Mort en 450 à Lérins.
Saint Vincent, né à Toul, frère de saint Loup, s’engagea dans l’armée et mena une vie relâchée. Quittant le monde, il gagne le monastère de Lérins, où son frère avait résidé un an. Ces frères furent ordonnés prêtres, Loup était devenu évêque de Troyes, tandis que Vincent demeure cénobite sur l’île de Lérins. Il s’occupa notamment avec Salvien de l’éducation des deux fils de saint Eucher et de Galla : saint Salon de Genève et saint Véran de Vence.
Les récents numéros de L’Etoile de la Mer de décembre et d’avril mentionnaient les hérésies d’alors, auxquelles s’adjoint en 428 le nestorianisme. Nestorius, patriarche de Constantinople, prélat le plus éminent après le pape, prétend que le Christ n’est Dieu qu’en vertu de ses mérites ! Arianisme subtil, le nestorianisme est condamné au concile d’Ephèse en 431, lequel concile condamne et dépose Nestorius de son siège patriarcal, et promeut l’invocation : Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs.
Face à tant d’hérésies troublant nombre de chrétiens, Vincent écrit en 434 un Commonitorium (aide-mémoire) apportant la lumière.
Vincent écrit que « la foi pure se munit, avec l’aide du Seigneur, de l’autorité de la loi divine et de la tradition de l’Eglise catholique[1], contre les pièges des hérétiques… Dans l’Eglise catholique, il faut tenir avec le plus grand soin ce qui a été cru partout, ce qui a été cru toujours, et ce qui a été cru par tous. [2] Ceci est en effet vraiment et proprement catholique… Or nous suivons l’antiquité, si nous ne nous détachons pas des sens que nos maîtres et pères ont manifestement célébrés ; nous suivons aussi ce même consentement, si, dans cette même ancienneté, nous suivons toutes les sentences et les définitions de tous ou de presque tous les évêques ou docteurs… »
IX Annoncer donc quelque chose d’autre aux Chrétiens catholiques que ce qu’ils ont reçu n’a jamais été permis, n’est permis nulle part, et ne sera jamais permis ; et jamais il n’a pas été opportun, ni nulle part il n’est pas opportun, ni jamais il ne sera pas opportun d’anathématiser ceux qui annoncent quelque chose d’autre que ce qui a été reçu une première fois… Est vrai et légitime catholique qui juge qu’il lui faut tenir et croire tout ce que l’église catholique savait universellement et anciennement être tenu…. Ainsi, il exhorte à suivre la tradition de l’Eglise Catholique dans l’interprétation des Saintes Ecritures. Saint Vincent remarque que deux Pères de l’Eglise, Tertullien et Origène, devinrent hérétiques, et livre ce commentaire à leur sujet : tous les vrais catholiques doivent recevoir les Docteurs avec l’Eglise, mais non pas abandonner la foi de l’Eglise avec les Docteurs.
X Pourquoi Dieu permet-il que des personnages éminents, occupant un rang dans l’Eglise, annoncent aux catholiques des doctrines nouvelles ?
XXII 6–7 Taille les pierres précieuses du dogme divin, sertis-les fidèlement, orne-les sagement ; ajoutes‑y de l’éclat, de la grâce, de la beauté ; que par tes explications, on comprenne plus clairement ce qui, auparavant, était cru plus obscurément[3]. Que grâce à toi la postérité se félicite d’avoir compris ce que l’antiquité vénérait sans le comprendre. Mais enseigne les mêmes choses que tu as apprises, dis les choses d’une manière nouvelle sans dire pourtant des choses nouvelles.
Vincent répond à l’objection suivante : XXIII Quelqu’un dira peut-être : Ne peut-il donc y avoir de progrès pour la religion dans l’Eglise du Christ ? – Qu’il y en ait, et qu’il y en ait beaucoup. Car qui serait si malveillant pour les hommes, si maudit de Dieu, que d’empêcher ce progrès ? Mais, il faut néanmoins que ce soit vraiment un progrès, et non pas un changement. Ce qui constitue le progrès d’une chose, c’est qu’elle prenne de l’accroissement, sans changer d’essence ; ce qui en fait au contraire un changement, c’est qu’elle passe d’une nature à une autre.
2 Il est donc nécessaire que l’intelligence, la science, la sagesse de chacun comme de tous, d’un seul homme comme de l’Eglise entière, suivant l’âge et le siècle, croissent et grandissent beaucoup, mais toutefois en leur espèce, c’est-à-dire, en conservant la même doctrine, le même sens, la même pensée. [4]
4–5 Que la religion des âmes imite l’état du corps, qui, tout en se développant et en grandissant avec les années, ne laisse pas néanmoins d’être le même. Il y a bien de la différence entre la fleur de la jeunesse et la maturité de la vieillesse ; mais, celui qui est aujourd’hui vieillard, n’est pas autre chose que celui qui fut autrefois adolescent ; en sorte qu’un seul et même individu a beau changer d’état et de disposition, il ne change néanmoins ni de nature, ni de personne. Les membres sont petits dans un enfant à la mamelle, grands dans un jeune homme ; ils sont toutefois les mêmes dans l’un et dans l’autre. Autant les enfants ont de membres, autant en ont les hommes ; et s’il est des parties qui se développent dans un âge plus mûr, elles existaient toutefois dans le principe de leur origine, en sorte que rien de nouveau ne paraît dans un vieillard, qui ne fût caché en lui lorsqu’il était enfant. Ainsi donc, il n’en faut point douter, la droite et légitime règle d’un beau développement, l’ordre parfait et invariable d’une belle croissance, c’est quand le nombre des années vient à découvrir dans un jeune homme les parties et les formes que la sagesse du Créateur avait d’abord cachées dans un enfant. Mais si l’homme, avec le temps, se change en une figure qui ne soit pas la sienne ; si le nombre de ses membres augmente ou diminue, il faut bien, dans ce cas, ou que tout le corps périsse [5], ou qu’il devienne monstrueux, ou qu’il s’affaiblisse tout au moins.
9 De même, le dogme de la religion chrétienne doit suivre ces lois de perfectionnement, se consolider par les années, s’étendre avec le temps, s’élever avec l’âge [6], mais demeurer cependant pure et intacte, se montrer pleine et entière dans toutes le mesures de ses parties, comme dans ses sens et ses membres en quelque sorte, n’admettre aucun changement, ne rien perdre de ce qui lui est propre, et ne subir aucune variation dans les points définis.
Nos ancêtres ont jadis ensemencé le champ de l’Eglise avec le blé de la foi. Il serait injuste et inconvenant pour nous, leurs descendants, de récolter l’ivraie de l’erreur au lieu du froment de la vérité. Au contraire, il est normal et il convient que la fin ne renie pas l’origine, et qu’au moment où le blé de la doctrine a levé, nous moissonnions l’épi du dogme, Ainsi, lorsque le grain des semailles a évolué avec le temps et se réjouit maintenant de mûrir, rien cependant ne change des caractères propres du germe. (… )
14–15 Si l’on tolérait une seule fois cette licence de l’erreur impie (c’est-à-dire la nouveauté), je tremble de dire toute l’étendue des dangers qui en résulteraient et n’iraient à rien de moins qu’à détruire, à anéantir, à abolir la religion. Sitôt qu’on aura cédé sur un point quelconque du dogme catholique, un autre suivra, puis un autre encore, puis d’autres et d’autres encore. Ces abdications deviendraient, en quelque sorte, coutumières et licites. De plus, si les parties sont ainsi rejetées une à une, qu’arriverait-il à la fin ? Le tout sera rejeté de même. Or si, d’autre part, on commence à mêler le nouveau à l’ancien, les idées étrangères et les idées domestiques, le profane et le sacré, nécessairement cette habitude se propagera au point de tout envahir.
(… ) Pour l’Eglise du Christ, soigneuse et prudente gardienne des dogmes à elle confiés, elle n’y change rien, n’y diminue rien, n’y ajoute rien ; elle n’en retranche pas ce qui est nécessaire, elle n’introduit rien de superflu, elle ne laisse rien perdre de qui lui appartient, elle n’usurpe rien d’étranger ; 17 (… ) Il est légitime que ces anciens dogmes de la philosophie céleste se dégrossissent, se liment, se polissent avec le développement des temps : ce qui est criminel, c’est de les altérer, de les tronquer, de les mutiler. Ils peuvent recevoir plus d’évidence, plus de lumière et de précision, oui ; mais il est indispensable qu’ils gardent leur plénitude, leur intégrité, leur sens propre… mais elle met toute son industrie à traiter fidèlement et sagement les choses anciennes, à façonner et à polir ce qu’il put y avoir autrefois de commencé, d’ébauché ; à consolider, à affermir ce qui fut exprimé, développé ; à garder ce qui fut confirmé, défini[7]. 18–19 Quel but s’est-elle efforcée d’atteindre dans les décrets des conciles, sinon de proposer à une croyance plus réfléchie ce qui était cru auparavant en toute simplicité ; de prêcher avec plus d’insistance les vérités prêchées jusque là d’une façon plus molle, de faire honorer plus diligemment ce qu’auparavant on honorait avec une plus tranquille sécurité ? Voilà ce que, provoquée par les nouveautés des hérétiques, l’Eglise catholique a toujours fait par les décrets de ses conciles, et rien de plus : ce qu’elle avait reçu des ancêtres par l’intermédiaire de la seule tradition, elle a voulu le remettre aussi, en des documents écrits, à la postérité ; elle a résumé en quelques mots quantité de choses et, le plus souvent pour en éclaircir l’intelligence, elle a caractérisé par des termes nouveaux et appropriés tel article de foi qui n’avait rien de nouveau[8].
XXVI Voici par quelles promesses les hérétiques ont l’habitude de duper étrangement ceux qui ne se tiennent pas sur leurs gardes. Ils osent promettre et enseigner que, dans leur Eglise, c’est-à-dire dans le conventicule de leur communion, on trouve une grâce divine considérable, spéciale, tout-à-fait personnelle ; en sorte que, sans aucun travail, sans aucun effort, sans aucune peine, et quand bien même ils ne demanderaient, ni ne chercheraient, ni ne frapperaient, tous ceux qui sont des leurs reçoivent de Dieu une telle assistance que, soutenus par la main des anges, autrement dit couverts de la protection des anges ; ils ne peuvent jamais heurter du pied contre une pierre, c’est-à-dire être jamais victime d’un scandale.
XXVIII Il nous faut rechercher avec un grand zèle et suivre certainement et principalement comme règle de foi le consensus ancien des saints pères… Tout ce que tel aura pensé en dehors de l’opinion générale ou même contre elle, quelque saint et savant qu’il soit, fût-il évêque, fût-il confesseur et martyr, doit être relégué parmi les menues opinions personnelles secrètes et privées, dépourvues de l’autorité qui s’attache à une opinion commune, publique et générale. N’allons pas, pour le plus grand péril de notre salut éternel, agir selon l’habitude sacrilège des hérétiques et des schismatiques et renoncer à l’antique vérité d’un dogme universel pour suivre l’erreur nouvelle d’un seul homme.
S. Vincent signa son ouvrage sous le nom de Peregrinus (nom courant de l’époque qui signifie pèlerin) ; il décéda le 24 mai 450, mais le diocèse de Fréjus le fête le 7 juin. Ses reliques demeurent à Lérins.
Abbé Laurent Serres-Ponthieu, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
- Suivant la maxime du pape saint Etienne 1er au sujet du baptême des hérétiques : Nihil innovetur nisi quod traditum est.[↩]
- In ipsa item catholica Ecclesia magnopere curandum est, ut id teneamus quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est.[↩]
- Intellegatur, te exponente, illustrius, quod antea obscurius credebatur.[↩]
- Crescat igitur oportet et multum vehementerque proficiat, tam singulorum quam omnium, tam unius hominis quam totius Ecclesiae, aetatum ac saeculorum gradibus intellegentia, scientia, sapientia : sed in suo dumtaxat genere, in eodem scilicet dogmate, eodem sensu, eademque sententia.[↩]
- Cancer, gangrène.[↩]
- Ita etiam christianae religionis dogma sequatur has decet proféctuum leges, ut annis scilicet consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate.[↩]
- Omni industria hoc unum studet ut vetera fideliter sapienterque tractando, si qua sunt illa antiquitus informata et inchoata, accuret et poliat, si qua jam expressa et enucleata, consolidet et firmet ; si qua jam confirmata et definita, instituat.[↩]
- Et plerumque propter intelligentiae lucem non novum fidei sensum novae appellationis proprietate signando.[↩]