Face à cette nouvelle doctrine qui continue à ruiner la religion, demeurons fermes dans la Foi , abbé R. de Cacqueray

Face à cette nouvelle doctrine qui continue à ruiner la religion,
demeurons fermes dans la Foi , abbé R. de Cacqueray
Lettre aux amis et bienfaiteurs n° 82 de mai 2014

Les cano­ni­sa­tions de Jean XXIIII et de Jean-​Paul II ont main­te­nant eu lieu. Conscients de la gra­vi­té de notre refus for­mel de recon­naître la vali­di­té de telles cano­ni­sa­tions, com­men­çons, chers amis et bien­fai­teurs, par recen­ser une volée de légi­times inter­ro­ga­tions et d’objections que peut nous valoir cette contes­ta­tion. Pour y répondre, c’est à une remon­tée à la racine du mal que nous vous convions : Vatican II a ren­du les voies de la sanc­ti­fi­ca­tion inac­ces­sibles et indé­chif­frables. D’abord, ce concile a atta­ché bien peu de prix au retour à la véri­té catho­lique de ceux qui sont éga­rés dans les fausses reli­gions ou dans l’irréligion, si bien que les conver­sions se sont taries. En consé­quence, bien peu nom­breux sont ceux qui se conver­tissent et moins nom­breux encore ceux qui esca­ladent la mon­tagne de la per­fec­tion. Du même coup, le concile a aus­si détruit l’esprit mis­sion­naire chez les catho­liques, leur fai­sant perdre leur zèle pour le salut des âmes, à com­men­cer par celui de leur propre âme. Ce sont les ailes de leur propre sanc­ti­fi­ca­tion qui se trouvent ain­si cou­pées. Pour finir, nous dirons l’un des motifs pour les­quels le concile se sou­cie si peu de com­mu­ni­quer un véri­table esprit mis­sion­naire : il affirme que, d’une cer­taine manière et du seul fait de leur appar­te­nance à l’humanité, tous les hommes se trouvent déjà reliés au Christ. Il importe seule­ment de les aider à en prendre conscience. La prise de conscience rem­pli­rait le rôle de la grâce pour ser­vir de nou­veau moteur de la sanc­ti­fi­ca­tion et la nou­velle sain­te­té se trou­ve­rait alors redé­fi­nie comme étant la plé­ni­tude de cette prise de conscience.

Ne serait-​il pour­tant pas rai­son­nable, après nous être si long­temps oppo­sés à ces cano­ni­sa­tions, que nous fas­sions désor­mais contre mau­vaise for­tune bon cœur en révi­sant nos juge­ments ? Etant don­né la décla­ra­tion répu­tée infaillible pro­non­cée par le pape François, ne sommes-​nous pas tenus d’accepter la pré­sence de ses deux pré­dé­ces­seurs dans le cata­logue des saints ? Ne devrions-​nous pas nous ins­pi­rer de l’exemple de Monseigneur Dupanloup qui, après s’être insur­gé de longues années contre la défi­ni­tion du dogme de l’infaillibilité pon­ti­fi­cale, se sou­mit ensuite à la volon­té de Pie IX et à la déci­sion du concile Vatican I pro­cla­mée le 18 juillet 1870 ?

Si nous per­sis­tons dans notre oppo­si­tion, n’allons-nous pas nous lais­ser empor­ter par la logique d’une oppo­si­tion qui nous éloi­gne­ra inexo­ra­ble­ment des che­mins bali­sés du catho­li­cisme et des auto­ri­tés de l’Eglise ? Le fos­sé se creu­se­ra de plus en plus. Le petit nombre que nous sommes à nour­rir des griefs envers des déci­sions aus­si una­ni­me­ment reçues et venues de si haut devrait nous faire dou­ter du bien-​fondé de nos posi­tions. Nos objec­tions ne repré­sentent que nous-​mêmes et il est vrai­ment para­doxal, alors que nous pré­ten­dons être les plus fermes défen­seurs de l’infaillibilité pon­ti­fi­cale, que nous en soyons, au moins dans la pra­tique, les contemp­teurs. De la contes­ta­tion des docu­ments conci­liaires à celle de la nou­velle messe, de la cri­tique du nou­veau code de droit canon de 1983 à celle du nou­veau caté­chisme, ne nous rendons-​nous pas compte que plus rien ne trouve grâce à nos yeux ? Et main­te­nant, jusqu’au refus de ces canonisations ?

Si nous main­te­nons notre rejet de ces cano­ni­sa­tions, la roue conci­liaire conti­nue­ra à tour­ner sans nous. Les messes de ces deux papes se trouvent déjà inté­grées dans le calen­drier litur­gique, le 11 octobre pour Jean XXIII et le 22 du même mois pour Jean-​Paul II. Ces nou­veaux saints sont main­te­nant priés par les catho­liques du monde entier comme étant de puis­sants inter­ces­seurs qui jouissent cer­tai­ne­ment de l’éternité bien­heu­reuse auprès du bon Dieu. Leur doc­trine et leur exemple ont d’autant plus de poids sur les chré­tiens d’aujourd’hui qu’ils sont à la fois des papes et encore des contem­po­rains ; com­ment les catho­liques ne seraient-​ils pas atti­rés par une sain­te­té papale, vécue dans un contexte proche de leur propre exis­tence ? Chacun res­sen­ti­ra le désir de connaître la vie de ces papes pour s’imprégner des ver­tus qu’ils ont pra­ti­quées jusqu’à un degré héroïque. Cette sain­te­té que nous récu­sons, c’est elle qui façon­ne­ra les saints du 21e siècle ! Ne nous en déplaise, le concile Vatican II, convo­qué par un pape saint et mis en œuvre par un autre pape éga­le­ment saint sera nim­bé d’un immense pres­tige. Que de sain­te­té ! Jamais autant de saints n’ont d’ailleurs été cano­ni­sés qu’au cours de ces der­nières décades !

Et si le monde doit durer, les catho­liques à venir ne man­que­ront sans doute pas de se pen­cher avec admi­ra­tion sur notre époque qu’ils esti­me­ront avoir été empreinte d’une fer­veur sin­gu­lière au regard de ceux qui se sont suc­cé­dé sur le siège de Pierre. Jean XXIII, Jean-​Paul II et bien­tôt Paul VI qui sera décla­ré bien­heu­reux au mois d’octobre pro­chain. Qui pour­ra encore par­ler des fruits amers d’un concile tout auréo­lé de la sain­te­té de ses prin­ci­paux acteurs ? Qui ose­ra dou­ter de son conte­nu ? Les enfants des familles catho­liques, tou­jours sous le charme puis­sant de la vie des plus beaux exemples chré­tiens qu’on leur raconte, ouvri­ront toutes grandes leurs oreilles lorsqu’ils enten­dront l’histoire de cette sain­te­té deve­nue si fré­quente au moment du concile Vatican II, sorte de nou­vel âge d’or incon­nu de l’Eglise depuis les pre­miers siècles de son histoire.

Et pour­tant, seront-​ils vrai­ment conquis par cette sain­te­té, avides d’imiter ces saints nou­veaux comme peuvent l’être les enfants, lorsqu’ils ont le bon­heur de décou­vrir le récit de la vie des héros chré­tiens des siècles pas­sés ? Voudront-​ils s’engager sur leurs traces pour être leurs émules et leurs dis­ciples ? Si, dans les rayon­nages des biblio­thèques fami­liales, les hagio­gra­phies des saints nou­veaux n’ont pas sup­plan­té celles des saints de naguère, leurs lec­teurs ne sursauteront-​ils pas de se trou­ver confron­tés aux contra­dic­tions oppo­sant les motifs pour les­quels cer­tains catho­liques des siècles pas­sés sont pla­cés sur les autels et ceux pour les­quels ces trois papes, qui ont fait et répan­du le concile, ont été cano­ni­sés ou sont en passe de l’être aujourd’hui ? Pourront-​ils aller et venir de la vie de saint Pie V à celle de Jean-​Paul II ou de celle de saint Pie X à celle de Jean XXIIII sans sur­sau­ter ? A moins que l’histoire n’ait été revi­si­tée pour trans­for­mer le vain­queur de Lépante en un pré­cur­seur du dia­logue inter­re­li­gieux et l’auteur de l’encyclique « Pascendi » en un admi­ra­teur caché de Loisy, com­ment conci­lier la sain­te­té des papes du pas­sé avec ceux du concile ? La ques­tion ne peut être esca­mo­tée aux yeux des esprits sou­cieux de vérité.

Si les catho­liques des années à venir font part de la per­plexi­té qu’occasionnent en eux ces contra­dic­tions, quelles réponses recevront-​ils ? On leur dira sans doute que les temps ont bien chan­gé, l’Eglise éga­le­ment et qu’au 20e siècle, cette vieille ins­ti­tu­tion ne res­sem­blait déjà plus à celle des siècles pré­cé­dents. Ou encore qu’à cette époque, jus­te­ment, elle prit conscience d’un cer­tain nombre d’erreurs dont son his­toire était jon­chée et dont les vies des saints loin­tains n’étaient pas exemptes – c’est pour­quoi elle deman­da par­don à la moder­ni­té. Enfin qu’il existe l’herméneutique de la conti­nui­té, moyen par­ti­cu­liè­re­ment cher au pape Benoît XVI, pour prou­ver que les contra­dic­tions appa­rentes n’existent pas en réa­li­té. Cette théo­rie entend démon­trer que les contextes his­to­riques suc­ces­sifs vécus par l’Eglise, dans leur diver­si­té, suf­fisent à rendre compte de tout ce qu’elle a pu dire à un temps don­né, la vali­di­té de ses pro­pos devant être com­prise comme limi­tée à cette époque. A contra­rio, la même her­mé­neu­tique per­met de légi­ti­mer, à la vue de nou­velles cir­cons­tances, que des idées neuves, éven­tuel­le­ment oppo­sées à celles d’antan, soient aujourd’hui tenues pour vraies.

Dans la réa­li­té, ces cano­ni­sa­tions nous contraignent à nous deman­der com­ment les hommes d’Eglise envi­sagent aujourd’hui l’activité mis­sion­naire et la sain­te­té. Faut-​il encore prê­cher l’Evangile sur toute la terre ? La vie sur­na­tu­relle est-​elle seule­ment acces­sible aux catho­liques ou l’est-elle aus­si par le biais des dif­fé­rentes reli­gions chré­tiennes ? L’Eglise prône-​t-​elle le dia­logue inter­re­li­gieux avec les autres reli­gions pour construire l’art de vivre ensemble sur la terre, la pro­mo­tion de la jus­tice et de la paix ou favorise-​t-​elle la pré­di­ca­tion de l’Evangile à toutes les nations ? Est-​elle au ser­vice de l’épanouissement de l’homme ou de la glo­ri­fi­ca­tion de Dieu ? Exige-​t-​elle de consi­dé­rer les droits de l’homme comme le pre­mier socle sacré hors duquel aucune ver­tu n’est pos­sible ou de devoir s’opposer à ces nou­velles tables des socié­tés modernes ? La sain­te­té passe-​t-​elle par l’exaltation de la conscience ou par la sou­mis­sion aux lois divines ? Est-​elle ou non l’épanouissement d’un germe divin qui se trouve dans l’homme du seul fait de son appar­te­nance à l’humanité ?

Le concile, à dif­fé­rentes reprises, exprime le devoir des hommes « de cher­cher la véri­té, sur­tout en ce qui concerne Dieu et son Eglise ; et quand ils l’ont connue, de l’embrasser et de lui être fidèles. »((Dignitatis huma­nae)). Cependant la valeur de tels rap­pels se trouve anni­hi­lée, comme nous allons le voir d’après trois exemples, par des pro­pos léni­fiants qui confortent les hommes dans leurs diverses opi­nions reli­gieuses respectives.

C’est sur­tout dans la conclu­sion de « Gaudium et Spes »1 que sont réca­pi­tu­lées les voies sur les­quelles le concile invite les hommes à che­mi­ner. Ces routes ne res­semblent pas à celles de l’Evangile et du Royaume des Cieux. Les Pères conci­liaires y pré­sentent des pers­pec­tives huma­nistes : « Tirées des tré­sors de la doc­trine de l’Eglise, les pro­po­si­tions que ce saint Synode vient de for­mu­ler ont pour but d’aider tous les hommes de notre temps, qu’ils croient en Dieu ou qu’ils ne le recon­naissent pas expli­ci­te­ment, à per­ce­voir avec une plus grande clar­té la plé­ni­tude de leur voca­tion, à rendre le monde plus conforme à l’éminente digni­té de l’homme, à recher­cher une fra­ter­ni­té uni­ver­selle, appuyée sur des fon­de­ments plus profonds,et, sous l’impulsion de l’amour, à répondre géné­reu­se­ment et d’un com­mun effort, aux appels plus pres­sants de notre époque. »

Comment ne pas être conster­né par l’horizontalité de ces consi­dé­ra­tions ? S’il ne s’agit que de « rendre le monde plus conforme à l’éminente digni­té de l’homme », ou de « recher­cher une fra­ter­ni­té uni­ver­selle, appuyée sur des fon­de­ments plus pro­fonds » ou de « répondre aux appels plus pres­sants de notre époque », le concile n’était pas néces­saire et d’autres hommes, mieux pla­cés que les pères conci­liaires, auraient été capables de déli­vrer ce message.

Les huma­nistes aux­quels les pères conci­liaires adres­saient ces recom­man­da­tions ont dû consi­dé­rer l’assemblée conci­liaire avec com­mi­sé­ra­tion. L’Eglise n’avait-elle donc que de tels pon­cifs à leur offrir ? Elle ne fai­sait, en l’occurrence, que leur res­ser­vir leurs propres thé­ma­tiques. Comment ne pas haus­ser les épaules face à un psit­ta­cisme ser­vile ? Certes, ces huma­nistes n’auraient pas été d’accord si le concile leur avait adres­sé un rap­pel suc­cinct des véri­tés catho­liques mais ils n’en auraient pas atten­du moins de la part de cette auguste assem­blée. Beaucoup d’entre eux, en ces années, connais­saient encore les ency­cliques si consis­tantes écrites par Pie XII de sorte que la pla­ti­tude du dis­cours du concile dut paraître éton­nante à plus d’un. C’était à croire que l’Eglise s’était mise à dou­ter d’elle-même. Son silence ne traduisait-​il pas une sorte de gêne à encore affir­mer ses dogmes écu­lés à la face du monde moderne ? Le mot « enfer » ne se trou­vait pas une seule fois cité tout au long des docu­ments conci­liaires ! Si le concile dénon­çait l’athéisme, c’était après avoir posé bien des dis­tinc­tions entre ses adeptes et non sans avoir ren­du les chré­tiens lar­ge­ment res­pon­sables de sa dif­fu­sion. Quant à bous­cu­ler les huma­nistes dans leur huma­nisme, le concile ne s’en sou­ciait pas. Il leur don­nait plu­tôt bonne conscience en approu­vant le vague fond phi­lan­thro­pique plus ou moins pré­sent au fond de chaque homme. Point de devoir de se conver­tir ou de reve­nir à la vraie religion !

De même, le concile ne s’est pas mon­tré empres­sé de conver­tir ceux qui se trou­vaient éga­rés dans les fausses reli­gions. Il ne contient pas le souffle mis­sion­naire qui cherche à gagner les âmes. D’ailleurs, pour­quoi se conver­tir au catho­li­cisme si fina­le­ment les autres confes­sions chré­tiennes sont des voies pos­sibles pour se sau­ver ? Or le concile s’est jus­te­ment oppo­sé à la véri­té : « Hors de l’Eglise, point de salut » en affir­mant à pro­pos de ces diverses confes­sions chré­tiennes : « Ces Eglises et com­mu­nau­tés sépa­rées, bien que nous les croyions souf­frir de défi­ciences, ne sont nul­le­ment dépour­vues de signi­fi­ca­tion et de valeur dans le mys­tère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se ser­vir d’elles comme de moyens de salut, dont la force dérive de la plé­ni­tude de grâce et de véri­té qui a été confiée à l’Eglise Catholique. »((Unitatis Redintegratio 3)) Il n’est plus ques­tion du retour des dis­si­dents à la foi catho­lique. Au contraire, le concile four­nit une cau­tion aux dif­fé­rentes confes­sions chré­tiennes pour attes­ter qu’elles véhi­culent la grâce et sont capables de conduire leurs membres jusqu’au salut éter­nel. A quoi bon deve­nir catholique ?

Enfin, dans « Nostra Aetate », la décla­ra­tion du concile Vatican II sur les rela­tions de l’Eglise avec les reli­gions non chré­tiennes, nous consta­tons que le sou­ci de la conver­sion des âmes a cédé le pas à une vision posi­tive des autres reli­gions, très oppo­sée à l’esprit mis­sion­naire. Les musul­mans par exemple, s’ils sont inté­res­sés de savoir ce que le Concile attend d’eux liront que « LEglise regarde avec estime les musul­mans qui adorent le Dieu unique, vivant et sub­sis­tant, misé­ri­cor­dieux et tout-​puissant, créa­teur du Ciel et de la terre qui a par­lé aux hommes. Ils cherchent à se sou­mettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est sou­mis à Dieu Abraham auquel la foi isla­mique se réfère volon­tiers. Bien qu’ils ne recon­naissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme pro­phète ; ils honorent sa mère vir­gi­nale, Marie, et par­fois même l’invoquent avec pié­té. De plus, ils attendent le juge­ment, où Dieu rétri­bue­ra tous les hommes res­sus­ci­tés. Aussi ont-​ils en estime la vie morale, la jus­tice sociale, les valeurs morales, la paix et la liber­té. »2

Ce por­trait de l’Islam est par­ti­cu­liè­re­ment scan­da­leux. Il est pétri de men­songes ou d’omissions cou­pables. Nulle part n’est for­mu­lé l’espoir ‑qui devrait pour­tant être celui de tout catholique- que des musul­mans aban­donnent l’Islam pour se conver­tir au Catholicisme. Pourquoi les musul­mans, les juifs et les autres se tourneraient-​ils vers l’Eglise Catholique si le concile trouve leurs reli­gions res­pec­tables, cha­cune appor­tant sa pierre à la construc­tion d’une huma­ni­té fra­ter­nelle sur la terre ?

C’est ain­si que Vatican II a signé la perte de l’esprit mis­sion­naire par ses visées huma­nistes et maçon­niques et par son indif­fé­rence à la véri­té de la reli­gion catho­lique. Ce drame touche tous ceux à qui la bonne parole de l’Evangile n’est pas por­tée. Mais il est en même temps celui de tous ces catho­liques qui ne connaissent pas leur devoir de por­ter la bonne parole autour d’eux. Comment la cha­ri­té s’enflammera-t-elle chez ceux qui ne croient pas ? Et com­ment pourra-​t-​elle croître chez ceux qui croient peut-​être mais qui ignorent leur devoir d’être sur la terre les ins­tru­ments de l’évangélisation et les bran­dons de l’amour divin pour que les âmes soient sau­vées ? Comment naî­tront les voca­tions mis­sion­naires si l’Evangile est deve­nu facul­ta­tif et si, dans l’éternité bien­heu­reuse, catho­liques et pro­tes­tants côtoient juifs et musulmans ?

Quel mal affreux aura pro­vo­qué l’atmosphère empoi­son­née du dia­logue inter­re­li­gieux pro­mu par le concile ! Voilà des dizaines d’années qu’a été lais­sé de côté le tra­vail intel­lec­tuel des catho­liques pour étu­dier les objec­tions du monde et des dif­fé­rentes reli­gions contre le catho­li­cisme. La théo­lo­gie natu­relle, l’apologétique ne sont plus ensei­gnées dans les sémi­naires et les uni­ver­si­tés catho­liques. Elles ne sont plus connues des fidèles. Beaucoup de catho­liques et d’adeptes des fausses reli­gions sont de bonne foi lorsque ils déclarent être per­sua­dés que l’Eglise Catholique borne sa pré­ten­tion à être une reli­gion par­mi d’autres et qu’elle se pré­oc­cupe uni­que­ment de pro­mou­voir sur cette terre le règne de la jus­tice et de la paix.

Pourtant, c’est dès l’envoi des apôtres en mis­sion, le jour de la Pentecôte, que l’Eglise a engen­dré des âmes géné­reuses, prêtes à don­ner leur vie pour l’amour de Jésus-​Christ et des âmes à sau­ver. Son élan mis­sion­naire pro­pul­sait ses prêtres, ses reli­gieux et ses reli­gieuses par dizaines de mil­liers aux quatre coins de la pla­nète et jusqu’au plus pro­fond des jungles et des déserts. Nous saluons ici la plus belle et la plus pure épo­pée de toute l’histoire humaine, celle de ces hommes et de ces femmes qui par­taient, les mains nues et le cœur rem­pli de cha­ri­té, appor­ter la bonne nou­velle à tous ceux qui ne la connais­saient pas et puri­fier les cœurs dans le sang de Dieu.

Ils ne s’en allaient ni pour les plai­sirs de la terre, ni pour l’argent, ni pour la gloire. Ils ne voguaient au loin que pour l’amour de Jésus-​Christ et des âmes qu’ils dési­raient lui conqué­rir, mus par le grand désir de leur por­ter le mes­sage du salut. « Ce zèle du salut des âmes, disons mieux, ce zèle de l’honneur et de la gloire de Dieu, est un désir si ardent de voir Dieu aimé, hono­ré, ser­vi de tous les hommes, qu’il est dans le cœur qui en est ani­mé comme une flamme active qu’il ne peut conte­nir, qu’il éprouve le besoin de pro­pa­ger autour de lui et dont il vou­drait embra­ser le monde entier. »3 Tout leur bon­heur consis­tait à les ins­truire et à les conver­tir pour qu’ils s’emparent des grands tré­sors de l’évangélisation. Ils priaient pour que des âmes, tou­jours plus nom­breuses, se baignent à leur tour dans cette mer du sang divin, laquelle gran­dit tou­jours à mesure que s’avancent les âges et que s’étend l’Eglise.

Souvent, ils pous­sèrent l’amour de Notre-​Seigneur et le désir de l’imiter jusqu’au mar­tyre comme en témoignent ces mots de saint Ignace d’Antioche : « Je vous écris, enflam­mé du désir de mou­rir pour le Christ… Il n’est en moi aucun feu d’amour (pour la créa­ture) ; mais une eau vive, jaillis­sant en moi, me dit au fond du cœur : Viens vers le Père. Je ne me réjouis pas d’une nour­ri­ture cor­rup­tible ni des plai­sirs de cette vie ; je veux le pain de Dieu, le pain céleste, le pain de vie, qui est la chair du Christ Fils de Dieu… je veux un breu­vage, le sang du Christ, qui est la cha­ri­té incor­rup­tible et la vie éter­nelle. »((Saint Ignace d’Antioche, épître aux romains.)) La mer féconde du sang de Dieu fut ain­si enflée du sang de cette innom­brable cohorte de héros chré­tiens qui s’offrirent pour la conver­sion de leurs bour­reaux et des peuples à qui ils étaient venu ensei­gner l’Evangile. « Le pourpre des mar­tyrs »((Colonel Rémy, Le pourpre des mar­tyrs.)), voi­là le plus beau man­teau dont la terre a été revê­tue par les hommes.

Que cette cha­ri­té conqué­rante, véri­table sain­te­té en action, se soit trou­vée expul­sée de la vie de l’Eglise, c’est ce que nous venons de mon­trer sur ces trois exemples. Le demi-​siècle post­con­ci­liaire que nous venons de vivre illustre que cette fausse concep­tion de l’œcuménisme et la nou­veau­té du dia­logue inter­re­li­gieux l’ont empor­té sur le sou­ci de l’évangélisation. Pour finir, nous indi­quons l’une des racines, à la fois para­doxale et hété­ro­doxe, de cette nou­velle attitude.

L’abandon de la cha­ri­té, mis­sion­naire par défi­ni­tion, trouve en réa­li­té sa racine dans l’inédite et flat­teuse notion de la digni­té de la nature humaine telle qu’elle semble avoir été envi­sa­gé par le concile. C’est d’elle qu’a été déduite la liber­té reli­gieuse qui consacre la laï­ci­té des Etats. C’est éga­le­ment d’elle que pro­vient une moindre ardeur dans la pré­di­ca­tion mis­sion­naire et un chan­ge­ment dans la concep­tion même de ce qu’est la mis­sion. Quelle est donc cette digni­té de la per­sonne humaine si extra­or­di­naire que le concile a décou­verte ? C’est que tout homme, dès sa concep­tion, serait, d’une cer­taine manière, déjà relié au Christ. Sa des­ti­née sur­na­tu­relle s’inaugurerait en même temps que sa vie humaine. En effet, le concile affirme comme un prin­cipe : « Par son incar­na­tion, le Christ s’est en quelque sorte uni à tout homme. »((Gaudium et Spes 22,2)). Jean-​Paul II pla­ce­ra ce nou­veau prin­cipe au cœur de sa pre­mière ency­clique Redemptor Hominis. Elle est une clef de la com­pré­hen­sion de son action pontificale.

Nous nous deman­dons évi­dem­ment com­ment une telle union sanc­ti­fie­rait d’ores et déjà les hommes, avant même que la grâce sanc­ti­fiante ne leur soit don­née au bap­tême. Vraisemblablement, l’explication est à recher­cher dans l’encyclique « Pascendi », lorsque saint Pie X expose les idées des moder­nistes réfor­ma­teurs : « …Ce qu’ils se font fort de mon­trer au non-​croyant, caché au fond de son être, c’est le germe même que Jésus-​Christ por­ta dans sa conscience et qu’il a légué au monde. »((Saint Pie X, ency­clique Pascendi)) et encore : « Toutes les consciences chré­tiennes furent enve­lop­pées en quelque sorte dans la conscience du Christ, ain­si que la plante dans son germe. Et de même que les reje­tons vivent de la vie du germe, ain­si faut-​il dire que tous les chré­tiens vivent de la vie de Jésus-​Christ. Or la vie de Jésus-​Christ est divine selon la loi ; divine sera donc aus­si la vie des chré­tiens. »4

Notre confrère, l’abbé Guy Castelain qui a soi­gneu­se­ment étu­dié cette affir­ma­tion du concile, sug­gère que « La théo­rie envi­sa­gée par saint Pie X, moyen­nant une exten­sion non seule­ment à tous les chré­tiens, mais à tous les chré­tiens ano­nymes, que sont tous les hommes, ne serait-​elle pas un prin­cipe expli­ca­tif valable qui ren­drait intel­li­gible5 ? L’hypothèse semble confir­mée par la doc­trine conci­liaire qui affirme de l’homme qu’ « un germe est dépo­sé en lui, et que la conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanc­tuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. »((Gaudium et Spes 26)). « C’est donc là, au cœur de la conscience de tout homme, que le germe divin est dépo­sé. »6

En consé­quence, lorsque le concile parle de l’activité mis­sion­naire, la nature de cette der­nière se trouve pro­fon­dé­ment modi­fiée. Elle ne sera plus là que pour aider à la prise de conscience que cha­cun est appe­lé à vivre de ce que le Christ est déjà par­tie inté­grante de son huma­ni­té : « L’activité mis­sion­naire pos­sède un lien intime avec la nature humaine elle-​même et ses aspi­ra­tions. Car en mani­fes­tant le Christ, l’Eglise révèle aux hommes par le fait même la véri­té authen­tique de leur condi­tion et de leur voca­tion inté­grale, le Christ étant le prin­cipe et le modèle de cette huma­ni­té réno­vée… à laquelle tout le monde aspire. »7

Le rôle de l’Eglise consiste à devoir conduire tout homme à la connais­sance de la plé­ni­tude de lui-​même, à opé­rer le déchif­frage de ce qui se trouve déjà en lui mais qu’il ne par­vient pas à lire tout seul. L’Eglise doit apprendre aux hommes ce que l’Esprit-Saint a pla­cé de divin au plus pro­fond d’eux-mêmes. Les échanges divers entre les hommes, la connais­sance réci­proque de leurs cultures, des socié­tés aux­quelles ils appar­tiennent, de leurs tra­di­tions et de leurs reli­gions leur per­met­tront de « décou­vrir les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées et apprendre dans un dia­logue sin­cère et patient, quelles richesses Dieu, dans sa magni­fi­cence, a dis­pen­sées aux nations. »8

Dès lors, le regard sur l’humanité se trouve pro­fon­dé­ment modi­fié. Si chaque homme se trouve déjà relié au Christ, le tra­vail de mis­sion­naires comme celui des édu­ca­teurs consis­te­ra à res­pec­ter et à suivre les voies inté­rieures et mys­té­rieuses par les­quelles le Christ agit au fond de chaque âme. Leur rôle sera bien plus de conduire cha­cun à faire l’expérience de la pré­sence du Christ en lui-​même, de favo­ri­ser sa ren­contre inté­rieure avec Dieu, que de lui déli­vrer un ensei­gne­ment. Il est inutile d’insister sur l’extrême gra­vi­té de cette nou­velle doc­trine qui mélange l’ordre natu­rel et l’ordre sur­na­tu­rel et dont les consé­quences pour la foi sont nom­breuses et rui­neuses. Elle s’oppose à la véri­té révé­lée qui nous demande de croire au contraire que l’homme arrive en ce monde mar­qué par le péché ori­gi­nel, sépa­ré de Dieu, et que c’est par le bap­tême uni­que­ment qu’il rece­vra sa déli­vrance par le sang de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ et devien­dra le temple de Dieu.

Chers amis et bien­fai­teurs, face à cette nou­velle doc­trine qui conti­nue à rui­ner la reli­gion, demeu­rons fermes dans la Foi – à jamais inchan­geable – reçue de nos Pères. Nous ne vou­lons en aucune façon ce nou­vel esprit du concile qui ne cesse d’éloigner davan­tage les catho­liques de la doc­trine catho­lique et des voies de la sanc­ti­fi­ca­tion. Nous ne vou­lons pas être coif­fés par le car­can de l’appareil conci­liaire qui étouffe ou muselle la foi de ceux qui se le laissent impo­ser. C’est pré­ci­sé­ment à l’occasion des cano­ni­sa­tions de Jean XXIII et de Jean-​Paul II que l’on se rend mieux compte du bâillon­ne­ment de ceux qui ont choi­si la voie de la régu­la­ri­sa­tion. Puisque le prix à payer pour la liber­té de confes­ser la foi reste celui d’une appa­rente irré­gu­la­ri­té, nous ne balan­çons pas un ins­tant et nous pré­fé­rons demeu­rer comme nous sommes pour ne pas avoir à nous taire.

« Ce que Dieu veut, c’est votre sanc­ti­fi­ca­tion. »((1 Th. 4, 3)) Nous vou­lons, avec la grâce de Dieu, tou­jours entre­te­nir ce grand désir bien vivace dans notre âme. Puisque Dieu nous veut saints, quelle joie pour nous que de vou­loir la même chose que ce qu’Il veut pour nous ! Nous le vou­lons et nous sommes impa­tients de le vou­loir davan­tage et que toutes les âmes se retrouvent unies dans ces mêmes aspi­ra­tions si belles et si pro­fondes. La vie humaine, même si elle se déroule dans ces temps de per­ver­sion et même si elle est rem­plie des grandes misères de cha­cun, vaut mille fois d’être vécue pour se sanc­ti­fier, pour glo­ri­fier Dieu et pour aller au Ciel.

Pour vous aider à œuvrer avec cou­rage sur ces che­mins qui mènent à Dieu, je suis par­ti­cu­liè­re­ment heu­reux de vous offrir, avant de quit­ter le dis­trict, cette image bénite du Cœur Douloureux et Immaculé de Marie. Elle repré­sente la très sainte Vierge Marie telle qu’elle est appa­rue le 13 juin 1917 aux petits ber­gers de Fatima. Son cœur qui est entou­ré d’épines se trou­vait visible devant la paume de sa main droite. Les petits voyants com­prirent que les épines signi­fiaient tous les péchés des hommes qui outragent le cœur de la très sainte Vierge Marie et qui demandent des répa­ra­tions. C’est pour­quoi la réci­ta­tion du cha­pe­let et nos sacri­fices quo­ti­diens sont au cœur du mes­sage de Fatima.

Ne ran­gez pas trop vite cette image dans une boîte d’images pieuses, ni même dans votre mis­sel. Gardez-​la tou­jours sous vos yeux et puisse-​t-​elle ne jamais vous quit­ter. Elle vous sera d’un mer­veilleux secours tout au long de vos jour­nées pour demeu­rer dans un per­pé­tuel cli­mat de dévo­tion mariale et pour que croisse sans cesse en vos âmes un plus vif amour de la très sainte Vierge Marie.

Portez-​la sou­vent à vos lèvres, dans les ten­ta­tions, dans les dif­fi­cul­tés et dans cha­cune de vos acti­vi­tés, en deman­dant à la sainte Vierge Marie la faveur de l’aimer chaque jour un peu plus et de vous apprendre à vivre en esprit dans son cœur dès cette terre avant d’y pas­ser toute votre éter­ni­té. C’est elle qui a vou­lu nous mon­trer son cœur et qui a dit à Lucie : « Mon cœur imma­cu­lé sera ton refuge et le che­min qui te condui­ra jusqu’à Dieu. » Qui ne pressent, en face d’un tel signe et de tels mots, qu’il s’agit là d’une inci­ta­tion déci­sive pour que nous vivions sur cette terre dans le cœur de notre Mère ? Nous serions insen­sés de ne pas y prê­ter attention.

Notre-​Dame est fidèle à sa parole. Plus nous nous fie­rons à son cœur, plus nous consta­te­rons avec recon­nais­sance et avec amour qu’il est bien cet unique refuge et cet unique che­min pour les hommes de notre temps et qu’il n’y en a nul autre. Nous atten­dons avec une grande cer­ti­tude que la dévo­tion à ce Cœur pro­dui­ra les fruits de vive foi, de pié­té, de fer­veur et de sain­te­té dont nous avons tant besoin. Elle nous rap­pel­le­ra sans cesse la grande demande faite à Fatima qui est la consé­cra­tion de la Russie à son Cœur Douloureux et Immaculé. Qui ne voit déjà le poids qui serait celui de la Russie, si elle quit­tait son ortho­doxie pour le catho­li­cisme vrai, tra­di­tion­nel, qui pro­cla­me­rait alors les droits de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ et de la sainte Eglise Catholique à la face des nations !

Ayez le désir de pro­cu­rer cette image à cha­cun de vos enfants, à vos amis, à vos voi­sins, à vos connais­sances et distribuez-​la autant que vous le pour­rez autour de vous. Vous mul­ti­plie­rez les bien­faits par sa dif­fu­sion mas­sive. Au ver­so, elle vous rap­pelle exac­te­ment les condi­tions pour bien suivre la dévo­tion des cinq pre­miers same­dis du mois. Commandez-​en nous d’autres si vous le vou­lez. Inondez-​en la terre ! Je vous bénis et j’emporte avec moi toutes les inten­tions de prières du dis­trict de France et de cha­cun d’entre vous, accu­mu­lées depuis douze années. Elles me sont trop chères pour ne jamais pou­voir les oublier. Je me recom­mande aus­si encore une fois à vos propres prières. Donnons-​nous rendez-​vous, si vous le vou­lez bien, dans le Cœur Douloureux et Immaculé de Marie qui nous est cette mai­son de famille où nous aurons le bon­heur de nous retrou­ver dès cette terre et, nous l’espérons de toute notre âme, dans l’éternité bienheureuse.

Abbé Régis de Cacqueray, Supérieur du District de France

Suresnes le 20 mai 2014

Extrait de la LAB n° 82 de mai 2014

Aider la Fraternité à poursuivre son combat de restauration de la Tradition :

1 – Par un don en ligne
2 – Par un don par voie postale

  1. Gaudium et Spes 91 []
  2. Nostra Aetate3 []
  3. Rodriguez, Pratique de la per­fec­tion chré­tienne, III []
  4. ibi­dem []
  5. Gaudium et Spes 22, 2 []
  6. Abbé Castelain Bref exa­men cri­tique de Gaudium et Spes 22, 2 []
  7. Ad Gentes 8 []
  8. Ad Gentes 11 []

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.