Le terrible témoignage de Mgr Viganò sur le cardinal McCarrick et son entourage


Le 26 août 2018, un « témoi­gnage » de 11 pages parais­sait dans le quo­ti­dien ita­lien La Verità. Il était publié dans la sphère anglo­phone par le National Catholic Register, Life Site News et sur le réseau Ewtn. Dans la zone his­pa­no­phone, il était dif­fu­sé par Infocatolica, dans la zone fran­co­phone par L’Homme nou­veau, sous le titre « Pour libé­rer l’Eglise du marais fétide dans lequel elle s’enfonce ». 

Ce docu­ment qui avait été remis au préa­lable par son auteur, Mgr Carlo Maria Viganò [Photo ci-​dessus], aux jour­na­listes ita­liens Marco Tosatti et Aldo Maria Valli, dénon­çait les pro­tec­tions romaines dont a béné­fi­cié le car­di­nal amé­ri­cain Theodore McCarrick, pré­da­teur homo­sexuel, contraint de démis­sion­ner du col­lège car­di­na­lice fin juin.

Un témoi­gnage dramatique

Voici l’essentiel du témoi­gnage de Mgr Viganò, ancien nonce apos­to­lique aux Etats-​Unis, en poste de 2011 à 2016 : 

« Maintenant que la cor­rup­tion a atteint le som­met de la hié­rar­chie de l’Eglise, ma conscience m’oblige à révé­ler ces véri­tés dont, en rela­tion avec le triste cas de l’archevêque émé­rite de Washington Theodore McCarrick, j’ai pris conscience dans le cadre des charges qui m’ont été confiées ».

Mgr Viganò explique que deux nonces aux Etats-​Unis, en poste avant lui, tous deux décé­dés pré­ma­tu­ré­ment, à savoir Mgr Gabriel Montalvo (de 1998 à 2005) et Mgr Pietro Sambi (de 2005 à 2011), « n’ont pas man­qué d’informer immé­dia­te­ment le Saint-​Siège dès qu’ils ont enten­du par­ler de la conduite gra­ve­ment immo­rale de l’archevêque McCarrick envers des sémi­na­ristes et des prêtres. » Mais per­sonne à Rome n’a réagi.

C’est par le car­di­nal Giovanni Battista Re, alors pré­fet de la Congrégation pour les évêques, que Mgr Viganò apprend que le pape Benoît XVI, ayant eu connais­sance de l’inconduite scan­da­leuse du car­di­nal McCarrick, lui a ordon­né de quit­ter le sémi­naire où il rési­dait et lui a inter­dit de célé­brer en public, de par­ti­ci­per à des réunions, de don­ner des confé­rences et de voya­ger, avec l’obligation de se consa­crer à une vie de prière et de pénitence.

Une ques­tion se pose : com­ment McCarrick est-​il deve­nu ce qu’il est deve­nu : arche­vêque de Washington, et car­di­nal, après avoir été évêque de Metuchen (New Jersey) et arche­vêque de Newark (New Jersey), puisque son com­por­te­ment était aus­si gra­ve­ment peccamineux ?

Des sou­tiens haut placés

Mgr Viganò attri­bue la res­pon­sa­bi­li­té de la car­rière de McCarrick au car­di­nal Angelo Sodano, secré­taire d’Etat de 1991 à 2006 et au car­di­nal Tarcisio Bertone, son suc­ces­seur. Mais il met en cause éga­le­ment le secré­taire d’Etat actuel, le car­di­nal Pietro Parolin. Alors qu’il est évident que McCarrick n’obéit pas aux ordres de Benoît XVI et voyage dans le monde entier, Mgr Viganò écrit au car­di­nal Parolin pour lui deman­der si les sanc­tions sont tou­jours en vigueur, mais sa ques­tion reste sans réponse. D’autres qui savaient cer­tai­ne­ment, sont res­tés silen­cieux, écrit Mgr Viganò qui cite le car­di­nal William Levada, le car­di­nal Leonardo Sandri, Mgr Giovanni Angelo Becciu (aujourd’hui car­di­nal), les car­di­naux Giovanni Lajolo et Dominique Mamberti. 

Mgr Viganò pré­cise : « En ce qui concerne la curie romaine, je vais m’arrêter ici pour le moment, même si les noms d’autres pré­lats du Vatican sont bien connus, y com­pris très proches du pape François, tels que le car­di­nal Francesco Coccopalmerio et l’archevêque Vincenzo Paglia, qui appar­tiennent au cou­rant homo­sexuel en faveur de la sub­ver­sion de la doc­trine catho­lique sur l’homosexualité, un cou­rant déjà dénon­cé en 1986 par le car­di­nal Joseph Ratzinger, alors pré­fet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi, dans sa Lettre aux évêques de l’Eglise catho­lique sur la pas­to­rale des per­sonnes homo­sexuelles. Les car­di­naux Edwin Frederick O’Brien et Renato Raffaele Martino appar­tiennent éga­le­ment au même cou­rant, mais avec une idéo­lo­gie différente ».

Aux Etats-​Unis aus­si, tout le monde savait, à com­men­cer par le car­di­nal Donald Wuerl, suc­ces­seur de McCarrick à Washington, mais per­sonne n’a éle­vé la voix. Et aujourd’hui, les décla­ra­tions du car­di­nal, selon les­quelles il ne savait rien, « sont abso­lu­ment risibles », aux yeux de Mgr Viganò. Quant au car­di­nal Kevin Farrell, actuel pré­fet du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, qui à son tour a dit n’avoir jamais enten­du par­ler des abus du car­di­nal McCarrick, Mgr Viganò écrit : « Compte tenu de son cur­ri­cu­lum vitæ à Washington, Dallas et main­te­nant Rome, je crois que per­sonne ne peut hon­nê­te­ment le croire ». Enfin, sur le car­di­nal Sean O’Malley, arche­vêque de Boston et à la tête de la Commission vati­cane pour la pro­tec­tion des mineurs, Viganò affirme : « Je me conten­te­rai de dire que ses der­nières décla­ra­tions sur l’affaire McCarrick sont déconcertantes (…) ».

Le pape a été informé

Le mémoire de Mgr Viganò devient encore plus ter­rible lorsqu’il implique direc­te­ment le pape François. A Rome, en juin 2013, il y a une ren­contre des nonces du monde entier, et Mgr Viganò est pré­sent. Pour sa pre­mière ren­contre avec le nou­veau sou­ve­rain pon­tife, l’archevêque ita­lien se rend à la Maison Sainte-​Marthe, il y trouve le car­di­nal McCarrick sou­riant et serein, qui lui déclare non sans satis­fac­tion : « Le pape m’a reçu hier, demain je vais en Chine ! » – Lui qui était inter­dit de voyages par Benoît XVI et devait se consa­crer à la prière et à la pénitence.

Devant ce sou­tien appor­té au car­di­nal pré­da­teur, au plus haut niveau de l’Eglise, Mgr Viganò écrit : « Le pape François a deman­dé à plu­sieurs reprises une trans­pa­rence totale dans l’Eglise, et que les évêques et les fidèles agissent avec par­rhè­sia [liber­té de parole]. Les fidèles du monde entier l’exigent de lui aus­si et d’une manière exem­plaire. Qu’il dise depuis quand il a appris les crimes com­mis par McCarrick, abu­sant de son auto­ri­té auprès des sémi­na­riste et des prêtres. En tout cas, le pape l’a su de moi le 23 juin 2013 et a conti­nué à le cou­vrir, sans tenir compte des sanc­tions que le pape Benoît XVI lui avait impo­sées, et en a fait son conseiller de confiance avec Maradiaga ».

Et d’ajouter : « Il savait au moins depuis le 23 juin 2013 que McCarrick était un pré­da­teur en série », mais « bien que sachant que c’était un cor­rom­pu, il l’a cou­vert jusqu’au bout, et même il a fait sien ses conseils cer­tai­ne­ment pas ins­pi­rés par des inten­tions saines et l’amour de l’Eglise. Ce n’est que lorsqu’il a été contraint de le faire – à cause de la dénon­cia­tion d’un abus subi par un mineur, et tou­jours en réac­tion au bruit des médias –, qu’il a pris des mesures contre lui (en juillet der­nier) pour sau­ver son image médiatique ».

En conclu­sion, Mgr Viganò sug­gère quelques remèdes à cette situa­tion dra­ma­tique : « Il faut pro­cla­mer un temps de conver­sion et de péni­tence. Il faut res­tau­rer la ver­tu de chas­te­té dans le cler­gé et les sémi­naires. Il faut lut­ter contre la cor­rup­tion de l’utilisation abu­sive des res­sources de l’Eglise et des offrandes des fidèles. Il faut dénon­cer la gra­vi­té de la conduite homosexuelle. (…)

« Lors de l’Angélus du 12 août der­nier, François a dit que « cha­cun est cou­pable du bien qu’il pou­vait faire et qu’il n’a pas fait… Si nous ne nous oppo­sons pas au mal, nous l’alimentons taci­te­ment. Il faut inter­ve­nir là où le mal se répand ; car le mal se répand là où il n’y a pas de chré­tiens auda­cieux qui s’y opposent avec le bien ». (…) Que le pape François recon­naisse ses erreurs et, confor­mé­ment au prin­cipe pro­cla­mé de tolé­rance zéro, soit le pre­mier à don­ner le bon exemple aux car­di­naux et aux évêques qui ont cou­vert les abus de McCarrick et démis­sionne avec eux tous. (…) C’est le moment oppor­tun pour l’Eglise de confes­ser ses péchés, de se conver­tir et de faire péni­tence. Prions tous pour l’Eglise et pour le pape, rappelons-​nous com­bien de fois il nous a deman­dé de prier pour lui ! ».

Le 27 août, le jour­na­liste fran­çais Jean-​Marie Guénois écri­vait : « L’enquête menée, dès la paru­tion du docu­ment, par Le Figaro auprès de quatre sources très infor­mées, très dif­fé­rentes et internes du Vatican, conduisent à une même conclu­sion : les leçons tirées de l’affaire par Mgr Viganò sont de sa res­pon­sa­bi­li­té, mais il sera dif­fi­cile de contrer l’exactitude des faits décrits ».

Le silence du pape 

Dans l’avion qui le rame­nait à Rome, après sa visite à Dublin, le pape François a été inter­ro­gé par les jour­na­listes sur le fait qu’il aurait été au cou­rant des abus com­mis par le car­di­nal McCarrick dès 2013. Il a fait pour toute réponse cette décla­ra­tion éva­sive : « Lisez atten­ti­ve­ment le com­mu­ni­qué (en fait, le docu­ment de 11 pages de Mgr Viganò) et faites-​vous votre propre juge­ment. Je ne dirai pas un mot là-​dessus. Je pense que le com­mu­ni­qué parle de lui-​même. Et vous avez la capa­ci­té jour­na­lis­tique suf­fi­sante pour tirer des conclusions ». 

Le 28 août, le car­di­nal Blase Cupich, arche­vêque de Chicago, mis en cause par Mgr Viganò, jus­ti­fiait le silence du pape sur CBS News en ces termes qui en disent long sur l’état d’esprit de l’entourage de François : « Le pape a un pro­gramme plus ample. Il doit conti­nuer à s’occuper d’autres choses, par­ler de l’environnement, de la pro­tec­tion des migrants et pour­suivre le tra­vail de l’Eglise (…) On ne va pas tom­ber dans un trou de lapin sur ces choses-​là (i.e. le témoi­gnage de Viganò) ».

Les détrac­teurs de Mgr Vigano

Les pré­lats dénon­cés par Mgr Viganò réagissent à l’unisson. Le car­di­nal Wuerl déclare ain­si que, pen­dant toute la durée de son man­dat d’archevêque de Washington, per­sonne ne s’est pré­sen­té pour lui dire : « Le car­di­nal McCarrick m’a abu­sé », ou n’a fait aucune dénon­cia­tion de ce genre. Pour le car­di­nal Wuerl, la seule rai­son qui lui aurait per­mis de mettre en ques­tion le minis­tère de l’archevêque McCarrick aurait été des infor­ma­tions four­nies par Mgr Viganò ou d’autres com­mu­ni­ca­tions du Saint-​Siège. « De telles infor­ma­tions n’ont jamais été four­nies », affirme-​t-​il. – Pour mémoire : évêque de Pittsburgh, en Pennsylvanie, durant 18 ans, de 1988 à 2006, le car­di­nal Donald Wuerl a été dési­gné dans l’enquête du Grand jury sur les abus sexuels (14 août 2018), comme un des évêques ayant cou­vert des com­por­te­ments abusifs.

Mgr Joseph Tobin, nom­mé­ment mis en cause dans le témoi­gnage de Mgr Viganò, exprime « sa tris­tesse et sa conster­na­tion » devant les allé­ga­tions de l’ancien nonce à Washington. L’archevêque de Newark estime que de telles affir­ma­tions ne peuvent en aucun cas être com­prises comme contri­buant à la gué­ri­son des vic­times d’abus sexuels. Il dénonce les « erreurs fac­tuelles » énon­cées par Mgr Viganò, ses insi­nua­tions et « l’idéologie effrayante » (sic) de ce « témoignage ».

Le vati­ca­niste Andrea Tornielli – tel­le­ment proche du pape actuel qu’il a, auprès de ses confrères, la répu­ta­tion d’écrire sous la dic­tée du Vatican –, dénonce les accu­sa­tions de l’ancien nonce. Sur le site Vatican Insider et dans le quo­ti­dien La Stampa, il affirme que le pro­cès contre le pape François et l’exigence de sa démis­sion fait bien par­tie d’une vaste entre­prise de désta­bi­li­sa­tion lan­cée contre le pon­tife argen­tin par les milieux conser­va­teurs et inté­gristes, dont Mgr Viganò serait un des exécutants.

Sur le même site Vatican Insider, le car­di­nal Kevin Farrell, pré­fet du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, lui aus­si gra­ve­ment mis en cause par Mgr Viganò, affirme sans ver­gogne : « Je n’ai jamais vu McCarrick se com­por­ter de façon inap­pro­priée ». Et il ajoute que l’ancien arche­vêque de Washington avait une « grande répu­ta­tion », avait été choi­si par le pape et qu’aucune « plainte » n’avait été dépo­sée alors qu’il tra­vaillait à ses côtés. « Ainsi, pour­quoi aurais-​je dû pen­ser qu’il y avait quelque chose d’erroné dans sa façon d’être ? », se demande-​t-​il avec candeur.

Le car­di­nal Daniel DiNardo est plus cir­cons­pect. L’archevêque de Galveston-​Houston au Texas, pré­sident de la Conférence des évêques des Etats-​Unis (USCCB), affirme que les accu­sa­tions de Mgr Viganò ren­forcent la néces­si­té d’un exa­men « rapide et com­plet » des rai­sons pour les­quelles « les graves erreurs morales d’un frère évêque (McCarrick) ont pu être tolé­rées pen­dant si long­temps et ne pas entra­ver son avan­ce­ment ». L’urgence est d’autant plus grande suite aux accu­sa­tions de Mgr Viganò. Les ques­tions qu’il sou­lève, estime le car­di­nal amé­ri­cain, « méritent des réponses concluantes », basées sur des preuves.

Les défen­seurs de Mgr Vigano

En face des adver­saires de Mgr Viganò, de nom­breux évêques se sont levés pour prendre sa défense. Ainsi Mgr Joseph Strickland, évêque de Tyler au Texas, a‑t-​il fait lire lors des messes du dimanche 26 août le docu­ment de l’ancien nonce, recon­nais­sant que les affir­ma­tions conte­nues dans ce témoi­gnage étaient « crédibles ».

Sur les ondes de Holy Spirit Radio, Mgr Dennis Schnurr, arche­vêque de Cincinnati dans l’Ohio, a deman­dé, après les allé­ga­tions de Mgr Viganò, d’ouvrir le dos­sier du car­di­nal McCarrick, disant que « c’est la seule voie pour aller au fond des choses ». Dans un com­mu­ni­qué du 28 août, Mgr Paul Stagg Coakley, arche­vêque d’Oklahoma City, a expri­mé son « plus pro­fond res­pect » pour Mgr Viganò, recon­nais­sant son « inté­gri­té », et récla­mant lui aus­si une enquête sur la sur­pre­nante car­rière du car­di­nal McCarrick.

L’abbé Jean-​François Lantheaume, conseiller à la non­cia­ture de Washington avant l’arrivée de Mgr Viganò en 2011, lui a appor­té son sou­tien sur sa page Facebook : « J’ai été son conseiller à Washington, je l’ai vu réflé­chir et agir dans des situa­tions très déli­cates, et c’est un homme de Dieu, qui prie et qui jeûne, un homme authen­ti­que­ment don­né à Dieu ; un homme de prière sans ambages, un homme intègre et tout don­né au ser­vice du Saint-​Siège dont il n’a reçu qu’ingratitude et médi­sances ! » Et de pré­ci­ser : « Il dit toute la Vérité. Je suis témoin. Le nonce Viganò est le pré­lat le plus intègre que je connaisse au Vatican ».

Sur LifeSiteNews le 27 août, Mgr Athanasius Schneider, évêque auxi­liaire d’Astana au Kazakhstan, a décla­ré : « Il n’y a pas de motifs rai­son­nables et cré­dibles pour mettre en doute la véra­ci­té du conte­nu du docu­ment publié par l’archevêque Carlo Maria Viganò. » Et il a ajou­té de façon claire : « Il est tota­le­ment insuf­fi­sant et peu convain­cant, que les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques conti­nuent à faire des appels pour que l’on ne tolère aucun cas d’abus sexuels de la part des prêtres et que l’on cesse de cou­vrir ces situa­tions ; éga­le­ment tota­le­ment insuf­fi­santes sont les demandes de par­don sté­réo­ty­pées de la part des auto­ri­tés de l’Eglise ; les­dites demandes de tolé­rance zéro et de par­don ne seront dignes de cré­dit que si les auto­ri­tés de la Curie mettent les cartes sur table, en fai­sant connaître les noms et pré­noms de tout membre de la Curie, quels que soient sa charge et son titre, ayant cou­vert des abus de mineurs et de subor­don­nés » - Il faut évi­dem­ment qu’une telle publi­ca­tion soit pré­cé­dée d’un véri­table pro­cès cano­nique et non pas média­tique, sans quoi la « trans­pa­rence » ne serait qu’un lyn­chage par voie de presse.

Mgr Viganò a répon­du à plu­sieurs reprises à ses détrac­teurs, réfu­tant point par point leurs accu­sa­tions : le 28 et le 31 août sur le blogue du jour­na­liste Aldo Maria Valli, le 1er sep­tembre sur le site LifeSiteNews. A Aldo Maria Valli qui lui deman­dait : « Comment jugez-​vous les dif­fé­rentes réac­tions à la publi­ca­tion de votre mémoire ? », il répon­dit : « Comme vous le savez, les réac­tions sont contra­dic­toires. Il y a ceux qui ne peuvent pas ces­ser de cher­cher des endroits où pui­ser du poi­son pour détruire ma cré­di­bi­li­té. Quelqu’un a même écrit que j’avais été hos­pi­ta­li­sé deux fois avec un trai­te­ment obli­ga­toire, pour usage de drogue. Il y a ceux qui ima­ginent des com­plots, des com­plots poli­tiques, des com­plots de toutes sortes, etc. Mais il y a aus­si beau­coup d’articles appré­ciant mon mémoire, et j’ai eu la chance de voir des mes­sages de prêtres et de fidèles qui me remer­ciaient, car mon témoi­gnage avait été pour eux une lueur d’espoir pour l’Eglise ».

Le 29 août, le vati­ca­niste Marco Tosatti, accu­sé d’être le véri­table auteur du mémoire de Mgr Viganò, a répli­qué : « Ma contri­bu­tion a été celle d’une révi­sion pro­fes­sion­nelle, c’est-à-dire que nous avons tra­vaillé sur le pro­jet, dont les maté­riaux étaient inté­gra­le­ment ceux du nonce, pour véri­fier que le docu­ment était lisible et uti­li­sable sur le plan jour­na­lis­tique. » Et il voit dans l’accusation dont il est l’objet : « un signe de déses­poir de la part de ceux qui essaient de détour­ner l’attention sur un silence et un refus de don­ner des réponses, qui deviennent très lourds pour beau­coup de catholiques ».

Mais les meilleurs défen­seurs de Mgr Viganò sont sans aucun doute les docu­ments qui paraissent depuis qu’il a publié son témoi­gnage. Telle cette mise au point de Mgr Paul Bootkoski, évêque émé­rite de Metuchen (New Jersey) où le car­di­nal McCarrick fut évêque de 1981 à 1986, dans laquelle il montre – comme le résume le site Infovaticana – « que l’Eglise connais­sait (l’inconduite de ce pré­lat), au moins dès 2004 pour ce qui regarde le dio­cèse de Metuchen ; que le nonce, Mgr Gabriel Montalvo, a été infor­mé des plaintes pesant sur le car­di­nal McCarrick au moins en décembre 2005 ; que des docu­ments existent et que l’Eglise devrait si ce n’est les révé­ler au moins les consul­ter pour se rafraî­chir la mémoire ». Et Infovaticana de conclure : « la réponse de Mgr Bootkoski à Mgr Viganò consti­tue une confir­ma­tion de la cré­di­bi­li­té et de la gra­vi­té des accu­sa­tions du cou­ra­geux nonce : l’Eglise savait et n’a rien fait ».

Telle aus­si cette lettre incri­mi­nant le Vatican, publiée le 7 sep­tembre par l’agence de presse Catholic News Service (CNS). Il s’agit d’un cour­rier de 2006 éma­nant de Mgr Leonardo Sandri, alors sub­sti­tut pour les Affaires géné­rales, qui évoque de « sérieuses affaires » dans un sémi­naire amé­ri­cain. Selon le des­ti­na­taire de cette lettre, le père Boniface Ramsey, pro­fes­seur au Séminaire de l’Immaculée Conception dans le New Jersey, se confiant à CNS, ces « sérieuses affaires » concer­naient le car­di­nal McCarrick, accu­sé d’abus sexuels. Mgr Sandri fai­sait réfé­rence à une lettre que le père Ramsey avait envoyée à la non­cia­ture en novembre 2000, ce qui prouve qu’elle était connue de l’administration vati­cane. Ce cour­rier de Mgr Sandri abonde dans le sens de Mgr Viganò, car il n’y eut aucune suite don­née à la lettre du père Ramsey : Mgr McCarrick fut créé car­di­nal en 2001 et res­ta à la tête de l’archidiocèse de Washington jusqu’à sa retraite en 2006.

Les pro­té­gés du car­di­nal McCarrick

Le 25 août, le vati­ca­niste Sandro Magister dénon­çait, avec noms à l’appui, le réseau qui s’est consti­tué autour du car­di­nal McCarrick, « un des car­di­naux amé­ri­cains les plus en vue pour la pro­mo­tion de la Charte de Dallas de 2002, c’est-à-dire des mesures direc­trices rédi­gées après la pre­mière vague d’abus sexuels sur mineurs de la part de prêtres qui avaient comme épi­centre l’archidiocèse de Boston ». Mais, écrit Magister, « cela n’a en rien modi­fié son atti­tude per­son­nelle envers des jeunes du même sexe, qui était d’ailleurs lar­ge­ment connue et dont les auto­ri­tés vati­canes avaient été infor­mées, sans que sa car­rière n’en souffre le moins du monde ».

« Comme il avait l’oreille du pape François, McCarrick a donc conti­nué jusqu’au bout à exer­cer son influence sur les nomi­na­tions de ses pro­té­gés qui occupent aujourd’hui des fonc­tions pres­ti­gieuses aux Etats-​Unis et au Vatican : des car­di­naux Blase Cupich et Joseph Tobin, res­pec­ti­ve­ment arche­vêques de Chicago et de Newark, en pas­sant par le car­di­nal Kevin Farrell, pré­fet du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, orga­ni­sa­teur de la Rencontre mon­diale des familles à Dublin.

« Cupich, Tobin et Farrel consti­tuent le fer de lance du ren­ver­se­ment des posi­tions que le pape François a vou­lu impo­ser au sein de la hié­rar­chie des Etats-​Unis. Et tous trois sont de fer­vents par­ti­sans du jésuite James Martin qui milite pour une révi­sion de fond en comble de la doc­trine de l’Eglise catho­lique sur l’homosexualité, et qui a d’ailleurs été invi­té par Farrell pour prendre la parole à la ren­contre de Dublin.

« Parmi les car­di­naux de la vieille géné­ra­tion les plus appré­ciés de Bergoglio, on retrouve notam­ment Donald Wuerl, le suc­ces­seur de McCarrick à Washington et aupa­ra­vant évêque de Pittsburgh, où il est accu­sé par le Grand jury de Pennsylvanie – dans un rap­port ren­du public le 14 août der­nier – d’avoir cou­vert ses prêtres cou­pables d’abus. (voir notre article « Etats-​Unis : de 1947 à 2010, 300 prêtres soup­çon­nés d’abus dans l’Etat de Pennsylvanie »)

« Parmi les dio­cèses voi­sins de Rome, celui d’Albano orga­nise aujourd’hui un Forum des « chré­tiens LGBT ita­liens » dans lequel inter­vien­dra pro­chai­ne­ment, du 5 au 7 octobre, le jésuite Martin dont il est ques­tion ci-​dessus. L’évêque d’Albano est Marcello Semeraro, très proche de François et secré­taire du C9, le conseil des neuf car­di­naux appe­lés par le pape pour l’aider à gou­ver­ner l’Eglise universelle.

« Le coor­di­na­teur du C9 est le car­di­nal hon­du­rien Oscar Andrés Rodriguez Maradiaga, lui aus­si inter­ve­nant à Dublin, et dont l’évêque auxi­liaire et dau­phin, Juan José Pineda Fasquelle vient d’être limo­gé le 20 juillet der­nier pour des pra­tiques homo­sexuelles répé­tées avec des sémi­na­ristes de son dio­cèse, ce qui a été confir­mé par une visite apos­to­lique. Maradiaga reste cepen­dant inex­pli­ca­ble­ment à son poste ».

Comment com­prendre tant de tur­pides, tant de com­pli­ci­tés, pro­té­gées par un tel silence ? Une hypo­thèse émise dans le témoi­gnage de Mgr Viganò peut consti­tuer un élé­ment d’explication, par­mi bien d’autres. L’ancien nonce écrit à la page 4 : « Si Sodano a pro­té­gé Maciel (Marcial Maciel Degollado, fon­da­teur des Légionnaires du Christ, concu­bi­naire et pédo­phile, mort en 2008. NDLR), comme cela semble éta­bli, on ne voit pas pour­quoi il n’aurait pas pro­té­gé McCarrick qui, selon beau­coup, avait les moyens finan­ciers d’influencer bien des décisions ».

Les « moyens finan­ciers » du car­di­nal McCarrick sont à cher­cher du côté de la Papal Foundation dont Michelle Boorstein, repor­ter au Washington Post, révèle le mode de fonc­tion­ne­ment dans un article du 31 juillet, inti­tu­lé « Alors que les rumeurs de méfaits sexuels cou­raient, le car­di­nal McCarrick deve­nait un puis­sant leveur de fonds pour le Vatican ». 

Mgr McCarrick, alors qu’il était arche­vêque de Newark, a par­ti­ci­pé à la créa­tion de la Papal Foundation en 1988, et il était membre de son conseil d’administration jusqu’à sa démis­sion, en juin der­nier. Le prin­cipe de cette fon­da­tion est simple : recru­ter des dona­teurs s’engageant à ver­ser au mini­mum 1 mil­lion de dol­lars sur 10 ans (100 000 dol­lars par an) au pro­fit des œuvres du Saint-​Père. Sur son site, la fon­da­tion indique avoir déjà levé plus de 215 mil­lions de dol­lars depuis sa créa­tion. Constituée pour réveiller la géné­ro­si­té des bien­fai­teurs catho­liques amé­ri­cains, pro­fon­dé­ment ébran­lée par l’affaire Marcinkus et le scan­dale de la banque Ambrosiano (ban­que­route frau­du­leuse dans laquelle fut impli­qué le pré­lat amé­ri­cain Paul Marcinkus, en 1982. NDLR), la Papal Foundation est deve­nue l’une des prin­ci­pales sources de finan­ce­ment à dis­po­si­tion directe du Saint-​Siège. Michelle Boorstein se demande alors si « la popu­la­ri­té de McCarrick et son impo­sant sta­tut d’émissaire de l’Eglise et de pro­li­fique leveur de fonds pour les œuvres catho­liques ont pu contri­buer à le pro­té­ger au fil des années, alors que d’autres chu­cho­taient des mots qui s’ajoutaient à sa répu­ta­tion : har­ce­leur, tri­po­teur, infi­dèle à son vœu de céli­bat ». Il y a là peut-​être une piste à ne pas négliger…

Que va-​t-​il se pas­ser désormais ? 

Il semble bien qu’en obser­vant un silence total sur le témoi­gnage de Mgr Viganò, le pape François espère que cette affaire s’étouffera toute seule, comme pour les Dubia sur Amoris læti­tia res­tés sans réponse depuis sep­tembre 2016. Ce silence est-​il pour autant inac­tif ? L’historien Roberto de Mattei fai­sait savoir sur son site Corrispondenza Romana, le 6 sep­tembre, que le pape aurait deman­dé au car­di­nal Francesco Coccopalmerio, pré­sident émé­rite du Conseil pon­ti­fi­cal pour les textes légis­la­tifs, (mis en cause par Mgr Viganò), et à d’autres cano­nistes, d’étudier les sanc­tions cano­niques à prendre contre l’ancien nonce aux Etats-​Unis, qui ris­que­rait ain­si d’être frap­pé de sus­pense a divi­nis, c’est-à-dire inter­dit d’administrer les sacrements. 

Mais il n’est pas cer­tain que le silence du pape François paraisse une réponse adé­quate à l’épiscopat amé­ri­cain for­te­ment dis­cré­di­té par ces scan­dales. Plusieurs évêques réclament des actes. Mgr Charles Chaput, arche­vêque de Philadelphie, a deman­dé publi­que­ment au pape un report du synode sur la jeu­nesse qui doit se tenir du 3 au 28 octobre 2018, au motif que, dans le contexte de la crise actuelle, les évêques ne seraient abso­lu­ment pas cré­dibles pour s’adresser à la jeu­nesse. A la place, il demande un synode sur l’épiscopat.

Dès le 22 août, Mgr Philipp Egan, évêque de Portsmouth (Royaume-​Uni), avait écrit au pape pour lui deman­der de convo­quer un synode extra­or­di­naire sur « la vie et le minis­tère du cler­gé », sou­hai­tant qu’y soient trai­tées « l’identité du prêtre et de l’évêque », le « mode de vie et les sou­tiens au céli­bat », ou encore « d’éventuelles règles de vie pour les prêtres et les évêques ». Une semaine plus tard, Mgr Edward Burns, évêque de Dallas au Texas, a adres­sé au sou­ve­rain pon­tife une lettre simi­laire, pro­po­sant de cen­trer les dis­cus­sions de ce synode extra­or­di­naire sur la pro­tec­tion des enfants et des per­sonnes vul­né­rables, ain­si que sur la for­ma­tion des prêtres et des reli­gieux. Le 8 sep­tembre, l’évêque de Tyler (Texas), Mgr Joseph Strickland, deman­dait éga­le­ment l’annulation du synode sur la jeu­nesse et la tenue d’un synode extra­or­di­naire d’évêques « pour faire face à la crise des abus dans l’Eglise ».

Cette liste d’évêques n’est cer­tai­ne­ment pas close. Leur demande sera-​t-​elle enten­due à Rome ? 

En atten­dant, on peut médi­ter les huit pro­po­si­tions émises par Mgr Schneider dans son ana­lyse – déjà citée – du témoi­gnage de Mgr Viganò : 

- Que le Saint-​Siège et le pape lui-​même entre­prennent un net­toyage inflexible des clans et des réseaux homo­sexuels au sein de la Curie romaine et de l’épiscopat.
– Que le sou­ve­rain pon­tife pro­clame de façon claire et caté­go­rique la doc­trine de Dieu sur le carac­tère pec­ca­mi­neux des actes homo­sexuels.
– Que soient pro­cla­mées des normes iné­luc­tables et détaillées qui empêchent l’ordination des hommes avec des ten­dances homo­sexuelles.
– Que le Saint-​Père réta­blisse la pure­té et la clar­té de la doc­trine catho­lique dans sa tota­li­té, tant en matière d’enseignement que de pré­di­ca­tion.
– Que par l’intermédiaire des ensei­gne­ments du pape et des évêques et des normes pra­tiques soit res­tau­rée l’ascèse chré­tienne éter­nel­le­ment valide : l’exercice du jeûne, la péni­tence cor­po­relle et l’abnégation.
– Que soient res­tau­rés au sein de l’Eglise l’esprit et la pra­tique de la répa­ra­tion et l’expiation des péchés com­mis.
– Que com­mence au sein de l’Eglise un pro­ces­sus de sélec­tion garan­ti des can­di­dats à l’épiscopat, des hommes de Dieu à la conduite éprou­vée ; et il serait pré­fé­rable de lais­ser un dio­cèse vacant pen­dant plu­sieurs années que de nom­mer un can­di­dat qui ne soit pas un véri­table homme de Dieu en ce qui concerne la prière, la doc­trine et la vie morale.
– Que soit pro­mu un mou­ve­ment dans l’Eglise, sur­tout par­mi les car­di­naux, évêques et prêtres, pour un renon­ce­ment à tout com­pro­mis et intrigue avec le monde.

Sources : /​La Porte Latine du 21 sep­tembre 2018