M. l’abbé P. de La Rocque, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, curé
de Saint-Nicolas-du-Chardonnet au milieu des volontaires 2016 des missions en Irak
En quittant la France début août, nous avions chacun deux, quatre ou six frères et soeurs… Deux semaines plus tard, notre fratrie s’est agrandie : vingt-huit irakiens en font désormais partie. Ces jeunes chrétiens, réfugiés des camps d’Erbil ou d’Al- Qosh, nous ont retrouvés dans les montagnes de Mangesh, loin de leur sombre quotidien. Sous leurs panoplies de joueurs de foot, nous avons découvert des adolescents curieux et taquins, avides de joies simples, et si débordants d’enthousiasme qu’on en oublierait presque les épreuves qu’ils traversent. Au fil des jours et des activités, nous percevons leurs personnalités, et par bribes, ils nous dévoilent leur histoire.
Roben n’a pas oublié ses bons souvenirs du camp de l’été dernier. Il attendait avec impatience le mois d’août pour diriger à nouveau son équipe avec générosité, ardeur et humour. Voici ensuite l’espiègle Kalam, enchanté de parler suffisamment anglais pour multiplier les plaisanteries aux « volontaires » que nous sommes, Wrigth toujours prêt à rendre service, et Stan qui parle peu, mais dont le sourire rayonne.
Très vite nous repérons Marwan, le petit caïd au regard de défi. Son ton provocateur amuse ses camarades, mais peu à peu son regard s’éclaire, à mesure qu’y naît l’admiration pour ses « grands frères » venus de France. Le jour du départ, comme beaucoup, il ne parvient pas à cacher ses larmes. Jojo, dix-neuf ans, raconte sa formation dans une milice pour assurer la sécurité dans les villes reprises à l’état islamique et permettre à l’armée de poursuivre plus avant les combats. Il est fier de nous montrer ses photos, revêtu de son uniforme et armé d’une kalachnikov. Aussi fier que d’arbitrer le match de volley Irak-France ou de voir son équipe remporter un relais.
Après des journées chaudes et denses, animées de chasses au trésor, d’olympiades ou de tournois, les soirées sont des moments de partage privilégiés, des occasions de leur prouver notre amitié, de les écouter et de leur témoigner notre soutien. Randi endosse le rôle de chef de choeur, tandis que les cantiques français répondent aux chants irakiens. De son côté, Fady nous fait admirer les innombrables photos qu’il affiche sur les réseaux sociaux : Fady et ses petits frères jumeaux, Fady et ses amis, Fady à la piscine, auxquelles s’ajoutent maintenant Fady et les volontaires de SOS, ou Fady priant le chapelet : longue litanie de portraits, à travers lesquels il tente de se recréer une vie idéale, telle que celle qu’il avait « avant », ponctués ici ou là d’une image de guerre ou d’un message affirmant clairement sa foi, mais sans jamais rien laisser apparaître qui puisse évoquer sa misère réelle.
Pendant que le camp se déroule ainsi, une autre équipe de volontaires rencontre les familles de Mangesh. Avec simplicité et résignation, elles racontent les horreurs que les adolescents sont réticents à évoquer. Plus que d’aide matérielle, ils ont besoin de soutien moral et spirituel. Tous revendiquent avec une fierté exemplaire leur identité chrétienne pour laquelle ils ont tout sacrifié, même si la pratique quotidienne n’est guère leur fort.
Au village comme au camp, chapelets et images pieuses sont distribués, entraînant des effusions de reconnaissance. Nous récitons avec eux le chapelet… en entier ! Aucun n’en a l’habitude. M. l’Abbé de La Rocque doit expliquer l’importance et la beauté de la messe, car beaucoup n’y vont plus le dimanche. Ragheed, notre traducteur, lui sert de porte voix pour faire un exposé sur la confession. Ce dernier veut devenir prêtre, mais son parcours vers le sacerdoce s’annonce long et difficile. Lui aussi a besoin de nos prières.
Pour préparer la procession du 15 août, l’équipe village encadre les enfants pour la confection de guirlandes et lampions, tandis qu’au camp un grand concours de bannière est lancé. Mario dessine sur la sienne une splendide vierge couronnée, lui qui aimerait tant devenir un grand peintre quand il aura réussi à fuir l’Irak… Ce désir hante hélas tous ces jeunes. La plupart n’ont jamais connu leur pays qu’en guerre, et l’invasion de Daesh en août 2014 leur a arraché tout le confort matériel, préservé jusqu’alors. S’ils ne manquent pas de nous rappeler que l’Irak était chrétienne avant la France, ils ne se résignent pas à un avenir confiné dans leur bungalow familial. La seule solution leur semble être de fuir vers cet Occident qu’ils imaginent riche et chrétien… Hors de question toutefois de partir en France : « Vous avez trop de musulmans », « Ce qui est arrivé au père Hamel c’est ce qu’ils font chez nous », « Vos millions de musulmans, ce sont des millions de Daesh potentiels ».
Côté village, l’ambiance est assez différente, quoique d’un avis commun sur la situation française. En effet les autorités locales font tout pour assurer la pérennité chrétienne sur ces terres, qu’ils pourraient quant à eux quitter facilement. Et c’est à cette tâche que nous les aidons. Ils ont voulu commencer par marquer l’identité chrétienne du village en construisant un sanctuaire à « Notre Dame du Kurdistan », appelé à être leur Lourdes local.
Puissent les grâces pleuvoir sur ce sanctuaire, financé en bonne partie par notre paroisse ainsi que l’atteste la première pierre, posée le 25 mai dernier. Pendant ce temps, se projette la construction, sur les terrains de l’Église, d’une usine agro-alimentaire afin de redonner un souffle économique à ce village asphyxié faute de travail. Par tous les moyens, nous cherchons donc à aider cette population catholique, si attachante par ailleurs.
Daigne Dieu bénir tous ces efforts !
Les volontaires de la mission 2016
Source : Le Chardonnet n° 321 d’octobre 2016 /La Porte Latine du 5 octobre 2016
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