Le Synode sur la famille en 100 questions : un livre à lire ?

En sep­tembre 2015 est paru aux Editions Contretemps un livre inti­tu­lé : Le Synode sur la famille en 100 ques­tions, trois évêques témoignent.[1] En une cen­taine de pages, cet ouvrage répond briè­ve­ment aux ques­tions qu’un catho­lique pour­rait se poser à l’oc­ca­sion du der­nier Synode. On peut y trou­ver quelques rap­pels oppor­tuns sur les lois du mariage, comme le fait que l’a­dul­tère est un péché mor­tel (q. 63). Ces courtes réponses sont en géné­ral appuyées de diverses cita­tions (caté­chisme ou textes conci­liaires, docu­ments pon­ti­fi­caux ou épis­co­paux). On retrouve ain­si quelques ensei­gne­ments sur la famille tirés des Actes du Concile de Trente, de Léon XIII, Pie XI et Pie XII.

Ces rap­pels appré­ciables sont éton­nants sous la plume d’é­vêques conci­liaires. Cependant, ils sont bien rares, et ne suf­fisent pas à com­bler les grandes défaillances de cet ouvrage. Car les réponses, pour­tant brèves, n’ont pas la lim­pi­di­té de la doc­trine catho­lique, et pour cause. Elles s’ap­puient prin­ci­pa­le­ment, et sans réserve, sur l’en­sei­gne­ment de Vatican II (Concile, Catéchisme de l’Église Catholique de 1992) et de ses adeptes por­tés sur les autels conci­liaires (« bien­heu­reux » Paul VI, « saint » Jean-​Paul II…). On ne peut invo­quer le faux pour s’at­ta­quer à ses effets…

Quelques exemples ser­vi­ront d’illustration.

À la lec­ture de cet ouvrage, il res­sort que la socié­té déca­dente est la prin­ci­pale voire l’u­nique res­pon­sable de la crise de la famille. On aurait l’im­pres­sion que celle-​ci a tou­jours été par­fai­te­ment défen­due par les hommes d’Église. C’est mécon­naître l’his­toire. Car bien avant le Synode, le Concile Vatican II fit subir au mariage les pre­miers assauts moder­nistes. Et Jean-​Paul II les ava­li­sa dans le nou­veau Code de Droit Canonique (c. 1055), en inver­sant les fins du mariage.[2]

On s’ap­puie sur Lumen Gentium (n° 11) pour affir­mer que la famille est l”«Église domes­tique » (q. 15). C’est dans la logique conci­liaire du sacer­doce com­mun de tous les bap­ti­sés (fidèles et des prêtres), qui ravale la fonc­tion du prêtre à une simple pré­si­dence. Ainsi, l”«Église domes­tique » décrite par Lumen Gentium semble se suf­fire à elle-​même pour sa sanc­ti­fi­ca­tion : le prêtre n’y paraît plus néces­saire. La mort spi­ri­tuelle des familles est en germe dans ce texte.

Il est aus­si rap­pe­lé qu’on ne peut dis­soudre le lien matri­mo­nial : le divorce est qua­li­fié d”«injustifiable » (q. 76). Cependant, comme les schis­ma­tiques orien­taux l’ac­ceptent, il serait une simple « ano­ma­lie his­to­rique », pro­ve­nant d’une « théo­lo­gie très dif­fé­rente » (q. 76). Pourquoi ne pas par­ler de péché et d’er­reur ? Quant à la pro­cé­dure de décla­ra­tion de nul­li­té, elle accor­de­rait « une pleine jus­tice aux par­ties en cause, de sorte qu’il ne serait pas néces­saire de la modi­fier » (q. 94). Or il est mani­feste que les nou­velles condi­tions intro­duites dans le nou­veau Code de Droit Canonique (en 1983) sont une porte ouverte aux abus en ce domaine. Combien de mariages sont aujourd’­hui décla­rés nuls, sous le faux pré­texte d’im­ma­tu­ri­té ! On ne peut invo­quer cette loi laxiste, même pour en refu­ser une encore pire (cf. les Motu pro­prio du pape datés du 8 sep­tembre der­nier, qui ava­lisent en pra­tique un « divorce catholique »).

Il est rap­pe­lé que la sainte Eucharistie ne peut être don­née à un pécheur public. On aurait aimé se pas­ser de l’ar­gu­ment qui est don­né (il est vrai, sous forme de bou­tade): « l’Eucharistie ne fait pas par­tie des droits de l’homme ! » (q. 77). Sans commentaire.

L’obligation de la chas­te­té est prê­chée à tous. (q. 82). Cependant, l’ar­gu­ment d’au­to­ri­té invo­qué est extrait du Catéchisme de l’Église Catholique, véri­table com­pen­dium de Vatican II, où il est dit que les per­vers sodo­mites « peuvent et doivent se rap­pro­cher, gra­duel­le­ment et réso­lu­ment, de la per­fec­tion chré­tienne ». N’est-​ce pas un relent de la trop fameuse morale de gra­dua­li­té, qui consiste à faire croire au pécheur que l’é­tat de grâce (c’est-​à-​dire une vie chré­tienne nor­male) est un idéal (confon­du avec la per­fec­tion, c’est-​à-​dire la sain­te­té) qu’on ne peut atteindre que par degrés ?[3] Et d’ailleurs, pour­quoi rap­pe­ler cette obli­ga­tion de la chas­te­té ? En rai­son de la digni­té de l’homme, ensei­gnée par Gaudium et Spes au Concile (q. 97). L’édifice est bâti sur du sable, ou plu­tôt sur de la poudre explosive…

Il y aurait eu bien d’autres aspects à évo­quer. Ceux-​ci suf­fisent cepen­dant à conclure. Ce livre, qui se veut à contre-​courant, fera peut-​être du bien à cer­tains modernes, qui pour­raient y décou­vrir par chance, au tra­vers d’un lan­gage com­plexe et tor­tueux, quelques débris épars de la doc­trine tra­di­tion­nelle. Ils pour­raient éven­tuel­le­ment aus­si consta­ter com­ment quelques pré­lats invoquent le Concile pour prô­ner un retour à la morale, tan­dis que les autres la battent en brèche au nom des mêmes prin­cipes… Car c’est bien au nom (et à l’exemple) du Concile qu’un Cardinal Kasper, qu’un Pape François prêchent la fausse misé­ri­corde, pré­texte fal­la­cieux pour détruire la famille.

Aussi, et c’est peut-​être la seule chose à rete­nir de cet ouvrage, un catho­lique atta­ché à la Tradition de l’Église ne s’en­com­bre­ra pas l’es­prit de sa lec­ture. Il y per­drait la clar­té de ses idées, et se lais­se­rait impré­gner, bon gré mal gré, par des prin­cipes faux et délé­tères qui en sous-​tendent l’en­semble. Il gagne­ra plu­tôt à lire l’ex­cellent ouvrage inti­tu­lé Chasteté, Virginité, Mariage, Famille” : Schémas pré­pa­ra­toires du Concile Vatican II (Publications du Courrier de Rome, 2015), qui résume la doc­trine tra­di­tion­nelle en ce domaine.

Face au mal, il est bon et même néces­saire de réagir. Encore faut-​il le faire en l’é­ra­di­quant à la source, non en s’y abreuvant.

Abbé d’Abbadie, prêtre de La Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Le Petit Eudiste n° 198 de mars-​avril 206

Notes de bas de page
  1. Ces évêques sont : Mgr Aldo di Cillo Pagotto, Mgr Robert F. Vasa, MgrAthanasius Schneider.[]
  2. On pour­ra se réfé­rer au numé­ro spé­cial du Petit Eudiste sur la famille (octobre 2015), où il était fait men­tion de cette grave erreur.[]
  3. Ibid.[]