La pédagogie de l’Église pour transmettre à toutes les cultures le message non édulcoré de l’Évangile.
Allez, enseignez toutes les nations … » : répondant à l’injonction de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’Église s’est rapidement répandue hors de son berceau originel pour porter à tous la lumière de l’Évangile.
L’histoire de cette expansion pourrait être déformée. On pourrait y voir le fait d’initiatives isolées d’une tête de l’Église moins encline à aller vers l’autre. Certains voudraient faire des missionnaires les auxiliaires des puissances politiques : empereurs, rois et plus tard États colonisateurs.
Or, ces deux visions ne rendent pas compte de la réflexion menée à tous les niveaux de l’Église tout au long de son histoire sur les meilleurs moyens de transmettre la foi. C’est ce que manifeste, au moyen de nombreux documents inédits, ou jamais traduits en français jusqu’alors, le livre du professeur Essertel : Évangélisation et cultures – Essai d’histoire et d’anthropologie d’une pédagogie missionnaire du Ier au XXe siècle. À travers la lecture de décisions pontificales, de instructions de la Congrégation de la Propaganda Fide, de traités à l’usage des missionnaires, de recommandations des supérieurs d’ordres missionnaires ou – parmi d’autres documents peu connus – un traité de bienséance à l’usage des missionnaires au Japon, c’est une véritable pédagogie missionnaire, faite d’oubli de soi (se faire tout à tous comme le recommande saint Paul) et d’adaptation aux coutumes locales qui apparaît avec constance et méthode tout au long de ces vingt siècles de missions, selon une tradition ininterrompue.
« Quoi de plus absurde que de transporter chez les chinois la France, l’Espagne, l’Italie ou quelque autre pays d’Europe ? N’introduisez pas chez eux nos pays, mais la foi ». Cette instruction écrite au XVIIe siècle par la très officielle Congrégation de la Propaganda Fide n’est que l’écho de la tradition très établie depuis des siècles du respect des cultures locales tant qu’elles n’offensent pas la foi et les mœurs. Saint Grégoire le Grand n’enjoignait-il pas à saint Augustin de Cantorbery partant ré-évangéliser l’Angleterre de récupérer les temples païens et non de les détruire ? Les débats entre les missionnaires montrent beaucoup de circonspection et de prudence avant de juger qu’un usage local doit être rejeté : au Siam, on se pose la question du port du vêtement des moines siamois bouddhistes. Mgr Laneau, supérieur, en pèse le pour et le contre, avant que cela soit rejeté pour éviter l’ambiguïté, alors qu’au Japon, il est recommandé aux missionnaires de porter des vêtements plus riches qu’ils ne le voudraient pour respecter les usages : vraiment, il faut se défaire de soi de pied en cap ! La délicatesse dont les missionnaires font preuve quand il s’agit même de respecter la quasi-nudité des habitants de certaines contrées ne doit dès lors pas étonner : qu’ils restent maoris et deviennent catholiques, c’est ce qui compte. On est aux antipodes des idées racistes véhiculées par le scientisme de la même époque.
Elle est donc bien dépassée, l’image du missionnaire fossoyeur des cultures indigènes ! Les débats sur la traduction des catéchismes, des Évangiles, de l’Imitation de Jésus-Christ, les innombrables travaux linguistiques des missionnaires dont on exigeait qu’ils parlent la langue locale, … tout cela manifeste bien cette belle pédagogie dont le pape Benoît XV, dans son encyclique Maximum Illud, pouvait tracer la généalogie : c’est la tradition ininterrompue de l’Église.
Cette précieuse mise au point historiographique se révèle aussi édifiante quand elle fait apparaître très concrètement la somme de travaux et de sacrifices offerts par les missionnaires pour la conversion des peuples auxquels ils étaient envoyés. « Notre seul intérêt est de s’assimiler à eux en tout, dans le dénuement, la pauvreté » (Fr. Jean Focher). Confort, nourriture, sommeil … les lettres des missionnaires sont remplies de ces détails sur leur quotidien qui en disent long sur les efforts qu’ils ont dû fournir pour vivre dans une autre culture aux antipodes de la leur.
À l’époque où l’on s’interroge dans des synodes au langage brumeux sur les moyens d’aller vers des périphéries supposées abandonnées jusqu’alors, ce voyage à travers le monde et les siècles de l’histoire missionnaire apporte la preuve qu’en se tournant vers sa tradition, l’Église a le meilleur moyen de transmettre à toutes les cultures le message non édulcoré de l’Évangile.
Yannick Essertel, Évangélisation et cultures – Essai d’histoire et d’anthropologie d’une pédagogie missionnaire du Ier au XXe siècle, Cerf/Patrimoines, 2020.