Nous connaissons bien les « enfants » de Fatima, les trois voyants Lucie, François et Jacinthe qui, en 1917, ont vu la Vierge Marie et ont transmis les messages du ciel. On connaît moins Sœur Lucie adulte à qui Notre-Dame avait annoncé qu’elle resterait sur terre un certain temps, tandis que François et Jacinthe étaient destinés à une mort précoce (1919 et 1920). Ce temps fut long puisqu’elle fut rappelée à Dieu le 13 février 2005.
Née en 1907, Lucie se prépare à sa première communion à 6 ans, étant donné sa maturité spirituelle. Elle se confia à Notre-Dame du Rosaire après sa toute première confession au cours de laquelle le prêtre lui avait recommandé de se mettre sous la protection de la Sainte Vierge pour garder son âme pure. Le vendredi 30 mai 1913, jour de la fête du Sacré-Cœur, l’enfant reçoit pour la première fois Jésus dans son cœur. Inondée de consolations, elle entend en elle ces paroles, en réponse à sa demande de devenir une sainte et la conservation de son cœur à Jésus seul : « La grâce qui t’est donnée aujourd’hui demeurera vivante dans ton âme et y produira des fruits de vie éternelle ». On le voit, les prédispositions de Lucie sont remarquables, bien avant la grâce des apparitions. Dieu se préparait une âme de choix.
Les apparitions de l’Ange précéderont celles de Notre-Dame. Puis, le 13 mai 1917, sur le chêne de la Cova da Iria, la Sainte Vierge fait cette demande décisive que n’esquivera aucun des trois pastoureaux : « Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu’Il voudra vous envoyer, en acte de réparation pour les péchés par lesquels Il est offensé et de supplication pour la conversion des pécheurs ? ». Dès lors, la vie de Lucie est toute orientée par ce oui prononcé ce jour-là. Son Fiat sera renouvelé constamment, dans la souffrance répétée de ne pas être crue par sa mère, dans la persécution des autorités civiles qui cherchent à éteindre la ferveur née à Fatima suite aux apparitions qui attirent les foules, dans la séparation de ses cousins morts tous deux précocement, à la mort de son père en juillet 1919, trois mois après celle de François, dans l’anonymat qui lui permettra d’échapper momentanément à la curiosité de ses camarades de classe mais qui la contraindra à renoncer aux études, puis dans sa vie religieuse commencée en 1925 chez les Sœurs Dorothée de Vilar, sous un nom d’emprunt. Ayant fixé son âme dans les mains maternelles de la Vierge Marie, Lucie se souviendra toujours des paroles de la Vierge pleines d’espérance, prononcées le 13 juin, lors de la deuxième apparition : « Ne te décourage pas, je ne t’abandonnerai jamais ! Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu ».
De 1925 à 1948, elle se donnera ainsi totalement à Dieu acceptant tout, conformément au oui prononcé le 13 mai 1917. Depuis longtemps désireuse d’entrer au Carmel pour y vivre coupée du monde qui ne cesse de perturber sa vie religieuse du fait des nombreuses sollicitations dont elle est l’objet, Lucie obtient finalement du pape l’autorisation de changer de congrégation en 1948. C’est au carmel de Coimbra qu’elle offrira le reste de sa vie à Dieu, ne sortant qu’à de rares occasions, en lien avec des anniversaires des apparitions et à la demande des autorités ecclésiastiques les plus hautes (Paul VI, Jean-Paul II).
Elle se donnera ainsi totalement à Dieu acceptant tout, conformément au oui prononcé le 13 mai 1917.
La biographie rédigée par des carmélites de Coimbra trace avec profondeur l’itinéraire spirituel de Sœur Lucie. Elle nous fait découvrir le caractère et les vertus admirables de la voyante, qui sera favorisée encore à plusieurs reprises de visions et d’apparitions (spécialement en 1925 et en 1929). On comprend mieux comment la religieuse fut l’instrument privilégié voulu par Dieu pour développer la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Depuis sainte Catherine Labouré (1830) et la Médaille miraculeuse qui favorisèrent la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception (1854), depuis les apparitions de Notre- Dame à sainte Bernadette de Lourdes (1858), l’Eglise catholique est entrée dans un temps marial rempli d’une ferveur nouvelle. Mais le message de Fatima appelant le monde à l’esprit de pénitence et de réparation pour la conversion des pécheurs et celle de la Russie a trouvé devant lui de nombreux obstacles.
Bien que la biographie relaie les versions officielles du discours ecclésiastique et romain, la question de la partie manquante du secret donné le 13 juillet, prétendument publié dans son intégralité en 2000, ne manque pas de laisser quelques interrogations, tout comme la réalisation supposée de la demande faite par la Vierge Marie que le pape consacre la Russie à son Cœur Immaculée, en union avec les évêques du monde entier. La consécration du monde faite par le pape Jean-Paul II, le 25 mars 1984, en union avec les évêques du monde entier correspondrait, aux dires de Sœur Lucie (qui tient ce discours à partir de 1989 seulement), à la demande de la Vierge Marie. Pourtant il n’y a pas été fait mention de la Russie, alors qu’elle était explicitement nommée par la Vierge Marie en 1917 puis le 13 juin 1929. Or ce sont les erreurs du communisme qui étaient prédites par Notre-Dame comme devant se répandre à travers le monde, si l’on retardait cette consécration, avec son sillage de guerres et de persécutions contre l’Eglise. D’où la nécessité de placer le foyer géographique du communisme sous la domination de la Reine du Ciel.
Sœur Lucie avait transcrit à destination de son confesseur en 1930 la substance de la demande : « Le bon Dieu promet de mettre fin à la persécution en Russie, si le Saint Père daigne faire, et ordonne aux évêques du monde catholique de faire également, un acte solennel et public de réparation et de consécration de la Russie aux très saints Cœurs de Jésus et Marie, et si Sa Sainteté promet, moyennant la fin de cette persécution, d’approuver et de recommander la pratique de la dévotion réparatrice (des premiers samedis) ». Or la consécration de 1984 ne fut pas plus qu’une consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie. Depuis lors, l’absence de conversion de la Russie à la foi catholique, l’absence de paix même temporaire sur la planète, le naufrage moral d’une grande partie de l’humanité induisent qu’il n’y a effectivement pas eu de consécration conforme à la demande de Notre-Dame.
Hormis ces questions disputées, les Carmélites de Coimbra nous offrent un beau témoignage de sainteté et d’esprit religieux qui mérite d’être lu. La lumière mariale qui éclaire la vie de la carmélite ne peut qu’inciter le catholique soucieux d’avancer sur le chemin de sainteté chrétienne à mieux vivre à son tour « sous le regard de Marie ».
Editions du Parvis 2016 – 584 pages – 32 €