Saint Bavon

La Vie des Saints est une source inta­ris­sable de pro­diges. Mais, par­mi ces faits extra­or­di­naires, en est-​il beau­coup de plus remar­quables que la conver­sion de saint Bavon ? Hautain et violent, de mœurs déré­glées, il par­vient en trois ans à une telle sain­te­té que l’Église l’ho­nore main­te­nant sur ses autels. Pour conver­tir ce grand de la terre et faire de lui un illustre péni­tent, Dieu pren­dra comme ins­tru­ment de sa grâce l’exemple d’une épouse et d’une enfant vertueuses.

Nobles origines de saint Bavon.

Tous les hagio­graphes s’accordent pour recon­naître que Bavon était d’une illustre lignée, mais ils ne s’entendent point sur l’époque de sa nais­sance. Certains la placent en 678, d’autres plus près de la fin du VIe siècle. Toutefois, il naquit plus pro­ba­ble­ment au début du VIIe siècle, vers l’an 606. Son père, Agilulphe, qu’on appelle aus­si Agilolphe ou Eilolphe, et sa mère, sainte Adeltrude, étaient de race noble et appa­ren­tés aux plus grandes familles de ce temps, spé­cia­le­ment à celle des Landen : en effet, sainte Gertrude de Nivelle, fille du bien­heu­reux Pépin de Landen et de sainte Itta, était la cou­sine de Bavon.

Agilulphe était duc d’Hasbanie ou d’Hesbaye. Cette pro­vince, dis­pa­rue aujourd’hui, fai­sait par­tie de l’ancienne prin­ci­pau­té de Liège ; elle s’étendait sur la rive gauche de la Meuse, depuis Liège jusque Huy, et ren­fer­mait, outre Liège, Saint-​Trond, Tongres, Héristal, Landen, Huy. Ce pays, le ber­ceau des Carlovingiens, était alors divi­sé en quatre com­tés sur les­quels régnait le duc d’Hesbaye.

L’histoire nous fait connaître deux enfants d’Agilulphe, aux­quels furent don­nés au bap­tême les noms d’Adilie et d’Allowyn. Le der­nier reçut en outre un sur­nom, dimi­nu­tif d’affection : Babo ou Bavo, deve­nu, par son pas­sage dans la langue latine, Bavon ; le mot anglais baby est une sur­vi­vance de ce dimi­nu­tif qui, avec des formes diverses, existe en beau­coup d’autres langues d’Orient et d’Occident. A la mort de ses parents, qu’il per­dit très tôt, Bavon se vit à la tête d’une grande for­tune. Le pou­voir qui tom­bait sur ses épaules et les hon­neurs dont il était l’objet eurent vite gri­sé le jeune duc d’Hesbaye, dont le tem­pé­ra­ment violent ne connut plus de mesure. II se signa­la tris­te­ment par tous les excès dans les­quels une ardente nature, viciée dans sa direc­tion, peut empor­ter un jeune homme qui n’a d’autres règles que sa volon­té et ses caprices.

Le che­min de Damas.

Il res­tait cepen­dant à Bavon un fond d’honnêteté qui lui fai­sait res­pec­ter et appré­cier la ver­tu. C’est ain­si qu’il deman­da et obtint du comte Odilon la main de sa fille, une chré­tienne pieuse et douce (vers 624). Cette union devait être un grand bien­fait de Dieu pour le ter­rible sei­gneur, qui, par ses exac­tions tyran­niques, ses débauches et ses vio­lences, fai­sait la ter­reur de ses vas­saux. Sa jeune femme n’eut d’abord aucune influence sur lui, mais la grâce fit peu à peu son œuvre dans cette âme qui était plus inculte et bar­bare que fon­ciè­re­ment méchante. Une petite fille naquit bien­tôt qui, éle­vée par sa mère sous le regard de Dieu, devien­dra sainte Aglétrude dont l’Église célèbre la mémoire le 19 mars. La faible enfant unit ses prières à celles de sa mère, et ces sup­pli­ca­tions rejaillirent en faveurs divines sur l’âme de Bavon. Son carac­tère s’a­dou­cit ; les pauvres trou­vèrent accueil auprès de lui ; il se mon­tra plus juste et plus équi­table. Quoiqu’il fût encore jeune, le monde lui déplut, il délais­sa les tour­nois, les chasses et les jeux, et ses riches domaines per­dirent de leur prix à ses yeux. La lumière se fai­sait len­te­ment dans son esprit.

Mais Dieu, le Maître de nos des­ti­nées, pré­ci­pi­ta sa conver­sion en rap­pe­lant à lui l’épouse de Bavon. La dou­leur de celui-​ci fut immense. Ses larmes, ses san­glots, les cla­meurs qu’il pous­sait dans sa tris­tesse, bri­saient les cœurs les plus durs, et toute l’impétuosité de sa nature se retrouve bien ici. Cette épreuve fut pour le duc son « che­min de Damas ». Et, de même que Saul aveugle alla se mon­trer aux prêtres, de même Bavon se ren­dit auprès de saint Amand, évêque de Maëstricht.

Les conseils de saint Amand.

L’inspiration divine qui gui­dait le sei­gneur vers le saint mis­sion­naire lui disait qu’il trou­ve­rait auprès de l’homme de Dieu lumière et conso­la­tion. La ren­contre eut lieu au monas­tère de Gand ; cette ville était alors de moyenne impor­tance, mais sa situa­tion au confluent de l’Escaut et de la Lys devait en faire un grand port flu­vial. Bavon se jeta aux pieds de l’évêque et fit l’aveu de ses fautes. « Saint pon­tife, s’écria-t-il, pour le Salut de mon âme, donnez- moi de sages conseils. Je veux les suivre ; je veux cor­ri­ger ma vie tout entière et la puri­fier. Je m’abandonne à vous ; ayez pitié de moi, sauvez-​moi. » Saint Amand rele­va cet enfant pro­digue et le ser­ra dans ses bras. Il com­men­ça par le conso­ler de la mort de son épouse en l’assurant que du haut du ciel elle veillait sur lui et qu’elle l’at­ten­dait dans la cité bienheureuse.

Puis, reve­nant à la confes­sion de Bavon, il mon­tra le dégoût que l’âme chré­tienne doit avoir pour le péché. Cependant, de peur de dimi­nuer le repen­tir du péni­tent, il se gar­da bien d’amoindrir à ses yeux l’im­por­tance des fautes com­mises, et lui par­la lon­gue­ment de la misé­ri­cor­dieuse bon­té de Dieu.

Bavon écou­tait avi­de­ment les paroles du saint évêque ; elles tom­baient sur son cœur comme une rosée douce et féconde, pro­messe de fruits abon­dants. En ce moment, tous les sou­ve­nirs de sa vie pas­sée se repré­sen­taient à sa mémoire ; il son­geait aux ver­tus de sa femme qu’il rever­rait dans le séjour de bon­heur pro­mis au repen­tir comme à l’innocence ; il se rap­pe­lait les douces caresses et les prières de la petite Agléfrude, image vivante de sa mère. Puis, repor­tant de nou­veau sa pen­sée sur les fautes de sa jeu­nesse, il don­na libre cours à ses larmes. Mais saint Amand s’efforçait d’adoucir sa peine en lui répé­tant que le Seigneur est bon, plein de misé­ri­corde et qu’il ne veut point la mort du pécheur,

Bavon goû­tait enfin les dou­ceurs de la paix dans une conscience puri­fiée. Après avoir pas­sé plu­sieurs jours dans la com­pa­gnie de l’évêque, il retour­na vers son châ­teau. Et cet homme, qu’on avait sur­nom­mé « le ter­rible leude de L’Heshaye », dont les ser­vi­teurs n’approchaient qu’en trem­blant, se mit à dis­tri­buer ses biens aux pauvres, aux infirmes et aux mal­heu­reux. Sa dou­ceur, sa bon­té, l’hu­mi­li­té de ses sen­ti­ments, la sagesse de sa conduite, édi­fiaient tous ceux qui le ren­con­traient, et cha­cun répé­tait en bénis­sant Dieu que la grâce avait tou­ché Bavon et qu’il était deve­nu un homme nouveau.

Saint Bavon entré dans les Ordres.

Mais le nou­veau conver­ti, aspi­rant encore à une plus haute per­fec­tion, réso­lut de quit­ter le monde. Il mit ordre à ses affaires maté­rielles en s’inspirant du conseil de Jésus au jeune homme de l’Évangile : « Si tu veux être par­fait, quitte ce que tu as, donnes-​en le prix aux pauvres et suis-​moi. » Les églises et les monas­tères reçurent leur part de son patri­moine. En par­ti­cu­lier, le monas­tère Saint-​Pierre, fon­dé à Gand par saint Amand vers 631 et qui avait été le théâtre de la conver­sion du duc, reçut de telles lar­gesses que Bavon en a été quel­que­fois appe­lé le fondateur.

L’illustre péni­tent confia sa fille Aglétrude, alors âgée d’une ving­taine d’années, à sainte Adilie et s’en fut vers Gand. Il deman­da à saint Amand la per­mis­sion d’entrer dans les Ordres. L’évêque enten­dit avec une grande joie une telle prière, mais, aus­si pru­dent dans la conduite des âmes que zélé pour le ser­vice de Dieu, il ne vou­lut point le lais­ser s’en­ga­ger à la légère. Aussi rappela-​t-​il au duc d’Hesbaye qu’il était libre de res­ter dans le monde pour y mener une vie chré­tienne, mais qu’une fois admis dans la milice clé­ri­cale ou monas­tique, il ne pour­rait plus rompre cet enga­ge­ment mal­gré les ten­ta­tions dont le démon ne man­que­rait pas de l’assaillir. Rien ne put ébran­ler la réso­lu­tion du noble leude : Dieu aidant, il serait victorieux.

Alors, saint Amand, les mains levées vers le ciel, ren­dit grâces au Seigneur pour toutes ses misé­ri­cordes ; puis il embras­sa comme un fils bien-​aimé cet homme si géné­reux dans le sacri­fice et le condui­sit dans l’église du couvent de Saint-​Pierre. Là, pros­ter­né devant l’au­tel, le péni­tent, en pré­sence des reli­gieux réunis, dépo­sa tout ce qui lui res­tait de ses insignes et reçut avec des larmes de joie l’humble ton­sure des clercs. Dès ce moment, il se sou­mit à la dis­ci­pline reli­gieuse de Florbert ou Floribert, dis­ciple de saint Amand (vers 650–651).

L’humilité du nouveau converti.

Un fait nous aide­ra à mesu­rer le chan­ge­ment pro­fond qui était sur­ve­nu dans le carac­tère de l’ancien sei­gneur. Il avait obte­nu de saint Armand l’autorisation de l’ac­com­pa­gner dans quelques-​unes de ses pré­di­ca­tions, afin de s’instruire en sa com­pa­gnie et d’expier par toutes sortes de fatigues et de pri­va­tions les ini­qui­tés de sa vie pas­sée. Or, un jour, il ren­con­tra un de ses anciens ser­vi­teurs qu’il avait, quelques années aupa­ra­vant, mal­trai­té, frap­pé et fait mettre en pri­son. S’approchant de cet homme, il se jette à ses pieds et s’écrie : « Je t’en conjure, oublie le mal que je t’ai fait et traite-​moi comme je t’ai trai­té moi-​même. Frappe mon corps de verges, coupe-​moi les che­veux comme à un voleur, et conduis-​moi en pri­son, les pieds et les poings liés. »

L’ancien ser­vi­teur, sur­pris et confus, refuse d’exécuter cet ordre. Il n’ose por­ter la main sur son ancien maître qui porte aujourd’hui toutes les marques d’un péni­tent public. Mais Bavon le presse d’obéir et insiste tel­le­ment que le valet y consent enfin. Il lui lie les mains, lui coupe les che­veux, lui met des entraves aux pieds et le conduit en cet état dans une pri­son. Bavon bénis­sait Dieu de cette humi­lia­tion qui lui était infli­gée par un de ceux qu’il avait autre­fois outra­gés et scan­da­li­sés. Il pas­sa quelques jours dans ce cachot puis retour­na dans son monastère.

Saint Bavon ermite.

L’humble péni­tent se livrait à d’effrayantes macé­ra­tions. Couché sur la dure et le corps cou­vert d’un cilice, il ne pre­nait pour nour­ri­ture qu’un peu de pain d’orge trem­pé dans l’eau, et pleu­rait tou­jours ses fautes pas­sées. Son désir de mor­ti­fi­ca­tion le pous­sa même à deman­der à ses supé­rieurs l’autorisation de se faire ermite. Cette per­mis­sion lui fut accor­dée, et Bavon se ren­dit dans un bois appe­lé Beila – aujourd’hui Beilebosch ou Bellen-​bosch – à un mille à peu près de Turnhout, ville de Belgique située dans la pro­vince d’Anvers.

Sur la demande pres­sante de saint Bavon, son ancien ser­vi­teur lui lie les mains, lui coupe les che­veux, lui met des entraves aux pieds et le conduit en cet état dans une prison.

Ayant trou­vé là un hêtre creux de six pieds de large où une per­sonne pou­vait se tenir rela­ti­ve­ment à l’aise, il vit dans cette ren­contre un témoi­gnage de la bon­té de Dieu, et il s’établit à l’in­té­rieur de cet arbre avec autant de joie que si ce pauvre asile avait ren­fer­mé tous les tré­sors ; ce hêtre, qui mal­gré son grand âge gar­dait encore un feuillage abon­dant, devait être pen­dant des siècles le but d’un pèle­ri­nage célèbre. Mais, au bout de quelques jours, la retraite de Bavon fut décou­verte, et beau­coup de gens se pré­sen­tèrent, sol­li­ci­tant les conseils du nou­vel ermite.

Celui-​ci qui avait dési­ré se reti­rer du monde, voyait donc le monde reve­nir vers lui. Aussi résolut-​il de dis­pa­raître de nou­veau. Il s’enfuit, de nuit, dans la direc­tion de Gand et arri­va dans une forêt extrê­me­ment épaisse et maré­ca­geuse appe­lée Medmedung ; en ce lieu dis­tant de Gand de huit kilo­mètres, s’élèverait par la suite un vil­lage appe­lé Mendouck, dont l’église serait dédiée à saint Bavon. L’ancien sei­gneur éclair­cit un four­ré en cou­pant ronces et épines, et se bâtit là une pauvre cel­lule faite de bran­chages, de cailloux et de boue. Il y demeu­ra quelques mois en conver­sa­tion intime avec Dieu. Ses mor­ti­fi­ca­tions étaient très dures : pour tout vête­ment, il pos­sé­dait une saie (man­teau de l’époque) et un cilice qui n’empêchaient pas les mor­sures du froid mais cou­vraient sa nudi­té et domp­taient sa chair. Sa nour­ri­ture se com­po­sait de racines et de fruits sau­vages, et il étan­chait sa soif au ruis­seau voisin.

Il fut décou­vert encore une fois, et les foules se pres­sèrent pour l’écouter et le voir. Ce concours pro­di­gieux lui fit croire que sa soli­tude le ren­dait sin­gu­lier, le fai­sait remar­quer par­mi les clercs et les moines, et, de ce fait, pou­vait lui être dan­ge­reuse. Il deman­da à être de nou­veau admis par­mi les reli­gieux que saint Amand avait ras­sem­blés à Gand sous la conduite de l’Abbé Florbert.

Saint Bavon au monastère de Gand. — Miracle.

Bavon ren­tra avec allé­gresse dans cette mai­son de prière et de mor­ti­fi­ca­tion ; sa joie était par­ta­gée par les reli­gieux qui étaient heu­reux de rece­voir par­mi eux un homme que sa nais­sance, sa vie et ses ver­tus avaient ren­du célèbre.

Tandis qu’on lui bâtis­sait une cel­lule, un char­re­tier nom­mé Attinus, qui trans­por­tait des pierres et du bois pour cette construc­tion, fut tout à coup envi­ron­né de chiens qui aboyèrent contre lui. Furieux, il s’emporta jusqu’à insul­ter Bavon et à blas­phé­mer. Quelques heures après, cet ouvrier tom­bait de son cha­riot. Il eut les, jambes bri­sées et mou­rut presque aus­si­tôt. Lorsqu’on annon­ça cet acci­dent à Bavon, il en conçut une pro­fonde tris­tesse. Pendant trois heures il fit vio­lence au ciel et ne ces­sa de prier qu’a­près avoir rap­pe­lé Attinus à la vie. Ce miracle eut un grand reten­tis­se­ment dans toute la contrée.

Cependant, l’ardent repen­ti vou­lait, dans son désir de répa­ra­tion, expier ses fautes par une aus­té­ri­té tou­jours plus grande. A la fin il se creu­sa une caverne si petite qu’on ne pou­vait s’y tenir ni debout ni assis. Le soli­taire en fit encore dimi­nuer l’espace libre par une énorme pierre qui devait lui ser­vir d’oreiller. Cette pierre que deux hommes pou­vaient à peine rou­ler, Bavon la por­ta seul dans ses bras jusqu’à son réduit.

Enfin, le jour fixé pour la réclu­sion arrive ; le cler­gé, les moines, revê­tus comme aux jours de fête, s’avancent der­rière saint Amand et l’Abbé Florbert. Une foule d’ha­bi­tants de la contrée a tenu à faire cor­tège pour la der­nière fois au duc Bavon. Arrivé à la petite cel­lule, l’évêque la bénit et l’encense au chant des hymnes et des can­tiques, puis il embrasse avec émo­tion le reclus que tous ses frères en reli­gion embrassent éga­le­ment. On ferme la porte et saint Amand y appose son sceau.

C’est là que vécut désor­mais le pécheur conver­ti. Il s’infligea des pri­va­tions inouïes : un peu d’eau, un peu de pain sans levain, fai­saient toute sa nour­ri­ture : il n’en consom­mait que juste ce qu’il faut pour ne point mou­rir. Le cilice, des fla­gel­la­tions fré­quentes, meur­tris­saient sa chair. Aussi le démon, qui ne pou­vait souf­frir une telle ver­tu, essayait-​il sou­vent de trou­bler cette retraite. Il secouait la cabane par des tem­pêtes épou­van­tables et fai­sait sur­gir de toutes parts des ser­pents et des bêtes féroces. Mais Bavon met­tait sa confiance en Dieu et lut­tait à force de prières et de mortifications.

Un jour qu’a­près une lutte plus pro­lon­gée que de cou­tume il s’était endor­mi, un ange lui appa­rut sous la forme d’une colombe et rem­plit son âme de si douces conso­la­tions qu’il n’eut plus qu’un désir : s’en aller bien­tôt vers la patrie céleste. Bavon eut bien d’autres visions qui lui don­nèrent la cer­ti­tude du salut. En par­ti­cu­lier, une croix lumi­neuse se for­ma une nuit au-​dessus de sa tète.

Les derniers moments.

Ayant été aver­ti mira­cu­leu­se­ment de sa fin pro­chaine, le saint péni­tent sou­hai­ta d’être assis­té par un prêtre nom­mé Dourlin qui habi­tait à Turnhoul. Cette ville était fort éloi­gnée et le ser­vi­teur qu’on y avait envoyé ne savait com­ment trou­ver la route. Un ange se fit son com­pa­gnon, le condui­sit à l’endroit vou­lu, puis le rame­na avec le prêtre.

Peu de temps après, une troupe d’esprits bien­heu­reux des­cen­dit dans la cel­lule de Bavon pour empor­ter son âme au ciel. « Adieu, dit-​il alors aux assis­tants ; adieu, sainte com­pa­gnie des ser­vi­teurs de Dieu ; Jésus-​Christ lui-​même m’assiste. Mon âme, sors de ta pri­son et va au-​devant de ton Dieu. » A ces mots, il expi­ra. C’était le 1er octobre, vers l’an 654. La dou­leur de ceux qui l’avaient connu et véné­ré s’a­pai­sa à la nou­velle que son âme bien­heu­reuse était aus­si­tôt appa­rue à sainte Gertrude sa cou­sine, la priant d’envoyer au monas­tère des lin­ceuls pour la sépul­ture. Les funé­railles eurent lieu au milieu d’un grand concours de peuple que le renom de sa sain­te­té avait atti­ré. Saint Amand, qui avait recueilli son der­nier souffle, inhu­ma sa dépouille mor­telle dans la cha­pelle même où il l’avait récon­ci­lié avec Dieu.

Culte de saint Bavon.

La dévo­tion envers saint Bavon fut très vite popu­laire. On vit bien­tôt s’élever une flo­rai­son de sanc­tuaires en son hon­neur, et les peintres qui les déco­rèrent repré­sen­tèrent leur héros dans toutes les phases de sa vie. C’est ain­si qu’on le figure : 1° reti­ré dans le creux d’un arbre ; 2° por­tant comme marque de sa noblesse une armure ou un riche cos­tume, avec une épée nue à la main, ou bien encore ayant sur le poing un fau­con, car la chasse à l’oiseau était un pri­vi­lège sei­gneu­rial ; 3° coif­fé d’une toque pana­chée, vêtu d’un long man­teau de prince, et por­tant un livre, sym­bole de ses médi­ta­tions ; 4° gué­ris­sant l’homme qui avait eu les jambes bri­sées par un cha­riot ; 5° por­tant une église sur la main à cause de ses libé­ra­li­tés envers le monas­tère Saint-​Pierre de Gand, qui prit plus tard son nom ; 6° avec le bour­don et le bâton de l’ermite ; 7° por­tant à sa cel­lule la grosse pierre dont nous avons par­lé et qui fut conser­vée long­temps à Mendouck.

C’est à Gand sur­tout que saint Bavon est invo­qué ; et dans cette ville, soixante gen­tils­hommes vou­lurent imi­ter son exemple en se consa­crant aux aus­té­ri­tés de la péni­tence. Ils y firent bâtir l’église de son nom, laquelle fut d’abord des­ser­vie par des cha­noines puis par des reli­gieux de saint Benoît. Le Pape Paul III sécu­la­ri­sa le monas­tère en 1537, à la prière de Charles-​Quint. Ce prince, ayant fait construire une cita­delle en cet endroit, trans­fé­ra le Chapitre, trois ans après, dans l’église Saint-​Jean, qui depuis ce temps-​là pos­sède les reliques et porte le nom de saint Bavon. Cette église devint cathé­drale, lors­qu’en 1559 Paul IV éri­gea un évê­ché à Gand sur la demande que lui en fit le roi d’Espagne Philippe II Maintenant, le grand saint est le patron de la ville ; dans son temple, la pié­té des géné­ra­tions a entas­sé des tré­sors avec profusion.

Les reliques de saint Bavon, qui avaient été l’ob­jet de diverses trans­la­tions, notam­ment en 1566, en vue d’échapper à la fureur des héré­tiques, furent trans­por­tées notam­ment à Laon où elles res­tèrent pen­dant un siècle ; avant les des­truc­tions des hugue­nots, une par­tie des pré­cieux restes avait été don­née à une église de Hollande, pro­ba­ble­ment de Haarlem, ville qui l’invoque aus­si comme son patron. En 1930, une magni­fique église, dédiée au saint ermite, et dont la construc­tion a exi­gé une période de trente-​cinq ans, y a été consacrée.

En France, la paroisse de Sailly, du dio­cèse de Reims, se réclame aus­si de saint Bavon, dont une magni­fique sta­tue, due au ciseau du sculp­teur de Koninck, orne le maître-​autel. C’est, à notre connais­sance, la seule paroisse de France qui lui soit consa­crée. Il est pos­sible que cette dévo­tion y ait été appor­tée par Eugène-​Albert d’Allamont, sei­gneur du pays, deve­nu évêque de Gand.

source : Bonne Presse, E. Leuridan