même, alla en conférer avec l’archevêque Henri de Mayence et les savants de son Eglise. L’archevêque, sachant que le Pape Eugène III était à Trèves, où il s’était rendu après le Concile de Reims, en référa au Souverain Pontife. Le Pape, à son tour, ne voulut rien décider sans une mûre délibération. Il envoya donc vers Hildegarde l’évêque de Verdun, le bienheureux Albéron, avec d’autres personnes fort éclairées, afin d’entamer une enquête approfondie sur les merveilles que la renommée publique attribuait à la pieuse moniale. Celle-ci leur raconta avec simplicité ce qui la concernait et leur remit une copie de son livre, Scivias ou Connais les voies du Seigneur, du moins de ce qui était écrit.
Les envoyés, de retour vers le Pape, l’assurèrent que l’humilité et la simplicité de la Sainte étaient des marques assurées que le Saint-Esprit la conduisait. On était alors à la fin de l’année 1147. Eugène III prit le livre d’Hildegarde et le lut lui-même, à haute voix, en présence des cardinaux, des évêques et de tout le clergé. Et tous bénirent Dieu de s’être manifesté d’une manière si extraordinaire à une simple fille.
Saint Bernard, abbé de Clairvaux, était présent. Il pria le Souverain Pontife de ne pas permettre qu’une si pure lumière fût étouffée sous le boisseau, mais d’employer son autorité pour confirmer ce que la recluse avait dicté et pour l’engager à continuer. Eugène III acquiesça de grand cœur à sa demande et écrivit à Hildegarde, le 6 février 1148, une lettre fort élogieuse que nous avons encore.
Nous admirons, ma fille, lui disait-il, que Dieu accomplisse de nos jours de nouveaux miracles, en vous remplissant de son esprit. On dit que vous voyez, comprenez et révélez des secrets. C’est ce qui Nous a été rapporté par des personnes dignes de foi qui attestent vous avoir vue et entendue… Soyez bénie de cette faveur divine dont Nous vous félicitons, vous rappelant que Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles. Conservez précieusement cette grâce qui est en vous ; ce que l’Esprit-Saint vous imposera d’annoncer, annoncez-le avec prudence, vous rappelant cette parole : Ouvrez votre bouche et je la remplirai. Ce que vous Nous avez demandé au sujet du lieu qui vous a été montré en vision, exécutez-le avec Notre bénédiction et la permission de votre évêque. Vivez‑y régulièrement avec vos Sœurs, selon la règle de saint Benoît, et dans la clôture.
Fondation d’un monastère. – Visites et missions apostoliques.
Cette approbation solennelle du Pape répandit partout le bruit de la sainteté d’Hildegarde. Le parfum de ses vertus attira bientôt d’autres jeunes filles qui vinrent se ranger sous sa conduite pour vivre dans la pratique des conseils évangéliques, de sorte que l’ermitage du mont Saint-Disibode ne tarda pas à devenir trop étroit.
Notre-Seigneur ordonna à la Sainte de se retirer avec ses compagnes sur le mont Saint-Rupert, là même où la Nahe se jette dans le Rhin, près de Bingen, à cinq heures environ du mont Saint Disibode. Son confesseur et les autres moines s’y opposèrent de toutes leurs forces, pensant que c’était la vanité qui poussait la Mère abbesse à s’établir ailleurs. Un d’entre eux surtout se fît remarquer par l’ardeur qu’il mettait à animer les autres à la résistance. Aussi, quelques jours après, il fut subitement frappé d’une maladie étrange. La langue lui enfla outre mesure, tellement que sa bouche devint trop étroite pour la contenir. Il fît alors signe qu’on le portât dans l’église de Saint-Rupert. Là, il fit vœu, s’il recouvrait la santé, de cesser toute opposition et même d’aider à l’établissement des Sœurs. Miraculeusement guéri, il mit autant d’ardeur à seconder Hildegarde qu’il en avait mis à entraver ses desseins. Dès que l’abbesse eut repris son projet de fondation, elle qui était alors en danger de mort, sentit un grand soulagement dans tout son corps ; quand tout fut prêt et le jour du départ arrivé, elle put se lever comme si jamais elle n’eût été malade.
Le mont Saint-Rupert appartenait au comte de Spanheim, dont la fille Hiltrude avait embrassé la vie religieuse sous la conduite de la Sainte ; il en fit don au nouveau monastère, qui fut fondé vers la fin de l’année 1147. La sainte abbesse y continua cette vie de souffrances physiques et d’illuminations surnaturelles qu’elle avait menée jusqu’alors. Longtemps après, en 1165, elle fonda à Eibingen, sur la rive droite du Rhin, à une lieue de Saint-Rupert, un monastère nouveau sous le vocable de Saint-Gilbert, lequel fut pourvu d’un revenu suffisant à l’entretien de trente religieuses, et ce prieuré resta soumis à l’abbaye.
Hildegarde dut entreprendre aussi plusieurs missions pour annoncer aux moines et au clergé ce que Dieu voulait qu’elle dît. Le plus grand nombre de ses voyages se placent entre les années 1152 et 1162, c’est-à-dire au moment de sa vie où elle eut le plus à souffrir. Ils eurent lieu dans les régions rhénanes et même quelques autres, depuis Bamberg et Wurtzbourg à l’Est jusqu’à Werden sur la Rhur et Metz en Lorraine. Plusieurs furent accomplis pour la réforme de monastères bénédictins, soit d’hommes, soit de femmes, dont la discipline s’était relâchée ; quelques visites n’eurent pour objet que de porter à la connaissance de tous les avertissements qu’elle tenait du ciel.
Moi, frêle et timide créature, écrit-elle un jour, je me suis beaucoup fatiguée pendant deux ans pour publier ces oracles de vive voix en présence des pasteurs, des docteurs et autres sages, me rendant pour cela aux divers lieux de leur résidence.
Quelques miracles.
Hildegarde fît un grand nombre de miracles. Qu’il suffise d’en rapporter quelques-uns.
Un jour qu’elle naviguait sur le Rhin, tout près de Rudesheim, une femme s’approcha de la barque portant dans ses bras un petit enfant aveugle. Elle conjura Hildegarde d’imposer les mains au petit infirme. Celle-ci, en souvenir du Christ qui avait dit à l’aveugle : Va vers la fontaine de Siloé et lave-toi, puisa dans sa main gauche de l’eau à même dans le fleuve, la bénit de sa main droite et en aspergea les yeux de l’enfant qui recouvra la vue.
Une jeune fille eut une passion si violente qu’elle tomba dans une langueur qui la mit à deux doigts de la mort. Ses parents, apprenant de sa propre bouche la cause de sa maladie, l’envoyèrent vers la Sainte pour lui découvrir son mal et lui demander le secours de ses prières. Hildegarde se mit aussitôt en oraison, puis elle bénit du pain, l’arrosa de ses larmes et le donna à la malade. La jeune fille n’en eut pas plus tôt goûté qu’elle fut entièrement délivrée de la passion qui la desséchait.
Près de Cologne vivait une possédée nommée Sigervise, que rien ne pouvait soulager. On faisait pour elle déjà depuis plusieurs années des aumônes aux pauvres et des pèlerinages à tous les sanctuaires d’alentour. Mais le démon, au lieu de sortir de sa victime, n’en était que plus furieux à la tourmenter. Un jour cependant, torturé par les prières, il s’écria :
– Pourquoi tant faire pour me chasser ? Cessez de prier. Il n’y a qu’une vieille qui puisse me chasser ; elle n’habite pas loin d’ici et s’appelle Scrumpilgarde.
Malgré ce nom, défiguré par dérision, les amis de la possédée comprirent qu’il s’agissait d’Hildegarde. Ils lui écrivirent donc une lettre de supplications et en reçurent cette réponse, qui n’était qu’une formule d’exorcisme révélée par le ciel :
Esprit de blasphème et de dérision, moi, femme ignorante, je te commande, au nom de la Vérité éternelle, qui a illuminé par sa sagesse mon humilité et mon ignorance, je t’ordonne de sortir de cette femme.
A la lecture de la lettre, le démon frémit, poussa d’horribles gémissements et, pendant environ une demi-heure, tortura sa victime au milieu des cris de rage. Enfin il dut obéir et sortit ; mais ce ne fut pas pour longtemps. Cherchant, comme dit l’Evangile, un lieu pour reposer et n’en trouvant pas, il revint à celui d’où il était sorti. On lut de nouveau la lettre d’Hildegarde. Il rugit, mais ne sortit point. On la lut une troisième fois ; il rugit encore et dit :
– Je ne sortirai d’ici que si cette vieille, que je hais tant, me le commande elle-même.
On mena donc la malheureuse possédée au monastère de Saint-Rupert. Mais le démon s’obstina. La Sainte vit que trois choses surtout irritaient cet esprit de malice et d’orgueil : les pèlerinages, les aumônes et les prières des religieux. Elle demanda donc à tous les monastères des environs des prières extraordinaires depuis la Purification de la Sainte Vierge jusqu’au Samedi-Saint. Vaincu par ces incessantes prières, le démon confessait souvent, malgré lui, son impuissance et les grandeurs de Dieu. 11 proférait aussi, en grinçant des dents, d’horribles menaces contre celle qui le faisait tant souffrir.
Enfin, le Samedi Saint, pendant qu’à la bénédiction des fonts, le prêtre prononçait ces mots en soufflant sur l’eau : L’esprit du Seigneur était porté sur les eaux, la possédée fut prise d’une rage inaccoutumée ; elle tremblait et, dans son excitation, creusait la terre avec ses pieds en soufflant avec force comme pour se venger de Dieu en contrefaisant les cérémonies de l’Eglise. Enfin, le démon dut sortir et, cette fois, pour ne plus revenir.
Visions et écrits de sainte Hildegarde.
L’état d’intuition surnaturelle de la Sainte dura toute sa vie. Beaucoup venaient la consulter ; elle recevait avec la même charité riches et pauvres, savants et ignorants. On vit accourir auprès d’elle les plus hautains comme les plus humbles, les empereurs schismatiques et même les prêtres et les évêques simoniaques. Elle donnait à tous d’excellents conseils pour le bien de leur âme et convertissait beaucoup de pécheurs. Souvent Dieu lui révélait le secret des consciences et les besoins des personnes qui venaient lui parler.
Elle écrivit à plusieurs Papes, à un grand nombre d’évêques et de théologiens, tantôt pour leur manifester ce que Dieu lui avait révélé à leur sujet, tantôt pour répondre à leurs propres interrogations. Guibert de Gembloux, son directeur, lui ayant posé trente-huit questions fort difficiles, elle y répondit avec des lumières extraordinaires. Elle composa à l’usage de ses religieuses, en langue allemande, un recueil d’Homélies sur tous les Evangiles de l’année ; il n’en est resté qu’une soixantaine, et en mauvais état. Son Explication du symbole de saint Athanase fait encore le charme des théologiens par la profondeur de ses aperçus ; son Exposé de la règle de saint Benoît a produit également des fruits abondants de sainteté. Son Livre de la vie des mérites décrit l’entraînement des passions et leurs remèdes, le purgatoire, l’enfer et le ciel, avec cette magie de style qui en fait comme un poème chrétien. Enfin le Livre des Œuvres divines est l’exposé des œuvres de Dieu dans l’ordre de la nature et dans celui de la grâce. Nous y trouvons le même parallélisme qu’ailleurs entre l’existence matérielle d’un objet et son côté spirituel, entre les deux mondes, distincts mais non séparés, de la grâce et de la nature. C’est en un mot la science vue à la lumière de la foi.
Les autres ouvrages de la sainte abbesse ont aussi concouru à lui faire une place de choix parmi les auteurs chrétiens du moyen âge. On y trouve même quelques données scientifiques qui ont été mises en lumière par la science moderne.
Sa mort. – Son culte et ses reliques.
Après avoir exercé sur les hommes et les événements de son temps une influence considérable, elle mourut le 17 septembre 1179 ; elle avait un peu plus de quatre-vingts ans. A l’heure de sa mort qui arriva à la pointe du jour, on vit en l’air deux arcs-en-ciel, se croisant l’un sur l’autre sur tout l’hémisphère, vers les quatre parties du monde ; au point de leur jonction, il paraissait un corps lumineux grand comme le disque de la lune, du milieu duquel sortait une croix, assez petite d’abord, mais qui ensuite s’élargissait et était environnée d’autres cercles lumineux, chargés eux aussi de croix éclatantes. Il en jaillissait une clarté merveilleuse, dont toute la montagne était illuminée.
Le renom de sainteté d’Hildegarde s’étendit après sa mort. Aussi, sur l’ordre du Pape Grégoire IX, trois dignitaires de l’Eglise de Mayence vinrent faire l’enquête canonique sur ses vertus et ses miracles au monastère de Saint-Rupert et, le 16 décembre 1233, en dressèrent l’acte que les Bollandistes ont reproduit. La Sainte fut donc vraisemblablement canonisée peu après, au moins sous la forme équipollente.
Son corps avait été enseveli avec honneur au couvent de Saint-Rupert. Lorsqu’il fut pillé et incendié en 1632 par les protestants suédois, les religieuses s’enfuirent au monastère d’Eibingen, qui subsista jusqu’en 1814. L’église du couvent, d’abord désaffectée, fut rendue au culte en 1831. Elle sert actuellement d’église paroissiale et les reliques de sainte Hildegarde y sont encore conservées.
François Delmas. Sources consultées. – Franche, Sainte Hildegarde (Paris, 1903). – Vie de sainte Hildegarde, thaumaturge et prophétesse du XIIe siècle, écrite par les moines Théodoric et Godefroid ; traduite du latin en français (Paris, 1907). – F. Vernet, Sainte Hildegarde (Dictionnaire de théologie catholique). – (V. S. B. P., n° 240.)