Je tiens tout d’abord à remercier Monseigneur l’Evêque de La Rochelle et Saintes, pour sa paternité à l’égard des catholiques que nous sommes et voulons être toujours ; remercier aussi, M. l’abbé Saboride, curé Doyen, pour son esprit de conciliation et le charitable accueil qui nous valent d’être réunis en cette belle église Saint-Eutrope, construite pour cette profonde liturgie multiséculaire de l’Eglise.
« O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu !
Que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables !
Car qui a connu la pensée du Seigneur ?
Ou qui a été son conseiller ?
Ou qui lui a donné le premier et recevra de lui en retour ?
Car c’est lui, et par lui, et en lui que sont toutes choses :
à lui la gloire dans tous les siècles ! » [1]
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, ainsi-soit-il.
Cher M. l’abbé Sire, Mes chers confrères, Mes Sœurs, Chers grands parents, Très chère famille, Chers enfants et anciens de Saint Michel, Mes chers amis,
Vous l’aurez reconnu peut-être ce texte de S. Paul, nous le lisions dimanche dernier, en la fête de la Sainte Trinité alors que Grégoire-Marie venait de rendre son âme à Dieu.
Qui a connu la pensée du Seigneur ? Ou qui a été son conseiller ? [1]
Membre de l’Association réparatrice envers la Sainte Trinité, il fallait qu’il nous quittât le jour même de la Trinité.
O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! [1]
Oui, mes bien chers frères, c’est tout d’abord l’action de grâce à notre Dieu, Trinité Sainte que nous voulons manifester. Adoration sans doute devant ces décrets insondables, remerciements surtout de nous avoir donné Grégoire-Marie, actions de grâces pour lui avoir donné ces dix neuf printemps.
D’aucuns pourraient se demander pourquoi ? Pourquoi ne pas l’avoir repris, il y a dix neuf ans lorsque atteint d’une leucémie aiguë, à neuf mois, le chirurgien ne lui donnait plus que trois jours ? Pourquoi ? Certains diront : « pourquoi ? » Nous, nous disons : « Merci ! »
Car Grégoire-Marie, dans la simplicité de sa petite vie, a sa place dans l’Eglise, il a été et sera pour nous un encouragement, une vivante image de l’espérance.
Et tout d’abord, un encouragement pour tous les éducateurs.
Pour ses parents en premier lieu, pour ses maîtres et tous ceux qui se sont dévoués pour l’éduquer, il proclame que l’éducation catholique, la lente formation d’un homme, d’un étudiant sérieux, l’apprentissage de l’amour et du service de Dieu ; c’est possible aujourd’hui !
Ô combien lui-même remercie l’adorable Trinité de lui avoir donné une famille chrétienne, des parents persuadés que les enfants sont des prêts de la part de Dieu, que la vie sur la terre n’est qu’une préparation du Ciel et que la valeur de nos actions dépend de leur conformité à la volonté divine.
Merci, Benoît et Brigitte, d’avoir voulu lui donner la vie, d’avoir veillé à la lui rendre la plus normale possible, d’avoir toujours privilégié le bien de son âme, à vous par Dieu confiée.
Merci, d’avoir veillé à lui choisir des parrains qui lui enseigneraient par leur exemple ce qu’est une vie où le Christ Jésus est le centre de l’existence ; ce qu’est une vie chrétienne.
La prière familiale, le chapelet quotidien, la référence habituelle à la Providence du Cœur de Jésus, érigé comme roi de votre foyer sont devenus pour son âme aussi nécessaires et spontanés que la respiration.
Alors, le catéchisme et les sacrements ont fortifié et modelé sa personne. Puis quand la vie familiale n’a pu suffire à l’enrichissement de son intelligence, à l’acquisition des vertus sociales, quand l’école à la maison n’a plus été possible, vous avez résolument fait le choix de la pension, malgré son âge, malgré sa santé.
Car pour une famille catholique, mes bien chers frères, la seule éducation logique, c’est l’école catholique : celle où tout l’ensemble de l’enseignement et de la formation est régi par la Foi et la Loi de Dieu.
Inlassablement vous avez assumé séparations et aller-retours, sacrifices mutuels, persuadés même –et Grégoire-Marie vous donne aujourd’hui raison– que la pension, loin d’être un pis aller, un moindre mal, est la solution pour éduquer droitement et sainement la jeunesse catholique.
Encouragement pour ses maîtres du collège de Saint-Michel. Et si vous êtes ici, cher M. l’abbé Bétin, son ancien directeur, chers Frères, qui vous êtes si généreusement dévoués pour le diriger, veiller sur lui, l’encourager et le corriger, c’est sans doute pour manifester votre attachement à ce petit homme que vous avez modelé et à sa famille qui vous est si chère, mais c’est aussi pour recevoir au soir de sa vie l’expression de sa profonde gratitude d’avoir été mené par vous sur le chemin du ciel, alors une fois de plus, avec lui et pour lui, je vous dis : « Merci ! »
Oui, qui s’en étonnera, la famille catholique où le mariage est réglé par la loi divine, puis l’école catholique où l’éducation est dirigée par cette haute idée que le plus important c’est d’apprendre à servir Dieu, les deux ensemble produisent des catholiques qui peuvent, à tout moment, rendre leur âme à Dieu, ayant fait fructifié les talents reçus ! Qui lui a donné le premier et recevra de lui en retour ? [1]
En second lieu, Grégoire-Marie est un témoin pour tous les malades et personnel soignant.
Vingt ans d’une existence maladive, d’une santé chétive, d’un souffle de vie toujours en sursis, pour nous dire tous les jours que la vie est belle et digne d’être vécue, si elle l’est pour Dieu ! Déjà, tout petit, n’était-il pas la coqueluche des infirmières qui ont peut-être pensé combien il était beau et magnifique de concevoir et de mettre au monde ?
Toujours patient, il a fait l’édification de tous les médecins et personnel soignant par sa gentillesse, sa douceur, son inlassable sourire et courage.
Diminué, il n’a jamais été rabat-joie mais il a fait fleurir autour de lui des trésors de délicatesse et d’attention, chez ses frères et sœurs, chez ses camarades de classes, chez tous ses amis.
Bienheureux les doux, disait Jésus, car ils possèderont la terre, [2] et votre présence nombreuse, mes chers amis, n’en est-elle pas la preuve ? Oui, les doux possèderont la terre !
Eh bien, s’il a su gagner les cœurs et les remuer aujourd’hui qu’il est parti, il nous a aussi donné à tous, l’occasion de jouir de cette autre béatitude :
Bienheureux les miséricordieux, car il leur sera fait miséricorde [3]. Oui, il nous a donné de recevoir et de servir le Christ en sa personne malade et de santé toujours fragile.[4]
Alors quoi d’étonnant qu’il ait cherché aussi, cette année, à Bordeaux, à répandre, à son tour, cette bonté qui se penche sur la misère d’autrui, en intégrant la Conférence S. Vincent de Paul ?
Il aura donné tout simplement, c’est-à-dire, simplement mais totalement l’exemple d’un malade, ami de tous parce qu’ami du Christ, plein du Christ, sachant comme dit S. Paul, compléter dans son corps ce qui manque à la Passion du Christ, pour l’Eglise [5].
Jamais ses amis ne l’entendirent se plaindre !
Jamais sa propre mère ne l’entendit murmurer contre son état !
Quel était donc le secret de cette patience qui vaut mieux qu’héroïsme[6] sinon la charité, cet amour de Dieu puisé dans la prière, car la charité est patiente [7]!
Alors si l’Ecriture nous dit que pour avoir un jour souffert, les justes recevront de grands biens, [8] comme S. Paul, nous sommes fiers en raison de sa patience [9] ! Et cette imitation de Jésus-Christ, dans son état souffrant, n’a-t-elle pas reçu une ultime ressemblance de conformité dans ce cœur qui souffrit et lâcha aux premiers jours du mois du Sacré Cœur ? N’a-t-il pas porté, là encore et mystérieusement, les traces de la mort de Jésus [10]?
Enfin, Grégoire-Marie est un encouragement pour la jeunesse !
Dans un monde déboussolé, où tous les désordres attirent et séduisent plus que jamais vos jeunes cœurs, à l’aube de votre vie, lui ayant fini la sienne, il vous appelle, mes chers amis, à regarder ce qu’il fut. Grégoire-Marie vous dit : « La vie a un sens : c’est gagner le Ciel !»
Que sert, en effet, à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? ou, que rendra l’homme en échange de son âme ? [11]
Si nous remercions avec lui la Sainte Trinité de lui avoir donné et gardé la vie, de lui avoir procuré toutes ses joies familiales, tous ces plaisirs du corps et de l’esprit –et Dieu sait s’il savait en user !– nos actions de grâces valent surtout pour toutes ses joies surnaturelles. Tous ces sacrements reçus : ce baptême, tout d’abord, qui le faisant temple de Dieu l’appela à faire partie de la famille de la Trinité divine ; cette confirmation qui fit de son âme un soldat du Christ, lui si faible dans son corps ; ces innombrables communions dont la dernière, en ce lundi de Pentecôte, était une offrande pour les prêtres ; ces confessions régulières et fréquentes qui purifient et fortifient l’âme jusqu’à la rendre inébranlable ; enfin, l’extrême-onction, reçue au dernier jour de Mai en la fête de Marie Reine.
Que de dons, que de grâces divines reçues tout au long de sa vie !
Alors, dans son âme attentive, instruite par la souffrance [12], s’éleva cette question : « que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu’il m’a donné ? [13]» Et cette question ne resta pas sans réponse !
Séduit par l’humble et mystérieuse existence des Frères au collège, il demanda à en faire partie. Il voulait être religieux : Frère de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X ! Tout donner à celui qui nous a donné le premier [14]. Tel fut son désir, telle fut sa réponse ! Les Supérieurs, en raison de sa santé, refusèrent, mais l’offrande avait eu lieu, le sacrifice n’avait plus qu’à s’achever.
Que les jugements de Dieu sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ?[1]
Lui qui voulait se donner tout entier, il ne le put comme Frère.
Alors vous tous, mes chers amis, ses chers amis, qui chantez cette belle messe, qui le pleurez parce que vous l’aimez, qui restez alors qu’il est parti, vous, pleins de vie, devant sa dépouille mortelle, n’entendez-vous pas qu’il vous dit : « Prendras-tu ma place ? »
Etre Frère, être prêtre, être religieux ou religieuse, entièrement consacré au service de Celui qui nous a faits, qui nous prête le temps et une vie toujours trop courte, n’est-ce pas le désir qui devrait germer d’une âme bien née ? N’y a t il personne pour le remplacer ? N’a-t-il pas un ami pour prendre sa place ?
Lui, qui voulait, n’a pas pu, et vous qui pouvez, vous ne voudriez pas ?
Oh, si vous entendez aujourd’hui sa voix, n’endurcissez pas votre cœur ! [15]
Donnez, comme dit S. Paul , donnez-vous, vous-mêmes à Dieu, comme des vivants ! [16]
Oui, Grégoire Marie est un encouragement, une image vivante de l’espérance chrétienne, alors soyons, comme dit l’Apôtre, comme il le fut, joyeux dans l’espérance [17]!
Mes bien chers frères, aimer nos morts, c’est prier pour eux car c’est vouloir leur bien et si nous croyons qu’il est vivant avec Dieu [18], nous savons aussi, combien le péché qui ternit toutes nos existences, doit être expié.
C’est donc à la Très Sainte Vierge qui l’a sauvé de la mort quand il était petit et dont la médaille, dès lors, ne le quitta plus, c’est à Elle que nous demandons aujourd’hui, de le sauver bien vite des flammes du Purgatoire. Et pour nous, ô Notre Dame du Sacré Cœur, Consolatrices des affligés, donnez-nous de vivre de telle manière que nous méritions un jour la recouvrance de notre cher défunt dans la lumière du royaume céleste[19] où le Seigneur effacera toute peine et toutes larmes [20].
Ainsi-soit-il !
Abbé Pierre DUVERGER, Doyen-Prieur d’Aquitaine
Notes
[1] Rom. XI, 33–36 [2] Matt. V, 4 [3] Matt. V, 7 [4] Matt. XV, 40 [5] Col. I, 24 [6] Pr. XVI, 32 [7] I Co. XIII, 4 [8] Sg. III, 5 [9] 2 Th. I, 4 [10] 2 Co. IV, 10 [11] Matt. XVI, 26 [12] Job, XXXIII, 19 ‑28 [13] Ps. CXV, 3 [14] I Jo. IV, 19 [15] Ps. XCIV,8 [16] Rom, VI, 13 [17] Rom. XII, 12 [18] II Tim. II, 11 [19] Prière à Notre-Dame de Recouvrance [20] Apoc. XXI, 4 |