Depuis un an, des jugements contradictoires ont été émis concernant le Motu Proprio Summorum pontificum de juillet 2007. Avec le recul, il est possible d’y voir plus clair.
Le point fondamental pour bien l’interpréter, me semble-t-il, est de percevoir qu’il inaugure un mouvement concernant la liturgie et, de ce fait, l’Église elle-même (Lex orandi, lex credendi). C’est seulement en évaluant le sens et la portée de ce mouvement qu’on peut exprimer un jugement juste, et justifié.
Un mouvement démarre d’un point de départ. Quelle est la situation de la liturgie en juin 2007 ? La domination quasi totale, écrasante, de la messe dite de Paul VI, et l’élimination à peu près absolue de la messe traditionnelle, considérée soit comme totalement dépassée, soit comme carrément interdite.
Face à cela, deux très petits groupes. D’une part, les « traditionalistes » qui déclarent sans discontinuer que la messe traditionnelle n’est pas interdite et ne peut pas l’être, et qui n’ont jamais accepté la messe de Paul VI ; mais ceux-là sont durement persécutés par les autoritésecclésiastiques. D’autre part, les « Ecclesia Dei » à qui, par la grâce de quelques lois d’exception, est permis dans des conditions restrictives de célébrer la messe traditionnelle, au titre d’une préférence spirituelle.
Le premier article du Motu Proprio est évidemment inacceptable : la messe traditionnelle et la messe de Paul VI sont « deux mises en œuvre de l’unique rite romain ». Mais cette formule exprime simplement le point de départ.
Or, à partir de cet état des lieux (catastrophique), le Motu Proprio va ouvrir la voie, et beaucoup plus largement que tout ce qui avait été fait jusqu’ici, à la célébration de la messe traditionnelle.
« Le Missel romain promulgué par saint Pie V et réédité par le Bx Jean XXIII doit (…) être honoré en raison de son usage vénérable » ; « Il est donc permis de célébrer le sacrifice de la messe suivant l’édition type du Missel romain promulgué par le Bx Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé » ; « Tout prêtre catholique de rite latin, qu’il soit séculier ou religieux, peut utiliser le Missel romain publié en 1962 par le Bx Pape Jean XXIII » ; « Pour célébrer ainsi (…), le prêtre n’a besoin d’aucune autorisation, ni du Siège apostolique ni de son Ordinaire », etc.
Et aussi (lettre du pape): « Je voudrais attirer l’attention sur le fait que le Missel de 1962 n’a jamais été juridiquement abrogé, et que par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé ».
Le Motu Proprio ouvre donc une porte vers la liturgie traditionnelle pour tous ceux, et ils sont immensément nombreux, qui en ont été privés illégitimement depuis quarante ans.
Cela ne concerne pas, bien sûr, ceux qui savent que la messe traditionnelle ne peut pas être interdite, et y assistent donc en toute sûreté de conscience. Pour cette minorité, hélas ! que sont les « traditionalistes », utiliser le Motu Proprio serait une régression : ce serait admettre que la messe de Paul VI a « la même dignité » que la messe traditionnelle : ce qu’à bon droit nous avons toujours refusé.
En revanche, ceux qui ne connaissent que la messe de Paul VI et étaientjusqu’ici persuadés, en raison de la propagande, que la messe traditionnelle était interdite voire mauvaise, peuvent désormais avoir l’occasion, grâce au Motu Proprio, d’accéder à cette messe et d’en découvrir les richesses.
Tel est le sens essentiel du mouvement inauguré par le Motu Proprio : une certaine possibilité, pour tant de baptisés qui en ont été privés depuis des décennies, de voir pour la première fois la liturgie traditionnelle de l’Église et de s’y réhabituer ; passage progressif mais humainement nécessaire pour commencer à sortir, au moins au plan liturgique, de la crise.
Les évêques français (en particulier) ne s’y sont pas trompés, qui font tout pour bloquer, restreindre, dénaturer le Motu Proprio.
Ne nous y trompons donc pas nous-mêmes.
Abbé Régis de Cacqueray †, Supérieur du District de France
Source : Fideliter n° 185