Gesticulations et paroles en l’air

Office religieux. Monastère d'Aképé. © Godong

La note Gestis Verbisque du Dicastère pour la Doctrine de la Foi ramènera-​t-​elle l’ordre dans la litur­gie conciliaire ?

Des expé­ri­men­ta­tions litur­giques qui abou­tissent à des sacre­ments inva­lides : plus de cin­quante ans après la réforme litur­gique vou­lue par le Concile Vatican II, le phé­no­mène est suf­fi­sam­ment répan­du pour qu’il fasse l’objet d’un texte du Dicastère pour la Doctrine de la Foi qui « concerne l’Église dans son ensemble »[1]. Les consé­quences de ces erre­ments sont graves puisqu’un sacre­ment inva­lide peut entraî­ner l’invalidité de tous les autres sacre­ments reçus par la suite, même si ces der­niers ont été don­nés en sui­vant toutes les règles : par exemple, on ne peut être ordon­né prêtre – même par le plus tra­di­tion­nel des évêques – si l’on a reçu aupa­ra­vant un bap­tême avec une for­mule qui n’est pas valide. Or, « des prêtres se sont éga­le­ment retrou­vés dans une situa­tion aus­si grave. Ayant été bap­ti­sés avec des for­mules de ce type, ils ont décou­vert avec dou­leur l’invalidité de leur ordi­na­tion et des sacre­ments célé­brés jusque-​là »[2].

Un constat alarmant

Il faut dire que l’inventivité dans ce domaine peut aller loin dans la nou­velle litur­gie, ain­si cette for­mule dénon­cée par le car­di­nal Fernandez : « Au nom de papa et de maman, … nous te bap­ti­sons ». La réa­li­té est alar­mante : « il faut mal­heu­reu­se­ment consta­ter que les célé­bra­tions litur­giques, en par­ti­cu­lier celles des Sacrements, ne se déroulent pas tou­jours dans la pleine fidé­li­té aux rites pres­crits par l’Église »[3]. D’où des rap­pels caté­ché­tiques élé­men­taires – qui auraient dû être inutiles si, comme le sou­tient sans sour­ciller Gestis ver­bisque, les nou­veaux rites de Vatican II « expriment avec plus de clar­té les réa­li­tés saintes qu’ils signi­fient et pro­duisent »[4]. Obscure clarté …

Retour au Concile de Trente ?

Le Dicastère pour la Doctrine de la Foi est donc obli­gé de rap­pe­ler ce qu’est un sacre­ment agis­sant ex opere ope­ra­to, ce qu’on entend par matière et forme d’un sacre­ment, inten­tion du ministre de faire ce que fait l’Église … toutes choses élé­men­taires en théo­lo­gie sacra­men­telle, mais que le renou­veau conci­liaire a – semble-​t-​il – ren­du obs­cures. Sur ces points pré­cis où il s’agit d’être clair au vu de la gra­vi­té de la situa­tion, mal­gré les révé­rences polies faites à Vatican II, le docu­ment s’appuie sur le concile de Trente[5]. L’introduction du car­di­nal Fernandez ne craint pas de lan­cer ce qui res­sem­ble­rait presque à un ana­thème : « Changer la forme d’un Sacrement ou sa matière, donc, est tou­jours un acte gra­ve­ment illi­cite et mérite une sanc­tion exemplaire ».

Un coup d’épée dans l’eau

Ce rap­pel à l’ordre aura-​t-​il quelque effet ? il est per­mis d’en dou­ter. Il inter­vient vingt ans après l’instruction Redemptionis Sacramentum de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ce docu­ment, avec une tona­li­té « à l’ancienne », dénon­çait aus­si un cer­tain nombre de faits ayant accom­pa­gné la réforme litur­gique et qui ont pro­duit doutes et scan­dales (§ 11), abus et souf­frances (§30) … Déjà il y a vingt, Rome rap­pe­lait la vraie notion de liber­té (§ 7), le lien néces­saire entre la doc­trine et l’action (§10 et 25), la cer­ti­tude requise en matière sacra­men­telle (§ 50) ; il s’agissait aus­si de dénon­cer les abus et d’insister sur le droit strict des fidèles à une litur­gie cor­recte. Là encore, des termes très sévères[6] pro­met­taient une remise en ordre. Cette ins­truc­tion eut si peu d’efficacité, que vingt après, il faut y reve­nir en rele­vant des erre­ments tou­jours plus inimaginables.

La nouvelle liturgie, une « révolution permanente »

Il n’est pas besoin de pré­tendre au cha­risme de pro­phé­tie pour avan­cer l’idée que Gestis Verbisque aura la même inef­fi­ca­ci­té que Redemptionis Sacramentum en son temps et, comme l’avait avan­cé l’analyse de Fideliter en 2004, « ne sera, sauf miracle, qu’un pétard mouillé ». En effet, ce docu­ment comme le pré­cé­dent ne veut pas recon­naître que l’abus prin­ci­pal est la réforme litur­gique elle-​même dont la concep­tion même rend inopé­rante toute vel­léi­té de com­battre les abus les plus graves. Gestis Verbisque le rap­pelle, la nou­velle messe et les nou­veaux sacre­ments issus de Vatican II sont conçus comme indé­ter­mi­nés, lais­sant au célé­brant une liber­té d’adaptation consi­dé­rable qui n’est pas un abus, mais qui est bien pré­vue par les livres litur­giques eux-​mêmes. « La litur­gie elle-​même per­met cette varié­té qui pré­serve l’Église de la forme unique d’un libel­lé unique. (…) de ce fait, la réforme litur­gique vou­lue par le Concile Vatican II a … pré­vu la pos­si­bi­li­té d’adaptations par­ti­cu­lières de la part du ministre de la célé­bra­tion, dans le seul but de répondre aux besoins pas­to­raux et spi­ri­tuels des fidèles[7] ». En d’autres termes, la nou­velle litur­gie est pré­vue comme une « révo­lu­tion litur­gique uni­ver­selle et per­ma­nente » [8]. « On peut certes, ici encore, dénon­cer les “abus” des célé­brants qui pro­cèdent motu pro­prio à des adap­ta­tions de textes, mais il faut à nou­veau sou­li­gner que c’est intrin­sè­que­ment que la nou­velle litur­gie est ouverte à la créa­ti­vi­té de la parole. Lorsque le mis­sel nou­veau porte que le prêtre salue en disant “par exemple” telle for­mule au choix, ou qu’on lui pro­pose à titre d’“exemple” une moni­tion à faire, c’est par le livre lui-​même qu’il est invi­té à la créa­ti­vi­té per­son­nelle. Tout natu­rel­le­ment se fera l’insertion par chaque ministre de moni­tion et de com­men­taires per­son­nels, que rien au reste n’interdit for­mel­le­ment et même que ce nou­veau mode cultuel appelle »[9]. « La révo­lu­tion est tou­jours en marche. En s’émancipant des appren­tis sor­ciers qui l’ont mise en branle, elle s’est même lar­ge­ment aggra­vée »[10].

Des injonctions contradictoires

La note du Dicastère pour la Doctrine de la Foi a d’ailleurs bien pris la pré­cau­tion d’ajouter de quoi ras­su­rer les par­ti­sans des expé­ri­men­ta­tions litur­giques en dénon­çant le dan­ger pos­sible d’un « rubri­cisme rigide »[11] qui n’apparaît pas pour­tant comme le dan­ger prin­ci­pal dans l’Église d’aujourd’hui – en tout cas, on n’a jamais enten­du par­ler de sacre­ment inva­lide sous un tel pré­texte ! Dans le même esprit, les rédac­teurs de Gestis Verbisque pré­sentent cette note comme une simple indi­ca­tion : « Il revient au Synode ou à l’assemblée des Hiérarques de chaque Église catho­lique orien­tale d’adapter comme il se doit les indi­ca­tions de ce docu­ment »[12]. Ces pré­cau­tions sont contra­dic­toires avec la fer­me­té affi­chée par d’autres pas­sages : ces der­niers pour­ront ras­su­rer cer­tains conser­va­teurs, ils n’empêcheront sans doute pas la révo­lu­tion de faire son œuvre.

Rien n’est perdu !

Le catho­lique qui veut res­ter fidèle et pro­fi­ter des fruits des sacre­ments doit-​il se sen­tir per­du ? non, heu­reu­se­ment ! il peut faci­le­ment s’orienter vers une doc­trine sûre et des sacre­ments valides sur cette carte :

Notes de bas de page
  1. Note Gestis Verbisque du Dicastère pour la Doctrine de la Foi du 2 février 2024, §5.[]
  2. Gestis Verbisque, intro­duc­tion.[]
  3. Gestis Verbisque, §2.[]
  4. Gestis Verbisque §16.[]
  5. Voir les notes 16, 23, 27, 34, 35, 37.[]
  6. « il est stric­te­ment requis », « aucun pré­texte ne peut jus­ti­fier », « il n’est per­mis en aucun cas », « cet abus est expres­sé­ment réprou­vé »… Voir l’analyse de l’abbé Michel Beaumont, « Faire bais­ser la fièvre … sans soi­gner la mala­die ! » dans Fideliter n°160 de juillet-​août 2004.[]
  7. Gestis Verbisque § 21, citant Sacrosanctum Concilium[]
  8. Père Calmel, Cet ordo Missæ n’existe pas[]
  9. Claude Barthe, La messe de Vatican II, p. 152.[]
  10. Abbé François Knittel, « Je refuse l’ordo mis­sae de Paul VI », dans La Lettre de Saint-​Florent n°267 de mars 2020.[]
  11. §27.[]
  12. § 4.[]