La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »
(Jn, 2, 3)
Jésus avait été invité avec sa Très Sainte Mère, et il était venu, en toute simplicité, avec ses premiers disciples. Ils étaient cinq, peut-être six de plus. Peut-être les époux n’avaient-ils pas prévu ce surcroît d’invités. C’étaient des gens simples.
Les mots qu’adressent Notre Dame à son Fils sont admirables. C’est une prière excellente, une prière de simple exposition. Elle parle à son fils, avec la plus grande révérence et humilité qui se puisse imaginer. Elle va à lui, sans arrogance, ni avec des paroles de présomption, comme font plusieurs personnes indiscrètes et inconsidérées, dit saint François de Sales. Elle attend tout de Dieu et elle n’attend rien, ce qu’elle manifestera parfaitement : Faites tout ce qu’il vous dira.
La gêne de ces époux la touche, elle se met à leur place, elle porte déjà comme Mère de tous les hommes, le souci de chacun et elle présente à son fils son trouble, convaincue qu’Il y pourvoira, de quelques manières qu’Il le décidera.
Pour mieux comprendre l’attitude de Notre Dame, ne convient-il pas de se souvenir de cette grande leçon qu’elle reçut de son fils au Temple, alors qu’il n’avait que 12 ans, et qu’elle l’avait cherché avec Joseph pendant trois jours. L’enfant était resté, il s’était dérobé à leur vigilance… caprice peu probable pour un enfant si parfait, qui, nous dira l’Évangile, était soumis à ses parents.
Ces trois jours de ténèbres avaient été terrible : la Lumière du monde, ils l’avaient perdue. L’angoisse de Marie et de Joseph était à son comble… Alors, en le voyant, cette très sainte, à qui l’on ne peut attribuer ni péché ni indélicatesse, lui dit :
Mon enfant, pourquoi donc avez-vous agi ainsi avec nous ? Voici que votre père et moi-même, nous étions tourmentés et nous vous avons cherché.
Lc 2, 48
Ce divin petit garçon ne connaissait-il pas la peine en cet instant de ses parents ?
Plutôt qu’une demande de pardon, la réponse de l’enfant déconcerta la nature pourtant si docile de cette Maman…
Que signifie ce que vous venez de me dire ? Vous m’avez cherché… Ne saviez-vous que je dois être, qu’il me revient d’être dans les choses, les affaires, dans les occupations qui occupent mon Père ?
Lc 2, 49
L’Évangile, sur le témoignage direct de Notre Dame, nous dit que ses parents ne comprirent pas… mais que Marie conserva tout cela dans son cœur. Cette scène était bien surprenante en effet pour ces parents, qui sur cette terre en ce jour, étaient les seuls à savoir que ce visage était la figure du Dieu invisible.
Ce que Marie a vu et qu’elle a gardé, c’est son fils assis dans le Temple, au milieu de ceux qui enseignaient, les écoutant et les interrogeant… Elle a vu son enfant assis à la place de celui qui parle, mais qui écoute… La sobriété de l’Évangile de Luc reflète la pureté de celle qui regarde. Les évangiles apocryphes, qui ne sont que des romans gnostiques du IIe siècle, vont prêter à l’enfant des pouvoirs miraculeux et des actions extravagantes. Ici rien de tel. Il n’est pas dit que l’enfant enseigne les rabbins, mais au contraire qu’il les interroge et qu’il s’instruit… il écoute, mais ce qu’il écoute, c’est la voix de son Père, et il est ravi. Et cela a rempli le cœur de Marie.
Alors qu’elle venait de lui dire que Joseph, votre père et moi-même, nous vous cherchions, cette maman, pourtant si habituée à cet enfant, l’entend appeler Dieu, son Père. Ce n’était pas un rappel du statut, admirable pour un homme, de Joseph, d’être père « putatif » du Verbe incarné. Ce qui a certainement étonné ses parents, c’est que cet enfant de douze ans, distingue soigneusement la relation qui va de Dieu à lui-même, de la relation qui va de Dieu aux autres hommes, à commencer à par ses chers parents… Il dit mon Père, en parlant de Dieu et de cette relation unique qu’Il a dans le sein de la sainte Trinité. Aux hommes, en parlant de Dieu, Il dira votre Père ; il ne dira jamais Notre Père, sauf lorsqu’il enseignera aux apôtres sa prière. Mais alors, ce seront les disciples qui devront dire, Notre Père… C’est ainsi que vous prierez, vous… Notre Père, celui qui est dans les Cieux…
Ce qui étonne Notre Dame, c’est que son garçon de douze ans a parfaitement conscience de la relation qui le rattache à Dieu, qu’il appelle son propre Père… Je dois m’occuper de l’œuvre de Dieu, qui est mon propre Père… Mon Père jusqu’à maintenant est en train d’agir, de créer, et moi aussi j’agis.
Cette leçon est la méditation de toute une vie. Marie la conservera dans son cœur sans jamais en épuiser les richesses, car c’est la révélation de la Vie absolue de la Sainte Trinité. Elle découvre son fils, le Fils passionné de Dieu… son Père. Elle découvre son petit garçon aux affaires de son Père.
Plus tard, lorsque Jésus répondra au scribe qui lui demande quel est le plus grand des commandements, Il lui dira d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toutes ses forces, Jésus ne lui dira que ce qu’il est : il aime son Père de tout son être. Le précepte n’était pas nouveau puisqu’il était dans le Deutéronome, mais personne jusqu’à Jésus ne l’avait observé comme Jésus, à un tel degré… qui connaît le Père, si ce n’est le Fils. Rien n’égale la spontanéité, l’ardeur, et la constance de sa piété filiale.
Alors, à Cana, Marie n’a pas besoin d’imaginer ce que pourrait faire son Fils. Ils n’ont plus de vin… Vous savez, mon cher fils, ce qu’il faut faire, parce que vous seul savez ce que veut Dieu, votre Père.