Le Bienheureux Jean d’Espagne ou l’Espagnol, naquit de parents aisés en 1123 à Almanceps (Almanza), cité du diocèse d’Albacete, dans la région de La Manche, au sud-est de la Castille.
A cette époque la Castille et l’Aragon étaient aux prises avec les mahométans almoravides, quand Jean, déjà studieux à l’âge de treize ans, partit à l’aventure avec un ami pour étudier dans une université. Ayant atteint Arles [1], Jean conversa avec des étudiants et fut remarqué par un professeur qui lui promit qu’un bienfaiteur le prendrait à sa charge. Mais la promesse fit si peu réalisée que le peu d’argent qu’il avait emporté s’épuisa, l’obligeant à survivre dans les privations. Ainsi la Providence voulut l’abaisser au-dessous des autres avant de l’en élever, lui inculquant l’indulgence et la compassion.
Enfin un vrai bienfaiteur le logea et l’entretint pendant deux ans. Jean sut marquer, par ses vertus, sa reconnaissance à son bienfaiteur et à sa famille, au point que lorsqu’Alphonse VII, roi de Castille, le rappela au pays, cette famille pleura son protégé.
Néanmoins, Jean se dirigea d’abord auprès d’un prêtre ermite près d’Arles à l’approche du Carême. Il lui fit une confession générale de ses péchés, et reçut la vocation religieuse, aussi séjourna-t-il deux ans et demi dans cet ermitage, obéissant au Roi du Ciel plutôt qu’à celui de Castille.
Saint Bruno (1035–1101) avait fondé à Grenoble en 1084 l’Ordre des Chartreux que le Bienheureux pape Urbain II approuva en 1099. En 1137, fut fondée la chartreuse de Montrieux-le-Vieux, sur le territoire actuel de la commune de Méounes [2]
Ayant entendu parler de cette fondation, Jean se rendit à la chartreuse de Montrieux où le prieur l’accepta comme sacristain pendant six ans. Puis il fut élu prieur de Montrieux où il rétablit la paix, l’observance et enrichit le domaine.
Or, le couvent féminin de Prébayon, abbaye près de Vaison, fondée en 611 par Gémilie, proche parente de la reine sainte Radegonde, dont les religieuses furent séduites par ce nouvel Ordre cartusien. Elles s’adressèrent à saint Anthelme, septième Prieur de la Grande-Chartreuse [3], pour être associées à cet Ordre qui n’avait point de branche féminine. Saint Anthelme chargea en 1147 Jean d’Espagne de rédiger pour elles la Règle des Chartreuses.
Le Règle féminine a ceci de spécial : la consécration de la vierge est appelée sacre de la diaconesse [4] : l’évêque sacre la vierge, couronnée, portant étole, et, manipule [5] au bras droit, et lui donne l’anneau, signe des fiançailles avec le Christ. A la messe conventuelle, une diaconesse chante l’Epître sans porter le manipule. Aux matines, en l’absence de prêtre, revêtue de l’étole, elle lit l’Evangile. Le costume des nonnes est semblable à celui des chartreux, mais la chartreuse est enterrée avec ses nobles insignes. Chaque maison de moniales chartreuses est dirigée par un aumônier chartreux, appelé Père vicaire, assisté d’un autre chartreux coadjuteur, et gouvernée par une prieure. Gouvernement bicéphale et mixte qui ressemblerait à celui des parents sur leurs filles, s’il n’y avait pas un Père coadjuteur. Les deux chartreux vivent là absolument comme en Chartreuse. Ils président l’office canonial dans leurs stalles, séparées par une double grille et un double rideau du chœur des moniales. Ultérieurement, la Règle sera adoucie : les moniales pourront prendre leur repas en commun, et seront astreintes à un silence moins strict, tant il est rare de trouver une femme équilibrée capable d’un tel héroïsme. Aussi n’y avait-il en France que cinq chartreuses féminines, lors des spoliations révolutionnaires entre 1790 et 1792, contre soixante-dix chartreuses masculines [6]. En 1901, lors des spoliations par le gouvernement Waldeck-Rousseau [7], il y avait trois chartreuses féminines totalisant cinquante moniales.
Un complot de novices de Montrieux inspira Jean l’Espagnol de quitter sa charge et de trouver refuge à la Grande-Chartreuse où saint Anthelme le reçut. Aymon 1er de Faucigny offrit aux Chartreux le domaine de Béol, ainsi saint Anthelme envoya Jean en 1151 y fonder une chartreuse. En le voyant, le Bx Jean s’exclama : Là est mon reposoir, c’est-à-dire mon repos spirituel, d’où le nom de chartreuse du Reposoir [8]. Jean y dirigea les travaux nécessaires, alternés avec la vie monacale.
Jean d’Espagne décéda le 11 juin 1160. Des guérisons miraculeuses eurent lieu près de son tombeau. Charles-Auguste de Sales, évêque de Genève-Annecy [9], neveu du saint François, le béatifia au XVIIe siècle, le pape Pie IX approuva ce culte le 14 juillet 1864. Le diocèse de Fréjus-Toulon en fait mémoire le 25 juin.
Abbé L. Serres-Ponthieu
- Les Wisigoths avaient envahi Arles en 477, avant que Clovis ne les repousse en Espagne.[↩]
- Terres appartenant jadis au diocèse de Marseille avant de passer à ceux de Toulon et de Fréjus.[↩]
- Le Prieur de la Grande-Chartreuse est le Maître général de l’Ordre cartusien.[↩]
- L’Etoile de la Mer, janvier 2013, le mentionne (vie de Ste Roseline).[↩]
- Le manipule est le petit ornement que les ministres sacrés portent au bras gauche à la Messe.[↩]
- Les chartreux rachètent la chartreuse de Montrieux-le-Jeune en 1843.[↩]
- D’origine catholique, renvoyé d’un externat catholique en 1863 pour avoir copié pendant une composition.[↩]
- Le Reposoir devient un carmel en 1932, en Faucigny, dans le diocèse d’Annecy, diocèse démembré de celui de Genève, où le Bx Jean y est fêté le 25 juin.[↩]
- Dont la vie est exposée dans Le Bachais n°3.[↩]