Saint François de Borgia

La conversion de saint François de Borgia, par José Moreno Carbonera, huile sur toile, Musée du Prado. Domaine Public via wikimedia

Troisième Général des Jésuites (1510–1572)

Fête le 10 octobre.

Vie résumée par l’abbé Jaud.

Saint François de Borgia était Espagnol et fils de prince. À peine put-​il arti­cu­ler quelques mots, que sa pieuse mère lui apprit à pro­non­cer les noms sacrés de Jésus et de Marie. Âgé de cinq ans, il rete­nait avec une mer­veilleuse mémoire les ser­mons, le ton, les gestes des pré­di­ca­teurs, et les répé­tait dans sa famille avec une onc­tion tou­chante. Bien que sa jeu­nesse se pas­sât dans le monde, à la cour de Charles-​Quint, et dans le métier des armes, sa vie fut très pure et toute chré­tienne ; il tenait même peu aux hon­neurs aux­quels l’a­vaient appe­lé son grand nom et ses mérites.

A vingt-​huit ans, la vue du cadavre défi­gu­ré de l’im­pé­ra­trice Isabelle le frap­pa tel­le­ment, qu’il se dit à lui-​même : « François, voi­là ce que tu seras bien­tôt… A quoi te ser­vi­ront les gran­deurs de la terre?… » Toutefois, cédant aux ins­tances de l’empereur, qui le fit son pre­mier conseiller, il ne quit­ta le monde qu’à la mort de son épouse, Éléonore de Castro. Il avait trente-​six ans ; encore dut-​il pas­ser quatre ans dans le siècle, afin de pour­voir aux besoins de ses huit enfants.

François de Borgia fut digne de son maître saint Ignace ; tout son éloge est dans ce mot. L’humilité fut la ver­tu domi­nante de ce prince revê­tu de la livrée des pauvres du Christ. A plu­sieurs reprises, le Pape vou­lut le nom­mer car­di­nal ; une pre­mière fois il se déro­ba par la fuite ; une autre fois, saint Ignace conju­ra le danger.

Étant un jour en voyage avec un vieux reli­gieux, il dut cou­cher sur la paille avec son com­pa­gnon, dans une misé­rable hôtel­le­rie. Toute la nuit, le vieillard ne fit que tous­ser et cra­cher ; ce ne fut que le len­de­main matin qu’il s’a­per­çut de ce qui lui était arri­vé ; il avait cou­vert de ses cra­chats le visage et les habits du Saint. Comme il en témoi­gnait un grand cha­grin : « Que cela ne vous fasse point de peine, lui dit François, car il n’y avait pas un endroit dans la chambre où il fal­lût cra­cher plu­tôt que sur moi. » Ce trait peint assez un homme aux ver­tus héroïques.

Plus l’humble reli­gieux s’a­bais­sait, plus les hon­neurs le cher­chaient. Celui qui signait toutes ses lettres de ces mots : François, pécheur ; celui qui ne lisait qu’à genoux les lettres de ses supé­rieurs, devint le troi­sième géné­ral de la Compagnie de Jésus.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Un chré­tien, puis un reli­gieux fidèle à son devoir qui, par sa péni­tence, répare le pas­sé de sa famille ; un grand homme et un grand Saint qui contri­bue, à l’heure pro­vi­den­tielle, au renou­veau de l’Eglise, tel appa­raît François de Borgia au spec­ta­teur qui l’étudie de près dans le cadre de son époque et de son milieu. Son père, qui sera nom­mé Grand d’Espagne en 1520, est l’arrière-petit-neveu du Pape Calixte III ; par lui aus­si François est appa­ren­té à un autre Pape, Alexandre VI ; mais, pour l’honneur des Borgia, il eût en géné­ral mieux valu que la famille res­tât en Espagne et que les hommes d’Eglise y fussent moins nom­breux. Du côté mater­nel, il pou­vait reven­di­quer un ascen­dant royal, Ferdinand V le Catholique, roi d’Aragon ; mais, de ce côté, l’arbre généa­lo­gique n’était pas non plus sans tache.

Une sainte aïeule. – Naissance de François.

Comme le dit un des récents bio­graphes de François, la sain­te­té péné­tra dans la famille de Borgia avec sa grand’mère pater­nelle, Marie Enriquez. Celle-​ci, demeu­rée en Espagne avec ses deux enfants, tan­dis que son mari, le duc Jean Ier, deuxième duc de Gandie, était à Rome, où il fut assas­si­né le 14 juin 1497, éle­va les deux orphe­lins, lais­sa sa fille entrer chez les Clarisses et sui­vit bien­tôt la même voie ; elle mou­rut sain­te­ment en 1537, après avoir pré­dit que l’aîné de ses petits-​enfants « affer­mi­rait la Maison et devien­drait la gloire de l’Espagne et de l’Eglise ».

François de Borgia naquit à Gandie, non loin de Valence, le 18 octobre 1510 ; le duc et la duchesse de Gandie don­nèrent à l’en­fant, qui était leur premier-​né, une for­ma­tion pieuse. Son plus grand plai­sir était d’entendre par­ler du para­dis. Volontiers il allait à l’église pour voir les céré­mo­nies et écou­ter les ser­mons qu’il rete­nait par cœur et répé­tait devant la famille réunie. Aussi, son père, qui parta­geait les idées du temps sur la voca­tion des aînés de famille, lui disait-​il par­fois, et non sans humeur : « Il vous faut des armes et des che­vaux, François, et non des images et des ser­mons. Soyez dévot, mais res­tez chevalier. »

L’enfant ren­dait abon­dam­ment à ses parents la peine que leur coû­tait son édu­ca­tion. Il les ché­ris­sait d’un amour véri­table et surna­turel. A la mort de sa mère, il redou­tait tel­le­ment qu’elle fût dans les flammes du Purgatoire, qu’il fus­ti­geait son corps à coups de disci­pline, afin d’obtenir la déli­vrance de cette âme très chère. Par ailleurs, il était de son âge : éco­lier enjoué, d’une san­té excel­lente, ne bou­dant pas à la vie, mais avant tout fidèle à Dieu.

A la suite de la mort de sa mère, sur­ve­nue en 1520, et de troubles poli­tiques, le jeune François fut confié à son oncle mater­nel, don Jean d’Aragon, arche­vêque de Saragosse.

Un prisonnier de l’Inquisition. – Marquis de Lombay.

Cependant, le duc Jean, son père, qui redou­tait peut-​être de le voir embras­ser la car­rière ecclé­sias­tique ou reli­gieuse, et dési­reux de le façon­ner à la vie du monde, pour laquelle François éprou­vait d’ailleurs un cer­tain attrait, sol­li­ci­ta de Charles-​Quint1, en faveur de son fils (1522), les fonc­tions de page d’honneur de l’infante Cathe­rine. Mais cette der­nière fut obli­gée de quit­ter l’Espagne en 1525, lors de son mariage avec Jean III, héri­tier de la cou­ronne de Por­tugal ; don Jean de Borgia rap­pe­la son fils et lui fit ache­ver ses études auprès de l’archevêque de Saragosse. Moins de trois ans après, le 8 février 1528, François deman­dait à entrer au ser­vice de l’empereur. Il fut agréé et retour­na à la cour à Valladolid. C’est pen­dant qu’il s’y ren­dait que, tra­ver­sant Alcala, il ren­con­tra un pauvre homme que les offi­ciers de l’Inquisition emme­naient en pri­son : le fils du duc de Gandie regar­da ce mal­heu­reux avec tant de bon­té, qu’un doc­teur de l’Université en fut tou­ché. Or, le pri­son­nier n’était autre qu’Ignace de Loyola, le futur fon­da­teur de la Com­pagnie de Jésus ; le doc­teur devait prendre rang par­mi ses dis­ciples et François lui-​même deve­nir le deuxième suc­ces­seur de saint Ignace.

A la cour, ses qua­li­tés morales, ses apti­tudes phy­siques, autant que ses talents natu­rels, assu­raient au jeune et brillant sei­gneur une belle car­rière. Mais le milieu pré­sen­tait des dan­gers et il le com­prit. Aussi se décida-​t-​il à prendre tous les moyens pour se pré­mu­nir contre la cor­rup­tion. Les sacre­ments reçus avec pié­té plu­sieurs fois par an et la dévo­tion à la Sainte Vierge furent ses armes prin­ci­pales. Toute­fois, cette vie chré­tienne, au milieu des vani­tés les plus mon­daines, ne l’empêchait pas de rem­plir auprès de l’empereur et de l’impératrice Isabelle les devoirs d’un fidèle serviteur.

Charles-​Quint, char­mé des ver­tus et de la dis­tinc­tion de François de Borgia, lui don­na en mariage une jeune Portugaise, Eléonore de Castro, demoi­selle d’honneur par­ti­cu­liè­re­ment chère à l’impératrice et qu’il dota riche­ment. Le mariage eut lieu au mois de juillet 1529 ; l’année sui­vante, l’empereur éle­va pour lui en mar­qui­sat la baron­nie de Lombay qu’il avait reçue en dot, et fit du nou­veau mar­quis son grand-​veneur et le grand-​écuyer de l’impératrice.

Mort de l’impératrice Isabelle.

Le jeune mar­quis sui­vit Charles-​Quint sur les champs de bataille, dans une expé­di­tion mal­heu­reuse en France. Une grave mala­die qu’il eut ensuite, à Ségovie, à la suite de cette entre­prise, le déci­da à fuir le monde dans la mesure du pos­sible. Il devint plus pieux, prit l’habitude de se confes­ser tous les mois, pra­tique bien rare alors ; aux diver­tis­se­ments bruyants ou dan­ge­reux, il pré­fé­rait la chasse, les oiseaux et la musique, et à par­tir de 1532, il aimait écrire des com­positions d’église, sur­tout pour l’orgue ; la Missa sine nomine attri­buée au célèbre Roland de Lassus est vrai­sem­bla­ble­ment l’œuvre par­tielle de l’héritier des ducs de Gandie.

Peu à peu, le bon Dieu l’attirait vers lui. Un nou­vel évé­ne­ment, aus­si tra­gique qu’imprévu, fit sur son âme une impres­sion pro­fonde : la mort de l’impératrice Isabelle, sur­ve­nue le Ier mai 1539 à Tolède, au milieu des fêtes brillantes qui accom­pa­gnaient la réunion des Etats ou Cortes.

La dépouille d’Isabelle devait être dépo­sée dans le caveau des rois, à Grenade. L’usage vou­lait qu’elle fût conduite sous escorte jusqu’à sa der­nière demeure. Charles-​Quint confia cette mis­sion déli­cate au mar­quis de Lombay, grand-​écuyer de l’impératrice. Celui-​ci par­tit avec le cadavre, accom­pa­gné d’officiers et de gens d’une impor­tante suite. Sur le che­min, des peuples accou­raient en foule, comme pour venir dire un der­nier adieu à leur bien­fai­trice. Arrivé à Grenade le 16 mai, le convoi funèbre s’avança entre deux haies de sol­dats jusqu’à la cathédrale.

Ici la légende, dra­ma­ti­sée encore par les peintres, place un trait qui n’a rien à voir avec l’histoire : le cer­cueil est ouvert, et le cadavre appa­raît dans un tel état de cor­rup­tion que François se sent mort au monde défi­ni­ti­ve­ment. La réa­li­té est plus simple : le len­de­main 17 mai, après un office funèbre, le cer­cueil, pro­ba­ble­ment vitré et d’où s’exhalait une odeur qui avait plus d’une fois en route frap­pé les membres de l’escorte, fut des­cen­du dans un caveau et pla­cé dans un second cer­cueil de plomb ; alors les per­son­nages pré­sents jurèrent que le caveau royal ren­fer­mait bien la dépouille de l’impératrice. Ce fut tout. Dans sa sim­pli­ci­té, cette scène com­porte par elle-​même d’éloquentes leçons.

Saint François devant le cadavre d’Isabelle (d’a­près les artistes)

Le 18 mai, le bien­heu­reux Jean d’Avila prê­chait à Tolède ; le mar­quis de Lombay alla le voir, lui expo­sa son état d’âme et reçut de lui un triple conseil : lut­ter contre l’ambition, contre l’envie, contre le goût du plai­sir. François devait s’y confor­mer de son mieux.

Vice-​roi de Catalogne.

On aurait tort de se l’imaginer tel que le jeune Louis de Gonzague, les yeux bais­sés, ne voyant et n’entendant rien de ce qui se passe autour de lui : il est marié, il a des enfants à éle­ver et à éta­blir ; il a des devoirs vis-​à-​vis de son sou­ve­rain. Le 26 juin 1539, le mar­quis de Lombay est nom­mé vice-​roi de Catalogne et, à la même époque, che­va­lier de l’Ordre de Saint-​Jacques, ce qui lui assure, même du point de vue maté­riel, des avan­tages sérieux.

La Catalogne était depuis assez long­temps infes­tée de bri­gands qui la rava­geaient en tous sens. François entre­prit contre eux une cam­pagne sans relâche qui lui don­na beau­coup de sou­cis, et lui-​même plai­san­tait sur les épreuves aux­quelles sa cor­pu­lence était sou­mise de ce fait. Plus d’un ban­dit finit ses jours à la potence ; par­fois il y avait des com­plices dans la haute socié­té ; ceux-​ci ces­sèrent bien­tôt de se croire en sûre­té. Là ne se bor­nèrent pas les efforts du vice-​roi ; il dut encore orga­ni­ser le port et les for­ti­fi­ca­tions de Barcelone, ins­pec­ter et for­ti­fier le Roussillon, lut­ter contre le relâ­che­ment de cer­tains cou­vents. Le mar­quis de Lombay ne connais­sait que son devoir, ce qui ne l’empêchait pas, bien au contraire, de mon­trer de la bon­té pour les pri­son­niers, de pro­po­ser d’adoucir cer­tains châ­ti­ments cor­porels alors en usage. La mort de son père, sur­ve­nue le 7 jan­vier 1543, fît de lui le qua­trième duc de Gandie.

Mort de la duchesse de Gandie. – La profession religieuse et le sacerdoce.

Après s’être illus­tré dans l’administration de la Catalogne et plu­sieurs entre­prises mili­taires, François pou­vait espé­rer, sur­tout pour l’avenir des siens, les faveurs royales ; mais il était mal vu du prince héri­tier, le futur Philippe II, et encore plus de la femme de celui-​ci ; il dut quit­ter la cour et se reti­rer dans son duché, situé à huit lieues au sud de Valence.

Le 27 mars 1546, la duchesse mou­rait. François n’aspira plus, dès lors, qu’à se don­ner entiè­re­ment à Dieu sans res­tric­tion aus­si­tôt que ses devoirs d’état le lui per­met­traient. En atten­dant, il conti­nuait de pra­ti­quer une vie simple pour lui-​même dans un cadre fas­tueux digne de son rang. Il dut conti­nuer à cher­cher des situa­tions pour ses enfants ; il eut même à plai­der, mal­gré sa répu­gnance à le faire, contre la veuve de son père. Il appar­te­nait au Tiers-​Ordre fran­cis­cain dès avant 1541, et il pre­nait volon­tiers les conseils de l’humble Frère Mineur Jean de Trejeda ; mais sur­tout il était en rela­tions sui­vies avec les Jésuites et leur fon­da­teur saint Ignace pour les­quels il se mon­trait d’une géné­ro­si­té extrême. Dès le 2 juin 1546, il avait fait le vœu d’entrer chez les Jésuites ; il se mit avec ardeur à l’étude de la théo­logie, et saint Ignace obtint alors du Pape Paul III pour « un laïque », non autre­ment spé­ci­fié d’abord, la per­mis­sion de faire sa pro­fes­sion solen­nelle, et ensuite un sur­sis de trois ans pour affaires. François pro­nonça les trois grands vœux le 1er février 1548, en la fête de saint Ignace d’Antioche. Le 20 août 1550, il reçut à l’Université de Gandie, qu’il avait fon­dée, le bon­net de doc­teur ; le 31 août, il quit­tait Gandie pour se rendre à Rome sans que le secret de sa voca­tion eût trans­pi­ré au dehors.

Il fut reçu le 23 octobre dans la ville pon­ti­fi­cale, confor­mé­ment à son rang de grand sei­gneur, et mal­gré sa contra­rié­té, sup­por­ta ces hon­neurs par obéis­sance. Pensionnaire à la rési­dence des Jésuites à Santa-​Maria del­la Strada, il fon­da le Collège romain, que saint Ignace aimait appe­ler le Collège Borgia, et qui est deve­nu, du nom du Pape Grégoire XIII, l’Université grégorienne.

Peut-​être le Pape Jules III avait-​il devi­né ou connu les pro­jets du duc de Gandie ; sol­li­ci­té sans doute par Charles-​Quint, il son­gea, dit-​on, à lui confé­rer le cha­peau car­di­na­lice. Le moment était venu pour François de réa­li­ser tous ses pro­jets et de rendre publique la nou­velle de son entrée dans la Compagnie. Pour cela, il lui fal­lait l’autorisation de l’empereur : le duc la sol­li­ci­ta par une lettre du 15 jan­vier 1551 ; la réponse lui par­vint non pas à Rome, qu’il avait quit­tée le 4 février, mais en Espagne, à Ognate, le 11 mai. Ayant obte­nu satis­fac­tion de ce côté, sans retard il se dépouilla de ses biens par-​devant notaire, se fît raser et prit l’habit reli­gieux. Ayant obte­nu d’avance une dis­pense qui lui per­met­tait de rece­voir coup sur coup les saints ordres, il gra­vit tous les degrés jusqu’au sacer­doce en moins de deux semaines, et fut ordon­né prêtre le 23 mai à Ognate.

Le religieux. – Les épreuves.

Le géné­ral de la Compagnie, tenant compte de l’influence que ce grand sei­gneur, deve­nu l’humble « P. François », pou­vait exer­cer dans son milieu, ne l’attacha pas à une Province de l’Ordre, mais le lais­sa libre d’exercer son minis­tère comme il l’entendrait. Le nou­veau prêtre se fît l’apôtre du Guipuzcoa, où il réa­li­sa, par sa parole autant que par son air dou­ce­ment aus­tère, un bien consi­dé­rable. Quelque temps après, il fut appe­lé à la cour du roi de Portugal Jean III. Il y exer­ça, prin­ci­pa­le­ment par son humi­li­té, un apos­to­lat fruc­tueux, lut­tant de toute son âme contre la « pous­sière » mon­daine qui aurait pu l’attacher encore à la terre.

Cependant le cha­peau car­di­na­lice n’était pas com­plè­te­ment écar­té de sa tête ; Jules III avait accor­dé à l’empereur le choix de quatre sujets espa­gnols, et Charles-​Quint avait mis au début de la liste le duc de Gandie. Saint Ignace hési­tait ; François était prêt à faire ce que dirait son supé­rieur. Celui-​ci tran­cha la ques­tion dans le sens néga­tif, et sur son ordre, le 22 août 1554, le Père pro­non­ça les vœux simples qui s’ajoutent aux trois grands vœux : dès lors, il s’inter­disait d’accepter toute digni­té ecclé­sias­tique, à moins que le Pape ne l’y contrai­gnît sous peine de péché.

Le saint fon­da­teur étant mort le 31 juillet 1556, le P. Laynez fut élu en 1558 pour lui suc­cé­der. Le P. François de Borgia, qui était alors com­mis­saire géné­ral de l’Ordre pour l’Espagne, avait obte­nu une voix au scru­tin, peut-​être celle du P. Laynez, qui dési­gnait ain­si son suc­ces­seur. En atten­dant, il fut confir­mé dans sa charge. Il eut à lut­ter, par­ti­cu­liè­re­ment à Saragosse, où la Compagnie de Jésus était fort mal vue. A Avila, il vit sainte Thérèse de Jésus et la confir­ma dans sa voie spirituelle.

Le vieil empe­reur, qui lui gar­dait toute son estime, avait vou­lu le revoir et avait eu avec lui des entre­vues vers 1555 et en 1557 ; il l’avait même dési­gné par­mi ses exé­cu­teurs tes­ta­men­taires. Quand le sou­ve­rain fut à son lit de mort, dans son ago­nie il récla­mait encore le P. François qui se trou­vait alors éloi­gné ; après la mort de Charles-​Quint, sur­ve­nue le 21 sep­tembre 1558, le Père pro­non­ça son orai­son funèbre à Valladolid.

Philippe II, fils et suc­ces­seur de Charles-​Quint, n’aimait pas la famille de Borgia, et il faut dire que plu­sieurs faits jus­ti­fiaient des appré­cia­tions sévères contre cer­tains de ses membres ; le Père se trou­va englo­bé dans cette hos­ti­li­té. Le tri­bu­nal de l’Inquisition con­damna comme héré­tique un livre publié sous son nom, dont la moi­tié seule­ment était son œuvre et l’autre un recueil étran­ger ajou­té par des édi­teurs peu scru­pu­leux ; son arres­ta­tion fut même mise aux voix. Il crut pru­dent de fuir en Portugal, où il était de nou­veau appe­lé, en novembre 1559. L’année pré­cé­dente, il avait per­du une fille ; cette année même un gendre. Des dif­fi­cul­tés graves s’étaient pro­duites dans sa famille : autant d’épreuves qui déta­chaient son cœur. La mala­die vint ensuite. A Evora, où il prê­cha le Carême de 1560, il eut une attaque de para­ly­sie ; appe­lé à Rome au mois de juin sui­vant par le P. Laynez, il fut arrê­té en che­min par une attaque de goutte.

Le supérieur général. – La mort.

Pendant le Concile de Trente, auquel prit part comme théo­lo­gien le P. Laynez, le P. François exer­ça les fonc­tions de vicaire géné­ral de l’Ordre. Le Pape Pie IV le trai­ta avec bien­veillance ; il fut sur­tout l’ami du Dominicain Michel Ghisleri, le futur saint Pie V.

Nommé assis­tant géné­ral pour l’Espagne et le Portugal en 1564, le Père n’exerça cette charge que pen­dant un an, car le P. Laynez mou­rut au début de 1565, et le len­de­main l’assistant deve­nait vicaire géné­ral. Cinq mois après, le 2 juillet, à un scru­tin qui réunis­sait 39 élec­teurs, dont saint Pierre Canisius et le bien­heu­reux Ignace d’Azevedo, le P. François fut élu Général de son Ordre par 31 votants.

Homme de devoir et chef sou­cieux de ses res­pon­sa­bi­li­tés, il ne fut pas le supé­rieur mélan­co­lique et décré­pit qu’on a par­fois repré­sen­té, mais un chef actif, dou­ce­ment auto­ri­taire, per­sua­sif, diplo­mate, tou­jours très bon, recom­man­dant la bon­té aux supé­rieurs : « Ne jetez pas le fil à plomb tout droit ; faites flotter… »

Pendant deux ans, il tra­vailla à une nou­velle rédac­tion des règles de son Institut, consti­tua le novi­ciat de Rome, et par­mi ses nou­velles recrues eut l’honneur de comp­ter un Saint, Stanislas Kotska ; il don­na une grande impul­sion aux mis­sions dans l’Amérique espa­gnole, unit ses efforts à ceux du Pape saint Pie V pour pro­vo­quer la réforme dont l’Eglise avait besoin.

En 1571, il reçut l’ordre d’accompagner en Espagne le car­di­nal Alexandrin, neveu du Pape, envoyé comme légat en Espagne et en Portugal avec la mis­sion de négo­cier plu­sieurs affaires, notam­ment la consti­tu­tion d’une ligue contre les Turcs qui mena­çaient la chré­tienté. François obéit mal­gré la grave mala­die qui le minait. En cours de route, il prê­cha à Valence et les audi­teurs vinrent en foule écou­ter « le saint duc ».

Le voyage se conti­nua par le Portugal et la France ; le 26 jan­vier 1572, le P. François était à Bordeaux avec le légat. Le 8 février, il arri­vait à Blois où se trou­vait la cour, avec le roi Charles IX.

Le retour vers l’Italie fut extrê­me­ment pénible pour le pauvre Père ; chaque étape mar­quait une nou­velle crise ; il pas­sa tout l’été à Fer­rare dans une mai­son du duc d’Este, et son état était si grave que son hôte inter­dit de lui annon­cer la mort de saint Pie V, à qui suc­cé­da Grégoire XIII. Le 3 sep­tembre, il fut conduit en litière jusqu’à Lorette, où il pas­sa huit jours. Le 23 sep­tembre, le mou­rant arri­vait à Rome et fut conduit à la mai­son pro­fesse de la Compagnie. On lui por­ta le saint Viatique, il reçut, à sa demande, l’Extrême-Onction, et après avoir béni ses ser­vi­teurs et aus­si les absents, il expi­ra pieu­se­ment dans la nuit du 30 sep­tembre au 1er octobre 1572, à l’âge de soixante-​deux ans.

Procès canonique de canonisation. – Le culte.

Une gué­ri­son remar­quable dont fut l’objet, en 1607, la mar­quise de Cea, belle-​fille du duc de Lerme, lui-​même petit-​fils de François de Borgia, eut en Espagne un grand reten­tis­se­ment et pro­vo­qua l’instruction de pro­cès en plu­sieurs dio­cèses, de 1608 à 1611. Le 22 avril 1617, les restes de François furent remis au duc de Lerme, qui avait bâti à Madrid une petite église Saint-​Antoine, où il avait fait amé­na­ger un tom­beau pour les rece­voir. Le 31 août 1624, était publié un décret décla­rant qu’on pou­vait pro­cé­der à la béa­ti­fi­ca­tion et à la cano­ni­sa­tion de François de Borgia ; selon la pro­cé­dure alors en usage, ce décret confé­rait le titre de Bienheureux. Le 23 novembre de la même année, Urbain VIII per­mit aux mai­sons de la Compagnie de Jésus et aux pos­ses­sions des Borgia de rendre un culte public au nou­veau Bienheureux.

La duchesse de Gandie offrit, pour rece­voir ses reliques, une châsse d’argent, la même qui existe aujourd’hui. Des fêtes extrê­me­ment brillantes eurent lieu à Madrid, en sep­tembre et octobre 1625.

Le décret fameux d’Urbain VIII réfor­ma la pro­cé­dure des causes de Saints et retar­da quelque temps la marche du pro­cès ; il fut repris le 26 février 1647. Clément X cano­ni­sa saint François de Borgia par une Bulle du 20 juin 1670, et les fêtes solen­nelles eurent lieu le 12 avril de l’année sui­vante, en même temps que pour les saints Gaétan de Tiène, Louis Bertrand, Philippe Benizi et pour sainte Rose de Lima.

Les solen­ni­tés madri­lènes orga­ni­sées en août 1671, à l’occasion de la cano­ni­sa­tion, furent gran­dioses : on n’éleva pas moins de dix-​sept reposoirs.

Depuis 1627, les reliques du Saint avaient été trans­fé­rées dans la nou­velle mai­son des Jésuites. Leur église, aban­don­née en 1767, après l’expulsion de l’Ordre, fut confiée aux Oratoriens en 1769 ; en 1809, le roi Joseph Bonaparte réqui­si­tion­nant les objets pré­cieux des églises, on eut l’heureuse ins­pi­ra­tion de peindre la châsse en cou­leur bronze. En 1835, au moment de la Révolution, la châsse fut empor­tée et elle échap­pa encore au pillage ; elle ren­tra à Saint-​Antoine l’année sui­vante. Transférées momen­ta­né­ment dans l’église de Jesùs Nazareno en 1890, les reliques de ce grand ser­vi­teur de Dieu ont été dépo­sées le 30 juillet 1901 dans la nou­velle église de la Compagnie de Jésus.

Fr. Br.

Sources consul­tées.– Pierre Suau, S. J., Histoire de saint François de Borgia (Paris, 1910). – J. Crétineau-​Joly, Histoire de la Compagnie de Jésus (Paris, 1844). – (V. S. B. P., n° 295.)