Pour l’amour de la sainte Église

D’une impres­sion­nante actua­li­té, la décla­ra­tion du fon­da­teur de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X du 21 novembre 1974 est un témoi­gnage de foi catho­lique et d’amour de l’Église, un écho de sa devise épis­co­pale : Nous avons cru en la cha­ri­té.

Elle s’inscrit dans la situa­tion d’une Église occu­pée par une soi-​disant église conci­liaire de ten­dance néo-​moderniste et néo-​protestante. Cette décla­ra­tion consti­tue en même temps un remède effi­cace et la ligne de conduite à tenir par tout catho­lique fidèle à la Tradition de l’Église.

Retenons-​en deux élé­ments en par­ti­cu­lier : 1) le bien-​fondé de l’opposition d’un évêque au sou­ve­rain pon­tife. 2) l’harmonie et l’union néces­saire de la loi de la foi avec la loi de la prière, des véri­tés de foi avec la liturgie.

« Je lui ai résisté en face » (Galates, II)

Dans la IIa IIae de sa Somme théo­lo­gique, saint Thomas s’intéresse à la ver­tu d’obéissance (ques­tion 104) ; dans l’article 4, il se demande si l’on peut s’opposer à son supé­rieur. Il semble que non, car l’inférieur n’étant pas l’égal de son supé­rieur, il ne doit pas le reprendre. Donc saint Paul ne devait pas s’opposer à saint Pierre, comme Mgr Lefebvre à Paul VI.

Saint Thomas répond ceci : 

Quand on résiste en face en pré­sence de tout le monde, on va au-​delà des bornes de la cor­rec­tion fra­ter­nelle. C’est pour­quoi saint Paul n’aurait pas repris ain­si saint Pierre, s’il n’avait été son égal sous un rap­port, quant à la défense de la foi. Mais sans être l’égal d’une per­sonne, on peut l’avertir en secret et res­pec­tueu­se­ment. C’est ain­si que l’Apôtre écri­vant aux Colossiens [1] ordonne aux fidèles d’avertir leur pré­lat : Dites à Archippe (qui était évêque) : Remplissez votre ministère.

Toutefois il est à remar­quer que, s’il y avait péril immi­nent pour la foi, les infé­rieurs devraient publi­que­ment reprendre leurs supé­rieurs. C’est pour­quoi saint Paul qui était infé­rieur à saint Pierre l’a repris publi­que­ment, parce qu’il y avait dan­ger qu’il y eût scan­dale par rap­port à la foi. Et comme le dit saint Augustin [2] à l’occasion de ce pas­sage : Saint Pierre a appris par son exemple à ceux qui sont au pre­mier rang que s’il leur arri­vait par hasard d’abandonner la droite voie, ils ne rou­gissent pas d’être repris par ceux qui sont au-​dessous d’eux.

Statue de saint Paul à Rome devant la Basilique Saint-Paul-hors-les-murs
Statue de saint Paul à Rome devant la Basilique Saint-Paul-hors-les-murs

Saint Augustin affirme [3] : Ayez pitié non-​seulement de vous, mais encore de lui, c’est-à-dire du supé­rieur, car il est expo­sé à des périls d’autant plus grands qu’il occupe un poste plus éle­vé par­mi vous. 

Or, la cor­rec­tion fra­ter­nelle est une œuvre de misé­ri­corde. Par consé­quent, si néces­saire, on doit reprendre ses supé­rieurs. Les infé­rieurs ne sont pas tenus à faire de leurs supé­rieurs la cor­rec­tion qui est un acte de jus­tice, mais ils doivent leur faire celle qui est un acte de cha­ri­té, en les aver­tis­sant avec res­pect, égard et douceur.

En effet, la cor­rec­tion qui est un acte de jus­tice et qui inflige un châ­ti­ment ne convient pas à l’inférieur rela­ti­ve­ment à son supé­rieur (parce que l’inférieur n’a aucune auto­ri­té sur son supé­rieur) ; mais la cor­rec­tion fra­ter­nelle, qui est un acte de cha­ri­té, appar­tient à cha­cun, à l’égard de toutes les per­sonnes pour les­quelles on doit avoir de la cha­ri­té, s’il y a en elles quelque chose à reprendre. Car l’acte qui pro­cède d’une habi­tude ou d’une puis­sance s’étend à tout ce qui est com­pris sous l’objet de cette puis­sance ou de cette habi­tude, comme la vision s’étend à tout ce qui est com­pris sous l’objet de la vue. Mais comme tout acte ver­tueux doit être réglé selon les cir­cons­tances, il s’ensuit que dans la cor­rec­tion qu’un infé­rieur fait à son supé­rieur, il doit employer le mode conve­nable, c’est-à-dire qu’il ne doit pas le reprendre avec hau­teur et dure­té, mais avec dou­ceur et respect. 

Billuart fait obser­ver qu’il ne faut pas employer pour pro­duire ces remon­trances ou ces cor­rec­tions des hommes vul­gaires, de mœurs gros­sières, parce qu’il en résulte pour l’autorité des consé­quences fâcheuses.

Il résulte de cette ana­lyse de saint Thomas que Mgr Lefebvre non seule­ment était en droit de reprendre le pape Paul VI, mais cela était même de son devoir, un devoir de cha­ri­té, en rai­son d’un péril immi­nent pour la foi. L’évêque fidèle peut ain­si affirmer :

Aucune auto­ri­té, même la plus éle­vée dans la hié­rar­chie, ne peut nous contraindre à aban­don­ner ou à dimi­nuer notre foi catho­lique clai­re­ment expri­mée et pro­fes­sée par le magis­tère de l’Église depuis dix-​neuf siècles.

Car la Foi est abso­lu­ment néces­saire au salut :

« Celui qui croi­ra et sera bap­ti­sé sera sau­vé ; celui qui ne croi­ra pas sera condamné ».

Evangile selon saint Marc, XVI, 16

Et de citer saint Paul :

« S’il arri­vait que nous-​mêmes ou un Ange venu du Ciel vous enseigne autre chose que ce que je vous ai ensei­gné, qu’il soit anathème ».

Epître aux Galates, I, 8

« Lex credendi, lex orandi »

Mgr Lefebvre dit dans sa Déclaration : « On ne peut modi­fier pro­fon­dé­ment la lex oran­di (la loi de la prière) sans modi­fier la lex cre­den­di (la loi de la foi). »

Relisons l’enseignement que Pie XII don­na à ce sujet dans l’encyclique Mediator Dei, du 20 novembre 1947 :

Nous avons jugé devoir mettre en exacte lumière ceci, que vous n’ignorez sans doute point, Vénérables Frères : à savoir, l’erreur de ceux qui ont consi­dé­ré la litur­gie comme une sorte d’expérience des véri­tés à rete­nir comme de foi ; de façon que si une doc­trine avait pro­duit, par le moyen des rites litur­giques, des fruits de pié­té et de sanc­ti­fi­ca­tion, l’Église l’approuverait, et qu’elle la réprou­ve­rait dans le cas contraire. D’où pro­vien­drait l’axiome : Lex oran­di, lex cre­den­di ; « la règle de la prière est la règle de la croyance ». Mais ce n’est point cela qu’enseigne, ce n’est point cela que pres­crit l’Église. Le culte qui est ren­du par elle au Dieu très saint est, comme le dit de façon expres­sive saint Augustin, une pro­fes­sion conti­nue de foi catho­lique et un exer­cice d’espérance et de cha­ri­té : Fide, spe, cari­tate colen­dum Deum, affirme-​t-​il [4]. Dans la litur­gie sacrée, nous pro­fes­sons la foi catho­lique expres­sé­ment et ouver­te­ment, non seule­ment par la célé­bra­tion des mys­tères, l’accomplissement du sacri­fice, l’administration des sacre­ments, mais aus­si en réci­tant ou chan­tant le « Symbole » de la foi, qui est comme la marque dis­tinc­tive des chré­tiens, et de même en lisant les autres textes, et sur­tout les Saintes Écritures ins­pi­rées par l’Esprit-Saint. Toute la litur­gie donc contient la foi catho­lique, en tant qu’elle atteste publi­que­ment la foi de l’Église. (…) Que si l’on veut dis­cer­ner et déter­mi­ner d’une façon abso­lue et géné­rale les rap­ports entre la foi et la litur­gie, on peut dire à juste titre : Lex cre­den­di legem sta­tuat sup­pli­can­di, « que la règle de la croyance fixe la règle de la prière ». Et il faut par­ler de même quand il s’agit des autres ver­tus théo­lo­gales : « Nous prions tou­jours et avec une ardeur conti­nue, dans la foi, l’espérance et la cha­ri­té » [5].

Écrite il y a cin­quante ans, la décla­ra­tion de Mgr Lefebvre est bien l’expression ferme et res­pec­tueuse de notre fidé­li­té à l’Église :

Sans aucune rébel­lion, aucune amer­tume, aucun res­sen­ti­ment nous pour­sui­vons notre œuvre de for­ma­tion sacer­do­tale sous l’étoile du magis­tère de tou­jours, per­sua­dés que nous ne pou­vons rendre un ser­vice plus grand à la sainte Église catho­lique, au sou­ve­rain pon­tife et aux géné­ra­tions futures.

Notes de bas de page
  1. Epître aux Colossiens, IV, 17[]
  2. Epître 19[]
  3. In reg. Epist. 211 sub fin.[]
  4. C’est par la foi, l’espérance et la cha­ri­té que Dieu doit être hono­ré. Enchiridion, 3.[]
  5. Saint Augustin, Epître 130.[]