Évêque de Comminges (+ vers 1123).
Fête le 16 octobre.
Saint Bertrand est le plus illustre des évêques de cet ancien diocèse de la région pyrénéenne ; il devait le gouverner durant environ quarante-trois ans (1080–1123).
Quand il paraît à la fin du xie siècle, l’Eglise, en France, traverse une crise redoutable. Par la simonie, le désordre s’étale même dans le sanctuaire ; au sommet de la société, le roi Philippe Ier entrave les élections épiscopales et affiche le scandale d’une union illégitime.
La Papauté, avec l’appui des évêques fidèles, entame contre ces vices une lutte sans merci. Le diocèse de Comminges n’a pas échappé à la dépression générale, aussi cette situation déplorable et ces luttes expliquent-elles tout l’épiscopat du plus grand des pontifes de l’Eglise commingeoise.
L’historien de saint Bertrand.
Sa biographie offre tous les caractères d’authenticité, puisqu’elle a été écrite quelque quarante ans après sa mort, à la prière de Guillaume, archevêque d’Auch et son neveu, par « maître Vital, notaire apostolique » et Commingeois d’origine. L’hagiographe nous déclare qu’il a recueilli « scrupuleusement les dépositions des témoins oculaires », s’est assuré « de l’exactitude des faits » et ne parle qu’avec « modération ». Il n’eut d’autre but, ajoute-t-il, que « d’arracher à l’oubli les vertus et les miracles du saint évêque », et il donna lecture de ce travail « dans le palais de Latran, en présence du Pape Alexandre et des cardinaux, à une époque de schisme ».
Naissance de saint Bertrand. – Il abandonne la chevalerie pour le cloître.
Bertrand naquit dans la petite place forte de l’Isle-Jourdain, alors rattachée au diocèse de Toulouse. Son père, Othon de l’Isle, avait épousé Germaine, la fille de Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, et la sœur de Constance, reine de France.
Issu d’une noble race, l’enfant se rendit encore plus illustre par sa foi et ses vertus… Ses parents se plurent tous deux à appliquer leur fils, dès son enfance, à l’étude des saintes Ecritures afin qu’elles pussent le conduire à la voie du salut…
Lorsque le Bienheureux eut atteint l’âge et la force de la jeunesse, il embrassa la carrière des armes. Il avait pris saint Martin pour modèle et il s’attacha à en imiter les vertus. Sa libéralité était telle que nobles et gens riches et pauvres le chérissaient à l’envi. Ceux qui connurent la délicatesse de sa vie ne doutèrent pas que le lis de la chasteté n’ait toujours fleuri en lui. (Vital.)
Sur le front de cet adolescent « modeste, doux, pieux, lent à se plaindre », le vieil hagiographe nous fait entrevoir déjà l’auréole de la sainteté.
Soldat par condescendance envers son père, Bertrand, dès qu’il le put, déposa les armes ; mais en se donnant à Dieu il ne voulut pas se livrer à demi.
L’évêque de Toulouse, Isarn, désireux d’offrir à son clergé relâché des modèles et des guides sûrs, en 1077, transforma ses chanoines en véritables religieux soumis à la règle de saint Augustin. Bertrand, avec eux, embrassa les rigueurs de la vie monastique et bientôt dépassa tout ses confrères par sa science, son zèle et sa vertu. Elevé pour ce motif à la dignité d’archidiacre, il devint le bras droit de son évêque, s’employa sans repos à procurer la décence du culte divin, le soulagement des pauvres et surtout l’obéissance du clergé à la discipline ecclésiastique.
Saint Bertrand, évêque de Comminges.
Tandis que le Bienheureux, écrit Vital, se livrait avec un grand zèle à l’administration de la charge qui lui était confiée, en même temps que sa renommée s’étendait au loin, l’Eglise de Comminges devint veuve de son évêque (vers 1080)… Ceux à qui incombait le pouvoir de lui chercher un successeur, ayant invoqué selon l’usage le Saint-Esprit, élurent pour évêque l’archidiacre de Toulouse… Ils vinrent donc au couvent de Saint-Etienne annoncer à l’évêque et au Chapitre l’élection qu’ils avaient faite. Tous, jeunes et vieux, se réjouirent non sans éprouver une douleur légitime de ce que leur Eglise perdait ce fils.
Les envoyés conduisent vers la cité de Comminges… cet homme reconnu le meilleur parmi les meilleurs et qui n’avait employé ni les demandes ni les offres pour parvenir à cette haute dignité. Ils l’intronisèrent avec les solennités d’usage, dans son église cathédrale, au milieu de l’allégresse d’une grande multitude. Plus tard, notre Bienheureux fut sacré par Guillaume Bernard dans son église d’Auch, métropole de dix cités épiscopales. (Vital.)
Après son sacre, Bertrand fut ramené avec honneur « vers l’église de sa cité ».
Les labeurs d’un fécond épiscopat.
Dès son retour d’Auch, Bertrand commence son œuvre de rénovation. Il doit relever des ruines matérielles, guérir les misères morales de son clergé. Evêque et comte de Comminges, il a le double devoir d’assurer la sécurité temporelle et la sanctification de son peuple pauvre et grossier.
Son premier soin fut de consacrer au culte, dans la ville épiscopale, un édifice digne des vénérables origines de l’Eglise commingeoise. Bertrand avait été intronisé dans l’église de sa cité, et c’est dans cette même église qu’après son sacre il donna à son peuple sa première bénédiction d’évêque.
Cet édifice, faute de ressources et de soins, tombait sans doute en ruines, car des siècles s’étaient écoulés depuis la restauration royale de la cité et de son sanctuaire par Louis le Débonnaire. « Bertrand, écrit Vital, s’appliqua d’abord avec zèle à relever l’église dans la ville haute. »
« Il la reprit aux fondations », ajoute un ancien bréviaire. Mais le nouvel évêque ne se borna pas à reconstruire l’édifice, « il l’enrichit encore de beaux ornements… parce qu’il aimait la beauté de la maison de Dieu ». L’impulsion donnée par l’évêque se propagea, et jusqu’au flanc des plus rudes montagnes surgirent de belles églises romanes que nous admirons aujourd’hui.
Son zèle pour la discipline ecclésiastique.
Parce que Bertrand aime la beauté de la maison de Dieu, il ne peut souffrir la moindre indignité chez les ministres du sanctuaire. Il veut réformer son clergé et lui donner des guides sûrs capables de l’entraîner à la vertu.
Dans ce dessein, il construit un cloître autour de l’église, autant que le permet l’exiguïté du lieu, entouré de précipices et de rochers, et là, cet homme, épris de la discipline, établit des Chanoines réguliers, soumis à la règle de saint Augustin, afin qu’ils s’y acquittent des fonctions ecclésiastiques. (Vital.)
Il donne toute son affection aux prêtres fidèles, sollicite sans se lasser le repentir des égarés et parfois punit sévèrement les endurcis.
L’évêque, on le voit, demeure comme l’archidiacre embrasé de zèle pour le retour du clergé relâché à l’observation de la discipline ecclésiastique, et ce zèle, en quelques circonstances, Bertrand Je poussera jusqu’à l’héroïsme.
Le concile de Poitiers.
Le souverain d’alors, Philippe Ier, donnait à son peuple un grand scandale. Marié depuis vingt ans environ avec Berthe de Hollande, dont il avait eu quatre enfants, le roi de France s’avisa un jour de la prétendue illégalité de cette union contractée dans un degré de parenté interdit par l’Eglise, et la fit annuler.
On reconnut bientôt que, s’il avait rompu ce lien, ce n’était pas pour obéir aux scrupules de sa conscience, mais pour donner un libre cours à ses passions. En effet, il alla peu après enlever Bertrade de Montfort, femme de Foulques Réchin, comte d’Anjou, et se maria avec elle, malgré l’opposition presque unanime des prélats de son royaume (1092). Le prince avait déjà été excommunié par le Pape Urbain II au Concile de Clermont en 1095 ; l’année suivante, il le fut de nouveau au Concile de Tours. Absous une première fois, il récidiva, et les évêques rassemblés à Poitiers en 1101 reçurent du Pape Pascal II l’ordre de renouveler l’excommunication portée contre les deux complices. Cela ne fut pas sans difficulté ; en effet, le peuple excité envahit l’assemblée et lança sur les évêques une grêle de pierres. Ces prélats courageux, parmi lesquels l’histoire a noté les noms de saint Yves de Chartres et de Bertrand de Comminges, forts de leur devoir, restèrent impassibles en face du danger. Plus tard, en 1104, Philippe se soumit de nouveau, mais les données de l’histoire ne permettent guère de croire que dans cette triste affaire les droits de la morale triomphèrent sans réserve.
Avec le même courage, assistant en 1119 à la bénédiction du cimetière de Sainte-Marie d’Auch, le prélat subit également, avec ses collègues de la Province ecclésiastique, les avanies d’une bande de moines révoltés.
Zèle de saint Bertrand pour les intérêts du peuple.
Mais il n’est pas moins préoccupé du bien-être et de la sanctification du peuple dont il est à la fois le comte et l’évêque, comme nous l’apprend Vital.
« Comte de droit royal », il commandait à tous, nobles et vilains ; les comtes des cités, distincts des chefs militaires, avaient alors pour mission de rendre la justice et de protéger les faibles. « Bertrand, ajoute son biographe, gouvernait avec prudence par sa parole, son esprit et sa vie. » Comme les grands évêques du moyen âge, il agit en défenseur de son peuple.
Une guerre ayant éclaté entre les seigneurs du pays de Comminges et le comte de Bigorre, Sanche Parra, commandant les troupes de Bigorre, porta la dévastation dans le diocèse, ravageant les fermes, enlevant les animaux destinés à l’agriculture. Le saint évêque, rempli de douleur à la vue de l’affliction de ses enfants, alla trouver Sanche Parra et le pria de rendre aux paysans les animaux capturés. Celui-ci refusa. Le pontife redoubla ses instances paternelles :
– Rendez-les-moi, dit-il, et je me charge de vous dédommager avant votre mort.
Sanche finit par se laisser fléchir. Or, quelques années plus tard, alors que Bertrand avait déjà rendu son âme à Dieu, Sanche Parra fut fait prisonnier en Espagne par les Sarrasins. Une nuit, pendant qu’il se lamentait, une grande lumière brilla dans son cachot.
– Sanche, lui dit une voix, levez-vous et venez.
– Qui êtes-vous, seigneur ? demanda le captif.
– Je suis l’évêque Bertrand à qui vous avez rendu les bœufs de son pauvre peuple ; je viens tenir ma parole.
A ce mot, les chaînes se brisèrent, le prisonnier se leva et suivit son libérateur. Sans savoir comment, le matin venu, Sanche se trouva sur la route de son pays natal.
Comment saint Bertrand se fait tout à tous.
Le peuple ne demeurait pas indifférent au dévouement de son évêque ; tous l’aimaient, recherchant ses conseils et sa présence. Lors de son élévation à l’épiscopat, la ville basse seule comptait des habitants, le plateau restait dépeuplé.
Il n’existait plus de maisons sur la montagne, et voilà que, sous l’épiscopat du Saint, des hommes attirés par ses mérites y reconstruisirent des habitations pour vivre auprès de lui. (Vital.)
A ce peuple avide de le posséder, Bertrand se prodiguait d’ailleurs sans compter. Modèle parfait du saint évêque, durant cinquante ans il ne cessa de visiter son diocèse. Si l’on songe au défaut de routes et à leur insécurité à ces époques reculées, si l’on connaît surtout le pays montagneux et pauvre où ces actes du zèle pastoral se multiplièrent, on s’explique le renom extraordinaire de sainteté qu’ils valurent à leur auteur.
Rien ne put arrêter le courage du pontife : ni les pentes abruptes des montagnes, ni les dangers des voyages, ni le manque de provisions, ni son grand âge au déclin de sa carrière. Monté sur une mule, il allait d’église en église porter aux rudes populations de son diocèse « le tribut de l’instruction et de ses aumônes ».
Grand seigneur, il se faisait tout petit auprès des humbles ; conversant avec les pauvres, enseignant la doctrine chrétienne aux enfants, et comme Jésus semant sa route de miracles. La plupart, en effet, se sont accomplis au cours des tournées pastorales. Plusieurs nous dévoilent comment Bertrand savait s’accommoder de la pauvreté des logements et de la pénurie des provisions, tel celui où Vital nous montre l’évêque de Comminges prenant son repas sous un noyer et, à la prière de son hôte besogneux, bénissant cet arbre. Celui-ci, dans la suite, produisit de si beaux fruits qu’un peu d’aisance entra dans la modeste chaumière que le noyer ombrageait.
Précieuse mort de saint Bertrand.
Cependant l’évêque de Comminges avait vieilli dans les labeurs apostoliques.
Pendant qu’il visitait son diocèse, pris de fièvre, il sentit ses forces décliner rapidement. Comprenant que son corps n’avait plus qu’un souffle, il se fît porter, sur les bras des chanoines, dans son église cathédrale, devant l’autel de la Sainte Vierge, patronne de l’église.
Après avoir consolé ses disciples et donné sa dernière bénédiction épiscopale, ce saint homme termina doucement sa dernière journée. Ce dut être vers 1123. Ses paroles, sa mort, sa vie, ses œuvres et ses miracles témoignent sûrement qu’il est retourné vers Dieu et règne heureusement pour l’éternité parmi les saints et sublimes confesseurs de Jésus-Christ. (Vital.)
Gloire posthume.
Le culte du serviteur de Dieu se répandit dès après sa mort. Le peuple venait en foule à la cathédrale et priait à genoux sur la dalle qui recouvrait les restes du pasteur bien-aimé. Les malades, les affligés y retrouvaient la guérison de l’âme et du corps. Le Martyrologe gallican a conservé le récit de ces miracles. Vital lui-même en cite plusieurs, spécialement des délivrances de captifs ; sa mère, raconte-t-il lui-même, avait une grande dévotion envers saint Bertrand et lui avait voué son enfant ; or, berger dans sa jeunesse, Vital était venu vénérer le tombeau du saint pontife en compagnie de plusieurs bergers et d’un homme précédemment en captivité et naguère délivré de ses chaînes.
Quand Vital lut son travail devant le Pape Alexandre III, Bertrand avait déjà été proclamé Saint par la voix publique, c’est-à-dire par le clergé et le peuple commingeois, comme tant d’autres Saints du pays dont on célèbre solennellement les fêtes. Les évêques qui lui succédèrent veillèrent jalousement sur le tombeau et peu à peu la ville prit le nom de l’illustre pontife.
Piété de Clément V envers saint Bertrand.
Deux siècles plus tard, un de ses successeurs, Bertrand de Got (1305–1314), entreprit d’élever à la gloire de celui dont il portait le nom une église plus grandiose que la vieille cathédrale jadis construite par le Saint. De cet édifice vénérable, il laissa seulement le lourd beffroi et une partie du cloître aux sveltes colonnettes. Bertrand de Got lança vers le ciel une splendide nef ogivale entourée d’une couronne de chapelles et toute semée de grandes baies aux riches vitraux. L’œuvre n’était pas encore terminée quand Bertrand de Got, devenu Pape sous le nom de Clément V, revint à Comminges entouré d’un brillant cortège de princes de l’Eglise ; c’était le 16 janvier 1309. Il fit lever de terre le corps de saint Bertrand et le déposa de ses mains dans une précieuse châsse ciselée à ses frais. Il laissa également à l’église cathédrale sa propre chapelle et ses ornements pontificaux.
Clément V fit à l’église de Comminges le don, plus précieux encore, des nombreuses indulgences qu’il attacha aux fêtes du Saint. Citons au moins celle du Jubilé : elle revient les années où le 3 mai tombe un vendredi, dure trois jours et, depuis des siècles, attire à Saint-Bertrand des foules immenses. Ce « Grand Pardon », comme on l’appelle surtout de son nom primitif, eut en 1912 l’attrait spécial de coïncider avec la translation des restes de saint Bertrand dans une châsse due à la munificence du baron Bertrand de Lassus.
Reliques diverses de saint Bertrand. – La confrérie.
Plusieurs paroisses de la région du Midi ont eu l’honneur de recevoir des reliques du saint évêque de Comminges : par exemple l’Isle-Jourdain qui, le 5 septembre 1733, fit un accueil triomphal à celle qui lui avait été concédée ; et Arrens, dans la vallée d’Azun ; Barcelone en reçut aussi, de même que les Chanoines réguliers de l’église Sainte-Geneviève, à Paris.
Jean de Mauléon, évêque de Saint-Bertrand de Comminges, érigea, le 1er mai 1531, une confrérie placée sous le vocable de son saint prédécesseur, et sur les registres de laquelle figurèrent les évêques de Comminges, les membres du Chapitre, et de nombreux associés appartenant à plusieurs diocèses.
Le siège illustre de saint Bertrand, qui compte dans ses diptyques deux Saints, plusieurs pontifes de vénérée mémoire, des cardinaux et deux Papes, fut supprimé par la Révolution. Au début du xxe siècle, la vieille cité commingeoise perdit même son modeste titre de chef-lieu de canton. Dans l’antique cathédrale, la chaire épiscopale demeure vide ; du chœur silencieux, la louange perpétuelle ne s’élève plus sous les voûtes désolées. Mais le nom de saint Bertrand, porté par tant d’enfants du pays, reste encore très vénéré dans les vallées et les montagnes commingeoises. La ville semble se réveiller, le 16 octobre et surtout les jours de jubilé, quand les foules accourent à son sanctuaire.
Le tombeau lui-même du pontife bien-aimé se dresse toujours glorieux au milieu de ces ruines, et, malgré le temps et les hommes, il nous parle invinciblement de résurrection.
F.-M. Sol.
Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. VII d’octobre (Paris et Rome, 1868. – Dom Vaissette, Histoire de Languedoc. – Abbé Bouche, Vie de saint Bertrand. (Toulouse, 1895). – Baron d’Agos, Vie et miracles de saint Bertrand (Saint Gaudens). – (V. S. B. P., n° 1684.)