Les Noces de Cana (6)

Le Christ parmi les docteurs, Albrecht Dürer

La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »

(Jn, 2, 3)

Jésus avait été invi­té avec sa Très Sainte Mère, et il était venu, en toute sim­pli­ci­té, avec ses pre­miers dis­ciples. Ils étaient cinq, peut-​être six de plus. Peut-​être les époux n’avaient-ils pas pré­vu ce sur­croît d’invités. C’étaient des gens simples.

Les mots qu’adressent Notre Dame à son Fils sont admi­rables. C’est une prière excel­lente, une prière de simple expo­si­tion. Elle parle à son fils, avec la plus grande révé­rence et humi­li­té qui se puisse ima­gi­ner. Elle va à lui, sans arro­gance, ni avec des paroles de pré­somp­tion, comme font plu­sieurs per­sonnes indis­crètes et incon­si­dé­rées, dit saint François de Sales. Elle attend tout de Dieu et elle n’attend rien, ce qu’elle mani­fes­te­ra par­fai­te­ment : Faites tout ce qu’il vous dira. 

La gêne de ces époux la touche, elle se met à leur place, elle porte déjà comme Mère de tous les hommes, le sou­ci de cha­cun et elle pré­sente à son fils son trouble, convain­cue qu’Il y pour­voi­ra, de quelques manières qu’Il le décidera.

Pour mieux com­prendre l’attitude de Notre Dame, ne convient-​il pas de se sou­ve­nir de cette grande leçon qu’elle reçut de son fils au Temple, alors qu’il n’avait que 12 ans, et qu’elle l’avait cher­ché avec Joseph pen­dant trois jours. L’enfant était res­té, il s’était déro­bé à leur vigi­lance… caprice peu pro­bable pour un enfant si par­fait, qui, nous dira l’Évangile, était sou­mis à ses parents.

Ces trois jours de ténèbres avaient été ter­rible : la Lumière du monde, ils l’avaient per­due. L’angoisse de Marie et de Joseph était à son comble… Alors, en le voyant, cette très sainte, à qui l’on ne peut attri­buer ni péché ni indé­li­ca­tesse, lui dit :

Mon enfant, pour­quoi donc avez-​vous agi ain­si avec nous ? Voici que votre père et moi-​même, nous étions tour­men­tés et nous vous avons cherché. 

Lc 2, 48

Ce divin petit gar­çon ne connaissait-​il pas la peine en cet ins­tant de ses parents ?

Plutôt qu’une demande de par­don, la réponse de l’enfant décon­cer­ta la nature pour­tant si docile de cette Maman… 

Que signi­fie ce que vous venez de me dire ? Vous m’avez cher­ché… Ne saviez-​vous que je dois être, qu’il me revient d’être dans les choses, les affaires, dans les occu­pa­tions qui occupent mon Père ?

Lc 2, 49

L’Évangile, sur le témoi­gnage direct de Notre Dame, nous dit que ses parents ne com­prirent pas… mais que Marie conser­va tout cela dans son cœur. Cette scène était bien sur­pre­nante en effet pour ces parents, qui sur cette terre en ce jour, étaient les seuls à savoir que ce visage était la figure du Dieu invisible.

Ce que Marie a vu et qu’elle a gar­dé, c’est son fils assis dans le Temple, au milieu de ceux qui ensei­gnaient, les écou­tant et les inter­ro­geant… Elle a vu son enfant assis à la place de celui qui parle, mais qui écoute… La sobrié­té de l’Évangile de Luc reflète la pure­té de celle qui regarde. Les évan­giles apo­cryphes, qui ne sont que des romans gnos­tiques du IIe siècle, vont prê­ter à l’enfant des pou­voirs mira­cu­leux et des actions extra­va­gantes. Ici rien de tel. Il n’est pas dit que l’enfant enseigne les rab­bins, mais au contraire qu’il les inter­roge et qu’il s’instruit… il écoute, mais ce qu’il écoute, c’est la voix de son Père, et il est ravi. Et cela a rem­pli le cœur de Marie.

Alors qu’elle venait de lui dire que Joseph, votre père et moi-​même, nous vous cher­chions, cette maman, pour­tant si habi­tuée à cet enfant, l’entend appe­ler Dieu, son Père. Ce n’était pas un rap­pel du sta­tut, admi­rable pour un homme, de Joseph, d’être père « puta­tif » du Verbe incar­né. Ce qui a cer­tai­ne­ment éton­né ses parents, c’est que cet enfant de douze ans, dis­tingue soi­gneu­se­ment la rela­tion qui va de Dieu à lui-​même, de la rela­tion qui va de Dieu aux autres hommes, à com­men­cer à par ses chers parents… Il dit mon Père, en par­lant de Dieu et de cette rela­tion unique qu’Il a dans le sein de la sainte Trinité. Aux hommes, en par­lant de Dieu, Il dira votre Père ; il ne dira jamais Notre Père, sauf lorsqu’il ensei­gne­ra aux apôtres sa prière. Mais alors, ce seront les dis­ciples qui devront dire, Notre PèreC’est ain­si que vous prie­rez, vous… Notre Père, celui qui est dans les Cieux…

Ce qui étonne Notre Dame, c’est que son gar­çon de douze ans a par­fai­te­ment conscience de la rela­tion qui le rat­tache à Dieu, qu’il appelle son propre Père… Je dois m’occuper de l’œuvre de Dieu, qui est mon propre Père… Mon Père jusqu’à main­te­nant est en train d’agir, de créer, et moi aus­si j’agis.

Cette leçon est la médi­ta­tion de toute une vie. Marie la conser­ve­ra dans son cœur sans jamais en épui­ser les richesses, car c’est la révé­la­tion de la Vie abso­lue de la Sainte Trinité. Elle découvre son fils, le Fils pas­sion­né de Dieu… son Père. Elle découvre son petit gar­çon aux affaires de son Père. 

Plus tard, lorsque Jésus répon­dra au scribe qui lui demande quel est le plus grand des com­man­de­ments, Il lui dira d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toutes ses forces, Jésus ne lui dira que ce qu’il est : il aime son Père de tout son être. Le pré­cepte n’était pas nou­veau puisqu’il était dans le Deutéronome, mais per­sonne jusqu’à Jésus ne l’avait obser­vé comme Jésus, à un tel degré… qui connaît le Père, si ce n’est le Fils. Rien n’égale la spon­ta­néi­té, l’ardeur, et la constance de sa pié­té filiale.

Alors, à Cana, Marie n’a pas besoin d’imaginer ce que pour­rait faire son Fils. Ils n’ont plus de vin… Vous savez, mon cher fils, ce qu’il faut faire, parce que vous seul savez ce que veut Dieu, votre Père.