Dimanche prochain débutera une nouvelle année liturgique dans laquelle nous commencerons à célébrer, comme l’Église le prévoit depuis les premiers siècles, le mystère de l’Incarnation à travers le cycle de Noël. La structure du calendrier liturgique est éloquente : elle commence toujours par prévoir un temps de préparation à la fête, puis la fête elle-même, qu’elle prolonge ensuite par une fête secondaire qui lui est associée. Nous connaissons bien ce déroulement traditionnel du cycle de Noël : d’abord le temps de l’Avent qui nous prépare à la fête de la Nativité de Notre-Seigneur, prolongée elle-même par la fête de l’Épiphanie. Mais, arrivés au seuil de ce temps de l’Avent, pouvons-nous dire que nous en avons bien compris toute l’importance et toute la portée pédagogique que la sainte Église y a mis pour le bien de nos âmes ? Sommes-nous au fait de l’esprit dans lequel l’Église souhaite que nous abordions ce temps de pénitence ?
Un bref rappel historique s’impose pour nous permettre de saisir la vraie dimension de l’Avent. Primitivement, le mot avent se prenait pour le jour même de Noël, qui est l’avènement du Seigneur : adventus Domini. Par exemple les hymnes que saint Ambroise a composées pour la fête de Noël portent le titre : De adventu Domini. C’est depuis le viie siècle seulement qu’on l’a employé pour désigner le temps que l’on consacre à se disposer à la célébration de cette fête. On suppose que le temps de l’Avent tel que nous le connaissons a commencé à Rome, et qu’il n’a été admis en France que lorsqu’on y a reçu le rit romain, c’est-à-dire au viiie ou au ixe siècle. Cependant le concile de Mâcon de 581 atteste qu’il était demandé à tous les fidèles de jeuner trois fois par semaine depuis la fête de saint Martin (11 novembre) jusqu’à Noël. Cette coutume, suivie seulement dans les Gaules, est confirmée par Grégoire de Tours. Ceci nous permet de comprendre que le temps de l’Avent n’a été ajouté que pour aider les fidèles à se disposer à la venue du Seigneur, pour leur permettre de prendre le temps d’exciter dans leur âme le désir de cette venue. Nous en avons pour preuve cet usage touchant et fort ancien de l’église de Marseille qui prévoyait que, pendant l’Avent, le chœur interrompait le chant de l’Office divin entre les Matines et les Laudes pour se mettre à genoux et « soupirer après l’attente du salut ». N’est-ce pas d’ailleurs ce que dit le Martyrologe romain au premier dimanche de l’Avent, quand il fait annoncer au chantre : « Le premier dimanche du temps de préparation à la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ. »
Bien évidemment, il ne s’agit pas d’attendre la venue historique du Messie puisqu’elle a déjà eu lieu il y a plus de 2000 ans, ni de nous préparer explicitement à son retour pour la parousie. Mais il s’agit de se préparer à la venue de sa grâce. L’Avent est nettement un temps de désir, d’aspirations, d’attente. Pour que la nourriture soit profitable, il faut que le corps ait la sensation de la faim. Dieu non plus ne veut pas imposer sa grâce à des âmes rassasiées. « Ceux qui ont faim, il les remplit de biens ; quant aux riches, il les renvoie les mains vides » affirme la sainte Vierge dans son Magnificat. C’est là une des plus anciennes lois du royaume de Dieu. C’est pourquoi, pendant quatre semaines, l’Église nous fait ressentir la faim spirituelle, le besoin de Rédemption, afin de nous rendre dignes de recevoir la grâce de l’Incarnation puis de la Rédemption. Pour ce faire, elle nous représente dramatiquement le premier avènement du Christ et, dans ce drame sacré, elle nous fait partager la faim spirituelle, l’ardent désir des saints patriarches qui ont attendu le Messie dans l’Ancien Testament. En même temps, elle nous fait entrevoir la merveilleuse méthode éducative dont Dieu s’est servi pour préparer l’humanité à la venue du Rédempteur : plus de 4000 ans d’épreuves naturelles et surnaturelles qui ont contraint l’humanité à réaliser sa profonde misère et son incapacité à se procurer le salut par elle-même. Combien il importe, à nous pour qui la venue du Messie est devenue une évidence historique depuis 2000 ans, évidence qui nous rend banal cet évènement pourtant si extraordinaire, que nous nous replongions dans ces dispositions d’attente soucieuse et de sainte impatience afin d’apprécier le don merveilleux du salut et son entière gratuité.
Nous pourrions même dire que ces dispositions de sainte espérance, propres au temps de l’Avent, sont encore plus nécessaires dans notre vie chrétienne actuelle. En effet nous sommes obligés de constater, dans ces malheureux temps qui sont les nôtres, les défections des hommes d’Église de toutes tendances et de leurs fidèles, les trahisons à l’encontre de Notre-Seigneur comme le décrit saint Louis-Marie Grignion de Montfort dans sa Prière embrasée : « Votre divine loi est transgressée, votre Évangile est abandonné, les torrents d’iniquité inondent toute la terre et entraînent jusqu’à vos serviteurs, toute la terre est désolée, l’impiété est sur le trône, votre sanctuaire est profané et l’abomination est jusque dans le lieu saint… Tout deviendra-t-il à la fin comme Sodome et Gomorrhe ? » Par ces circonstances tragiques, nous expérimentons plus que jamais la véracité de ce passage du prophète Jérémie : « Ainsi parle l’Éternel : Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme, qui prend la chair pour son appui, et dont le cœur se détourne de l’Éternel ! » (Jér., XVII, 5). Dans ces épreuves que nous traversons, Dieu éprouve notre vertu surnaturelle d’espérance. Il permet les défections de ses ministres, pour nous rappeler qu’il est le seul auteur de notre salut. Cette grande vérité nous est aussi rappelée par un prophète souvent cité dans la liturgie de l’Avent : le prophète Isaïe, aux chapitresXXXI et XXXII.
Faisons en sorte que le grand mérite de cet Avent que nous nous apprêtons à vivre soit de nous affermir dans l’espérance. Cette vertu théologale, vitale à notre organisme surnaturel, nous fait tendre vers la béatitude éternelle aperçue comme un bien futur qui nous est rendu possible, mais non sans difficultés. L’Avent nous dispose précisément à accueillir ce Sauveur qui vient nous rouvrir les portes du Ciel, qui après le péché originel nous rend à nouveau le salut possible, et par la grâce de qui nous pourrons vaincre toutes les embûches qui s’interposent entre nous et notre salut. Quoi qu’il arrive, quelles que soient les épreuves ou les chutes, quelles que soient les tribulations ou les scandales, nous ne nous laisserons jamais décourager ni abattre, car notre force est dans le nom du Seigneur, lui qui a créé le ciel et la terre, lui le Tout-puissant qui a racheté son peuple. C’est de ce petit enfant-Dieu dans la crèche, si fragile en apparence, que nous attendons notre salut et notre force, pas des hommes ni de leurs institutions. Et plus les obstacles s’accumulent pour nous empêcher de gagner le Ciel, plus la vertu d’espérance doit être là pour nous fait attendre de l’aide toute puissante de Dieu les secours qui nous permettront de les surmonter.
Abordons le temps de l’Avent avec ces dispositions et ce dynamisme surnaturel. Demandons à la Mère du Messie de disposer nos âmes à recevoir sa grâce. Elle qui l’a donné au monde une première fois dans sa chair, le donne une deuxième fois à l’âme des fidèles par sa médiation de grâce.
Notre-Dame de la Sainte-Espérance, convertissez-nous.
Abbé Christian BOUCHACOURT, Supérieur du District de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Suresnes, le 25 novembre 2016, fête de sainte Catherine – Vierge et Martyre
Source : La Porte Latine du 25 novembre 2016