Chers amis et bienfaiteurs
Parmi les débats qui agitent le milieu scolaire de cette rentrée 2012, on notera le projet d’une refonte de l’enseignement de la morale laïque à l’école. Vincent Peillon, actuel ministre de l’Éducation nationale, sait de quoi il parle. Disciple intellectuel et spirituel de Ferdinand Buisson qui fut la cheville ouvrière des lois scolaires de Jules Ferry, à la fin du XIXe siècle, mais aussi le rapporteur de la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905, le nouveau ministre a déclaré, dans une interview donnée au Journal du Dimanche (01/09/2012), vouloir mettre en place dans toutes les classes de l’école primaire et secondaire un cours de morale laïque, à partir de la rentrée 2013.
Ce qu’il entend par morale laïque est particulièrement instructif : « Je souhaite pour l’école française un enseignement qui inculquerait aux élèves des notions de morale universelle, fondée sur les idées d’humanité et de raison. » Pour lui, c’est l’autonomie de la raison humaine et non Dieu qui constitue le fondement de l’agir de l’homme. Par ailleurs, le manque d’évaluation (c’est-à-dire d’épreuves de morale laïque aux examens) est pour lui la cause d’une certaine désaffection de la discipline, trop souvent cantonnée à une « instruction civique » qui néglige le cœur de cette morale laïque : une attitude intérieure. « Il existe aussi une laïcité intérieure, c’est-à-dire un rapport à soi qui est un art de l’interrogation et de la liberté. » La morale laïque a pour objectif de transmettre cette attitude de pensée qui relève de la liberté de conscience comprise dans le sens de l’esprit des Lumières et à l’opposé de toute Révélation extérieure. « Le but de la morale laïque, nous dit encore Vincent Peillon, est de permettre à chaque élève de s’émanciper, car le point de départ de la laïcité c’est le respect absolu de la liberté de conscience. Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix. »
Auteur d’un essai sur Ferdinand Buisson [1], Vincent Peillon prolonge une idéologie chère aux grands maîtres de l’anticléricalisme dont il explique, dans son ouvrage, les ressorts internes. Ferdinand Buisson fut l’apôtre d’une religion nouvelle, d’une foi laïque qui prend sa source dans la conscience et veut se substituer à l’Église catholique, jugée incompatible avec l’esprit de la démocratie moderne. Il lui faut une religion sans prêtre et sans dogme. Et c’est l’école qui doit forger la moralité et la mentalité républicaines.
Vincent Peillon résume ainsi la pensée de Buisson exposée dans Le devoir présent de la jeunesse (1899) : « La France a cette singularité qu’élevée dans la religion catholique, n’ayant pas su faire droit à la Réforme, elle n’a pas fait pénétrer dans ses mœurs une religion du libre examen, de l’égalité et de la liberté. Il faut donc à la fois déraciner l’empreinte catholique, qui ne s’accommode pas de la République, et trouver, en dehors des formes religieuses traditionnelles, une religion de substitution qui arrive à inscrire jusque dans les mœurs, les cœurs, la chair, les valeurs et l’esprit républicain sans lesquels les institutions républicaines sont des corps sans âme qui se préparent à tous les dévoiements. » (p. 34)
Et l’actuel ministre de poursuivre son analyse qui nous éclaire sur le sens de la laïcité, fer de lance de la lutte contre l’Église catholique : « La laïcité française, son ancrage premier dans l’école, est l’effet d’un mouvement entamé en 1789, celui de la recherche permanente, incessante, obstinée de la religion qui pourra réaliser la Révolution comme promesse politique, morale, sociale, spirituelle. Il faut, pour cela, une religion universelle : ce sera la laïcité. Il lui faut aussi son temple ou son église : ce sera l’école. Enfin il lui faut son nouveau clergé : ce seront les hussards noirs de la République. » (p. 48)
Il ne s’agit pas d’exclure la religion ou la morale dont les hommes ont besoin. Il faut substituer à la religion révélée une religion de l’homme : « Si elle veut s’inscrire dans la durée et faire son œuvre démocratique et sociale, la forme républicaine n’est donc pas présentée comme devant proposer une sortie hors de la religion. Elle est le passage d’une religion à une autre : de la religion révélée et théocratique à la religion laïque et libérale. » (p. 50)
Dans cette religion, la foi ne se reçoit pas mais se conquiert. La conversion n’est pas l’effet d’une grâce donnée par Dieu, mais c’est un devenir qui s’accomplit dans les profondeurs de la conscience. (p. 208) « Le salut par la foi est un salut par la volonté », résume V. Peillon.
Ferdinand Buisson ne s’en cache pas : pour réunir tous les amis de la fraternité humaine, cette religion doit s’engager dans l’action, l’histoire, la société. Il l’écrira, le 10 juillet 1869, à Victor Hugo et présentera la future religion comme « une vaste franc-maçonnerie au grand jour. »
Il suffisait de le dire clairement. Car tel est bien l’enjeu de l’enseignement d’une « morale laïque » à l’école.
Abbé Philippe Bourrat, Directeur de l’enseignement pour le District de France
Accès la lettre de l’ADEC n° 21
- Vincent Peillon, Une religion pour la République, La foi laïque de Ferdinand Buisson, La Librairie du XXIe siècle, SEUIL, 2010[↩]