« J’avais cru, en entrant dans la vie religieuse, que j’aurais surtout à conseiller la douceur et l’humilité ; avec le temps, je vois que ce qui manque le plus souvent, c’est la dignité et la fierté ! »
Nous le savons bien, c’est au terme d’une fidélité intégralement conservée à Notre-Seigneur Jésus-Christ que la couronne de vie est obtenue. Parmi les actes requis par cette orientation résolument catholique de l’existence, il importe de compter le témoignage. Le baptisé est amené à rendre compte de sa Foi ici-bas et il s’agit là d’un devoir grave. Saint Luc nous a laissé une formule bien claire à ce sujet :« Celui qui rougira de Moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père. Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père. »
De cette sentence, il ressort bien qu’il y aurait péché à avoir honte de notre Dieu et de notre religion et qu’il existe donc un devoir de fierté pour les catholiques, devoir qui s’impose à eux davantage dans une société déchristianisée devenue indifférente ou hostile à la religion.
Cette exigence de fierté peut surprendre et peut même en choquer quelques-uns. Ne paraît-elle pas contredire la vertu d’humilité que saint Thomas d’Aquin nous montre précisément comme le socle de toutes les autres vertus ? Et, en admettant que l’on puisse concéder à la fierté une légitimité, est-il opportun d’en dresser l’éloge alors qu’elle voisine de si près avec l’orgueil ? D’aucuns ajouteront encore que les « traditionalistes » sont déjà bien assez fiers de leurs certitudes ou du développement de leurs œuvres. Inutile donc de les conforter dans cette attitude !
Pour répondre à ces murmures, commençons par préciser ce que l’on entend par le mot « fierté ». Il provient du latin effero qui signifie « porter, emporter ». Au sens figuré, ce verbe peut désigner le soulèvement que provoquent dans le cœur les émotions et les sentiments. En proie à une passion, celui-ci connaît ainsi de véritables transports intérieurs. L’âme se trouve alors comme soulevée hors d’elle-même. Bien que mal distinguée de l’orgueil par les auteurs païens, la fierté joue un rôle déterminant pour expliquer la puissance à laquelle s’est élevée Rome. Si Cicéron s’est laissé allé à commettre le vers, O fortunatam me consule Romam, qui dévoile une certaine satisfaction de lui-même, c’est aussi la fierté de leur sol et de leur race qui inspira aux Romains leurs actes de bravoure et d’héroïsme décisifs dans tant de conquêtes de Rome.
C’est donc sans étonnement particulier que nous découvrons ces sentiments de nos anciens loués dans l’ancien Testament. On y retrouve par exemple avec joie que le père est la fierté de ses enfants (Pr 17, 6), que la vertu est un motif de fierté (Pr 19, 11) et cette belle vérité que Dieu Lui-même est fierté pour tous Ses Amis Ps 103).
Notons que les motifs de fierté reconnus légitimes sont tous extérieurs à l’homme ; la vertu elle-même, bien qu’elle demande à l’homme tant d’efforts sur lui-même, est aussi un don de Dieu selon la parole de saint Paul :
« Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifies-tu, comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 4, 7). »
Il appartient cependant à Notre-Seigneur lui-même d’avoir manifesté aux hommes les fondements ultimes de l’humilité et de la fierté ainsi que leur heureuse harmonie. La pureté de son exemple et de sa doctrine suffit à dénoncer la malice et la perversité du cœur de l’homme. Et c’est par ses souffrances et sa mort expiatrices qu’il va démontrer la gravité du péché : confronté à l’acte rédempteur du Calvaire, chacun est obligé de découvrir les mille turpitudes dont sa conscience est chargée et doit alors s’abîmer dans une profonde componction et humilité de cœur. Coupables de la Passion de Jésus-Christ par nos péchés, nous n’aurons pas trop de nos journées passées sur cette terre pour en demander pardon.
Mais, en même temps qu’il nous découvre notre misère spirituelle si profonde, Notre-Seigneur nous prouve combien il nous aime par le prix dont il a payé notre rédemption :
« Car vous avez été rachetés à grand prix » (1 Co 6, 20). »
Ce prix, c’est celui du sang divin que Notre-Seigneur a voulu verser pour nous jusqu’à la dernière goutte. C’est lui qui nous révèle tout l’amour de Dieu pour nos âmes et nous amène à reprendre l’exclamation admirative de saint Léon : Agnosce, o Christiane, dignitatem tuam ! Voilà le mot lâché. Notre éminente dignité de chrétiens, c’est celle qui est exprimée par l’apôtre saint Paul :
« L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Et si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, pourvu toutefois que nous souffrions avec Lui, afin d’être glorifiés avec lui (Rm 8,19 ). »
La compassion de Dieu opérant par le sacrifice de la croix amène tous les hommes qui en sont bénéficiaires à une « participation de la nature divine » ( 2 P 1, 4). La fierté chrétienne est donc cette reconnaissance admirative de l’immensité des dons reçus de Dieu, des trésors dont le génie de son amour a su combler le cœur de l’homme. Cette fierté-là va souvent tourner à l’orgueil car elle démontre à l’homme qu’il n’a en propre que sa misère. Elle l’engage en revanche à vivre désormais dignement, en sa qualité insigne de chrétien.
Peut-être la conciliation de l’humilité et de la fierté est-elle jugée difficile ou peut-être une certaine conception de l’humilité constitue‑t’elle un paravent pratique pour se dispenser de s’engager ? Toujours est-il que ce juste et fécond sentiment de notre dignité d’enfants de Dieu est souvent ignoré ou boudé par les chrétiens. J’en veux comme témoignage cette remarque extraite d’une lettre du père de Foucauld au général Laperrine :
« J’avais cru, en entrant dans la vie religieuse, que j’aurais surtout à conseiller la douceur et l’humilité ; avec le temps, je vois que ce qui manque le plus souvent, c’est la dignité et la fierté ! »
Tant que le cœur catholique n’a pas commencé à tressaillir de l’honneur et de la joie d’être marqué du sceau chrétien, l’humilité risque fort d’être pour lui le masque de bien des lâchetés et des dérobades. C’est en observateur critique mais lucide de son époque que Drumont a illustré d’une boutade cette faiblesse des catholiques :
« Si les préfets convoquaient tous les catholiques sur la place, pour midi précis à cette fin de recevoir des coups de pied quelque part, ils arriveraient tous à midi moins un quart pour être sûrs de ne pas le faire attendre. »
Si cette séance publique de distribution de coups de pieds ne s’est pas encore produite, le catholicisme est certainement dans les pays d’Europe Occidentale la religion que l’on tourne le plus facilement en dérision. Tandis que se multiplient les spectacles, publicités ou livres blasphématoires, le clergé paraît comme prostré, hébété, incapable de réagir. Les lois se succédant toutes plus monstrueuses les unes que les autres, jusqu’à promouvoir l’homophilie ou l’adoption d’enfants par les homosexuels, on attend encore que les évêques, retrouvant pour l’occasion leurs mitres et leurs crosses, descendent enfin dans la rue, entraînant derrière eux tout ce que la France compte encore de catholique. Pendant ce temps, notre religion sombre dans une sorte d’avachissement mortel dont plus rien ne paraît capable de la sortir pendant que ses détracteurs, enhardis par ce silence, poussent toujours plus loin leur audace. Bien plus, il n’est pas jusqu’au discours pontifical lui-même qui par la succession de ses repentances sur le passé de l’Église, semble donner raison à cette curée impitoyable.
Nous ne devons pas baisser la tête à notre tour, accablés par les sarcasmes du monde ou par les mea culpa frappés sur la poitrine de notre mère l’Église. On reconnaît la vertu d’un enfant dont la mère est humiliée à la détermination avec laquelle il la défend toujours contre tous. La mission des catholiques de Tradition consiste précisément à assurer la protection rapprochée d’une Église dont on a sonné l’hallali : ils doivent montrer par une indomptable volonté qu’ils n’accepteront pas de la laisser piétiner. Quelle noble entreprise et quelle âme vraiment chrétienne pourrait la décliner ? C’est à ce signe qu’on pourra reconnaître notre identité de catholiques tellement contestée ? Lorsque l’Église était conspuée, ce furent les catholiques de Tradition qui se rangèrent toujours les premiers pour la défendre. C’est à vous, chers Amis et Bienfaiteurs, que je m’adresse pour vous communiquer mes encouragements, dans la poursuite de ce grand combat.
Que Notre Dame vous garde.
Abbé Régis de Cacqueray †
Supérieur du District de France