Une liturgie « cousue main »

La tenue Mgr Ulrich lors de la réou­ver­ture de Notre-​Dame a surpris.

Lors de la céré­mo­nie de réou­ver­ture de la cathé­drale Notre-​Dame de Paris, Mgr Ulrich et ses assis­tants ont por­té une tenue litur­gique qui a stu­pé­fié beau­coup de monde, appa­rais­sant bien peu en conso­nance avec la majes­té retrou­vée du véné­rable vais­seau gothique pari­sien. Certains esprits sans doute trop mali­cieux ont vu dans le choix des cou­leurs une réfé­rence à un célèbre navi­ga­teur inter­net, ou se sont deman­dé si les chaus­sures qu’ils por­taient à cette occa­sion n’avaient pas été com­man­dées chez Lidl pour être en har­mo­nie avec la chape. Le pape Paul VI avait don­né comme rai­son majeure et déci­sive de la réforme litur­gique que « mieux vaut l’intelligence de la prière que les étoffes de soie ancienne dont elle est roya­le­ment revê­tue ». Au moins quant au rejet de l’ancien, l’archevêque pari­sien s’est révé­lé un bon dis­ciple du pape de la nou­velle messe.

Sans doute n’est-il pas dif­fi­cile de trou­ver, quant au ves­tiaire litur­gique, des exemples d’un goût sem­blable à celui de Mgr Ulrich bien avant le Concile Vatican II et la réforme litur­gique qui l’a sui­vi. Le mou­ve­ment litur­gique a aus­si por­té sa réflexion sur la forme des cha­subles par exemple, recher­chant des formes épu­rées, modernes et l’esprit de pau­vre­té dans la matière employée. Publiée dans la revue L’Art sacré en 1955, soit quinze ans avant la nou­velle messe, la pho­to­gra­phie de la Chasuble pour Vence de Henri Matisse témoigne assez jusqu’où pou­vaient por­ter ces recherches, et le ves­tiaire de nom­breuses sacris­ties témoi­gnait du fait que l’opposition entre ceux qui adop­taient ces formes de vête­ments sacrés plus modernes et ceux qui choi­sis­saient des formes plus tra­di­tion­nelles ne recou­pait pas celle entre les esprits pro­gres­sistes et les esprits traditionalistes.

Alors que l’architecture sacrée et son adap­ta­tion aux nou­velles célé­bra­tions ont fait l’objet d’une grande atten­tion, le Concile Vatican II et les docu­ments sur la litur­gie qui l’ont sui­vi ne se sont pas mon­trés très loquaces sur cette ques­tion des orne­ments. La Présentation géné­rale du Missel romain, au cha­pitre VI (Ce qui est requis pour la célé­bra­tion de la messe), indique seulement :

  • 335. (…) Il faut cepen­dant que ces vête­ments contri­buent aus­si à la beau­té de l´action liturgique.
  • 342. En ce qui concerne la forme des vête­ments litur­giques, les Conférences des évêques peuvent défi­nir et pro­po­ser au Siège Apostolique les adap­ta­tions cor­res­pon­dant aux besoins et aux habi­tudes de chaque pays.
  • 343. Pour la confec­tion des vête­ments litur­giques, outre les matières tra­di­tion­nelles, on peut employer les fibres natu­relles propres à chaque pays, ain­si que cer­taines fibres arti­fi­cielles pour­vu qu´elles conviennent à la digni­té de l´action sacrée et de celui qui l´accomplit. En ce domaine, la Conférence des évêques sera juge.
  • 344. La beau­té et la noblesse du vête­ment ne doit pas tenir à l´abondance des orne­ments sur­ajou­tés, mais à la matière employée et à la forme du vête­ment. Celui-​ci pour­ra pré­sen­ter des motifs, des images ou des sym­boles qui indiquent un usage sacré, et l’on écar­te­ra ceux qui jure­raient avec lui.
  • 346. (…) g. Aux jours les plus solen­nels, on peut employer des vête­ments litur­giques fes­tifs et par­ti­cu­liè­re­ment beaux, même s’ils ne sont pas de la cou­leur du jour.

Reste qu’il paraît légi­time de voir dans ce choix de l’archevêque de Paris une expres­sion de l’esprit de la réforme litur­gique. Tout d’abord, pour­quoi recher­cher ain­si à faire sen­sa­tion, sur­prendre, éton­ner inten­tion­nel­le­ment ? Un peu plus de cinq ans et demi après le ter­rible incen­die qui l’avait rava­gée, Notre-​Dame est réou­verte après une recons­truc­tion que tous louent comme remar­quable : une recons­truc­tion « à l’identique » qui a per­mis à des corps de métier de retrou­ver et d’adapter les méthodes de construc­tion tra­di­tion­nelles qui ont été uti­li­sées pour édi­fier le magni­fique vais­seau de pierre. La cathé­drale est dans un état de splen­deur qui n’aura peut-​être jamais été vu aupa­ra­vant. Pourquoi cher­cher abso­lu­ment à se démar­quer de cette tra­di­tion retrou­vée ? Il nous semble qu’on puisse y trou­ver la réponse dans la remarque que fai­sait Marcel de Corte[1] devant les inno­va­tions per­mises par la nou­velle litur­gie : le sacré en ayant été ban­ni, il s’agit de tenir en haleine son public par des moyens humains, par­mi les­quels la sur­prise. D’où les adap­ta­tions lais­sées, très offi­ciel­le­ment, au libre choix du célé­brant ou de l’équipe litur­gique : on constate sou­vent que « l’imagination au pou­voir » de la litur­gie contem­po­raine n’a plus de bornes. Ces vête­ments litur­giques ont sur­pris dans ce cadre gothique : qui ne sent ici la volon­té d’étourdir, de stu­pé­fier ? On ne se défait pas si faci­le­ment d’une habi­tude bien ancrée par des années de célé­bra­tion d’une nou­velle messe trans­for­mée en une œuvre d’homme « cou­sue main » – le phi­lo­sophe belge ne croyait pas si bien dire.

Romano Amerio remarque encore, dans Iota Unum, que la nou­velle litur­gie est ani­mée par le prin­cipe de créa­ti­vi­té. L’ancienne litur­gie était déni­grée comme un spec­tacle figé, don­né sous les yeux d’un peuple muet et inerte. À l’inverse, « le célé­brant du rite nou­veau qui fait tout ce que son inven­ti­vi­té ima­gine ou impro­vise (…) est pré­sen­té comme l’idéal du nou­veau style litur­gique »[2]. Le fond de cette inven­ti­vi­té recher­chée est de s’adapter au peuple, à ses besoins, à ses aspi­ra­tions … expri­mer ce que le peuple assem­blé res­sent du divin, ce qui conduit à s’adapter aux usages du monde. On com­prend que l’on fasse appel alors pour les vête­ments litur­giques à un créa­teur de mode. Et si le monde aime la pro­vo­ca­tion artis­tique, ne faut-​il pas conten­ter cette aspi­ra­tion ? Cette créa­ti­vi­té, cette adap­ta­tion per­ma­nente, ne s’arrêtent pas hélas au vête­ment : le manque de res­pect au Saint-​Sacrement, la com­mu­nion don­née sans sour­ciller à des pécheurs publics, sont des aspects plus graves d’une litur­gie dans laquelle le culte de l’homme a pris le pas sur le culte de Dieu.

Que ces réflexions ne nous empêchent pas d’admirer le for­mi­dable tra­vail de res­tau­ra­tion accom­pli pour rendre à la cathé­drale de Paris sa splen­deur : nous pou­vons enfin y retour­ner, être ébloui par tant de beau­té et prier « sous le com­man­de­ment des tours de Notre-Dame ».

Source : image cap­ture d’é­cran You Tube.

Notes de bas de page
  1. Marcel de Corte, « Les cabo­tins de la litur­gie », dans Itinéraires n°163.[]
  2. Romano Amerio, Iota Unum, p 514 sv.[]