Le diocèse d’Évreux est-il catholique ?, par Côme Prévigny
[1] Une femme revêtue d’une chasuble. Derrière, Mgr Nourrichard, évêque d’Evreux, aux côtés de « l’évêque » de Salisbury. | [2] Dans la cathédrale anglicane, Mgr Nourrichard suit la cérémonie aux côtés de deux « évêques » protestants (un luthérien et un anglican du Soudan). |
[3] Dans la procession Mgr Nourrichard précède des femmes revêtues d’étoles | [4] Un groupe d’hommes et de femmes recevant des ordinations invalides. |
Mgr Gaillot, Le Chamblac, Thiberville… sont des noms qui ont rendu célèbres les trois derniers titulaires du siège d’Évreux. Au-delà de ces tristes affaires, nous avons analysé l’étonnante doctrine qui était dispensée dans le diocèse de Mgr Nourrichard, l’un des premiers évêques nommés par Benoît XVI.
La vocation de la Fraternité sacerdotale Saint- Pie X, pas plus que celle des fidèles qui se sont confiés à elle, ne consiste pas à épingler le moindre travers d’évêques qui, demeurant des hommes, ne peuvent atteindre le degré de perfection dévolu aux anges. Dans les circonstances actuelles, l’hétérodoxie d’un certain nombre de prêtres, les assauts d’un laïcat revendicatif ou les abus liturgiques répétés peuvent être des motifs de douleur profonde pour ceux qui ont été nommés par le pape sur les sièges épiscopaux de notre pays. Quelques-uns peuvent même se révéler démunis, voire perdus. Nous serions tentés, à juste titre, de leur porter secours. Et, à cet égard, ils ne sont pas peu nombreux, ceux qui veulent nous dire aujourd’hui : Voyez, les choses s’améliorent, vous êtes davantage écoutés, ayez confiance. Mais lorsque c’est toute la doctrine d’un diocèse qui plonge manifestement dans l’erreur, l’attitude du catholique peut-elle se résumer à un silence compromettant ? Le rôle d’une communauté de prêtres doit-il consister à rechercher un modus vivendi, voire une solution pratique avec des prélats qui ne professent plus la foi enseignée depuis les Apôtres ? Le confort canonique de nos petits milieux doit-il primer sur le devoir de vérité ? L’équilibre à trouver entre l’esprit d’apostolat et la profession de foi est certes délicat, mais ne peut jamais se trouver au détriment de cette dernière. Le diocèse d’Évreux présente un exemple significatif de l’abîme dans lequel se trouve réduite l’Église de France. Son bulletin diocésain multiplie ce qu’il n’est pas possible de qualifier autrement que par des hérésies, ou, si l’on préfère, des erreurs doctrinales.
Une pastorale plus qu’ambiguë
Une tentation facile consisterait sans doute à accumuler des bruits pour instruire un procès, à citer des faits compromettants pour se moquer gratuitement de leurs auteurs qui, bien souvent, sont de bonne volonté, et ne négligent ni leur temps ni leur énergie. Nous préférons nous en tenir aux communiqués et aux articles – donc à des textes réfléchis et relus – qui sont publiquement relayés par l’organe officiel de l’évêché afin d’appréhender l’état réel du catholicisme dans notre pays. Église d’Évreux est en quelque sorte la semaine diocésaine de Mgr Christian Nourrichard, même si sa parution n’est que bimensuelle. Sa lecture témoigne parfois de vœux louables. Le premier numéro du mois de mai 2011 veille par exemple à susciter des vocations et à faire grandir les âmes « sur le chemin de foi et d’amour, de vie et de sainteté pour servir le Dieu vivant ». Mais, malheureusement, les textes paraissent souvent tournés vers l’accommodement avec le monde plus que vers un esprit surnaturel.
Le vocabulaire ressemble davantage à celui de la déclaration des droits de l’homme qu’à celui des commandements de Dieu. Il n’y a guère d’exemplaire de la revue qui ne fasse pas la promotion du CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), de l’ACO (Action catholique ouvrière) ou de la JOC ( Jeunesse catholique ouvrière). Les sujets politiques apparaissent en filigrane (écologie planétaire, accueil de l’immigré) dans chaque numéro tandis que les soucis spirituels, comme le salut des âmes, les méditations, la piété mariale ou la communion des saints représentent des réalités particulièrement évacuées.
L’un des domaines dans lequel le diocèse excelle est celui du « dialogue » oecuménique. L’année passée, le supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pie X s’était ému de la présence de Mgr Nourrichard à une pseudo-ordination de femmes dans la cathédrale anglicane de Salisbury, en Angleterre. Activement présent, puisqu’il portait mitre et chape dans le choeur, l’ordinaire d’Évreux n’hésitait pas à cautionner une cérémonie autant hérétique que schismatique. Quelques semaines plus tard, son organe de presse écrivait : « La présence pour cette journée si particulière de notre évêque est un signe fort de fraternité envers nos frères anglicans et un geste d’amitié à son intention. » Cette activité de dialogue s’est, depuis, renforcée puisque des vicaires anglicans sont venus étudier dans le diocèse d’Évreux le rôle des équipes – très féminisées – d’animation pastorale et liturgique (EAP et EAL) : « Le thème de leur séjour était l’implication des laïcs dans nos paroisses. Il faut dire que nous sommes bien en avance sur eux dans ce domaine et qu’ils ont eu beaucoup à observer. » (EE n° 5, 7 mars 2011, p. 19) Faut-il que les catholiques en soient réduits à déstructurer des hiérarchies schismatiques au profit de leurs dames patronnesses ?
Plus récemment, l’abbaye bénédictine du Bec-Hellouin, habituée à recevoir des moines bouddhistes, a accueilli le pasteur Yves Noyer qui y a prêché devant les religieux. Son discours a été rapporté dans les lignes du bulletin : « Il nous faut également, dit-il, et de manière réciproque, apprendre à connaître les autres chrétiens et les autres Églises pour découvrir leurs richesses spirituelles propres et pas seulement leurs défauts et leurs manques. En bref, il nous faut apprendre à les aimer, non pas malgré leurs défauts et leurs manques mais bien en raison de ce que Dieu leur a confié comme part de vérité. » (EE n° 4, 21 février 2011, p. 17) Par ces mots, le dignitaire calviniste leur demande ni plus ni moins « d’aimer » (sic) des entités hérétiques et condamnées par les papes au nom de la vérité dont elles seraient, d’après lui, garantes.
Des hérésies à pleine main
Il arrive parfois même que des erreurs soient très clairement exprimées. Très récemment, l’une des rédactrices du bulletin diocésain a assisté à une conférence du père André Lalier, prêtre ordonné avant le Concile et qualifié de « théologien » du diocèse d’Évreux. Elle relève ces propos dans ce qu’elle appelle un « exposé lumineux » : « Pour la tradition chrétienne la plus ancienne, il y a un seul Prêtre, le Christ, et tous sont prêtres par le baptême. Cependant, aux iie et iiie siècles, est apparue la distinction prêtres-laïcs par la constitution d’un corps de prêtres séparé du peuple (le laos) et voué au culte sacré sur le modèle du sacerdoce lévitique. »
Devant de telles affirmations, nous espérons que ces allégations ne sont que le fruit d’une mauvaise transcription. Mais nous ne pouvons que nous émouvoir en constatant qu’elles sont publiées dans le journal diocésain ! En quelques mots, c’est l’institution du sacerdoce par Notre- Seigneur qui est purement et simplement balayée. Son origine divine est réduite au stade d’invention des premiers siècles. Et cette dame de poursuivre sa prise de notes : « Luther s’y est d’ailleurs opposé, revendiquant le fait que tous les baptisés sont prêtres. » (EE n° 4, 21 février 2011, p. 20) La Tradition nous demande-telle de nous référer aux papes ou aux hérésiarques ? Nous nous posons donc la question : le diocèse d’Évreux est-il catholique ou protestant ?
Toutefois, on peut légitimement penser que la rédactrice n’a pas commis d’erreur de transcription lorsqu’on constate que le théologien du diocèse n’en est malheureusement pas à sa première hérésie dans cette revue. Il y a deux ans, il niait tout simplement le dogme, rappelé par le concile de Trente, de la présence vraie, réelle et substantielle de Notre-Seigneur dans la sainte eucharistie : « N’imaginons pas, affirmait-il, que nous mangeons la chair de l’homme Jésus… La chair dont il est question dans l’Évangile selon saint Jean – « Ma chair pour la vie du monde » (Jn 6, 51–53) – est la chair du ressuscité, le corps du Christ, un corps « spirituel ». Quel est le mode de présence d’un corps « spirituel » ? Non une présence physiologique mais une présence sacramentelle ou symbolique . » (EE n° 17, 15 octobre 2009, p. 20) Si le père Lalier affirme avec justesse que, dans l’eucharistie, nous mangeons la chair du Ressuscité, il est impensable d’affirmer que sa présence n’est que symbolique – ce que soutenait un certain Zwingli – et il est inimaginable qu’un prêtre dissuade les fidèles de croire qu’ils mangent la chair de Notre-Seigneur lorsqu’ils communient.
Enfin, et cette réalité n’est que la conséquence du dialogue oecuménique, pour les rédacteurs du bulletin diocésain, l’Église est déficiente. Certaines vérités lui échapperaient et elle aurait elle-même des progrès à réaliser. Ce serait le cas pour la compréhension à l’égard des divorcés remariés : « Il demeure tout à fait légitime de souhaiter que l’Église progresse dans sa connaissance de la Parole de Dieu et dans sa pratique ; elle l’a constamment fait au cours de son histoire. Elle découvrira alors de nouvelles Mgr Nourrichard propositions à l’égard des divorcés remariés. Il est profitable de prier pour que l’Église sache mieux exprimer le message de miséricorde dont est porteur pour tout l’Évangile. » (E.E. n° 4, 21 février 2011, p. 12) Aussi, non content de suivre les prescriptions de l’Église à l’égard de ceux qui malmènent le sacrement nuptial, le diocèse s’interroge en intitulant un autre article : « Et si on proposait une préparation au mariage civil ? » Ainsi, des groupes de catholiques en sont réduits à aller au-devant d’hommes et de femmes désireux de former un simulacre de mariage, dénué de sa dimension religieuse. Il n’est pas tant question de leur parler du Christ que « la différence homme-femme, l’argent, les conflits… » (EE n° 5, 7 mars 2011, p. 15)
Quelle attitude adopter ?
Que faire lorsque ce sont les dépositaires de l’autorité légitime qui favorisent et encouragent les erreurs doctrinales, qui protègent les hérétiques et les représentants de religions qui éloignent de l’Église fondée par Jésus Christ ? Il serait tentant pour nous de fermer les yeux sur cette terrifiante réalité et de nous en tenir à de rassurantes règles, quitte à recourir aux offices de tels ordinaires, faisant comme si ces pasteurs professaient la vérité, tout en nous assurant que nous ne sommes finalement pas responsables de cette faillite de la foi. Nous pourrions également être attirés par l’idée de porter un jugement définitif qui n’appartient qu’au chef de l’Église en déposant purement et simplement depuis notre petite autorité personnelle des prélats indignes de leur siège.
Face aux erreurs de Nestorius, hérétique des premiers temps de l’ère chrétienne, le saint pape Célestin lui écrivait fermement, mais, par là même, il n’excluait pas le fait qu’un évêque puisse sombrer dans l’erreur et que des âmes puissent lui être temporairement soumises :
« Sache donc clairement, lui écrit-il, que Notre jugement est le suivant : Si tu ne prêches pas au sujet de notre Christ Dieu ce qu’enseignent l’Église romaine, celle d’Alexandrie et l’Église catholique universelle, comme l’a enseigné aussi excellemment jusqu’à toi l’Église très sainte de la ville de Constantinople, et si tu ne condamnes pas, par une confession publique et écrite, dans un délai de dix jours à compter du jour où cet avis te sera notifié, cette nouvelle et perfide doctrine qui tend à séparer ce que les vénérables Écritures ont uni, sache que tu es rejeté de l’Église catholique universelle. »
Certainement, bien que les moyens de communication se soient grandement améliorés, aucun désaveu de cet évêque d’Évreux n’est venu et les dix jours qui nous séparent de la publication des erreurs véhiculées sont largement révolus. Aussi, notre rôle, en attendant qu’un pape réagisse de manière aussi ferme que saint Célestin, consiste à ne pas écouter des prélats qui feraient perdurer l’erreur. Saint Robert Bellarmin indique la voie à suivre :
« Il est vrai que le peuple doit discerner le vrai prophète du faux, mais non par une autre règle que celle-ci : observer attentivement si celui qui prêche dit le contraire de ce que disaient ses prédécesseurs. »
Le théologien jésuite poursuit :
« Il faut observer en outre que le peuple peut certes, par la règle que nous avons posée, discerner le vrai prophète du faux, mais qu’il ne peut pas pour autant déposer le faux pasteur s’il est évêque, et en substituer un autre à sa place. Car le Seigneur et l’apôtre ordonnent seulement que les faux prophètes ne soient pas écoutés par le peuple : mais non pas que le peuple les dépose. »
C’est notamment pour cette raison que Mgr Lefebvre a bien veillé à n’établir aucune nouvelle hiérarchie épiscopale mais a sacré des évêques dans l’unique but de porter secours à des âmes désireuses de recevoir l’ordre ou la confirmation avec l’assurance de disposer des sacrements tels que l’Église les avait toujours dispensés. Imaginons l’état de notre foi si le fondateur de la Fraternité n’avait pas eu la lucidité de procéder à cette opération survie !
À sa suite, et au regard de la tourmente spirituelle qui agite la France, nous ne pouvons qu’exprimer cette joie « d’avoir enfin des évêques et des prêtres catholiques qui sauvent vos âmes, qui donnent à vos âmes la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ par la doctrine, par les sacrements, par la foi, par le saint sacrifice de la messe, vie de Notre-Seigneur dont vous avez besoin pour aller au Ciel et qui est en train de disparaître partout dans cette Église conciliaire qui suit des chemins qui ne sont pas des chemins catholiques et qui mènent tout simplement à l’apostasie.(1)»
Côme Prévigny, agrégé de l’université
(1) Sermon des sacres du 30 juin 1988