La Déclaration du 21 Novembre vue par Jean Madiran

Dans son numé­ro de jan­vier 1975, la revue Itinéraires publiait la Déclaration du 21 novembre. Dans celui de juillet-​août, Jean Madiran don­nait des « éclair­cis­se­ments » sur cette affaire, en intro­duc­tion à un dos­sier sur « La condam­na­tion sau­vage de Mgr Lefebvre », et sous le titre : Une guerre de reli­gion. En voi­ci des extraits. 

La décla­ra­tion de Mgr Lefebvre répon­dait aux manœuvres hété­ro­doxes (et par­fai­te­ment post-​conciliaires) des envoyés du Saint-​Siège en inqui­si­tion à Ecône. 

Au mois de novembre 1974, le sémi­naire d’Ecône fut en effet ins­pec­té par deux visi­teurs apos­to­liques, deux Belges, le bibliste Mgr Descamps et le cano­niste Mgr Onclin. 

La conduite de ces deux visi­teurs fut scandaleuse.

Ils tinrent devant les sémi­na­ristes des pro­pos pour le moins incer­tains, et cer­tai­ne­ment inac­cep­tables, à trois niveaux différents :

  1. au sujet du mariage des prêtres ;
  2. au sujet de la notion de vérité ;
  3. au sujet de la résur­rec­tion de Notre-Seigneur.

Ces visi­teurs apos­to­liques venaient « de Rome ». Mais de quelle Rome ? Point de la Rome éter­nelle, maî­tresse de sagesse et de véri­té, gar­dienne de la foi catho­lique et des tra­di­tions néces­saires au main­tien de cette foi. Non, ils ne venaient pas de cette Rome-​là, puisqu’ils met­taient en doute sa doc­trine tra­di­tion­nelle aux trois niveaux qui viennent d’être dits.

Ils venaient de la Rome néo-​moderniste, et ils s’efforçaient d’en ino­cu­ler à Rome la nou­velle religion.

Mgr Lefebvre l’a pré­ci­sé dans sa Relation du 30 mai 1975 :

Je ne pou­vais adhé­rer à cette Rome qui repré­sen­taient des visi­teurs apos­to­liques qui se per­met­taient de trou­ver nor­male et fatale l’ordination des gens mariés, qui n’admettent pas une véri­té immuable, qui émettent des doutes sur la manière tra­di­tion­nelle de conce­voir la résur­rec­tion de Notre-​Seigneur. C’est là l’origine de ma Déclaration…

La condam­na­tion de Mgr Lefebvre sur sa Déclaration n’est pas un acci­dent ou un prétexte.

D’une par cette décla­ra­tion, d’autre part sa condam­na­tion sont exac­te­ment au centre vital du débat religieux.

Les déten­teurs actuels du pou­voir dans l’Église exigent qu’on leur obéisse même s’ils sont moder­nistes ; qu’on leur obéisse quoi qu’ils com­mandent et enseignent ; qu’on leur obéisse incon­di­tion­nel­le­ment. Cela n’est point catholique.

Une grande et redoutable clarté : le fait et le droit

Quand fut connue la Déclaration de Mgr Lefebvre, cer­tains timides esti­mèrent qu’il exa­gé­rait, qu’il s’aventurait trop ou qu’il se trom­pait en par­lant d’une « ten­dance néo-​moderniste qui s’est mani­fes­tée clai­re­ment dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. » Certes, disaient les timides, il existe une ten­dance néo-​moderniste ici ou là, et par exemple dans l’épiscopat fran­çais ; mais pas à Rome ! pas à Rome ! pas à Rome ! (…)

Si Mgr Lefebvre avait exa­gé­ré ou s’était trom­pé en cela, il se serait trom­pé sim­ple­ment sur le fait : sur l’existence et l’influence même à Rome de cette ten­dance néo-moderniste.

Et l’on aurait dû lui répondre, voire le condam­ner, sur le fait et non sur le droit : « Il n’est pas vrai que les réformes issues du concile soient ins­pi­rées par une ten­dance néo-moderniste ».

Or c’est tout le contraire. Les deux réponses de Rome ne disent rien sur le fait et répondent seule­ment sur le droit : elles contestent le droit de s’opposer au moder­nisme, à par­tir du moment où le moder­nisme vient de Rome. Les deux réponses de Rome qu’on lira plus loin, à savoir l’article de l’Osservatore roma­no et la sen­tence des trois car­di­naux, s’abstiennent l’une et l’autre de nier l’existence en fait d’une Rome néo-​moderniste. L’une et l’autre déclarent qu’il faut obéir à la hié­rar­chie romaine.

Dans le contexte de la ques­tion en cause, c’est donc mani­fes­te­ment sous-​entendre : obéir même si la hié­rar­chie romaine est moder­niste ; même si elle contre­dit la tra­di­tion catho­lique. L’une et l’autre réponses déclarent que Mgr Lefebvre sort de la com­mu­nion en refu­sant de se sou­mettre au moder­nisme qui s’est empa­ré du pou­voir spirituel.

Si ce n’était pas le moder­nisme, s’il ne s’était pas empa­ré du pou­voir, on nous l’aurait dit. Il y aurait, de la part de Mgr Lefebvre, méprise, mal­en­ten­du, erreur de fait : il n’y aurait évi­dem­ment pas faute contre la « communion ».

Une grande et redou­table clar­té vient de nous être don­née . A un évêque qui dit :

– Je ne me sou­mets pas à votre modernisme,

Rome ne répond point :

– Mais ce n’est pas du modernisme !

Rome répond :

– Même si c’est du moder­nisme, vous devez vous soumettre.

« En tous points »

Et c’est pour­quoi la sen­tence des car­di­naux condamne la Déclaration de Mgr Lefebvre comme « en tous points inac­cep­table. »

En tous points.

A com­men­cer par le point 1 : « Nous adhé­rons de tout notre cœur, de toute notre âme à la Rome catho­lique… à la Rome éter­nelle… »

Les occu­pants veulent que l’on adhère à la Rome occu­pée. Ils ne veulent pas que l’on adhère à la Rome éternelle.

Il y aurait bien d’autres remarques essen­tielles à for­mu­ler au sujet de ces docu­ments (…). Mais notre inten­tion prin­ci­pale, pour le moment, est sur­tout de pro­cu­rer au public l’intégralité des docu­ments eux-​mêmes. Ils montrent assez clai­re­ment qu’il s’agit d’une guerre de reli­gion. Du côté de Mgr Lefebvre, la reli­gion catho­lique. De l’autre côté, la nou­velle religion.

Source : Itinéraires n°195, Juillet-​août 1975.