Déclaration de 1974

« C’est la posi­tion du sémi­naire et de la Fraternité depuis le début, mais en termes plus nets et défi­ni­tifs, en rai­son de l’amplification de la crise ».

Au retour d’une visite à Rome, le 21 novembre 1974, Mgr Lefebvre rédige d’un seul trait de plume, sans rature, une admi­rable posi­tion de prin­cipe qu’il pré­sente, le 2 décembre, à la com­mu­nau­té d’Ecône : « C’est la posi­tion du sémi­naire et de la Fraternité depuis le début, mais en termes plus nets et défi­ni­tifs, en rai­son de l’amplification de la crise ». Mgr Lefebvre n’a pas même ache­vé la lec­ture de sa décla­ra­tion que les sémi­na­ristes applau­dissent, conscients de vivre un ins­tant capi­tal. Le pré­lat, mépri­sant toute pru­dence humaine, a décla­ré ouver­te­ment la guerre, dans une vue de foi, à l’ensemble de la réforme post­con­ci­liaire. Cette décla­ra­tion va entrai­ner le simu­lacre de pro­cès en 1975 et la pre­mière condam­na­tion en 1976. Nous nous conten­te­rons d’une rapide relec­ture accom­pa­gnée de quelques commentaires.

Nous adhé­rons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catho­lique, gar­dienne de la foi catho­lique et des tra­di­tions néces­saires au main­tien de cette foi, à la Rome éter­nelle, maî­tresse de sagesse et de vérité.

La décla­ra­tion s’ouvre sur une pro­fes­sion de foi, mue par la cha­ri­té. Le pré­lat n’est pas pous­sé par un atta­che­ment sen­ti­men­tal, une pré­fé­rence per­son­nelle ou même une simple convic­tion céré­brale. C’est un atta­che­ment posi­tif à la véri­té éter­nelle qui fonde toutes les déci­sions, à Jésus-​Christ Vérité.

« à la Rome catho­lique » : Monseigneur n’écrit pas « à l’Église catho­lique ». Pour l’instant, Monseigneur envi­sage la tête visible de l’Eglise. En effet, ce sont le pape et ses col­la­bo­ra­teurs immé­diats, qui s’en pre­naient à la Tradition catho­lique. Mgr Lefebvre est atta­ché à la Tête actuelle dans la mesure de sa fidé­li­té car c’est cela qui fonde sa légi­ti­mi­té. Il est atta­ché à tous les papes aux­quels le pape actuel suc­cède. On lui objec­tait qu’il était seul, il répon­dait qu’il était avec une suc­ces­sion de 20 siècles de papes.

« gar­dienne de la foi catho­lique » : avant tout, la hié­rar­chie a pour mis­sion de pro­té­ger la véri­té sal­vi­fique qui est le bien com­mun de l’Église.

« et des tra­di­tions néces­saires au main­tien de cette foi » : le latin à la messe, le port de la sou­tane, les rites litur­giques, les mœurs chré­tiennes, ces tra­di­tions sont au ser­vice de la foi et en sont les gar­diennes. Certes, elles ne relèvent pas direc­te­ment de la foi ; elles consti­tuent des rem­parts et des expres­sions néces­saires de la foi. L’abandon de ces tra­di­tions expo­se­rait direc­te­ment à la perte de la foi.

« à la Rome éter­nelle » : les hommes d’Église sont « éter­nels » parce qu’ils ne sont que les maillons d’une chaîne de papes et d’évêques qui remontent à Notre Seigneur. Ils sont aus­si éter­nels parce qu’ils trans­mettent un dépôt immuable de véri­tés qui par­ti­cipent à l’immobilité de Dieu. Au contraire, les moder­nistes consi­dèrent la véri­té comme en évo­lu­tion per­ma­nente : Cf. Pascendi de saint Pie X.

« maî­tresse de sagesse et de véri­té » : cette véri­té a un rap­port vital avec la vie chré­tienne. Elle conduit à une connais­sance aimante et savou­reuse de Dieu, mais aus­si une sagesse pra­tique, qui per­met d’ordonner toutes choses selon la Pensée de Dieu, comme par exemple la liturgie.

Cette indi­gna­tion toute sur­na­tu­relle explique les consé­quences qui suivent :

Nous refu­sons par contre et avons tou­jours refu­sé de suivre la Rome de ten­dance néo­moderniste et néo-​protestante qui s’est mani­fes­tée clai­re­ment dans le Concile Vatican II et après le Concile dans toutes les Réformes qui en sont issues.

« Nous avons tou­jours refu­sé » : ce refus constant ne résulte pas d’un mou­ve­ment d’hu­meur, d’une émotion.

« la Rome de ten­dance… » : le rejet ne porte pas seule­ment sur ce qui est moder­niste mais aus­si sur ce qui y tend : les moder­nistes souffrent d’un état d’esprit, d’une dis­po­si­tion dif­fi­cile à cer­ner : saint Pie X dénonce l’état d’esprit fuyant des moder­nistes. Les prin­ci­paux symp­tômes sont le lan­gage flou, la nos­tal­gie du monde et le rêve d’une récon­ci­lia­tion avec lui, les expres­sions qui édul­corent la véri­té, qui la dimi­nuent, le par­ti pris de ne jamais condam­ner : le dis­cours d’introduction au concile l’illustre bien. Tout cela forme une reli­gion inco­lore, sans saveur, qui veut plaire à tous, mais qui est fina­le­ment mépri­sée par les mon­dains à cause de sa servilité.

Le mot « ten­dance » se rap­porte à « tendre à » : cela sug­gère un but à atteindre. Ici, Monseigneur consi­dère dans les auto­ri­tés romaines ce qu’elles veulent, le point d’aboutissement visé des réformes. Le recul de 50 ans ne fait que confir­mer les inquié­tudes de Mgr Lefebvre : les nova­teurs ont même dépas­sé ce qui était envisagé !

« qui s’est mani­fes­tée » : Mgr Lefebvre ne sombre pas dans le juge­ment témé­raire. Les signes sont suf­fi­sants. Par exemple lors du dis­cours de clô­ture on pou­vait entendre : « Nous plus que qui­conque nous avons le culte de l’homme ». Cette volon­té s’est incar­née dans les textes du concile et « dans toutes les réformes qui en sont issues ». Monseigneur ne dénonce pas ici les « abus », mais bien le Concile Vatican II lui-​même et les ins­ti­tu­tions offi­cielles, les hommes qui s’en réclament.

Toutes ces réformes, en effet, ont contri­bué et contri­buent encore à la démo­li­tion de l’Eglise, à la ruine du Sacerdoce, à l’a­néan­tis­se­ment du Sacrifice et des Sacrements, à la dis­pa­ri­tion de la vie reli­gieuse, à un ensei­gne­ment natu­ra­liste et teil­har­dien dans les uni­ver­si­tés, les sémi­naires, la caté­chèse, ensei­gne­ment issu du Libéralisme et du Protestantisme condam­nés maintes fois par le Magistère solen­nel de l’Eglise.

« ont contri­bué et contri­buent encore » : tous les erre­ments ne relèvent pas du concile ; il y aus­si l’influence du monde. Cependant toute cette évo­lu­tion s’insère dans un mou­ve­ment d’ensemble.

« à la ruine du Sacerdoce, à l’a­néan­tis­se­ment du Sacrifice et des Sacrements, à la dis­pa­ri­tion de la vie reli­gieuse » : cette révo­lu­tion attaque l’Eglise en son cœur (messe, sacre­ment, vie reli­gieuse) et non des aspects secondaires.

« à la démo­li­tion…, à la ruine…, à l’anéantissement…, à la dis­pa­ri­tion… » : la répé­ti­tion de ces termes expres­sifs sou­ligne la pro­fon­deur de la destruction.

« un ensei­gne­ment natu­ra­liste et teil­har­dien dans les uni­ver­si­tés, les sémi­naires, la caté­chèse, ensei­gne­ment issu du Libéralisme et du Protestantisme » : des doc­trines nou­velles ont été sub­sti­tuées à la doc­trine traditionnelle.

« Condamné maintes fois » : c’est le magis­tère de l’Église de tou­jours, c’est la Rome éter­nelle, c’est la voix même du Christ à tra­vers son Église qui nous confirme dans le rejet de ces nouveautés.

Aucune auto­ri­té, même la plus éle­vée dans la hié­rar­chie, ne peut nous contraindre à aban­don­ner ou à dimi­nuer notre foi catho­lique clai­re­ment expri­mée et pro­fes­sée par le Magistère de l’Eglise depuis dix-​neuf siècles. S’il arri­vait, dit saint Paul, que nous-​mêmes ou un Ange du ciel vous enseigne autre chose que ce que je vous ai ensei­gné, qu’il soit ana­thème. Gal. I 8.

Les pré­lats n’ont d’autorité que pour pro­té­ger, dif­fu­ser la foi intègre. Dès qu’ils s’écartent de cette voie, ils détruisent leur auto­ri­té. Le refus s’impose non seule­ment si l’on nous for­çait à aban­don­ner la foi, mais même seule­ment à lui faire perdre de sa vigueur, de sa fermeté.

Et si une cer­taine contra­dic­tion se mani­fes­tait dans ses paroles et ses actes ain­si que dans les actes des Dicastères, alors nous choi­sis­sons ce qui a tou­jours été ensei­gné et nous fai­sons la sourde oreille aux nou­veau­tés des­truc­trices de l’Eglise. 

« et si une cer­taine contra­dic­tion… » : l’Église impose à ses enfants non seule­ment de reje­ter les héré­sies for­melles et indu­bi­tables, mais encore les pro­po­si­tions qui « sentent l’hérésie », qui « favo­risent l’hérésie », qui « offensent les oreilles de la pié­té ». En par­ti­cu­lier nous ne pou­vons adop­ter les manières nou­velles d’ex­pri­mer les dogmes c’est-à-dire par un lan­gage tri­bu­taire des nou­velles philosophies.

« nous choi­sis­sons ce qui a tou­jours été ensei­gné et nous fai­sons la sourde oreille aux nou­veau­tés des­truc­trices de l’Eglise » : nous avons là un écho au Commonitorium de saint Vincent de Lérins en 430 : « Dans l’Église catho­lique elle-​même, il faut veiller avec grand soin à ce que l’on tienne ce qui a été cru par­tout, tou­jours et par tous. Cela est en effet vrai­ment et pro­pre­ment catholique »

« Nous fai­sons la sourde oreille » : la parole des moder­nistes est dan­ge­reuse. Une fois la des­truc­tion consta­tée, il est inutile et impru­dent de conti­nuer à les écouter.

On ne peut modi­fier pro­fon­dé­ment la ‘lex oran­di’ sans modi­fier la ‘lex cre­den­di’. A Messe nou­velle cor­res­pond caté­chisme nou­veau, sacer­doce nou­veau, sémi­naires nou­veaux, uni­ver­si­tés nou­velles, Eglise cha­ris­ma­tique, pen­te­cô­tiste, toutes choses oppo­sées à l’or­tho­doxie et au Magistère de toujours.

Toutes les com­po­santes de la révo­lu­tion sont indis­so­lu­ble­ment liées : refu­ser l’une entraîne la néces­si­té de refu­ser l’autre : litur­gie, faux magis­tère, etc. S’efforcer de sau­ver la litur­gie tra­di­tion­nelle tout en fai­sant des com­pro­mis sur la doc­trine en accep­tant Vatican II et les réformes sub­sé­quentes est une inco­hé­rence. Telle est la triste situa­tion des com­mu­nau­tés dites Ecclesia Dei.

Cette réforme étant issue du Libéralisme, du Modernisme, est tout entière empoi­son­née ; elle sort de l’hé­ré­sie et abou­tit à l’hé­ré­sie, même si tous ses actes ne sont pas for­mel­le­ment hérétiques.

La réforme consti­tue un tout cohé­rent. Tout, dans Vatican II est infec­té par le venin du néo-​modernisme. Ce qui peut être vrai dans les textes nova­teurs est ins­tru­men­ta­li­sé, ils sont inté­grés dans un tout, dans un mou­ve­ment révolutionnaire.

Il est donc impos­sible à tout catho­lique conscient et fidèle d’a­dop­ter cette Réforme et de s’y sou­mettre de quelque manière que ce soit.

On ne peut se mettre sous l’influence délé­tère de ceux qui sou­tiennent cette Réforme.

La seule atti­tude de fidé­li­té à l’Eglise et à la doc­trine catho­lique, pour notre salut, est le refus caté­go­rique d’ac­cep­ta­tion de la Réforme. C’est pour­quoi, sans aucune rébel­lion, aucune amer­tume, aucun res­sen­ti­ment nous pour­sui­vons notre œuvre de for­ma­tion sacer­do­tale sous l’é­toile du Magistère de tou­jours, per­sua­dés que nous ne pou­vons rendre un ser­vice plus grand à la sainte Eglise catho­lique, au Souverain Pontife et aux géné­ra­tions futures.

Cette décla­ra­tion s’achève sur une note de pro­fonde paix sur­na­tu­relle, ins­pi­rée par les ver­tus théo­lo­gales. En effet, par la foi, Mgr Lefebvre sait que rien n’échappe à la Providence. Par l’espérance, il marche en s’ap­puyant sur Dieu et non sur les stra­ta­gèmes humains. Par la cha­ri­té, il désire avant tout le bien com­mun sur­na­tu­rel de l’Eglise. En temps de crise, l’affirmation fidèle et pai­sible de la véri­té alliée à la prière est le seul remède à notre por­tée, pour les maux de l’Eglise.

C’est pour­quoi nous nous en tenons fer­me­ment à tout ce qui a été cru et pra­ti­qué dans la foi, les mœurs, le culte, l’en­sei­gne­ment du caté­chisme, la for­ma­tion du prêtre, l’ins­ti­tu­tion de l’Eglise, par l’Eglise de tou­jours et codi­fié dans les livres parus avant l’in­fluence moder­niste du Concile en atten­dant que la vraie lumière de la Tradition dis­sipe les ténèbres qui obs­cur­cissent le ciel de la Rome éternelle.

Ce fai­sant, avec la grâce de Dieu, le secours de la Vierge Marie, de Saint Joseph, de Saint Pie X, nous sommes convain­cus de demeu­rer fidèles à l’Eglise Catholique et Romaine, à tous les suc­ces­seurs de Pierre, et d’être les fidèles dis­pen­sa­tores mys­te­rio­rum Domini Nostri Jesu Christi in Spiritu Sancto. Amen.

Source : Bulletin La petite voix – Prieuré Saint-​Jean