Saint Pierre Claver

Jésuite, apôtre des noirs (1580–1654).

Fête le 8 septembre.

Vie résumée par l’abbé Jaud

Saint Pierre Claver était Espagnol ; sa nais­sance fut le fruit des prières de ses parents. À vingt ans, il entra au novi­ciat des Jésuites. Il se lia avec le saint vieillard Alphonse Rodriguez, Jésuite comme lui, et qui fut cano­ni­sé le même jour que lui, le 8 jan­vier 1888. Alphonse avait com­pris, d’a­près une vision, que Pierre Claver devait être un apôtre de l’Amérique ; il lui en souf­fla au cœur le désir, et le jeune reli­gieux obtint, en effet, de ses supé­rieurs, de s’embarquer pour les mis­sions du nou­veau monde.

À son arri­vée en Amérique, il bai­sa la terre qu’il allait arro­ser de ses sueurs. Il se dévoua corps et âme au salut des esclaves, péné­tra dans les maga­sins où on les entas­sait, les accueillit avec ten­dresse, pan­sa leurs plaies, leur ren­dit les plus dégoû­tants ser­vices et s’im­po­sa tous les sacri­fices pour allé­ger les chaînes de leur cap­ti­vi­té. Il en conver­tit, par ces moyens héroïques, une mul­ti­tude incal­cu­lable. Quand fut venu le moment de ses vœux, Pierre Claver obtint d’y ajou­ter celui de ser­vir les esclaves jus­qu’à sa mort ; il signa ain­si sa for­mule de pro­fes­sion : « Pierre, esclave des noirs pour toujours ».

Les mil­liers d’es­claves de Carthagène étaient tous ses enfants ; il pas­sait ses jours à les édi­fier, à les confes­ser, à les soi­gner. Il ne vivait que pour eux. Aux hommes qui lui deman­daient à se confes­ser, il disait : « Vous trou­ve­rez des confes­seurs dans la ville ; moi, je suis le confes­seur des esclaves. » Il disait aux dames : « Mon confes­sion­nal est trop étroit pour vos grandes robes ; c’est le confes­sion­nal des pauvres noires. »

Le soir, épui­sé de fatigues, asphyxié par les odeurs fétides, il ne pou­vait plus se sou­te­nir ; cepen­dant un mor­ceau de pain et quelques pommes de terre grillées fai­saient son sou­per ; la visite au Saint-​Sacrement, la prière, les dis­ci­plines san­glantes, occu­paient une grande par­tie de ses nuits. Que de pécheurs il a conver­tis en leur disant, par exemple : « Dieu compte tes péchés ; le pre­mier que tu com­met­tras sera peut-​être le dernier ! »

Pierre Claver mul­ti­pliait les miracles avec ses actes sublimes de cha­ri­té. En quarante-​quatre ans d’a­pos­to­lat, il avait bap­ti­sé plus de trois cent mille noirs. – Le Pape Léon XIII l’a décla­ré Patron des mis­sions, en 1896.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Le texte du mar­ty­ro­loge semble par­ti­cu­liè­re­ment heu­reux dans sa rédac­tion concise, à pro­pos du Saint dont nous allons racon­ter la vie : « A Carthagène, dans l’Amérique méri­dio­nale, saint Pierre Claver, prêtre de la Compagnie de Jésus. Par une admi­rable abné­ga­tion de soi-​même et une exquise cha­ri­té, il se mit pen­dant plus de qua­rante ans au ser­vice des esclaves noirs, dont il bap­ti­sa de sa propre main près de trois cent mille. Le Souverain Pontife Léon XIII l’a mis au nombre des Saints. Désormais il est consti­tué et pro­cla­mé le patron spé­cial des mis­sions auprès des noirs. »

L’enfant donné à Dieu.

Vers la fin du xvie siècle vivaient à Verdu, en Catalogne, deux époux chré­tiens, illustres par leur noblesse, plus encore par leurs ver­tus et leur pié­té, Pierre Claver et Anne, sa femme. Une seule chose man­quait à leur joie : depuis plu­sieurs années ils deman­daient à Dieu un fils, et n’en avait point encore obte­nu. Un jour, Anne dit à son mari .

– Si vous l’approuviez, je pro­met­trais à Dieu de lui consa­crer le fils qu’il nous don­ne­rait : peut-​être alors nous exaucerait-il ?

Et Pierre de répondre :

– Si Dieu nous accorde un fils, il sera à Dieu avant d’être à nous, et s’il lui plaît de l’appeler à son ser­vice, loin de m’opposer à sa voca­tion, j’en béni­rai le ciel.

Dieu agréa ces dési­rs ; en 1580, la nais­sance d’un fils vint réjouir leur cœur. L’enfant reçut au bap­tême le nom de son père, Pierre (en espa­gnol Pedro). Il fut offert à Dieu par ses parents et éle­vé dans une tendre pié­té, sous la garde de sa mère vigilante.

Etudiant et novice. – Une règle de vie.

Arriva l’âge des études, et le jeune homme fut envoyé à l’Université de Barcelone : sépa­ra­tion très dure pour la mère, mais la néces­si­té l’exigeait. Ses parents veillèrent d’ailleurs à ce que sa ver­tu fût aus­si sau­ve­gar­dée que pos­sible dans la grande ville. Pierre, docile à toutes leurs recom­man­da­tions, fut le modèle de ses condis­ciples. Les Jésuites étaient éta­blis dans cette ville ; le jeune étu­diant choi­sit par­mi eux le direc­teur de sa conscience, et c’est dans leur mai­son qu’il allait pas­ser ses heures de liberté.

Décidé à embras­ser l’état ecclé­sias­tique, il reçut la ton­sure et les ordres mineurs des mains de l’é­vêque de Barcelone. Ses talents, l’estime de l’évêque, la pro­tec­tion d’un cha­noine, son oncle, lui ouvraient le che­min des digni­tés de l’Eglise ; Pierre Claver pré­fé­ra renon­cer plei­ne­ment au monde pour appar­te­nir tout entier à Jésus-​Christ. Il fît connaître à ses parents sa réso­lu­tion irré­vo­cable de se faire Jésuite. La nou­velle les acca­bla de tris­tesse : ils vou­laient bien le don­ner à Dieu, mais ils avaient pen­sé que leur fils entre­rait dans le cler­gé sécu­lier. Bientôt cepen­dant leur foi reprit le des­sus, ils firent géné­reu­se­ment leur sacri­fice, et Pierre, alors âgé d’environ 20 ans, muni de leur béné­dic­tion, par­tit pour Tarragone où se trou­vait le novi­ciat de la Compagnie de Jésus. Il y entra le 7 août 1602.

Voici les quatre maximes dont il s’efforça dès lors de faire la règle et le cachet de toute sa conduite : 1° cher­cher Dieu en toutes choses et tâcher de le trou­ver en tout ; 2° faire tout pour la plus grande gloire de Dieu ; 3° s’exercer à une obéis­sance si par­faite que, pour l’amour de Jésus-​Christ, on sou­mette son juge­ment et sa volon­té au supé­rieur comme à Jésus-​Christ lui-​même dont il tient la place ; 4° ne rien cher­cher en ce monde que ce que Jésus-​Christ lui-​même y a cher­ché, c’est-à-dire le salut des âmes, et affron­ter pour cette œuvre sainte le tra­vail, la souf­france et même la mort.

Rencontre de deux Saints.

Après ses pre­miers vœux et deux ans consa­crés à ter­mi­ner ses études lit­té­raires, le jeune Jésuite fut envoyé au col­lège de l’île Majorque suivre le cours de phi­lo­so­phie. En arri­vant à la rési­dence des reli­gieux de son Ordre, il fut reçu par un vieux Frère coad­ju­teur, qui rem­plis­sait les fonc­tions de por­tier et que l’on appe­lait le Fr. Alphonse ; c’était un Saint : d’un regard il devi­na com­bien était belle l’âme du jeune reli­gieux. Tous les deux se pros­ter­nèrent en même temps l’un devant l’autre avant même de s’être adres­sé aucune parole.

Le vieillard n’était autre que saint Alphonse Rodriguez ; par une tou­chante dis­po­si­tion de la Providence, Alphonse et Pierre devaient être cano­ni­sés le même jour.

Avec la per­mis­sion du supé­rieur, le vieux Frère et le jeune étu­diant se réunis­saient chaque jour pour s’entretenir tous deux des choses célestes et s’enflammer mutuel­le­ment dans l’amour de Dieu.

Un jour, le Fr. Alphonse eut une vision : devant ses yeux une par­tie du ciel était ouverte, mon­trant de magni­fiques trônes dres­sés, sur les­quels étaient assis des Saints envi­ron­nés de gloire. Son ange gar­dien lui signa­la un trône plus beau que les autres, mais vide encore. Le reli­gieux, se tour­nant vers son céleste guide, lui dit :

– Ce trône attend sûre­ment quelqu’un ! Pour qui donc est-​il préparé ?

– Pour ton dis­ciple Claver, répon­dit l’ange. Il le méri­te­ra par d’héroïques ver­tus et par le zèle pro­di­gieux qui lui fera gagner à Jésus-​Christ des mul­ti­tudes d’âmes dans les Indes occidentales.

Alphonse ne par­la de cette vision qu’à son direc­teur de conscience, mais à par­tir de ce moment, d fit tous ses efforts pour sus­ci­ter dans l’âme de son dis­ciple un ardent désir de se consa­crer aux mis­sions d’Amérique.

Ses apos­to­liques ardeurs embra­sèrent l’âme de Pierre qui com­men­ça dès lors à deman­der à ses supé­rieurs la per­mis­sion d’aller se consa­crer aux mis­sions d’Amérique. On lui répon­dit d’attendre la fin de ses études de théo­lo­gie, et il fut, à cet effet, envoyé à Barcelone. Enfin, au bout de deux ans, le Provincial exau­ça ses dési­rs. On ne sau­rait expri­mer la joie du jeune reli­gieux en rece­vant la lettre qui lui appor­tait cette nou­velle : il vou­lut la lire et la relire ; il ne se las­sait point de la bai­ser, et il allait la gar­der toute sa vie. Puis il par­tit pour Séville où il devait s’embarquer. En route, pas­sant non loin de Verdu, à une lieue seule­ment de sa mai­son natale, il éprou­va natu­rel­le­ment le désir d’aller voir une der­nière fois les siens. Mais son sacri­fice n’était-il pas déjà fait ? N’y avait-​il pas plus de mérite pour ses parents et pour lui-​même à ne pas cher­cher à le dimi­nuer ? Bref, il conti­nua sa route sans revoir son village.

Le missionnaire.

Le vais­seau qui l’emportait quit­ta les côtes d’Espagne au mois d’avril 1610. La tra­ver­sée dura plu­sieurs mois. Le jeune mis­sion­naire s’y fit l’apôtre et l’infirmier de ses com­pa­gnons de voyage. Il pré­pa­rait les médi­ca­ments, soi­gnait les malades, réunis­sait les mate­lots pour leur expli­quer le caté­chisme, et ter­mi­nait par la réci­ta­tion du cha­pe­let. Le capi­taine exi­geait que le mis­sion­naire prît place à sa table ; Pierre Claver se pri­vait de ce qu’on lui ser­vait de meilleur, afin de le por­ter ensuite à ses malades.

Enfin appa­rurent les côtes de l’Amérique du Sud ; on débar­qua à Carthagène. En abor­dant le sol du Nouveau Monde, le reli­gieux bai­sa avec des larmes cette terre qu’il allait désor­mais arro­ser de ses sueurs. Ses supé­rieurs l’envoyèrent au couvent de Santa-​Fé pour ache­ver sa théo­lo­gie. Les Pères y étaient encore peu nom­breux et les occu­pa­tions abon­daient. Pierre Claver se mul­ti­plia : il fut sacris­tain, por­tier, infir­mier, cui­si­nier. Son humi­li­té s’en accom­mo­dait si bien, qu’il eût vou­lu pas­ser toute sa vie dans ces modestes emplois. Néanmoins, au bout de deux ans, il pas­sa un brillant exa­men et fut ordon­né prêtre à Carthagène. Sa car­rière apos­to­lique était ouverte.

Les horreurs de la traite.

Au temps où Pierre Claver se trou­vait à Carthagène, il y ren­con­tra par­mi ses frères en reli­gion l’admirable P. de Sandoval, qui avait consa­cré une grande par­tie de sa vie à l’évangélisation des noirs afri­cains ven­dus comme esclaves en Amérique ; ce Père en avait bap­ti­sé plus de trente mille. Le nou­veau prêtre se fit son dis­ciple et son coad­ju­teur et l’élève finit par dépas­ser son maître.

L’affreux tra­fic connu sous le nom de « traite des nègres » sévis­sait alors dans toute son horreur.

Chaque année, des mil­liers de noirs étaient cap­tu­rés de force sur les côtés afri­caines de Guinée, d’Angola ou du Congo. Les mar­chands d’esclaves les entas­saient au fond de leurs navires, pêle-​mêle, par cen­taines, sans lit, char­gés de chaînes, au milieu des ordures ; on ne leur don­nait que peu de nour­ri­ture et point de vête­ments. Beaucoup tom­baient malades en route, la plu­part étaient cou­verts de plaies et d’ulcères. Arrivés dans un port d’Amérique, les négriers débar­quaient leur triste mar­chan­dise et par­quaient ce bétail humain dans de vastes maga­sins, sombres et humides ; vieillards et enfants, hommes et femmes, malades et infirmes, presque aus­si entas­sés que sur le navire, sans autre lit que la terre nue, y atten­daient dans un acca­ble­ment hébé­té que les colons amé­ri­cains vinssent les ache­ter et les envoyer, les uns aux tra­vaux des champs, les autres aux labeurs des mines, d’autres à des occu­pa­tions diverses.

Ces agis­se­ments scan­da­leux ont du reste leur réper­cus­sion, au xxe siècle, dans les dif­fi­cul­tés qui conti­nuent à mettre aux prises, dans les Etats-​Unis, les blancs et les noirs : ce n’est pas impu­né­ment que l’on viole les lois natu­relles les plus élémentaires.

Le vaste port de Carthagène voyait arri­ver chaque année des mul­ti­tudes de ces pauvres vic­times. Le P. Claver avait des amis char­gés de l’avertir dès qu’on signa­lait l’approche d’un navire négrier. Aussitôt, il s’empressait de quê­ter auprès des habi­tants une abon­dante pro­vi­sion de confi­tures, de bis­cuits, de tabac, de limo­nade et d’autres choses sem­blables, qu’il savait être la joie des infor­tu­nés arri­vants. Il cher­chait des inter­prètes capables de tra­duire ses paroles dans leur dia­lecte ; puis, il allait au port, les accueillait avec la ten­dresse d’un père, leur adres­sait de douces paroles pour les ras­su­rer et les conso­ler, et s’efforçait de gagner leur affec­tion par les dou­ceurs et les rafraî­chis­se­ments qu’il leur appor­tait. Il bap­ti­sait les petits enfants, net­toyait et pan­sait les malades, et les lais­sait char­més et éton­nés d’une pareille charité.

Après de rigou­reuses péni­tences, de longues et fer­ventes prières devant le Saint Sacrement, pour obte­nir de Dieu leur conver­sion, il allait, un Crucifix sur sa poi­trine et por­tant divers tableaux des­si­nés tout exprès pour faire sai­sir à ces intel­li­gences igno­rantes les mys­tères de la foi chré­tienne. Il se munis­sait, en outre, de tout ce qu’il fal­lait pour admi­nis­trer les malades. Et dans son ardeur il mar­chait si vite, que le Frère char­gé de l’accompagner, ou ses inter­prètes, avaient peine à le suivre. Pendant plus de qua­rante années de tra­vaux sem­blables, il conver­tit et bap­ti­sa un nombre incroyable de ces mal­heu­reux esclaves.

« Esclave des noirs pour toujours. »

Ses tra­vaux duraient depuis six ans, quand ses supé­rieurs l’appelèrent à pro­non­cer ses vœux solen­nels. Il cou­rut se jeter aux pieds du supé­rieur et obtint d’ajouter, aux vœux ordi­naires, celui de ser­vir les esclaves jusqu’à sa mort. Il signa donc ain­si sa for­mule de pro­fes­sion : « Pierre, esclave des noirs pour toujours. »

Désormais, il ne se croyait plus le droit d’avoir de forces que pour les ser­vir, et un cœur que pour les aimer. Les mil­liers de noirs de Carthagène étaient tous ses enfants. Il fal­lait le voir, les dimanches et jours de fête, aller lui-​même de côté et d’autre les réunir dans l’église des Jésuites pour leur faire entendre la messe, prier avec eux, leur prê­cher et les ins­truire. Pendant le Carême, il res­tait au tri­bu­nal de la péni­tence, depuis 4 heures du matin jusqu’à midi, pour entendre les confes­sions des hommes de cou­leur. A 2 heures, il y retour­nait jusqu’au soir pour rece­voir les femmes.

A son confes­sion­nal, les noirs avaient le droit de pas­ser avant les autres. Parfois des per­sonnes de dis­tinc­tion, dési­reuses de s’adresser à l’homme de Dieu que l’on com­men­çait à véné­rer comme un Saint, se pré­sen­taient à leur tour ; l’humble reli­gieux les priait sou­vent de s’éloigner :

– Monsieur, disait-​il, vous ne man­que­rez pas de confes­seurs dans la ville ; moi je suis le confes­seur des esclaves.

Ou encore :

– Madame, voyez mon confes­sion­nal, il est trop étroit pour vos grandes robes, c’est le confes­sion­nal des pauvres noires.

La fatigue de ce tra­vail conti­nué pen­dant de longues heures, l’odeur et la cha­leur appor­tées par une telle agglo­mé­ra­tion humaine dans ces régions tro­pi­cales, les mous­tiques nom­breux dont il se lais­sait piquer sans les chas­ser, acca­blaient son corps déjà bri­sé par les aus­té­ri­tés volon­taires ; sou­vent l’héroïque apôtre tom­bait sans connaissance.

Le soir, il ne pou­vait plus se sou­te­nir, il fal­lait l’emporter au réfec­toire ; un mor­ceau de pain et quelques pommes de terre grillées, tel était son sou­per ; une fois dans sa cel­lule, il se délas­sait des fatigues de la jour­née par des dis­ci­plines san­glantes, et pas­sait en prière une grande par­tie de la nuit.

Conversions. – Clartés célestes. – Le don de soi.

Les bio­graphes de Pierre Claver nous ont conser­vé de lui des traits admirables.

– Comment va votre esclave ? dit-​il un jour à une dame.

– Mon Père, elle va très bien, répon­dit l’Espagnole.

– Dites-​lui de se confes­ser, car elle mour­ra aujourd’hui.

La dame obéit. Elle fit bien : le jour même l’esclave mou­rut subitement.

La plus grande cha­ri­té du mis­sion­naire était pour les malades et les mourants :

– Appelez-​moi à quelque heure que ce soit, disait-​il au Frère por­tier de son couvent : ceux qui tra­vaillent beau­coup ont besoin de repos, mais pour moi, qui fais si peu de chose ici, je n’en ai pas besoin.

Un jour, on l’appelle, en toute hâte, à la mai­son de don Francisco de Silva : une esclave noire vient de tom­ber frap­pée d’apoplexie. Le Père accourt. Elle était morte.

– Ah ! mon Père, dit don Francisco, elle n’était pas bap­ti­sée ! Quel mal­heur ! et qui l’aurait pu prévoir ?

– Eh quoi ! dit le reli­gieux avec calme, le bras de Dieu est-​il donc moins puis­sant qu’autrefois ? Un peu de foi et de confiance ! Où est l’esclave ?

On le conduit près du cadavre. Après une courte et fer­vente prière, Claver appelle la morte et lui demande si elle veut être bap­ti­sée. Celle-​ci ouvre les yeux :

– Oh ! oui, mon Père, répond-​elle, je le veux de tout mon cœur.

Le mis­sion­naire la bap­tise et elle se relève en pleine san­té. L’eau qui avait ser­vi à ce bap­tême ayant été jetée par un domes­tique dans un vase où se trou­vaient des plantes des­sé­chées depuis long­temps, ces plantes rever­dirent et pro­dui­sirent des fleurs odoriférantes.

Saint Pierre Claver ressuscite une femme qui était morte sans baptême
Saint Pierre Claver res­sus­cite une femme qui était morte sans baptême

Lorsque des esclaves conver­tis par lui quit­taient Carthagène pour être envoyés en quelque autre ville, son cha­grin était celui d’un père ; il les accom­pa­gnait au port, leur renou­ve­lait ses bons avis, les recom­man­dait au capi­taine. Ces pauvres gens se sépa­raient de lui avec des cris déchi­rants, res­taient sur le pont du navire, et, d’aussi loin qu’ils pou­vaient encore l’apercevoir, lui envoyaient leurs adieux. Ses chers noirs n’étaient pas oubliés après leur mort ; Pierre offrait le Saint Sacrifice, priait et souf­frait pour le repos de leurs âmes.

Pierre Claver éten­dit éga­le­ment son dévoue­ment aux lépreux, aux pri­son­niers, aux malades des hôpi­taux. Il avait une grâce spé­ciale pour conso­ler, conver­tir et for­ti­fier les condam­nés à mort.

Chemin de croix solitaire. – Dévotion à Marie.

Le P. Sébastien de Morillo, rec­teur du col­lège, disait un jour :

– Je n’ai jamais pu savoir le moment où le P. Claver finit son orai­son. A quelque heure que j’entre dans sa chambre, je l’y trouve en prière, et si per­du en Dieu, qu’il ne me voit ni ne m’entend.

Son sujet de médi­ta­tion pré­fé­ré était la Passion de Notre-​Seigneur. Chaque ven­dre­di, au milieu de la nuit, sor­tant de sa cel­lule dans un grand silence, il allait, une cou­ronne d’épines sur la tête, une croix sur les épaules, dans les endroits les plus soli­taires de la mai­son, faire autant de sta­tions que le divin Maître dans le tra­jet de Gethsémani au Calvaire. Il se confes­sait chaque matin, en ver­sant des larmes de repen­tir, consa­crait une demi-​heure à se pré­pa­rer au saint sacri­fice, et parais­sait ensuite à l’autel avec une fer­veur qui ravis­sait les assistants.

Un matin, la fatigue l’ayant fait tom­ber de fai­blesse, un de ses amis vou­lut lui faire prendre quelque aliment :

– Non, pas main­te­nant, répondit-​il, je n’ai encore ren­du aucun ser­vice à Dieu.

La veille des fêtes de la Sainte Vierge, il aug­men­tait ses péni­tences, et dans l’après-midi, confes­sait les enfants des écoles afin de leur ins­pi­rer de bonne heure l’amour de Marie. Il a dis­tri­bué, durant sa vie, des mil­liers de cha­pe­lets, spé­cia­le­ment à ses pauvres noirs, pas­sant sou­vent sa récréa­tion à en mon­ter de ses propres mains afin d’en avoir tou­jours à don­ner. On l’entendit fré­quem­ment répé­ter dans ses ravissements :

– Ô bonne Mère, apprenez-​moi, je vous en conjure, appre­nez moi à aimer votre divin Fils ! Obtenez-​moi une étin­celle de ce pur amour dont votre cœur brûle tou­jours pour lui, ou prêtez-​moi votre cœur, afin que je puisse le rece­voir digne­ment en moi !

Les dernières heures d’un Saint.

Le 6 sep­tembre 1654, le vaillant apôtre fut sai­si d’une fièvre vio­lente ; le len­de­main, il rece­vait avec fer­veur les der­niers sacre­ments ; la nou­velle en fit bien­tôt le tour de la ville. Remplie de dou­leur, la foule se pres­sait autour de la mai­son des Jésuites en criant :

– Nous vou­lons voir le Saint, nous vou­lons le voir avant qu’il soit mort. C’est notre Père, il est à nous, nous vou­lons le voir I

Les noirs qui purent péné­trer auprès du mou­rant bai­saient ses pieds avec une ten­dresse inex­pri­mable, et répé­taient en pleu­rant qu’ils per­daient tout en per­dant « leur bon Père, qui s’en allait avec le bon Dieu et ne les emme­nait pas ».

Le matin du 8 sep­tembre, fête de la Nativité de Marie, l’âme de Pierre Claver quit­ta ce monde pour aller occu­per le trône jadis mon­tré à saint Alphonse Rodriguez son ami qui, depuis plu­sieurs années, l’attendait au ciel.

Après sa mort, son corps répan­dit un par­fum céleste qui péné­trait lame. Un de ses fils spi­ri­tuels, le duc d’Estrada, vou­lut dépo­ser une palme dans la main du défunt : la main s’ouvrit d’elle-même et ser­ra la palme. Tous vou­laient gar­der de ses reliques ; la force publique put à grand’peine empê­cher la foule de mettre son corps en lam­beaux, mais non d’arracher par mor­ceaux les orne­ments sacer­do­taux dont il était revê­tu. Pierre Claver avait vécu soixante-​treize ans, dont quarante-​quatre en Amérique ; il avait bap­ti­sé près de trois cent mille noirs, ain­si qu’on a pu le lire au Martyrologe. En 1657, quand on ouvrit son tom­beau, on trou­va son corps entier, sans cor­rup­tion, mal­gré la chaux vive dont il était entou­ré et l’humidité qui avait détruit le cercueil.

Pierre Claver fut béa­ti­fié par Pie IX, le 16 juillet 1850, et cano­ni­sé par Léon XIII, le 15 jan­vier 1888, en même temps, nous l’avons dit, que saint Alphonse Rodriguez et que Jean Berchmans, lui aus­si pro­fès de la Compagnie de Jésus.

Sous le nom de Sodalité de Saint-​Pierre-​Claver, la ser­vante de Dieu Marie-​Thérèse Ledóchowska († 1922) a ins­ti­tué, en 1894, une œuvre pie des­ti­née à secou­rir les mis­sions afri­caines et à contri­buer au rachat des esclaves.

Maxime Viallet.

Sources consul­tées. – Acta Sanctorum, t. III de sep­tembre (Paris et Rome, 1868). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. X (Paris, 1897). – Jean Charruau, L’esclave des nègres, Saint Pierre Claver (Paris, 1914). – Gabriel Ledos, Saint Pierre Claver (Collection Les Saints, Paris, 1923). – (V. S. B. P., n° 425.)

Source de l’ar­ticle : Un Saint pour chaque jour du mois, 2e série, La Bonne Presse, 1936.