LAB de l’ADEC n° 26 – Sainte Thérèse d’Avila et l’éducation

Chers amis et bienfaiteurs

Nous fêtons cette année le 5e cen­te­naire de la nais­sance de sainte Thérèse d’Avila qui nous a lais­sé de mûres réflexions sur sa jeu­nesse et de pro­fonds conseils sur la vie inté­rieure. Nous vou­drions nous inté­res­ser briè­ve­ment à son enfance et à quelques points clés qui se dégagent de ses remarques auto­bio­gra­phiques. Rappelons d’a­bord quelques traits du début de sa vie.

« Sainte Thérèse naquit à Gotarrendura, dans la pro­vince d’Avila, en Espagne, le 28 mars 1515. Elle était la cadette de trois filles d’Alphonse Sanchez de Cépède, et de Béatrix d’Ahumade, tous deux issus d’une famille noble et ancienne, mais plus recom­man­dables encore par leur ver­tu. Alphonse fai­sait tous les jours la lec­ture de la vie des saints dans sa famille. La petite Thérèse y prit un goût par­ti­cu­lier, et sou­vent elle pre­nait le livre pour conti­nuer cette lec­ture pen­dant plu­sieurs heures de suite avec un frère qu’elle aimait beau­coup. L’histoire des mar­tyrs leur plai­sait encore plus que les autres récits ; et en les lisant, ils se disaient sou­vent l’un à l’autre qu’ils vou­draient bien aus­si mou­rir pour Jésus-​Christ. À force de se le dire, ils crurent qu’ils pou­vaient l’exé­cu­ter ; et ils étaient déjà sor­tis de chez eux pour aller chez les Maures, quand un de leur parent qui les ren­con­tra, les rame­na chez leur père.

Voyant qu’ils ne pou­vaient être mar­tyrs, ils réso­lurent de vivre en ermites ; ils dres­sèrent donc comme ils purent de petites cel­lules avec des branches d’arbres dans le jar­din de leur père, et ils s’y reti­raient sou­vent pour prier. Ce n’é­tait là que des actions d’en­fants ; mais elles mar­quaient la dis­po­si­tion de leur cœur.

La mort de sa mère qu’elle per­dit à l’âge de douze ans, arrê­ta ses bons com­men­ce­ments, et sus­pen­dit, pour ain­si dire, le cours rapide de sa pié­té. Étant moins veillée, elle fut moins atten­tive à ne lire que ce qui pou­vait l’é­di­fier ; et ayant trou­vé des romans dans sa propre mai­son, elle les lut, et y apprit tout ce qu’on a cou­tume d’y apprendre, l’a­mour de la vani­té, la pas­sion de briller, et le désir d’être aimée. Une liai­son qu’elle fit deux ans après, avec une de ses parentes d’un esprit volage et mon­dain, fit croître les semences de mort que la lec­ture des romans avait jetées dans son cœur. Thérèse aupa­ra­vant simple dans ses manières, si pure dans ses mœurs, devint comme les autres filles de son âge, dis­si­pée, n’ai­mant plus que soi et le plai­sir ; l’es­prit de fer­veur et de dévo­tion fut bien­tôt éteint ; ce déran­ge­ment serait allé plus loin, si son père, qui s’en aper­çut, ne l’eût mise en pen­sion dans un couvent des Augustines. Elle y fut un an et demi, et pro­fi­ta beau­coup par les grands exemples qu’elle y vit et par le ser­vice des ins­truc­tions de la maî­tresse des pen­sion­naires qui avait toutes les ver­tus de son état.

Thérèse réso­lut de s’en­ga­ger dans la vie reli­gieuse. Elle se reti­ra dans le monas­tère de l’Incarnation de l’ordre du Mont-​Carmel, à Avila, et y prit l’ha­bit, le 2 novembre 1536, à l’âge de 21 ans.[1] »

Les détails de son enfance, retrans­crits ci-​dessus, sont inté­res­sants à plus d’un titre. Ils résument, au fond, les qua­li­tés et les dan­gers d’une édu­ca­tion dont l’ap­pli­ca­tion aux jeunes d’au­jourd’­hui s’a­vère encore possible.

On y voit, tout d’a­bord, l’im­por­tance des lec­tures enten­dues puis lues durant l’en­fance. Les enfants aiment qu’on leur lise des his­toires, même lors­qu’ils ont appris à lire. La mémoire d’un enfant est d’une puis­sance pro­di­gieuse durant les pre­mières années de sa vie. D’où la néces­si­té de la nour­rir de récits édi­fiants et d’his­toires qui lui font dis­cer­ner la véri­té et l’a­mour du bien. Les enne­mis de Dieu l’ont bien com­pris, eux qui savent com­man­der à des auteurs mer­ce­naires des œuvres pour la jeu­nesse qui vantent les pires déviances morales et habi­tuent l’en­fant au vice, sous cou­vert de liber­té absolue.

Le choix que fit le père de la petite Thérèse d’Avila est réso­lu­ment le meilleur : lire à ses enfants la vie des exemples de sain­te­té chré­tienne. Le récit des mar­tyrs et des autres saints va mar­quer l’es­prit de ses enfants, en leur don­nant des modèles à imi­ter dans l’a­mour de Jésus-​Christ. A contra­rio, sainte Thérèse recon­naît qu’elle s’est lais­sée per­ver­tir l’es­prit par la lec­ture non sur­veillée de romans où les sen­ti­ments et les pas­sions débri­dées agissent sur son carac­tère en déve­lop­pant en elle l’es­prit de vani­té et la recherche d’être aimée pour elle-même.

Les enfants d’au­jourd’­hui négligent géné­ra­le­ment la lec­ture de bons livres et font leur « édu­ca­tion sen­ti­men­tale » par l’é­cole d’a­bord et ensuite par les films, les romans à la mode et inter­net. Violence et éro­tisme y occupent une place pré­pon­dé­rante. Ce sont des recettes édi­to­riales bien rôdées qui uti­lisent un rythme et une écri­ture roma­nesque emprun­tés au ciné­ma et désor­mais aux jeux vidéo. D’où leur côté attrayant pour les jeunes qui sont par­ti­cu­liè­re­ment sen­sibles à ce qui va vite, à ce qui donne une image valo­ri­sante de la jeu­nesse à laquelle ils vou­draient s’identifier.

Le manque de dis­cer­ne­ment dans le choix de ces œuvres et l’ab­sence ou l’in­suf­fi­sance de contrôle des parents sont fatals à beau­coup. Sainte Thérèse a poin­té du doigt la ten­dance mau­vaise qui en découle, la vani­té et l’a­mour de soi.

Elle qui, quelques années aupa­ra­vant, crai­gnait la mort éter­nelle et ne vou­lait aimer et ne ser­vir que Jésus-​Christ, se voit, rétros­pec­ti­ve­ment et avec les pro­grès de sa vie spi­ri­tuelle, au bord de la dam­na­tion. La leçon qu’elle donne aux édu­ca­teurs est tou­jours valable. La pente natu­relle vers l’é­goïsme qui carac­té­rise la jeu­nesse lors­qu’elle n’est pas gui­dée vers le don de soi, se trouve aujourd’­hui ren­for­cée notam­ment par le nar­cis­sisme stan­dar­di­sé des réseaux sociaux, la « com­mu­ni­ca­tion » per­ma­nente qui entre­tient le bruit inté­rieur et la peur de la soli­tude, l’en­semble sté­ri­li­sant tout élan d’au­dace ou de cou­rage individuel.

On agit en groupe, on pense et l’on juge en fonc­tion de son réseau social, on se montre sous un jour valo­ri­sant (mode des « sel­fies » = pho­to­gra­phies de soi que l’on envoie à tous) et l’on craint d’être mal jugé, comme insuf­fi­sam­ment conforme à la norme. Difficile ensuite de vivre à contre­cou­rant de la vie du monde, même lorsque la véri­té ou la morale sont en jeu.

Un autre ensei­gne­ment nous est don­né par l’ex­trait de la bio­gra­phie de saint Thérèse : celui qui concerne les fré­quen­ta­tions fami­liales ou extra-​familiales. Portée à la légè­re­té, Thérèse s’ac­com­mode plu­tôt bien d’une parente qui lui com­mu­nique son esprit « volage et mon­dain » et la futi­li­té de ses préoccupations.

Le choix des ami­tiés et des fré­quen­ta­tions est un art dif­fi­cile pour ceux qui ont la charge d’é­du­quer les enfants. Les parents sont sou­vent mis devant le fait accom­pli. Dans les écoles, la véri­fi­ca­tion de l’a­dage « qui se res­semble s’as­semble » per­met de repé­rer les affi­ni­tés natu­relles. Mais il est plus dif­fi­cile de contrer les mau­vais effets d’une ému­la­tion dans la médiocrité.

Les enfants, qui sont les pre­miers concer­nés, cherchent rare­ment dans l’a­mi­tié une voie d’é­lé­va­tion, fon­dée sur la recherche de la ver­tu. La fra­gi­li­té des per­son­na­li­tés en cours de for­ma­tion attend davan­tage, de la part de leurs cama­rades, des sou­tiens, des com­pli­ci­tés, des affi­ni­tés repo­sant sur la valo­ri­sa­tion per­son­nelle, l’i­den­ti­fi­ca­tion ras­su­rante à un modèle recon­nu et accep­té par le groupe ou la société.

Les rares esprits forts, por­tés vers le bien, déjà plus mûrs que leurs cama­rades, auront, quant à eux, du mal à trou­ver une ému­la­tion dans le bien et se lais­se­ront par­fois tirer vers le bas, si les adultes ne leur viennent en aide en les sti­mu­lant et en les encou­ra­geant à se dépas­ser ver­tueu­se­ment et sur­na­tu­rel­le­ment, par une vie chré­tienne plus exi­geante. Là encore, le père de sainte Thérèse d’Avila a fait le bon choix édu­ca­tif : il l’a mise en pen­sion chez des reli­gieuses. Le pen­sion­nat demeure géné­ra­le­ment l’aide la plus effi­cace, le moyen le plus sûr pour l’é­du­ca­tion des enfants, dès lors que celle que délivrent les parents à la mai­son est en har­mo­nie avec l’im­pul­sion don­née à l’é­cole. Ce n’est pas en vain que l’Eglise a fait aux parents l’o­bli­ga­tion grave de mettre leurs enfants dans des écoles vrai­ment catho­liques[2].

Deux autres car­mé­lites sont reve­nues elles aus­si sur leur enfance et en ont tiré des leçons qu’il est bon de médi­ter : sainte Thérèse de Lisieux, morte en 1897 et Elisabeth de la Trinité, morte en 1906. L’Histoire d’une âme ou Manuscrits auto­bio­gra­phiques de la « petite » Thérèse et les Souvenirs d’Elisabeth de la Trinité recèlent de petits tré­sors de réflexions éducatives.

L’année 2015 pour­rait être l’oc­ca­sion de décou­vrir l’en­sei­gne­ment spi­ri­tuel et édu­ca­tif de ces grandes religieuses.

Abbé Philippe Bourrat, Directeur de l’en­sei­gne­ment du District de France de la FSSPX

Notes de bas de page
  1. - Extraits de Vies des saints pour tous les jours de l’an­née, ano­nyme, Paris, 1847[]
  2. - Cf. Code de droit canon (1917) Canon 1372 – §1 Tous les fidèles doivent être éle­vés dès leur enfance de telle sorte que non seule­ment rien ne leur soit livré qui soit contraire à la reli­gion catho­lique et à l’hon­nê­te­té des mœurs, mais que leur for­ma­tion morale et reli­gieuse occupe la place prin­ci­pale. Canon 1374 – Les enfants catho­liques ne doivent pas fré­quen­ter les écoles aca­tho­liques, neutres ou mixtes, c’est-​à-​dire ouvertes aus­si à des aca­tho­liques. L’Ordinaire du lieu est le seul à pou­voir déter­mi­ner, selon les ins­truc­tions du Siège apos­to­lique, dans quelles cir­cons­tances et avec quelles pré­cau­tions, pour évi­ter un dan­ger de per­ver­sion, on peut tolé­rer la fré­quen­ta­tion de telles écoles.[]

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