Troisième Général des Jésuites (1510–1572)
Fête le 10 octobre.
Vie résumée par l’abbé Jaud.
Saint François de Borgia était Espagnol et fils de prince. À peine put-il articuler quelques mots, que sa pieuse mère lui apprit à prononcer les noms sacrés de Jésus et de Marie. Âgé de cinq ans, il retenait avec une merveilleuse mémoire les sermons, le ton, les gestes des prédicateurs, et les répétait dans sa famille avec une onction touchante. Bien que sa jeunesse se passât dans le monde, à la cour de Charles-Quint, et dans le métier des armes, sa vie fut très pure et toute chrétienne ; il tenait même peu aux honneurs auxquels l’avaient appelé son grand nom et ses mérites.
A vingt-huit ans, la vue du cadavre défiguré de l’impératrice Isabelle le frappa tellement, qu’il se dit à lui-même : « François, voilà ce que tu seras bientôt… A quoi te serviront les grandeurs de la terre?… » Toutefois, cédant aux instances de l’empereur, qui le fit son premier conseiller, il ne quitta le monde qu’à la mort de son épouse, Éléonore de Castro. Il avait trente-six ans ; encore dut-il passer quatre ans dans le siècle, afin de pourvoir aux besoins de ses huit enfants.
François de Borgia fut digne de son maître saint Ignace ; tout son éloge est dans ce mot. L’humilité fut la vertu dominante de ce prince revêtu de la livrée des pauvres du Christ. A plusieurs reprises, le Pape voulut le nommer cardinal ; une première fois il se déroba par la fuite ; une autre fois, saint Ignace conjura le danger.
Étant un jour en voyage avec un vieux religieux, il dut coucher sur la paille avec son compagnon, dans une misérable hôtellerie. Toute la nuit, le vieillard ne fit que tousser et cracher ; ce ne fut que le lendemain matin qu’il s’aperçut de ce qui lui était arrivé ; il avait couvert de ses crachats le visage et les habits du Saint. Comme il en témoignait un grand chagrin : « Que cela ne vous fasse point de peine, lui dit François, car il n’y avait pas un endroit dans la chambre où il fallût cracher plutôt que sur moi. » Ce trait peint assez un homme aux vertus héroïques.
Plus l’humble religieux s’abaissait, plus les honneurs le cherchaient. Celui qui signait toutes ses lettres de ces mots : François, pécheur ; celui qui ne lisait qu’à genoux les lettres de ses supérieurs, devint le troisième général de la Compagnie de Jésus.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue (La Bonne Presse)
Un chrétien, puis un religieux fidèle à son devoir qui, par sa pénitence, répare le passé de sa famille ; un grand homme et un grand Saint qui contribue, à l’heure providentielle, au renouveau de l’Eglise, tel apparaît François de Borgia au spectateur qui l’étudie de près dans le cadre de son époque et de son milieu. Son père, qui sera nommé Grand d’Espagne en 1520, est l’arrière-petit-neveu du Pape Calixte III ; par lui aussi François est apparenté à un autre Pape, Alexandre VI ; mais, pour l’honneur des Borgia, il eût en général mieux valu que la famille restât en Espagne et que les hommes d’Eglise y fussent moins nombreux. Du côté maternel, il pouvait revendiquer un ascendant royal, Ferdinand V le Catholique, roi d’Aragon ; mais, de ce côté, l’arbre généalogique n’était pas non plus sans tache.
Une sainte aïeule. – Naissance de François.
Comme le dit un des récents biographes de François, la sainteté pénétra dans la famille de Borgia avec sa grand’mère paternelle, Marie Enriquez. Celle-ci, demeurée en Espagne avec ses deux enfants, tandis que son mari, le duc Jean Ier, deuxième duc de Gandie, était à Rome, où il fut assassiné le 14 juin 1497, éleva les deux orphelins, laissa sa fille entrer chez les Clarisses et suivit bientôt la même voie ; elle mourut saintement en 1537, après avoir prédit que l’aîné de ses petits-enfants « affermirait la Maison et deviendrait la gloire de l’Espagne et de l’Eglise ».
François de Borgia naquit à Gandie, non loin de Valence, le 18 octobre 1510 ; le duc et la duchesse de Gandie donnèrent à l’enfant, qui était leur premier-né, une formation pieuse. Son plus grand plaisir était d’entendre parler du paradis. Volontiers il allait à l’église pour voir les cérémonies et écouter les sermons qu’il retenait par cœur et répétait devant la famille réunie. Aussi, son père, qui partageait les idées du temps sur la vocation des aînés de famille, lui disait-il parfois, et non sans humeur : « Il vous faut des armes et des chevaux, François, et non des images et des sermons. Soyez dévot, mais restez chevalier. »
L’enfant rendait abondamment à ses parents la peine que leur coûtait son éducation. Il les chérissait d’un amour véritable et surnaturel. A la mort de sa mère, il redoutait tellement qu’elle fût dans les flammes du Purgatoire, qu’il fustigeait son corps à coups de discipline, afin d’obtenir la délivrance de cette âme très chère. Par ailleurs, il était de son âge : écolier enjoué, d’une santé excellente, ne boudant pas à la vie, mais avant tout fidèle à Dieu.
A la suite de la mort de sa mère, survenue en 1520, et de troubles politiques, le jeune François fut confié à son oncle maternel, don Jean d’Aragon, archevêque de Saragosse.
Un prisonnier de l’Inquisition. – Marquis de Lombay.
Cependant, le duc Jean, son père, qui redoutait peut-être de le voir embrasser la carrière ecclésiastique ou religieuse, et désireux de le façonner à la vie du monde, pour laquelle François éprouvait d’ailleurs un certain attrait, sollicita de Charles-Quint1, en faveur de son fils (1522), les fonctions de page d’honneur de l’infante Catherine. Mais cette dernière fut obligée de quitter l’Espagne en 1525, lors de son mariage avec Jean III, héritier de la couronne de Portugal ; don Jean de Borgia rappela son fils et lui fit achever ses études auprès de l’archevêque de Saragosse. Moins de trois ans après, le 8 février 1528, François demandait à entrer au service de l’empereur. Il fut agréé et retourna à la cour à Valladolid. C’est pendant qu’il s’y rendait que, traversant Alcala, il rencontra un pauvre homme que les officiers de l’Inquisition emmenaient en prison : le fils du duc de Gandie regarda ce malheureux avec tant de bonté, qu’un docteur de l’Université en fut touché. Or, le prisonnier n’était autre qu’Ignace de Loyola, le futur fondateur de la Compagnie de Jésus ; le docteur devait prendre rang parmi ses disciples et François lui-même devenir le deuxième successeur de saint Ignace.
A la cour, ses qualités morales, ses aptitudes physiques, autant que ses talents naturels, assuraient au jeune et brillant seigneur une belle carrière. Mais le milieu présentait des dangers et il le comprit. Aussi se décida-t-il à prendre tous les moyens pour se prémunir contre la corruption. Les sacrements reçus avec piété plusieurs fois par an et la dévotion à la Sainte Vierge furent ses armes principales. Toutefois, cette vie chrétienne, au milieu des vanités les plus mondaines, ne l’empêchait pas de remplir auprès de l’empereur et de l’impératrice Isabelle les devoirs d’un fidèle serviteur.
Charles-Quint, charmé des vertus et de la distinction de François de Borgia, lui donna en mariage une jeune Portugaise, Eléonore de Castro, demoiselle d’honneur particulièrement chère à l’impératrice et qu’il dota richement. Le mariage eut lieu au mois de juillet 1529 ; l’année suivante, l’empereur éleva pour lui en marquisat la baronnie de Lombay qu’il avait reçue en dot, et fit du nouveau marquis son grand-veneur et le grand-écuyer de l’impératrice.
Mort de l’impératrice Isabelle.
Le jeune marquis suivit Charles-Quint sur les champs de bataille, dans une expédition malheureuse en France. Une grave maladie qu’il eut ensuite, à Ségovie, à la suite de cette entreprise, le décida à fuir le monde dans la mesure du possible. Il devint plus pieux, prit l’habitude de se confesser tous les mois, pratique bien rare alors ; aux divertissements bruyants ou dangereux, il préférait la chasse, les oiseaux et la musique, et à partir de 1532, il aimait écrire des compositions d’église, surtout pour l’orgue ; la Missa sine nomine attribuée au célèbre Roland de Lassus est vraisemblablement l’œuvre partielle de l’héritier des ducs de Gandie.
Peu à peu, le bon Dieu l’attirait vers lui. Un nouvel événement, aussi tragique qu’imprévu, fit sur son âme une impression profonde : la mort de l’impératrice Isabelle, survenue le Ier mai 1539 à Tolède, au milieu des fêtes brillantes qui accompagnaient la réunion des Etats ou Cortes.
La dépouille d’Isabelle devait être déposée dans le caveau des rois, à Grenade. L’usage voulait qu’elle fût conduite sous escorte jusqu’à sa dernière demeure. Charles-Quint confia cette mission délicate au marquis de Lombay, grand-écuyer de l’impératrice. Celui-ci partit avec le cadavre, accompagné d’officiers et de gens d’une importante suite. Sur le chemin, des peuples accouraient en foule, comme pour venir dire un dernier adieu à leur bienfaitrice. Arrivé à Grenade le 16 mai, le convoi funèbre s’avança entre deux haies de soldats jusqu’à la cathédrale.
Ici la légende, dramatisée encore par les peintres, place un trait qui n’a rien à voir avec l’histoire : le cercueil est ouvert, et le cadavre apparaît dans un tel état de corruption que François se sent mort au monde définitivement. La réalité est plus simple : le lendemain 17 mai, après un office funèbre, le cercueil, probablement vitré et d’où s’exhalait une odeur qui avait plus d’une fois en route frappé les membres de l’escorte, fut descendu dans un caveau et placé dans un second cercueil de plomb ; alors les personnages présents jurèrent que le caveau royal renfermait bien la dépouille de l’impératrice. Ce fut tout. Dans sa simplicité, cette scène comporte par elle-même d’éloquentes leçons.
Le 18 mai, le bienheureux Jean d’Avila prêchait à Tolède ; le marquis de Lombay alla le voir, lui exposa son état d’âme et reçut de lui un triple conseil : lutter contre l’ambition, contre l’envie, contre le goût du plaisir. François devait s’y conformer de son mieux.
Vice-roi de Catalogne.
On aurait tort de se l’imaginer tel que le jeune Louis de Gonzague, les yeux baissés, ne voyant et n’entendant rien de ce qui se passe autour de lui : il est marié, il a des enfants à élever et à établir ; il a des devoirs vis-à-vis de son souverain. Le 26 juin 1539, le marquis de Lombay est nommé vice-roi de Catalogne et, à la même époque, chevalier de l’Ordre de Saint-Jacques, ce qui lui assure, même du point de vue matériel, des avantages sérieux.
La Catalogne était depuis assez longtemps infestée de brigands qui la ravageaient en tous sens. François entreprit contre eux une campagne sans relâche qui lui donna beaucoup de soucis, et lui-même plaisantait sur les épreuves auxquelles sa corpulence était soumise de ce fait. Plus d’un bandit finit ses jours à la potence ; parfois il y avait des complices dans la haute société ; ceux-ci cessèrent bientôt de se croire en sûreté. Là ne se bornèrent pas les efforts du vice-roi ; il dut encore organiser le port et les fortifications de Barcelone, inspecter et fortifier le Roussillon, lutter contre le relâchement de certains couvents. Le marquis de Lombay ne connaissait que son devoir, ce qui ne l’empêchait pas, bien au contraire, de montrer de la bonté pour les prisonniers, de proposer d’adoucir certains châtiments corporels alors en usage. La mort de son père, survenue le 7 janvier 1543, fît de lui le quatrième duc de Gandie.
Mort de la duchesse de Gandie. – La profession religieuse et le sacerdoce.
Après s’être illustré dans l’administration de la Catalogne et plusieurs entreprises militaires, François pouvait espérer, surtout pour l’avenir des siens, les faveurs royales ; mais il était mal vu du prince héritier, le futur Philippe II, et encore plus de la femme de celui-ci ; il dut quitter la cour et se retirer dans son duché, situé à huit lieues au sud de Valence.
Le 27 mars 1546, la duchesse mourait. François n’aspira plus, dès lors, qu’à se donner entièrement à Dieu sans restriction aussitôt que ses devoirs d’état le lui permettraient. En attendant, il continuait de pratiquer une vie simple pour lui-même dans un cadre fastueux digne de son rang. Il dut continuer à chercher des situations pour ses enfants ; il eut même à plaider, malgré sa répugnance à le faire, contre la veuve de son père. Il appartenait au Tiers-Ordre franciscain dès avant 1541, et il prenait volontiers les conseils de l’humble Frère Mineur Jean de Trejeda ; mais surtout il était en relations suivies avec les Jésuites et leur fondateur saint Ignace pour lesquels il se montrait d’une générosité extrême. Dès le 2 juin 1546, il avait fait le vœu d’entrer chez les Jésuites ; il se mit avec ardeur à l’étude de la théologie, et saint Ignace obtint alors du Pape Paul III pour « un laïque », non autrement spécifié d’abord, la permission de faire sa profession solennelle, et ensuite un sursis de trois ans pour affaires. François prononça les trois grands vœux le 1er février 1548, en la fête de saint Ignace d’Antioche. Le 20 août 1550, il reçut à l’Université de Gandie, qu’il avait fondée, le bonnet de docteur ; le 31 août, il quittait Gandie pour se rendre à Rome sans que le secret de sa vocation eût transpiré au dehors.
Il fut reçu le 23 octobre dans la ville pontificale, conformément à son rang de grand seigneur, et malgré sa contrariété, supporta ces honneurs par obéissance. Pensionnaire à la résidence des Jésuites à Santa-Maria della Strada, il fonda le Collège romain, que saint Ignace aimait appeler le Collège Borgia, et qui est devenu, du nom du Pape Grégoire XIII, l’Université grégorienne.
Peut-être le Pape Jules III avait-il deviné ou connu les projets du duc de Gandie ; sollicité sans doute par Charles-Quint, il songea, dit-on, à lui conférer le chapeau cardinalice. Le moment était venu pour François de réaliser tous ses projets et de rendre publique la nouvelle de son entrée dans la Compagnie. Pour cela, il lui fallait l’autorisation de l’empereur : le duc la sollicita par une lettre du 15 janvier 1551 ; la réponse lui parvint non pas à Rome, qu’il avait quittée le 4 février, mais en Espagne, à Ognate, le 11 mai. Ayant obtenu satisfaction de ce côté, sans retard il se dépouilla de ses biens par-devant notaire, se fît raser et prit l’habit religieux. Ayant obtenu d’avance une dispense qui lui permettait de recevoir coup sur coup les saints ordres, il gravit tous les degrés jusqu’au sacerdoce en moins de deux semaines, et fut ordonné prêtre le 23 mai à Ognate.
Le religieux. – Les épreuves.
Le général de la Compagnie, tenant compte de l’influence que ce grand seigneur, devenu l’humble « P. François », pouvait exercer dans son milieu, ne l’attacha pas à une Province de l’Ordre, mais le laissa libre d’exercer son ministère comme il l’entendrait. Le nouveau prêtre se fît l’apôtre du Guipuzcoa, où il réalisa, par sa parole autant que par son air doucement austère, un bien considérable. Quelque temps après, il fut appelé à la cour du roi de Portugal Jean III. Il y exerça, principalement par son humilité, un apostolat fructueux, luttant de toute son âme contre la « poussière » mondaine qui aurait pu l’attacher encore à la terre.
Cependant le chapeau cardinalice n’était pas complètement écarté de sa tête ; Jules III avait accordé à l’empereur le choix de quatre sujets espagnols, et Charles-Quint avait mis au début de la liste le duc de Gandie. Saint Ignace hésitait ; François était prêt à faire ce que dirait son supérieur. Celui-ci trancha la question dans le sens négatif, et sur son ordre, le 22 août 1554, le Père prononça les vœux simples qui s’ajoutent aux trois grands vœux : dès lors, il s’interdisait d’accepter toute dignité ecclésiastique, à moins que le Pape ne l’y contraignît sous peine de péché.
Le saint fondateur étant mort le 31 juillet 1556, le P. Laynez fut élu en 1558 pour lui succéder. Le P. François de Borgia, qui était alors commissaire général de l’Ordre pour l’Espagne, avait obtenu une voix au scrutin, peut-être celle du P. Laynez, qui désignait ainsi son successeur. En attendant, il fut confirmé dans sa charge. Il eut à lutter, particulièrement à Saragosse, où la Compagnie de Jésus était fort mal vue. A Avila, il vit sainte Thérèse de Jésus et la confirma dans sa voie spirituelle.
Le vieil empereur, qui lui gardait toute son estime, avait voulu le revoir et avait eu avec lui des entrevues vers 1555 et en 1557 ; il l’avait même désigné parmi ses exécuteurs testamentaires. Quand le souverain fut à son lit de mort, dans son agonie il réclamait encore le P. François qui se trouvait alors éloigné ; après la mort de Charles-Quint, survenue le 21 septembre 1558, le Père prononça son oraison funèbre à Valladolid.
Philippe II, fils et successeur de Charles-Quint, n’aimait pas la famille de Borgia, et il faut dire que plusieurs faits justifiaient des appréciations sévères contre certains de ses membres ; le Père se trouva englobé dans cette hostilité. Le tribunal de l’Inquisition condamna comme hérétique un livre publié sous son nom, dont la moitié seulement était son œuvre et l’autre un recueil étranger ajouté par des éditeurs peu scrupuleux ; son arrestation fut même mise aux voix. Il crut prudent de fuir en Portugal, où il était de nouveau appelé, en novembre 1559. L’année précédente, il avait perdu une fille ; cette année même un gendre. Des difficultés graves s’étaient produites dans sa famille : autant d’épreuves qui détachaient son cœur. La maladie vint ensuite. A Evora, où il prêcha le Carême de 1560, il eut une attaque de paralysie ; appelé à Rome au mois de juin suivant par le P. Laynez, il fut arrêté en chemin par une attaque de goutte.
Le supérieur général. – La mort.
Pendant le Concile de Trente, auquel prit part comme théologien le P. Laynez, le P. François exerça les fonctions de vicaire général de l’Ordre. Le Pape Pie IV le traita avec bienveillance ; il fut surtout l’ami du Dominicain Michel Ghisleri, le futur saint Pie V.
Nommé assistant général pour l’Espagne et le Portugal en 1564, le Père n’exerça cette charge que pendant un an, car le P. Laynez mourut au début de 1565, et le lendemain l’assistant devenait vicaire général. Cinq mois après, le 2 juillet, à un scrutin qui réunissait 39 électeurs, dont saint Pierre Canisius et le bienheureux Ignace d’Azevedo, le P. François fut élu Général de son Ordre par 31 votants.
Homme de devoir et chef soucieux de ses responsabilités, il ne fut pas le supérieur mélancolique et décrépit qu’on a parfois représenté, mais un chef actif, doucement autoritaire, persuasif, diplomate, toujours très bon, recommandant la bonté aux supérieurs : « Ne jetez pas le fil à plomb tout droit ; faites flotter… »
Pendant deux ans, il travailla à une nouvelle rédaction des règles de son Institut, constitua le noviciat de Rome, et parmi ses nouvelles recrues eut l’honneur de compter un Saint, Stanislas Kotska ; il donna une grande impulsion aux missions dans l’Amérique espagnole, unit ses efforts à ceux du Pape saint Pie V pour provoquer la réforme dont l’Eglise avait besoin.
En 1571, il reçut l’ordre d’accompagner en Espagne le cardinal Alexandrin, neveu du Pape, envoyé comme légat en Espagne et en Portugal avec la mission de négocier plusieurs affaires, notamment la constitution d’une ligue contre les Turcs qui menaçaient la chrétienté. François obéit malgré la grave maladie qui le minait. En cours de route, il prêcha à Valence et les auditeurs vinrent en foule écouter « le saint duc ».
Le voyage se continua par le Portugal et la France ; le 26 janvier 1572, le P. François était à Bordeaux avec le légat. Le 8 février, il arrivait à Blois où se trouvait la cour, avec le roi Charles IX.
Le retour vers l’Italie fut extrêmement pénible pour le pauvre Père ; chaque étape marquait une nouvelle crise ; il passa tout l’été à Ferrare dans une maison du duc d’Este, et son état était si grave que son hôte interdit de lui annoncer la mort de saint Pie V, à qui succéda Grégoire XIII. Le 3 septembre, il fut conduit en litière jusqu’à Lorette, où il passa huit jours. Le 23 septembre, le mourant arrivait à Rome et fut conduit à la maison professe de la Compagnie. On lui porta le saint Viatique, il reçut, à sa demande, l’Extrême-Onction, et après avoir béni ses serviteurs et aussi les absents, il expira pieusement dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1572, à l’âge de soixante-deux ans.
Procès canonique de canonisation. – Le culte.
Une guérison remarquable dont fut l’objet, en 1607, la marquise de Cea, belle-fille du duc de Lerme, lui-même petit-fils de François de Borgia, eut en Espagne un grand retentissement et provoqua l’instruction de procès en plusieurs diocèses, de 1608 à 1611. Le 22 avril 1617, les restes de François furent remis au duc de Lerme, qui avait bâti à Madrid une petite église Saint-Antoine, où il avait fait aménager un tombeau pour les recevoir. Le 31 août 1624, était publié un décret déclarant qu’on pouvait procéder à la béatification et à la canonisation de François de Borgia ; selon la procédure alors en usage, ce décret conférait le titre de Bienheureux. Le 23 novembre de la même année, Urbain VIII permit aux maisons de la Compagnie de Jésus et aux possessions des Borgia de rendre un culte public au nouveau Bienheureux.
La duchesse de Gandie offrit, pour recevoir ses reliques, une châsse d’argent, la même qui existe aujourd’hui. Des fêtes extrêmement brillantes eurent lieu à Madrid, en septembre et octobre 1625.
Le décret fameux d’Urbain VIII réforma la procédure des causes de Saints et retarda quelque temps la marche du procès ; il fut repris le 26 février 1647. Clément X canonisa saint François de Borgia par une Bulle du 20 juin 1670, et les fêtes solennelles eurent lieu le 12 avril de l’année suivante, en même temps que pour les saints Gaétan de Tiène, Louis Bertrand, Philippe Benizi et pour sainte Rose de Lima.
Les solennités madrilènes organisées en août 1671, à l’occasion de la canonisation, furent grandioses : on n’éleva pas moins de dix-sept reposoirs.
Depuis 1627, les reliques du Saint avaient été transférées dans la nouvelle maison des Jésuites. Leur église, abandonnée en 1767, après l’expulsion de l’Ordre, fut confiée aux Oratoriens en 1769 ; en 1809, le roi Joseph Bonaparte réquisitionnant les objets précieux des églises, on eut l’heureuse inspiration de peindre la châsse en couleur bronze. En 1835, au moment de la Révolution, la châsse fut emportée et elle échappa encore au pillage ; elle rentra à Saint-Antoine l’année suivante. Transférées momentanément dans l’église de Jesùs Nazareno en 1890, les reliques de ce grand serviteur de Dieu ont été déposées le 30 juillet 1901 dans la nouvelle église de la Compagnie de Jésus.
Fr. Br.
Sources consultées.– Pierre Suau, S. J., Histoire de saint François de Borgia (Paris, 1910). – J. Crétineau-Joly, Histoire de la Compagnie de Jésus (Paris, 1844). – (V. S. B. P., n° 295.)