Les derniers jours du cardinal Liénart

Photo du sacre de Mgr Lefebvre, le 18 septembre 1947. De gauche à droite, Mgr Le Hunsec (Sup. Gén. C.S.Sp), le cardinal Liénart, évêque de Lille, Mgr Ancel, auxiliaire de Lyon, Mgr Lefebvre, Mgr J.-B. Fauret, évêque de Pointe Noire

Il y a cin­quante ans, le 15 février 1973, le car­di­nal Achille Liénart ren­dait son âme à Dieu.

Ordonné prêtre en 1907, Achille Liénart fut nom­mé évêque de Lille en 1928 et le res­ta pen­dant qua­rante ans jusqu’en 1968 : une lon­gé­vi­té excep­tion­nelle qui lui don­na le temps d’imprimer sa marque au dio­cèse. L’un de nos parois­siens l’a bien connu jusque dans ses der­niers moments : avec son épouse, nièce du car­di­nal qui avait célé­bré leur mariage, il pre­nait quel­que­fois le relais des reli­gieuses qui veillaient sur le pré­lat atteint d’un can­cer du pan­créas. « Oncle Achille » lui a lais­sé le sou­ve­nir d’une mort édi­fiante. On lui avait pro­po­sé de prendre des médi­ca­ments pour atté­nuer ses dou­leurs : mais il avait refu­sé, afin de suivre l’exemple de Jésus-​Christ qui avait souf­fert sans se plaindre. Et puis, ne fallait-​il pas offrir ses souf­frances pour l’Église ? Lui qui l’avait connue flo­ris­sante dans un dio­cèse de Lille riche en fidèles, en voca­tions et en œuvres, il pou­vait consta­ter le début du nau­frage. « On comp­tait encore 1389 prêtres dans le dio­cèse en 1965. Ils n’étaient plus que 1230 en 1973. Le nombre des ordi­na­tions était tom­bé de 35 en 1953 à 20 en 1956. La baisse conti­nua ensuite régu­liè­re­ment. En 1969, il n’y eut que 8 ordi­na­tions »((Catherine Masson, Le car­di­nal Liénart, Cerf, 2001, p. 485. En 1928, année de la nomi­na­tion de Mgr Liénart (car­di­nal en 1930), le dio­cèse de Lille comp­tait 1350 prêtres. Il y eut 44 ordi­na­tions en 1923. En 2020, l’annuaire dio­cé­sain indi­quait 238 prêtres dio­cé­sains incar­di­nés, 105 prêtres dio­cé­sains actifs dans le dio­cèse, 113 prêtres retrai­tés et une ordi­na­tion.)). Dans ses der­nières années, le car­di­nal déplo­rait aus­si cer­taines réformes dont celles des sémi­naires, inter­ve­nues après Vatican II((Témoignage recueilli le 20 sep­tembre 2022.)).

Mais n’était-ce pas pleu­rer sur les cendres d’un incen­die qu’il n’avait peut-​être pas allu­mé lui-​même, mais qu’il avait contri­bué à entre­te­nir ? L’évêque de Lille était doté de qua­li­tés humaines cer­taines : cha­leu­reux, d’un abord facile, il savait se mon­trer habile et fidèle en ami­tié. Mais il res­ta un homme « de son temps » : esprit avant tout pra­tique, peu adepte des décla­ra­tions de prin­cipes, il ne sut pas résis­ter, avec la fer­me­té et la hau­teur de vue que donne l’assise doc­tri­nale, aux modes qui s’infiltraient dans l’Église au risque de l’éloigner de l’annonce de la foi « à temps et à contre­temps ». Un épi­sode appa­raît à ce titre signi­fi­ca­tif. En 1962, la Cité Catholique se voyait vio­lem­ment atta­quée par cer­tains milieux ecclé­sias­tiques et non des moindres puisque l’on soup­çon­nait que l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques, pré­si­dée par le car­di­nal Liénart, était der­rière cer­taines de ces menées. Pourtant, l’œuvre de Jean Ousset dif­fu­sait fidè­le­ment la doc­trine sociale de l’Église ensei­gnée par les papes, alors déjà remise en cause ! Mgr Lefebvre n’hésita pas à prendre la défense d’une œuvre si salu­taire en publiant une lettre de sou­tien à la Cité Catholique. « Je failli­rais à la véri­té si je res­tais silen­cieux », écri­vait l’évêque nom­mé de Tulle. Sans abor­der la ques­tion de fond, l’évêque de Lille lui repro­cha en retour d’avoir man­qué à une atti­tude « plus pru­dente et plus fra­ter­nelle ». Réponses révé­la­trices de deux états d’esprit. D’un côté, la pru­dence chré­tienne qui sait au besoin, sans lâche­té, prendre « le casque du salut et l’épée de l’esprit » (Ep 6, 17) pour défendre la foi atta­quée. D’un autre côté, la fausse pru­dence du libé­ral qui a tou­jours des rai­sons oppor­tunes de ne pas affir­mer la véri­té quand elle pour­rait choquer.

Si aujourd’hui appa­raissent plus clai­re­ment les insuf­fi­sances du pas­teur nor­diste, ne négli­geons pas de prier pour le repos de son âme. Sans ima­gi­ner peut-​être une telle pos­té­ri­té, il œuvra tout de même à la per­pé­tua­tion du sacer­doce catho­lique tra­di­tion­nel puisque nous lui devons l’ordination sacer­do­tale et la consé­cra­tion épis­co­pale de Mgr Lefebvre !

Source : Le Carillon n°204