Chers amis et bienfaiteurs
Pour se faire une petite idée de l’emprise idéologique que le système éducatif officiel impose aujourd’hui à tous les enfants, il n’est pas inutile de se repor ter à une si tuat ion ancienne comparable : celle qui a suivi la Révolution de 1917, en Russie, durant plus d’une décennie. On y trouve la même volonté d’y façonner un homme nouveau, la même ambition d’éduquer ou de rééduquer la société tout entière, les mêmes références à l’esprit des Lumières, la même tentative globalisante et même totalitaire de réformer l’homme, à commencer par l’enfant dès son plus jeune âge, pour s’assurer de sa docilité la plus stricte, jusqu’à ce qu’il ait assimilé le credo et la morale qu’on lui aura inculqués. La lecture de l’ouvrage de Wladimir Berelowitch, La soviétisation de l’école russe [1], est à cet égard très éclairante.
« Dans son principe, l’école soviétique est née d’un projet irréalisé et irréalisable, bien que jamais abandonné : la formation d’une société parfaite. » (p.13) Pour réaliser cette utopie, le parti de Lénine se lancera dans une vaste entreprise de démolition et dans une vaine tentative de reconstruction, dont ses successeurs récolteront les fruits amers d’un échec patent.
« Le but de l’école est (…) de répandre le liquide idéologique qui imprégnera la société tout entière. Quant au personnel, il doit être rééduqué avant d’éduquer à son tour, car si l’éducation s’adresse à des esprits vierges, les créatures déjà perverties doivent, elles, être reconverties. » (p.15) Nos modernes idéologues n’ont pas oublié ce principe, lorsqu’ils ont confié aux pédagogistes patentés ainsi qu’aux structures qui leur ont succédé la mission délicate de produire des enseignants adaptés au profil de « reconversion ».
Qui dit école nouvelle, dit rupture avec l’ancienne. En se référant aux pédagogues occidentaux (Rousseau, Pestalozzi, l’Américain J. Dewey et sa « pédagogie par projets », Montessori, Decroly qui sont autant de références toujours vénérées aujourd’hui), le pouvoir soviétique décide de se donner un système éducatif qui prétendra à l’égalité.
Les premières réformes porteront notamment sur les programmes, les manuels scolaires et les devoirs à la maison. Les programmes sont abolis. « On considérait, selon le principe de la décentralisation, qu’il appartenait à chaque école, à chaque région de s’adapter aux conditions locales et d’étudier ce qui bon lui semblait. Le manuel était considéré comme trop universel (toujours selon le principe de décentralisation) et trop dogmatique, desséchant, diffusant des connaissances « mortes », étrangères à la « vie » réelle. Selon les auteurs des programmes de 1920–1921, il fallait supprimer les manuels de grammaire, car à l’école, « il faut étudier la langue vivante et non un manuel de grammaire. » (p.23)
Les devoirs sont désormais interdits à la maison. Disparaissent officiellement aussi les punitions, les examens d’entrée ou de sortie, et les notes. « Le contrôle des connaissances devait être remplacé par l’auto-contrôle, les travaux collectifs, les exposés des élèves, les expositions de fin d’année, des « carnets » individuels ou collectifs où les maîtres inscrivaient des appréciations. » (pp.23–24) On reconnaît là l’origine du débat sur le bien-fondé des notes, mais aussi le recours au « livret personnel de compétences » qui enregistre l’acquisition par les élèves des objectifs fixés par « le socle commun », ou encore les Travaux Pédagogiques Encadrés qui seront démultipliés par les tout prochains Enseignements Pratiques Interdisciplinaires, lesquels occuperont 20 % du temps de travail des collégiens.
A cela s’ajoutaient l’interdiction de l’enseignement religieux dans l’enceinte de l’école et la suppression des langues anciennes qui, devenant des matières facultatives, disparurent progressivement.
L’école devient « unique » pour ne former qu’un vaste tronc commun pour tous les élèves âgés de 8 à 17 ans. La mixité est rendue obligatoire. Le projet prévoyait en outre que le travail productif fût le fondement de cette école nouvelle.
Quels furent les résultats de cette politique scolaire ? Un vaste échec là où les mesures furent appliquées : « « On a fait beaucoup de théâtre, on a dessiné, on a chanté, on a fait du modélisme, mais on n’a pas appris à lire et à écrire », déplore un instituteur en 1924. « Nous avons tous oublié une matière : comment apprendre à écrire aux enfants », écrit un autre en 1927. » (pp.87–88)
L’étude historique de W. Berelowitch est surprenante d’actualité. Mais la surprise est relative si l’on se rappelle que les théories pédagogiques actuelles sont le prolongement du plan éducatif des communistes Langevin et Wallon, élaboré à la demande du Général de Gaulle, achevé en 1947, mais mis en application avec des variantes et des ajouts, sous la présidence de Giscard d’Estaing, dès 1975. L’échec de ces pratiques en URSS, portées par une idéologie totalitaire, aurait pu servir d’avertissement. Mais il n’en est rien.
Le nouveau « socle commun de connaissances, de compétences et de culture », accentuant les réformes précédentes, prépare de beaux jours à l’illettrisme et à l’endoctrinement.
Ce nouveau programme, applicable dès la rentrée 2016 du CP à la 3e, prévoit lui aussi un homme nouveau, une société égalitariste fondée sur les principes d’un socialisme mondial hostile aux identités nationales, à la véritable culture, cherchant à désamorcer toute critique du système et mettant l’instruction au service d’une économie ultra-libérale qui détrône le bien commun politique des sociétés contemporaines.
A cela s’ajoute une morale d’État qui dessine les limites d’un « vivre-ensemble », lequel, malgré ses bonnes intentions apparentes, s’avère illusoire, puisqu’il n’est pas fondé sur une communauté d’idées. Seule la vérité unit les intelligences. Mais vouloir imposer des idées communes tout en prétendant qu’il n’y a pas de vérité (en dehors de celles imposées par l’Etat), c’est le propre du totalitarisme.
Le formatage des comportements et le nivellement démagogique de la culture de masse aboutissent à une mainmise sur les esprits. Comme l’écrit Laurent Fidès, « l’éducation morale à l’école consiste à déterminer en chacun des conduites d’auto-suspicion et à les éviter par l’adoption de pensées et de comportements conformes. [2]» C’est l’art de manipuler les esprits qui supplante l’art d’instruire et celui d’éduquer.
Le travail des écoles libres catholiques et leur pérennité sont d’autant plus indispensables pour que subsistent les savoirs et la culture chrétienne qui préservent la véritable liberté de pensée, l’identité issue de l’assimilation de l’héritage de la civilisation chrétienne, et donnent aux enfants une authentique égalité des chances de s’insérer dans la société par leur richesse intellectuelle, morale et spirituelle.
Les écoles hors contrat sont bel et bien d’intérêt public. Elles seules apportent des solutions réalistes dont les résultats probants ne suffisent malheureusement pas à nos dirigeants pour qu’ils désirent renouer avec le succès scolaire. Cet entêtement à maintenir des méthodes pédagogiques qui sont sources d’échec a de quoi surprendre. A moins que nos responsables politiques ne privilégient d’autres objectifs que le bien des enfants…
Abbé Philippe Bourrat, Directeur de l’enseignement du District de France de la FSSPX
Accès à l’intégralité de la lettre de l’ADEC n° 28