Editorial du numéro 27 de nov-​décembre 2011- Aux Sources du Carmel

Bulletin du Tiers-​Ordre sécu­lier pour les pays de langue fran­çaise


Editorial de Monsieur l’abbé Louis-​Paul Dubroeucq,
aumônier des tertiaires de langue française 

Cher frère, Chère sœur,

Celui qui désire la per­fec­tion, aspire à l’amitié de Notre-​Seigneur, et donc à lui être uni : « Ayez en vous, dit saint Paul, le même sen­ti­ment dont était ani­mé Jésus-​Christ. » Ce sen­ti­ment l’Apôtre nous le révèle : « il s’est anéan­ti lui-​même, en pre­nant la forme d’un esclave,… il s’est humi­lié lui-​même, se fai­sant obéis­sant jusqu’à la mort, la mort de la Croix. » Celui qui veut se sanc­ti­fier doit donc suivre Jésus dans son humi­li­té. L’amitié invite à l’imitation, à la res­sem­blance. Or Jésus nous dit com­ment lui res­sem­bler, ce qui lui plait de voir en nous : « Apprenez de moi, que je suis doux et humble de cœur. » Quelle ami­tié serait pos­sible entre le Sauveur si humble et si doux et l’âme orgueilleuse, sus­cep­tible, vani­teuse, rude et revêche ?

Saint Vincent de Paul remar­quait, dans les visites qu’il fai­sait des mai­sons reli­gieuses, que la ver­tu pour laquelle ces âmes consa­crées avaient le plus d’estime et d’attrait, était la ver­tu d’humilité. « tant il est vrai dit-​il que cha­cun trouve cette ver­tu belle et aimable. D’où vient donc qu’il y en a si peu qui l’embrassent, et encore moins qui la pos­sèdent ? C’est qu’on se contente de la consi­dé­rer ; on ne s’applique pas à l’acquérir. » Ce désir est sté­rile car on reste très éloi­gné de vou­loir les humi­lia­tions, en rai­son des souf­frances qu’elles entraînent : ain­si quand on est en faute, on s’excuse ; on ne s’efforce pas de se faire auprès du pro­chain petit, modeste, condes­cen­dant. On ne s’applique pas à être insen­sible aux manques d’égard, aux cri­tiques, aux reproches, à tout ce qui blesse notre amour propre. On demande à Dieu l’humilité, mais on n’est pas dans la dis­po­si­tion d’accepter de bon cœur tout ce que l’humiliation a d’amer pour la nature.

L’âme fidèle, au contraire, tou­chée des humi­lia­tions de Jésus, désire les par­ta­ger ; aus­si s’efforce-t-elle avec géné­ro­si­té et per­sé­vé­rance, à imi­ter son humi­li­té, accep­tant de se consi­dé­rer comme « la balayure du monde » et à être trai­tée comme telle. Les prières qu’elle fait alors pour obte­nir cette ver­tu sont exau­cées. Le jour vient où elle n’est plus ébran­lée, comme autre­fois par les juge­ments des hommes, leur bons ou mau­vais pro­cé­dés ; éclai­rée par Dieu, elle sai­sit le néant des hon­neurs et de la gloire, l’inanité de l’estime des hommes, le peu d’importance de leurs ama­bi­li­tés ou de leurs froi­deurs. En son cœur, éga­le­ment, s’est opé­ré un déta­che­ment d’elle-même, une indif­fé­rence à être bien ou mal jugée, à être trai­tée avec ou sans égards, déta­che­ment qu’elle n’eût pas pu acqué­rir par elle-​même. C’est un effet du don de science, qui accorde à l’âme ces sen­ti­ments d’humilité. En effet, le don de science, d’après saint Thomas, fait juger sai­ne­ment des choses humaines et en géné­ral des créa­tures ; il fait com­prendre le peu de valeur de cette gloire que les hommes recherchent tant. En se regar­dant plus à fond, l’âme recon­naît qu’elle a reçu du Saint-​Esprit d’autres lumières qui l’ont beau­coup aidée à com­prendre la vani­té des juge­ments humains, à se déta­cher du désir de la gloire et des hon­neurs. Ces lumières sont plus pré­cieuses, car elles lui ont fait décou­vrir en elle une misère pro­fonde et son néant de créa­ture. Elle avait com­men­cé à ser­vir Dieu avec plus de fidé­li­té à l’entrée de la voie illu­mi­na­tive, voyant mieux ses défauts. A pré­sent elle se voit comme un com­po­sé de misères et de faiblesses.

De plus les dons d’intelligence et de sagesse lui ont don­né une très haute idée de Dieu et de ce qui Lui est dû ; aus­si est-​elle confuse d’avoir si peu fait pour Lui, et elle est loin de se com­plaire dans le bien qu’elle accom­plit. D’autant qu’elle voit toute la lai­deur de ses moindres fautes qui offensent un Père si bon ; c’est pour­quoi elle se reproche de simples négli­gences, com­pre­nant qu’avec plus de fidé­li­té elle aurait atteint un plus haut degré de ver­tu. En même temps Dieu a mis dans sa volon­té cette dis­po­si­tion que saint François de Sales appelle l’amour de son abjec­tion ; elle se réjouit de se savoir si misé­rable, qu’elle ne peut se glo­ri­fier en rien, heu­reuse de rendre à Dieu toute la gloire dans les œuvres qu’elle accom­plit. Elle-​même aime à être comp­tée pour rien. C’est le don d’humilité qui com­mence à lui être com­mu­ni­qué. « Notre-​Seigneur Lui-​même, dit sainte Thérèse, met en nous l’humilité, et bien autre­ment que nos pauvres réflexions ne pour­raient le faire. Quelle com­pa­rai­son, en effet, entre nos réflexions et cette humi­li­té vraie, accom­pa­gnée de lumière, que Dieu Lui-​même enseigne à l’âme et qui la fait ren­trer dans le néant. »

Laissons, bien chers ter­tiaires, Notre-​Seigneur nous for­mer à cette belle ver­tu par l’action si effi­cace du Saint-​Esprit. La crois­sance de la ver­tu d’humilité entraîne l’augmentation des grâces, car Dieu se com­mu­nique davan­tage à l’âme qui s’abaisse.

Pour acqué­rir la ver­tu d’humilité saint Thomas d’Aquin nous indique deux moyens : d’abord la grâce de Dieu ; ensuite, les efforts constants à répri­mer, en pre­mier lieu, les défauts exté­rieurs contraires à l’humilité, et pour extir­per, en second lieu, la racine plus ou moins cachée de l’orgueil .

En lais­sant cette ver­tu croître en nous, nous plai­rons à Dieu qui regarde les humbles . Or, pour Dieu, regar­der une âme, c’est l’aimer, c’est la com­bler de ses faveurs . Les humbles, outre qu’ils sont pri­vi­lé­giés de la grâce, obtiennent éga­le­ment par cette ver­tu de base, le déve­lop­pe­ment de toutes les autres ver­tus, spé­cia­le­ment la charité. 

Saint Vincent de Paul écri­vait : « J’ai pen­sé et repen­sé plu­sieurs fois aux moyens les plus propres pour acqué­rir et conser­ver l’union et la cha­ri­té avec Dieu et avec le pro­chain ; mais je n’en ai point trou­vé de meilleur ni de plus effi­cace que la sainte humi­li­té, de s’abaisser tou­jours au-​dessous de tous les autres, ne juger mal de per­sonne, et s’estimer le moindre et le pire de tous. Car c’est l’amour propre et l’orgueil qui nous aveugle, et qui nous porte à sou­te­nir nos sen­ti­ments contre ceux de notre pro­chain. »

Daigne la bien­heu­reuse Vierge Marie nous obte­nir cette grâce ! Avec elle aimons à redire et à médi­ter son can­tique, le Magnificat où elle chante les bien­faits de l’humilité.

† Je vous bénis.

Abbé L.-P. Dubrœucq †

Notes

Phil., 2, 5.
Phil., 2, 5–6. .
Vie de saint Vincent de Paul, Abelly, l. III, ch.XXII.
2a 2ae, qu. 9, art. 2, ad c.
Vie, ch. XV.
2a 2ae, qu. 161, art. 6, ad 2m.
Ps. 137, v.6.
St Jean de la Croix, Cantique spi­ri­tuel, 19e str.
Maximes et pra­tiques extraites de sa vie, ses lettres et ses confé­rences, par M. l’abbé Maynard, p. 122, Ed. Bray et Retaux, 1885. 

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