C’est officiel depuis quelques jours [1] … Les communautés Summorum Pontificum [2] pourront célébrer la messe traditionnelle en l’honneur de saint Paul VI le jour de sa fête, le 29 mai, tout comme celle de sainte Mère Theresa ou saint Jean-Paul II [3]. Benoît XVI le voulait ainsi et il a fallu des années de réflexion pour détrôner les saints traditionnels afin d’y laisser place à la cohorte des nouveaux saints.
Si tu m’aimes, Simon Pierre, pais mes agneaux, pais mes brebis (introït de la messe des souverains pontifes). Je t’ai établi sur les nations et sur les royaumes, pour que tu arraches et que tu détruises, que tu bâtisses et que tu plantes (offertoire). Pour saint Pie X, oui ; pour Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II, non !
Sur les cent soixante-dix sept saints que comporte le missel traditionnel, soixante-dix saints ont été désignés par la commission romaine et gardent la suprématie sur les saints du concile, mais les autres devront céder leur place si le prêtre préfère célébrer en l’honneur d’un nouveau saint. La liste est longue puisque Jean-Paul II a canonisé plus de saints que ses prédécesseurs des cinq derniers siècles… Et François a déjà̀ procédé à 51 canonisations (soit 899 personnes).
Les messes célébrées dans les prieurés de la Fraternité saint-Pie X obtiennent donc une distinction supplémentaire vis-à-vis des communautés Ecclesia Dei : non pas pour l’una cum que nous récitons, mais leur rite extraordinaire s’éloigne de la liturgie traditionnelle en s’accordant aux nouveautés de la Rome moderniste.
Déjà la communauté juive avait menacé de rompre le dialogue judéo-chrétien puisque le Motu proprio de 2007 autorisait… la prière pro perfidis Judæis [4], que Rome s’était empressée de remanier : cela ne convenait plus à la suite de Nostra Ætate de Vatican II.
Un deuxième décret [5] est paru le même jour pour proposer aux catholiques Benoît XVI de nouvelles préfaces qui manquaient à la liturgie millénaire. Trois que nous chantons déjà, mais qui ne sont autorisées que pour certains lieux, et quatre tirées de la messe moderne, selon la volonté de Benoît XVI d’interconnecter les deux missels de ce même rite.
Le terme rite extraordinaire signifie de lui-même toute sa malice, et nous indique qu’il n’est pas acceptable : le Motu proprio est clair, les deux missels qu’on a opposés doivent être reçus selon une même lex orandi, un même rite latin, et ils sont l’expression d’une lex credendi identique. Le missel célébré selon l’usus antiquior n’est qu’une forme extraordinaire de ce qui est ordinaire, comme on garderait une vieille charrue pour les festivals ou pour les nostalgiques. Mais quelle distinction y‑a-il entre ces deux messes ? Entre le saint sacrifice de la messe et leur Cène du Seigneur nous sommes confrontés à une équivocité [6]. C’est vouloir concilier l’inconciliable.
Le dernier livre [7] du pape du Motu proprio renouvelle sa théorie de la mort du Christ sans acte de religion, et uniquement dans un amour qui se donne. Le rite batard comme disait monseigneur Lefebvre, se plie parfaitement à cette interprétation : le concept de religion et donc l’idée de sacrifice sont absents.
À l’inverse, la messe traditionnelle exprime sublimement ce que Benoît XVI caricature d’idée de religion primitive [8] : le sacrifice propitiatoire. Les Apôtres, selon lui, en étaient imbus, ainsi que la théologie de l’époque du concile de Trente [9]. La messe traditionnelle autorisée ne serait-elle pas une condescendance papale pour fidèles arriérés qui, comme les Apôtres ou lors du concile de Trente restent attachés à ce qui est en fait le cœur de la religion catholique ?
Y aura-t-il demain la messe saint Pie V de saint Paul VI au Prieuré ? Et après-demain la messe Paul VI de saint Pie V, continuité́ logique de la première ? Dieu nous en garde : ni l’une ni l’autre, comme promis ! Si nous maintenons dans nos prieurés la liturgie de 1962, c’est par opposition à celle de 1969 (la nouvelle messe) qui est illégitime et mauvaise. Il revient au législateur d’instituer une liturgie digne de ce nom et de condamner les mauvaises ; en attendant nous nous en tenons à la loi précédente. Pas de mélange ni d’ajout (préfaces ou fêtes de nouveaux saints), pas de messe Pie-Paul.
L’attachement de la Fraternité à la liturgie traditionnelle n’est pas une nostalgie pour de vieux chants, ni un culte rétrograde pour collectionneurs, encore moins une expression différente de la messe protestante du Novus ordo. C’est l’honneur de Jésus-Christ qui est en jeu, c’est notre Rédemption et la perpétuation par l’Église du sacrifice d’une valeur infinie.
Abbé C. du Crest (prieuré de Lyon)
Source : L’Aigle de Lyon de mai 2020
- Décret Cum sanctissima (22 février 2020, mais rendu publique le 25 mars) [↩]
- Motu proprio de 2007 par lequel Benoît̂t XVI réaffirmait que la messe traditionnelle n’avait jamais été́ interdite, et qui autorisait aux fidèles qui le demandaient de bénéficier de la messe traditionnelle.[↩]
- La dernière édition du missel du Barroux avait anticipé́ ces mesures en y ajoutant les saints modernes.[↩]
- Encore faut-il savoir traduire le latin d’Église correctement… Perfidus est celui qui est infidèle à sa mission, en l’occurrence celle d’accueillir le Messie. Cette oraison n’a rien d’antisémite.[↩]
- Décret Quo magis.[↩]
- Le Bref examen critique de la nouvelle messe s’articule autour des quatre causes philosophiques et prouve que toutes ont été bouleversées par la nouvelle liturgie. Si elles changent toutes, il s’agit de deux réalités distinctes.[↩]
- Des profondeurs de nos cœurs, avec le cardinal Sarah.[↩]
- La conscience chrétienne a été sur ce point très largement marquée par une représentation extrêmement rudimentaire de la théologie de la satisfaction d’Anselme de Cantorbéry (La foi chrétienne hier et aujourd’hui, p. 197).
Presque toutes les religions gravitent autour du problème de l’expiation ; elles surgissent de la conscience que l’homme a de sa culpabilité́ devant Dieu ; elles constituent une tentative pour mettre fin à̀ ce sentiment de culpabilité́, pour surmonter la faute par des œuvres d’expiation que l’on offre à Dieu. L’œuvre d’expiation par laquelle les hommes essayent d’apaiser la divinité́ et de la rendre favorable est au cœur de l’histoire des religions (idem, p. 198).[↩] - L’essence du culte chrétien ne consiste donc pas dans l’offrande de choses, ni dans une destruction quelconque, comme il est répété́ sans cesse dans les théories du sacrifice de la messe, depuis le XVIe siècle. D’après ces théories, la destruction serait la vraie façon de reconnaître la souveraineté́ de Dieu sur toutes choses. Toutes ces spéculations sont simplement dépassées par l’avènement du Christ et par l’interprétation qu’en donne la Bible (idem, p. 202).[↩]