L’autorité du Synode

Le sta­tut du second synode sur la famille qui se déroule actuel­le­ment est l’ob­jet d’in­ter­pré­ta­tions sur­pre­nantes. A en croire les jour­na­listes – et cer­tains évêques for­te­ment imbus de démo­cra­tisme -, cette assem­blée serait comme un par­le­ment des repré­sen­tants du Peuple de Dieu : une droite conser­va­trice se confron­te­rait à une gauche pro­gres­siste, avant que l’on ne mette aux voix les véri­tés dog­ma­tiques et morales… L’abbé Jean-​Michel Gleize, pro­fes­seur d’ec­clé­sio­lo­gie au Séminaire Saint-​Pie X d’Ecône (Suisse), rap­pelle ici ce qu’est exac­te­ment un synode, avec ses pou­voirs et ses limites.

1 – Comme le mot « concile », le mot « synode » désigne dans l’Eglise une assem­blée de per­son­na­li­tés réunies pour déli­bé­rer et prendre des déci­sions, en matière de doc­trine ou de dis­ci­pline. Organes de gou­ver­ne­ment, ces assem­blées étaient com­po­sées d’évêques ou, au moins, diri­gées par l’un d’eux. Dans un pre­mier temps on les appe­la toutes conciles ou synodes ; plus tard les assem­blées de clercs convo­qués par l’évêque dio­cé­sain reçurent seules le nom de synodes et leurs déci­sions celui de sta­tuts syno­daux, tan­dis que les réunions d’évêques, pré­si­dées par le pape ou ses repré­sen­tants, s’appelaient de pré­fé­rence conciles.

2- Le concile Vatican II, en même temps qu’il redon­nait, de par sa tenue même, son actua­li­té au concile œcu­mé­nique, a pro­mu le renou­veau de l’institution syno­dale sous deux formes : 1) le synode dio­cé­sain qui n’est donc pas une nou­veau­té mais dont les moda­li­tés, les objec­tifs et les sta­tuts ont été pro­fon­dé­ment renou­ve­lés ; 2) le synode des évêques, créa­tion ori­gi­nale vou­lue par Paul VI pour prendre le relais plus effi­cace du Collège des car­di­naux. Il sera ici ques­tion de ce synode des évêques.

3 – Le synode des évêques est une ins­ti­tu­tion nou­velle, dont l’idée est appa­rue pen­dant le concile Vatican II. Quatre années de suite, les évêques du monde entier s’étaient retrou­vés à Rome ; beau­coup sou­hai­taient que ce dia­logue pût conti­nuer, d’une manière ou d’une autre, après la clô­ture du concile. C’est pour répondre à ce désir que Paul VI déci­da, en 1965, de créer le synode des évêques et d’en faire une ins­ti­tu­tion per­ma­nente, par le Motu pro­prio Apostolica sol­li­ci­tu­do, du 15 sep­tembre 1965. Un pre­mier règle­ment parut en 1966, sous le nom d’Ordo Synodi Episcoporum cele­bran­da. Il fut rem­pla­cé par une deuxième mou­ture, en 1969, qui, tout en ayant reçu quelques ajouts par la suite, est tou­jours en vigueur. L’essentiel de ces docu­ments a été repris par le Code de droit cano­nique de 1983, aux canons 342–348.

4 – Le canon 342 en donne cette défi­ni­tion : « Le synode des évêques est la réunion des évêques qui, choi­sis des diverses régions du monde, se ras­semblent à des temps fixés afin de favo­ri­ser l’étroite union entre le Pontife Romain et les évêques et d’aider de ses conseils le Pontife Romain pour le main­tien et le pro­grès de la foi et des mœurs, pour conser­ver et affer­mir la dis­ci­pline ecclé­sias­tique, et aus­si étu­dier les ques­tions concer­nant l’action de l’Eglise dans le monde ». Comme le montre cette défi­ni­tion, bien qu’on lui ait don­né le nom de synode, cette assem­blée n’est ni un synode, ni un concile. D’abord, parce que dans un concile ou un synode les évêques siègent et parlent en leur propre nom, tan­dis qu’ici la plu­part sont pré­sents à titre de délé­gués des confé­rences épis­co­pales et doivent, par consé­quent, expri­mer la pen­sée de leurs man­dants. Ensuite, parce qu’un concile est une assem­blée déli­bé­ra­tive où les évêques, réunis en col­lège, agissent en tant que légis­la­teurs et doc­teurs de la foi et publient des décrets de carac­tère doc­tri­nal ou dis­ci­pli­naire. Le synode des évêques, au contraire, n’a habi­tuel­le­ment qu’une voix consul­ta­tive. Il ne publie pas de décrets, mais des rap­ports et des pro­po­si­tions, c’est-à-dire des vœux (canon 343).

5 – Assemblée consul­ta­tive, le synode est donc sou­mis à l’autorité du Chef de l’Eglise plus étroi­te­ment encore qu’un concile œcu­mé­nique. Le canon 344 nous rap­pelle qu’il appar­tient au pape : 1. de convo­quer le synode et de dési­gner le lieu où il se tien­dra ; 2. de rati­fier le man­dat de ceux qui sont dési­gnés par élec­tion, lui-​même pou­vant y ajou­ter d’autres membres ; 3. de fixer le thème et les ques­tions qui seront étu­diés au synode ; 4. de pré­ci­ser l’ordre du jour ; 5. de pré­si­der le synode par lui-​même ou par un autre : en fait, le pape n’assiste per­son­nel­le­ment qu’aux séances les plus solen­nelles ou les plus impor­tantes, il se fait habi­tuel­le­ment rem­pla­cer par un, ou plu­sieurs, « Président-​délégué », nom­mé pour la durée de la ses­sion ; 6. de conclure le synode, ou de le trans­fé­rer, le sus­pendre ou le dis­soudre. Si le Siège Apostolique vient à vaquer après la convo­ca­tion d’un synode ou pen­dant sa célé­bra­tion, l’assemblée est sus­pen­due par le fait même, jusqu’à l’élection d’un nou­veau pape, à qui il appar­tien­dra de dire si le synode conti­nue ou s’il est dis­sous (canon 347, § 2).

6 – Il existe trois types d’assemblées syno­dales : 1) géné­rale ordi­naire ; 2) géné­rale extra­or­di­naire ; 3) spé­ciale (canon 345).

1) La pre­mière a pour but de trai­ter de ques­tions qui concernent direc­te­ment le bien de l’Eglise entière, sans pour­tant pré­sen­ter un carac­tère d’urgence. Elle se com­pose : a) des patriarches latins et des arche­vêques et métro­po­lites ; b) d’une majo­ri­té de membres élus par les confé­rences des évêques du monde entier ; c) des car­di­naux qui se trouvent à la tête d’un des dicas­tères de la Curie romaine ; d) de dix reli­gieux, appar­te­nant à des ins­ti­tuts clé­ri­caux et élus par l’Union romaine des supé­rieurs géné­raux. La par­ti­ci­pa­tion de la hié­rar­chie des Eglises orien­tales est réglée par un droit par­ti­cu­lier. A tous ces par­ti­ci­pants, le Souverain Pontife se réserve le droit d’en ajou­ter d’autres, dans une pro­por­tion qui ne dépasse pas 15 % du reste de l’assemblée (canon 346, § 1). A titre d’exemple, signa­lons que le synode de 1990 com­pre­nait 238 membres, dont 15 Orientaux et 36 nom­més par le pape. Y assis­taient aus­si bon nombre d’auditeurs et d’auditrices laïques.

2) L’assemblée géné­rale extra­or­di­naire se réunit pour trai­ter d’affaires qui demandent une solu­tion rapide. Son recru­te­ment est à peu près le même que celui de la pré­cé­dente, sauf que les confé­rences épis­co­pales y sont repré­sen­tées par leurs pré­si­dents et non par des délé­gués élus, et que le nombre des reli­gieux y est réduit à 3.

3) L’assemblée est dite « spé­ciale » quand elle a pour but d’étudier des affaires qui concernent direc­te­ment, non plus l’Eglise entière, mais une ou plu­sieurs régions déter­mi­nées. C’est ain­si que, en 1980, deux synodes spé­ciaux se sont tenus, l’un pour les Pays-​Bas, l’autre pour l’Ukraine. Ce genre d’assemblées se com­posent prin­ci­pa­le­ment d’évêques choi­sis dans les régions concer­nées (can. 346, § 3).

7 – La pré­pa­ra­tion d’une ses­sion, son dérou­le­ment, l’exploitation et la dif­fu­sion de ses résul­tats après la clô­ture, repré­sentent un tra­vail consi­dé­rable, qui néces­site un per­son­nel stable. Il est assu­ré par un secré­ta­riat per­ma­nent, diri­gé par un secré­taire géné­ral, nom­mé par le pape, et qui est aidé d’un conseil, com­po­sé d’évêques dési­gnés par­tie par l’assemblée, par­tie par le Souverain Pontife. Des secré­taires spé­cia­li­sés viennent secon­der le secré­taire géné­ral pen­dant la durée de la ses­sion. Un bureau d’informations assure la liai­son avec les médias.

8 – Chaque ses­sion s’ordonne autour d’un thème prin­ci­pal, choi­si par le pape. En 1974, ce fut « Justice et paix », en 1981, « La famille », en 1987, « La place et le rôle des laïcs dans l’Eglise ». Ce thème choi­si, le secré­ta­riat géné­ral pré­pare un sché­ma, appe­lé linea­men­ta, pour pré­sen­ter ce thème, et l’envoie, avec un ques­tion­naire, à toutes les confé­rences épi­co­pales afin qu’elles puissent l’étudier et y répondre. Certaines confé­rences ont su asso­cier assez lar­ge­ment leurs prêtres et leurs fidèles à ce tra­vail d’approfondissement. A par­tir des réponses reçues, le secré­taire géné­ral éla­bore un Instrumentum labo­ris, ou Instrument de tra­vail, qui sera remis aux Pères syno­daux et qui ser­vi­ra de base à leurs dis­cus­sions. A la fin de la ses­sion, un rap­por­teur rédi­ge­ra le « Document final » qui sera la syn­thèse du tra­vail accom­pli, en y joi­gnant quelques pro­po­si­tions pra­tiques. Ce texte sera remis au pape, qui en fera l’usage qu’il juge­ra bon et qui s’en ser­vi­ra par la suite pour l’élaboration de docu­ments pontificaux.

9 – Comme tous les pré­cé­dents, le synode actuel demeure à la dis­cré­tion du pape François. Le canon 344 du nou­veau Code est en effet très clair : le synode est un organe pure­ment consul­ta­tif, dont le pape peut reti­rer ce qu’il veut. Certes, l’influence d’un tel orga­nisme est loin d’être négli­geable, dans le contexte médiatico-​démocratique que nous connais­sons. Mais le droit de l’Eglise, res­tant ce qu’il est, donne au Souverain Pontife le moyen de faire triom­pher sa propre théologie.

Abbé Jean-​Michel Gleize, pro­fes­seur d’ec­clé­sio­lo­gie au Séminaire Saint-​Pie X d’Ecône (Suisse), prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Source : DICI du 16 octobre 2015

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.