Jubilé à Chartres

La crypte de la cathé­drale, bâtie par saint Fulbert, fête ses 1000 ans. Il est pos­sible d’y obte­nir l’in­dul­gence jubilaire. 

Les Chartrains et habi­tués du pèle­ri­nage le savent bien, la cathé­drale Notre-​Dame est bâtie sur un pro­mon­toire au milieu de la plaine de la Beauce, si bien qu’on la voit et on ne voit qu’elle dans un large péri­mètre autour de l’édifice et de la ville.

Mais un regard sur le calen­drier des fêtes propres du dio­cèse de Chartres confirme ce que voit à dis­tance le pèle­rin : à Chartres, tout est pour Notre-​Dame et aucun autre saint ne trouve une place spé­ciale auprès d’elle.

Saint Fondateur ?

Souvent la fête prin­ci­pale d’un dio­cèse est celle du saint fon­da­teur, du pre­mier évêque. Mais lorsqu’on consulte le calen­drier dio­cé­sain et la liste des évêques de Chartres, seul saint Fulbert se détache, tan­dis qu’il est l’un des der­niers des 57 évêques cités. Le pre­mier est un obs­cur Adventus, dont on ne sait pas grand-​chose ; car c’est un autre Adventinus, ou petit Adventus, 14e évêque de Chartres qui est connu : il est pré­sent au Concile d’Orléans en 511. Une église à Chartres est dédiée au 5e évêque, saint Aignan, fêté le 7 décembre. Certains pensent qu’il a été confon­du avec son homo­nyme évêque d’Orléans. Le 25 sep­tembre on fête le 13e évêque, saint Solenne, qui eut l’honneur de caté­chi­ser Clovis récem­ment converti.

Ceux qui peuvent être consi­dé­rés comme les fon­da­teurs du dio­cèse reçoivent donc une simple fête de 3e classe, il s’agit des saints Savinien et Potentien. En effet, ils ne sont pas venus en per­sonne évan­gé­li­ser les Carnutes, ils ont envoyé leurs dis­ciples, les saints Altin et Eoald. Au milieu de cette immense forêt des Carnutes (deve­nue la plaine de la Beauce), ceux-​ci trou­vèrent des druides hono­rant la Virgo Paritura, la Vierge qui doit enfan­ter. Il leur fut donc aisé d’expliquer que la Vierge avait enfan­té le sau­veur du monde, dont Altin et Eoald étaient les mes­sa­gers, envoyés par les Apôtres, et par le Christ lui-​même, puisqu’Altin pour­rait figu­rer par­mi les 72 disciples.

Il faut citer ici la défense de Mgr Pie, de cette tra­di­tion sou­vent contestée : 

La célé­bri­té du sanc­tuaire de Chartres, qui est une des prin­ci­pales gloires de la France, repose sur un double fon­de­ment, pro­cède d’une double ori­gine : je veux dire la crypte mys­té­rieuse creu­sée au-​dessous de ce temple, et le saint vête­ment de Marie, dépo­sé dans ce brillant reli­quaire. C’est en quelque manière le double germe d’où la basi­lique entière est éclose, la double racine sur laquelle le tronc, plu­sieurs fois muti­lé, a tou­jours pui­sé une nou­velle sève et repris une végé­ta­tion tou­jours plus flo­ris­sante. Toute l’histoire, toute la vie du monu­ment, ne s’expliquent que par ces deux causes, vous me per­met­trez de vous en dire deux mots […] Et pour­quoi ne rappellerais-​je pas tout d’abord que d’antiques tra­di­tions, consa­crées par notre véné­rable litur­gie, rat­tachent la fon­da­tion de ce temple à des âges qui ont pré­cé­dé le chris­tia­nisme ? La pein­ture chré­tienne, dans une des com­po­si­tions à la fois les plus ori­gi­nales et les plus splen­dides dont elle a orné ce monu­ment a figu­ré ingé­nieu­se­ment la tran­si­tion de l’ancienne à la nou­velle alliance par la repré­sen­ta­tion des quatre grands pro­phètes por­tant sur leurs épaules les quatre évan­gé­listes. Pourquoi ne voudrais-​je pas que, par une réa­li­té ana­logue, toute cette basi­lique du Christ et de sa Mère ait ses pieds assis sur la grotte reli­gieuse où nos ancêtres, livrés à un culte mêlé d’erreurs gros­sières et de véri­tés alté­rées, auraient asso­cié aux noms de leurs divi­ni­tés celui de la Vierge qui devait enfanter ?

Discours du 21/​05/​1855

En 1901, René Merlet découvre le “puits des saints forts” où furent jetés les corps des pre­miers mar­tyrs. En 1609, ce puits est repré­sen­té auprès de la grotte des druides. Tout ceci semble cor­ro­bo­rer l’hypothèse. Merlet avance qu’il s’agit du pèle­ri­nage le plus ancien à la Sainte Vierge et que la sta­tue de ND de Sous-​Terre a pro­ba­ble­ment été sculp­tée par des Chartrains non encore conver­tis au chris­tia­nisme. La sta­tue ayant été brû­lée à la Révolution, il est dif­fi­cile de la dater de manière cer­taine, mais on en a quelque trace dès le XIIe siècle.

On pour­rait citer par­mi les “fon­da­teurs” saint Lubin, 16e évêque, qui sié­gea aux conciles d’Orléans en 549 et de Paris en 552. Il pais­sait les trou­peaux dans le Poitou, puis devint moine dans divers lieux et enfin dans le Perche, d’où il fut choi­si comme évêque sur la renom­mée de sa sain­te­té et de ses miracles (en par­ti­cu­lier d’avoir gué­ri son pré­dé­ces­seur). Il fixa les limites du dio­cèse de Chartres et ses reliques sont pla­cées sous le maître-​autel de la cathé­drale, dans le célèbre “caveau de saint Lubin”. Toutefois son action à Chartres reste obs­cure, il ne peut être consi­dé­ré comme fon­da­teur et sa fête est seule­ment de 3e classe.

Saint Bâtisseur

À défaut de fon­da­teur, y eut-​il un célèbre bâtis­seur de la pre­mière cathé­drale qui puisse être consi­dé­ré comme le saint de Chartres ? En réa­li­té, de la pre­mière cathé­drale, nous ne connais­sons que la des­truc­tion en 743 par le duc d’Aquitaine.

La cathé­drale méro­vin­gienne fut détruite en 858 par les Vikings qui tuèrent l’évêque Frotbold et quelques membres de son cler­gé. Leurs corps furent jetés dans le Puits des Saints Forts.

L’évêque Gislebert recons­trui­sit la cathé­drale dès 859 et reçut de Charles le Chauve en 876 la relique du voile de la Vierge, offerte à Charlemagne par l’empereur de Constantinople. Ce fait témoigne de l’importance de Chartres comme ville mariale dès cette époque. La pro­tec­tion de Marie ne tar­da pas à se faire res­sen­tir : en 911, les Normands assié­gèrent de nou­veau la ville. Mais l’évêque Gantelme fit expo­ser sur les rem­parts la relique du voile de la Vierge. Il rem­por­ta ain­si la vic­toire et fit fuir les Normands qui conclurent rapi­de­ment le trai­té de Saint-​Clair-​sur-​Epte avec le roi de France. Toutefois, cette troi­sième cathé­drale fut vic­time des Normands de Richard Ier en 962.

La nou­velle cathé­drale fut sans-​doute à peine ache­vée lorsque la foudre et l’incendie la détrui­sirent le 8 sep­tembre 1020. L’évêque saint Fulbert (depuis 1006) fit rapi­de­ment recons­truire la cathé­drale. La crypte fut consa­crée en 1024 ou 1025, mil­lé­naire que nous célé­brons cette année.

Saint Fulbert, romain d’origine, fut sur­tout un célèbre éco­lâtre, celui qui don­na ses lettres de noblesse à l’école de Chartres. Moine et élève du futur pape Sylvestre II, il mit tou­jours en hon­neur la dis­ci­pline monas­tique et se fit le ser­vi­teur de Marie par ses ser­mons, ses com­po­si­tions musi­cales et la construc­tion de la cathé­drale en son hon­neur. Quelques années avant le célèbre ser­mon de saint Bernard, il invoque déjà Marie comme étoile de la Mer dans un ser­mon sur la Nativité (8 sep­tembre, fête majeure à Chartres) : 

Les marins qui tra­versent la mer doivent fixer leur regard sur l’étoile qui brille au loin, du haut du ciel, et avoir recours à elle pour esti­mer et suivre leur che­min, afin de gagner le port auquel ils tendent. De la même façon, mes frères, il faut que tous les adeptes du Christ qui rament sur les flots de ce monde fixent leur atten­tion sur l’étoile de la mer qu’est Marie, qui se trouve tout proche de Dieu, le centre du monde, et qu’ils aient recours à son exemple pour diri­ger le che­min de leur vie. Celui qui agi­ra ain­si ne sera pas bal­lot­té par le vent de la vaine gloire, ni bri­sé sur les écueils de l’adversité, ni absor­bé par le gouffre scyl­léen des volup­tés, mais gagne­ra sûre­ment le port de la paix éternelle. 

La Sainte Vierge lui ren­dit bien cette dévo­tion envers elle par la gué­ri­son mira­cu­leuse du mal des ardents par une goutte de son lait.

Voilà le seul grand saint du dio­cèse de Chartres, mais sa fête n’apparaît que très tar­di­ve­ment, sous l’impulsion du car­di­nal Pie au XIXe. Fidèle dis­ciple de Marie, il lui laisse la place, comme les autres saints de Chartres. Il ne put ache­ver la construc­tion de son immense cathé­drale, mais put bénir la crypte que nous connais­sons. La construc­tion de cette crypte en forme de long cou­loir qui fait le tour du caveau de saint Lubin (en déam­bu­la­toire) est assez ori­gi­nale, mais se retrouve à l’époque, sur­tout en Auvergne et en Bourgogne : cathé­drale de Clermont-​Ferrand, Saint-​Étienne d’Auxerre (vers 1030), mais aus­si Saint-​Aignan d’Orléans en 1029. Elle témoigne de l’importance du pèle­ri­nage pour lequel on a construit une église de pèle­ri­nage dis­tincte de la cathé­drale supérieure.

La cathé­drale de Fulbert fut rava­gée dans ses par­ties hautes par un nou­vel incen­die le 10 juin 1194. La relique du voile de la Vierge fut sau­vée par les clercs sacris­tains qui s’enfermèrent dans la crypte en pas­sant par une trappe de fer dans le chœur. Ils atten­dirent 3 jours sous les décombres fumantes et furent retrou­vés sains et saufs. Le légat du pape encou­ra­gea immé­dia­te­ment la popu­la­tion à s’investir dans la recons­truc­tion. La nou­velle cathé­drale, que nous connais­sons, fut consa­crée en pré­sence de saint Louis le 17 octobre 1260.

Cette cathé­drale gothique connut quelques res­tau­ra­tions, l’incendie vint détruire la char­pente en 1834 (rem­pla­cée par une char­pente métal­lique), mais les vitraux furent sau­vés des bom­bar­de­ments de la guerre car ils avaient été dépo­sés et mis à l’abri.

La Sainte Chemise

À défaut de saint fon­da­teur ou bâtis­seur, Notre-​Dame occupe toute la place à Chartres, non seule­ment par sa sta­tue de la crypte rap­pe­lant la grotte des Druides, mais aus­si par l’insigne relique qui fait de Chartres une Église insigne (en rai­son du culte par­ti­cu­lier qu’elle a tou­jours eu pour la Vierge Marie et en rai­son des nom­breux pèle­rins qui y viennent), comme en témoigne un décret de Pie IX cité en tête du bré­viaire propre de Chartres.

Après la mise en fuite des Normands en 911, la relique conti­nua à accor­der des grâces à la cité des Carnutes. En 1137, Louis le Gros sou­hai­tait châ­tier la ville de Chartres, mais la pro­ces­sion de la relique l’en dis­sua­da. Certains pèle­rins por­taient ensuite sur eux une “che­mise de Chartres bénite”, c’est-à-dire une che­mise ayant tou­ché le reli­quaire. Ainsi le baron du Bueil fut mira­cu­leu­se­ment indemne après avoir reçu un bou­let de canon au siège de Milan en 1521, un capi­taine pré­ser­vé d’un coup de mous­quet à Calais en 1554. Lorsque les Huguenots vinrent assié­ger la ville en 1568, l’ostension de la relique écar­ta les obus de canon, ce que com­mé­more la cha­pelle de Notre-​Dame de la Brèche (autre fête de 2e classe au 15 mars). Il fau­drait ajou­ter tous les miracles obte­nus par les gens du peuple de Chartres : gué­ri­sons, résur­rec­tions d’enfants …

Mais le 13 mars 1712, on ouvrit le reli­quaire et on décou­vrit que ce qu’on avait long­temps appe­lé “la Sainte Chemise”, comme en témoignent les repré­sen­ta­tions dans la cathé­drale et dans un vitrail de la cha­pelle des Jubelines, était en réa­li­té un voile, dont on pos­sède encore deux mor­ceaux à Chartres aujourd’hui : l’un de 2,12 m par 40 cm, l’autre de 25 par 24 cm. En effet, la Révolution est pas­sée par là et a fait dis­pa­raître une par­tie de la relique.

Notre-​Dame de la Belle Verrière

À Chartres, le vitrail n’est pas seule­ment une illus­tra­tion, mais il peut faire l’objet d’un culte à part entière. C’est le cas de ce vitrail du XIIe siècle, appe­lé Notre-​Dame de la Belle Verrière. Une charte de 1137 pré­cise qu’on doit entre­te­nir un lumi­naire devant cette image de la Vierge à l’Enfant.

Ce vitrail est res­ca­pé de l’incendie de 1194 et la par­tie cen­trale est ornée du célèbre “bleu de Chartres”. Il s’agit encore de Notre-​Dame, mère de Dieu, l’Esprit-Saint la couvre de son ombre. Il est fort pro­bable que le voile por­té par Notre-​Dame sur cette image n’est autre que la relique que pos­sède la cathé­drale. Cette repré­sen­ta­tion plus tar­dive est donc un nou­vel hom­mage à l’insigne relique.

Notre-​Dame du pilier

Pour finir, il nous faut évo­quer la sta­tue de Notre-​Dame du pilier véné­rée dans l’église haute.

Notre-​Dame du Pilier. Crédit pho­to : Philippe Lissac /​Godong.

En réa­li­té, il s’agit d’un apport beau­coup plus récent à la cathé­drale. Cette sta­tue poly­chrome fut offerte peu avant 1508 à la cathé­drale. Placée sur une colonne ados­sée au jubé, elle per­met­tait la véné­ra­tion de Notre-​Dame sans per­tur­ber les offices au chœur pour s’approcher de la relique. Le vête­ment poly­chrome de la sta­tue porte l’inscription tirée du Cantique des Cantiques : « Tota pul­chra es ami­ca mea et macu­la non est in te. » (Vous êtes toute belle, mon amie, et il n’y a pas de tache en vous). Ce ver­set fait allu­sion à l’Immaculée Conception, ardem­ment défen­due par saint Fulbert. C’est le ver­set qui sera choi­si pour la pre­mière antienne de l’office du 8 décembre.

Cette sta­tue cana­lise ain­si la dévo­tion popu­laire. Elle est ensuite pla­cée dans le déam­bu­la­toire et cou­verte de robes qui ne laissent voir que le visage. Ainsi on l’a long­temps cru noire, avant qu’une res­tau­ra­tion fasse appa­raître la cou­leur ori­gi­nale du bois.

Après la Révolution, elle rem­place pour la dévo­tion la sta­tue de la crypte, brû­lée par les révo­lu­tion­naires. Puis une nou­velle sta­tue est mise à la crypte, la sta­tue de l’église haute reste Notre-​Dame du Pilier, asso­ciée au Voile de Marie qui est conser­vé dans une cha­pelle voi­sine. Le pape Pie IX auto­rise l’évêque à cou­ron­ner la Vierge noire du Pilier.

D’autres repré­sen­ta­tions de Notre-​Dame ont leur culte dans la cathé­drale de Chartres, mais ces trois Notre-​Dame forment l’écrin de la relique, l’essentiel de la dévo­tion Chartraine et la dévo­tion des nom­breux pèle­rins de Chartres.

Jubilé

Du 8 sep­tembre 2024 au 15 août 2025, un jubi­lé est don­né à Chartres pour le mil­lé­naire de la crypte de saint Fulbert. Nous connais­sons le prin­cipe du Jubilé puisque cette année 2025 est jubi­laire à Rome. À Chartres l’indulgence est accor­dée par le pas­sage d’une Porte Sainte (dans la tour Sud du côté du bap­tis­tère) et l’accomplissement d’une œuvre de misé­ri­corde, la confes­sion et la com­mu­nion, la prière aux inten­tions du Souverain Pontife (c’est-à-dire aux inten­tions de l’Église), le déta­che­ment de tout péché véniel.

Ce Jubilé nous porte par­ti­cu­liè­re­ment à véné­rer le mys­tère de l’Incarnation puisque la relique pour laquelle la crypte de pèle­ri­nage a été construite est le voile por­té par Marie le jour de l’Annonciation qui est celui de l’Incarnation. De plus la véné­ra­tion des anciens druides pour la Virgo Paritura appelle l’Incarnation du Fils de Dieu et fils de Marie. Dans la cathé­drale, les repré­sen­ta­tions de l’Annonciation sont assez nom­breuses. Au départ, Marie est véné­rée à Chartres dans le mys­tère de l’Annonciation. Le pre­mier pro­jet du sculp­teur Bridan pour le maître autel repré­sente l’Annonciation. Mais avec la sculp­ture finale, on passe à l’Annonciation. Ceci nous amène à joindre les deux Jubilés de 2025. Pour ceux qui ne peuvent se rendre à Rome, un pèle­ri­nage jubi­laire pour l’Incarnation est pos­sible à Chartres.

Concrètement, on peut visi­ter la crypte lors de la visite pèle­rine à 14h tous les jours sauf le dimanche ou dans le cadre d’un pèle­ri­nage jubi­laire organisé.

Source : L’Echo de Saint-​Bernard n°309, janvier-​février 2025