Editorial Apostol n° 200 – Octobre 2025

Ressentir la foi ?

Beaucoup s’in­quiètent de ne rien res­sen­tir quand ils prient ; de ne rien res­sen­tir quand ils vont à la confes­sion deman­der le par­don de leurs péchés ; de ne rien res­sen­tir quand ils com­mu­nient à la messe ; de ne rien res­sen­tir quand ils s’ef­forcent d’ai­mer Dieu ou de par­don­ner à leur pro­chain. N’est-​ce pas le signe, disent-​ils, que Dieu ne les écoute pas ; que leurs péchés ne sont pas par­don­nés ; que leurs com­mu­nions sont mau­vaises ; que leur amour de Dieu est nul ; que leur par­don est hypocrite ?

Cette inquié­tude est sou­vent ravi­vée par le sou­ve­nir d’a­gréables res­sen­tis de bien-​être, de plé­ni­tude, de paix… par­fois même phy­siques : larmes, chair de poule, sen­sa­tions de cha­leur… à cer­taines périodes de la vie – dans les temps qui suivent une conver­sion notam­ment – au point que nous sommes par­fois ten­tés d’as­so­cier, voire d’i­den­ti­fier nos res­sen­tis à la qua­li­té de notre vie de foi.

Ce serait pour­tant là faire une grave erreur. Car ce sont deux réa­li­tés dis­tinctes, qui appar­tiennent à deux niveaux bien dif­fé­rents. Ne l’ou­blions pas ! La vie de foi (avec tous les actes qu’elle ins­pire : le regret du péché com­mis, l’a­mour de Dieu et du pro­chain, la prière…) est essen­tiel­le­ment sur­na­tu­relle et
par consé­quent, supra­sen­sible : elle res­sort de la par­tie la plus spi­ri­tuelle de notre âme. Au contraire les res­sen­tis relèvent de notre sen­si­bi­li­té humaine, la par­tie la plus char­nelle de notre âme. Il est donc tout à fait pos­sible d’ai­mer réel­le­ment et sin­cè­re­ment Dieu, sans que notre cœur s’emballe. Plus éton­nant encore : il est pos­sible de se pré­sen­ter devant Dieu dans une vraie prière, tout en res­sen­tant un cer­tain dégoût ; pos­sible aus­si de par­don­ner à son pro­chain tout en sen­tant encore dans sa chair une répul­sion épi­der­mique à son égard.

Mais ces deux réa­li­tés a prio­ri dis­tinctes peuvent par­fois coexis­ter : en nous accor­dant des res­sen­tis agréables dans les pre­miers temps de notre conver­sion, Dieu veut nous atti­rer à Lui et nous encou­ra­ger à Le suivre ; en nous fai­sant sen­tir, à tel ou tel moment de la vie, sa pré­sence sen­sible, Dieu nous apporte sa conso­la­tion au milieu d’une épreuve qui dure ; en nous don­nant le sen­ti­ment d’a­voir par­don­né, Dieu achève en notre chair le par­don, que nous avions déjà don­né en notre esprit à notre prochain.

Il est bien de se réjouir de ces res­sen­tis que Dieu donne, de temps à autre, pour sti­mu­ler, confir­mer et épa­nouir la vie de foi. Il est bon aus­si de ne pas spé­cia­le­ment les recher­cher et de fon­der sur eux notre vie chré­tienne, car ils ne sont pas appe­lés à durer. Ils sont sur­tout bien en-​deçà de ce que Dieu attend réel­le­ment de nous : croire en dépit de toute impres­sion contraire ; espé­rer contre toute espé­rance ; aimer au-​delà de toute aver­sion instinctive.

Extrait d’Apostol n°200 d’oc­tobre 2025