Le titre de cet article peut paraître surprenant. Pourtant les mentions de la vérité à propos de la royauté du Christ ne manquent pas.
La préface de la fête liturgique du Christ-Roi demande que le Fils procure « à votre immense Majesté un royaume éternel et universel, un royaume de vérité et de vie, […] ».
Dans son encyclique Quas Primas, le pape Pie XI déclare que le Christ « règne [certes métaphoriquement] sur les intelligences humaines, à cause de la pénétration de son esprit et de l’étendue de sa science, mais surtout parce qu’il est la Vérité et que c’est de lui que les hommes doivent recevoir la vérité et l’accepter docilement ».
Le fondement de ces assertions se trouve dans l’Écriture. Pendant la passion, saint Jean nous rapporte le dialogue entre Jésus et Pilate.
Pilate lui dit : « Tu es donc roi ? » Jésus répondit : « Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité : quiconque est de la vérité écoute ma voix. » [1]
Notre-Seigneur établit donc un rapport clair entre la vérité et sa royauté.
Vérité et politique
On pourra légitimement se demander de prime abord ce que vient faire la notion de vérité dans la politique.
Le chef est celui qui connaît la fin à laquelle il mène ses subordonnés. Sans cette connaissance, son gouvernement est vain. D’autre part, cette connaissance est le fondement des lois qu’il prononce, parce que la loi est une ordination de la raison au bien commun c’est-à-dire à la fin de la société. De plus, d’un point de vue judiciaire, le chef doit juger, et tout jugement droit se fait selon la vérité. Enfin, la vertu par excellence du chef, c’est la prudence, laquelle est vertu de l’intelligence.
Ainsi, sans une intelligence affermie dans le vrai, un chef ne peut gouverner convenablement. Avec ces notions, la fonction du chef devient plus claire. Celui qui détient l’autorité doit mettre de l’ordre dans la société. Or l’ordre, dit Aristote, est le propre du sage qui doit connaître le tout politique et les parties qui le composent et les unifier dans et par son gouvernement. Sagesse et intelligence des réalités sont donc nécessaires au bon chef.
A contrario, on constate comment dans les sociétés modernes et corrompues, appelées par Marcel de Corte « dissociétés », la vérité est bafouée au profit du mensonge. Que ce soit dans les programmes scolaires ou dans les médias qui modèlent la pensée, il y a une dictature du mensonge.
Il faut enfin ajouter que, dans l’ordre surnaturel, la fin dernière de l’homme est la contemplation de l’intimité divine, laquelle est œuvre de l’intelligence. C’est pour cette contemplation que nous avons été créés, et c’est à cette contemplation que tout devrait mener, tant dans l’ordre surnaturel par l’Église que dans l’ordre temporel par l’État.
Toutes ces raisons manifestent clairement l’importance et la place de la vérité dans un gouvernement.
Cependant, à travers les divers titres par lesquels le Christ est roi, on décèlera mieux les raisons qui unissent la vérité à sa royauté.
Roi par sa divinité
Que le Christ soit roi en raison de sa divinité, cela ne fait nul doute. Dieu a tout créé. Mais saint Jean nous rapporte que tout a été créé par le Verbe. « Tout a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui »[2]. Et puisque le Verbe est la parole de Vérité que Dieu prononce de toute éternité, on comprend donc que c’est par sa Vérité que Dieu est roi du monde.
L’unique Verbe de Dieu n’exprime pas seulement le Père, mais encore les créatures. […] Le Verbe de Dieu est pure expression du mystère du Père, mais il est expression et cause des créatures [3].
Roi par son humanité
Le Christ est aussi roi par son incarnation. Or pourquoi est-ce le Fils qui s’est incarné plutôt qu’une autre personne de la Trinité ? Parce qu’il est le Verbe de Vérité. Saint Thomas s’exprime ainsi :
Le Verbe de Dieu a un point de contact spécial avec la nature humaine, du fait qu’il est le concept de la Sagesse éternelle, de laquelle dérive toute sagesse humaine. C’est pourquoi le perfectionnement de l’homme dans la sagesse, en quoi se réalise sa perfection d’être raisonnable, se mesure à ce qu’il participe du Verbe de Dieu. C’est ainsi que le disciple s’instruit dans la mesure où il reçoit la parole du maître, expression du verbe intérieur.
Somme Théologique, III, q.3, a.8
Il y a donc un lien étroit en Notre-Seigneur entre incarnation, vérité et royauté. Son incarnation lui donne un droit à la royauté, non seulement parce que sa nature humaine est plus parfaite que toute créature par l’union à la nature divine, mais aussi parce qu’il est l’exemplaire de toute vérité, laquelle perfectionne l’homme dans sa nature raisonnable. Or le prince n’a- t‑il pas pour but de mener l’homme à sa perfection ?
Les mots le disent aussi clairement : être sujet du Christ-Roi, c’est être le disciple de Notre-Seigneur. Or un disciple, c’est celui qui reçoit un enseignement, l’assimile pour se conformer au maître et le transmet ensuite.
Roi par sa rédemption
Enfin, par sa mort sur la croix, des mots même de Jésus, il rend témoignage à la vérité. Autrement dit, Jésus acquiert par sa rédemption un droit de conquête sur nos âmes. Mais puisque sa rédemption est essentiellement un témoignage de vérité, c’est aussi en raison de la vérité qu’il gouverne les hommes.
On pourra se demander de quelle vérité il s’agit ? Jésus rend témoignage de la vérité de son amour. Amour d’une part du Fils de Dieu pour son Père en se donnant totalement comme le Père se donne sans réserve pour le Fils. Amour d’autre part de Dieu pour les hommes qu’il est venu racheter et qu’il a prouvé par sa mort sanglante sur la croix. La mort de Jésus est une preuve d’amour. Or une preuve est de l’ordre de la vérité.
En un mot, toute l’œuvre du Christ est une œuvre de Révélation, donc de vérité, d’enseignement. Quelle est donc cette Révélation ? Celle de l’amour de Dieu pour les hommes. La Révélation trouve son point culminant sur la croix.
Saint Thomas résume ainsi l’œuvre de la rédemption :
Le premier homme avait péché en désirant la science. Il convenait donc qu’après s’être éloigné de Dieu par un désir déréglé de science, l’homme soit ramené à Dieu par le Verbe de la vraie sagesse.
Ibid.
Source : Le Chardonnet n°407, mai 2025.